La méthodologie de l’analyse d’image : quelques exemples tirés de la peinture britannique
Introduction
Quelle méthodologie proposer aux élèves lorsque l’on travaille sur l’analyse d’une image ? Celle-ci peut s’avérer déconcertante à première vue : que dire à propos d’un portrait ou d’un paysage par exemple ? Dans le domaine des arts visuels, et en particulier de la peinture, différents éléments doivent être pris en compte afin de mener une analyse qui soit la plus précise possible : il faut commencer par identifier le thème du tableau en décrivant tout ce qui y figure (les personnages, leurs actions, le lieu où se déroule la scène) ; les informations au sujet du tableau (le genre, la technique, les dimensions) donnent une série d’indications formelles supplémentaires qui permettent d’affiner la compréhension de l’œuvre ; de plus, toute création artistique s’inscrit dans un contexte politique, social et culturel qui influence la manière dont l’artiste a conçu le sujet, et celle dont le spectateur va le comprendre ; la composition de l’œuvre renvoie à l’organisation générale de la scène : la construction des différents plans, l’espace et la perspective, l’agencement des personnages, l’éclairage sont autant de points à prendre en compte ; enfin, lorsque l’œuvre étudiée provient de la volonté d’un commanditaire, il faut comprendre et faire ressortir son intention. Tous ces éléments sont des clés de lecture et d’interprétation pour dégager la spécificité esthétique, contextuelle et culturelle d’un tableau.
Les exemples de peintures tirés de l’histoire de l’art britannique qui ont été chosis se rattachent à deux thématiques du cycle terminal : d’une part, l’évolution de la représentation du pouvoir royal en lien avec les lieux et formes de pouvoir ; d’autre part, la manière de montrer la Révolution industrielle et l’impact de l’innovation technologique dans le cadre de l’idée du progrès.
I) Lieux et formes de pouvoir : les portraits royaux de quatre souverains emblématiques, d’Henri VIII à la reine Victoria
Le portrait fut le genre artistique majeur dans le pays de la Réforme jusqu’au XVIIIe siècle. Les souverains qui se succédèrent sur le trône d’Angleterre prirent la mesure de l’influence que l’art pouvait jouer en projetant une image de puissance et de pouvoir non seulement auprès de leurs sujets, mais aussi des autres pays européens. Quatre souverains emblématiques ont été retenus pour mener l’analyse de leurs portraits (les dates de règne sont indiquées entre parenthèses) : au XVIe siècle, Henri VIII (1509-1547) et Elisabeth Iere (1558-1603) ; au XVIIe siècle, Charles Ier (1625-1649) ; au XIXe siècle, Victoria (1837-1901). Leur vie et leurs actions marquèrent durablement la destinée du royaume, à tel point que les reines Elisabeth et Victoria donnèrent leur nom à leur époque.
Après un siècle et demi de conflits, ponctué par la guerre de Cent Ans (1337-1453) contre la France, et la guerre des Deux Roses (1455-1485) entre la maison des Lancastre et celle des York pour la couronne anglaise, l’Angleterre aspirait à retrouver une forme de calme politique. Une nouvelle dynastie, les Tudor, commença à régner à partir de 1485 avec Henri VII. Son fils Henri VIII, couronné vingt-quatre ans plus tard, laissa son empreinte dans l’histoire anglaise : marié à six reprises, son règne fut notamment marqué par le schisme avec l’Eglise catholique. Monarque à la personnalité affirmée, son caractère ne pouvait qu’être reflété dans ses portraits. Le grand portraitiste de l’époque henricienne, Hans Holbein le Jeune (vers 1497-1543), réalisa de nombreux portraits du roi et des membres de la cour. D’origine bâloise, il séjourna à deux reprises à Londres, d’abord de 1526 à 1528, puis de 1532 à 1543, amenant avec lui la Renaissance dans le portrait anglais. Ce fut au cours de son deuxième séjour qu’il s’établit durablement à la cour. Holbein le Jeune réalisa un portrait d’Henri VIII et de sa troisième épouse Jane Seymour, accompagnés du père du roi, Henri VII, et de sa femme Elisabeth d’York, pour une peinture murale en 1537 au palais de Whitehall. Détruit par un incendie en 1698, il ne reste plus trace du travail original d’Holbein, mais plusieurs adaptations du portrait du roi furent exécutées d’après ce modèle dès les années 1530 : c’est la version exposée à la Walker Art Gallery de Liverpool qui va être décrite.
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Il s’agit d’un portrait en pied du souverain Tudor qui, d’emblée, s’impose physiquement par un corps aux proportions volontairement agrandies, notamment la ligne des épaules. Les dimensions de la toile (239 x 134,5 cm) soulignent le pouvoir du roi, qui regarde directement le spectateur, le prenant à témoin pour signifier que c’est un monarque fort. Henri est au centre de la toile, comme pour rappeler que le roi est au fondement de l’exercice politique en Angleterre. Le décor qui l’entoure met la figure royale en valeur : une attention particulière a été accordée aux détails des motifs qui parent le tapis, la tenture et les vêtements. La prise en compte du contexte des années 1530 complète l’interprétation de ce portrait : Henri VIII souhaitait divorcer de sa première femme, Catherine d’Aragon, qui n’avait donné naissance qu’à une fille, Marie, alors que le roi attendait un garçon, mais le refus papal de reconnaître ce divorce amena le roi à prendre une décision unilatérale, une séparation religieuse entre Londres et Rome. L’Acte de Suprématie de 1534 faisait du roi d’Angleterre le chef suprême de l’Eglise d’Angleterre, l’un des tournants dans l’établissement de la Réforme au sein du royaume. En outre, en 1537, Jane Seymour devint la mère du fils qu’Henri avait attendu depuis le début de son règne, Edouard.
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La reine Elisabeth Iere se fit portraiturer à de multiples reprises tout au long de son règne, créant une galerie de portraits : cette succession de tableaux au fil des ans participa à la construction visuelle du pouvoir royal pendant l’ère élisabéthaine. En parcourant cette galerie, le spectateur est frappé par la magnificence des robes, ainsi que par l’image qu’Elisabeth voulut léguer à la postérité, celle d’une souveraine intemporelle, désignée par l’expression du « masque de jeunesse » (« mask of youth »).
La symbolique figure dans nombre de ses portraits : à titre d’exemple, le portrait dit du phénix (vers 1575) réalisé par, ou dans l’atelier de Nicholas Hilliard (vers 1547-1619), l’un des peintres et miniaturistes les plus réputés de l’ère élisabéthaine. Il fut formé dans l’atelier du bijoutier de la reine Robert Brandon (?-1591), avant de devenir peintre de la reine en 1570 (Strong, 1987, 79). Elisabeth voulait signifier la nature unique de son règne et le lien avec son peuple par le biais du phénix, animal qui évoque le sacrifice pour ses petits, la rédemption et la charité (Strong, 1987, 83).
Le portrait de l’Armada est l’une des plus célèbres représentations de la souveraine : il fait directement référence à l’affrontement entre la reine d’Angleterre et le roi d’Espagne Philippe II (1556-1598), qui avait épousé en 1554 la sœur catholique d’Elisabeth, Marie Tudor, qui la précéda sur le trône de 1553 à 1558. De part et d’autre de la reine, le spectateur voit à gauche la flotte anglaise attaquer la flotte espagnole, tandis qu’à droite les navires espagnols se brisent le long des côtes. Elisabeth est placée de telle manière qu’elle apparaît comme la protagoniste de l’action, responsable de la victoire contre la marine de Philippe II. Elle veut apparaître comme la protectrice de son royaume face à la menace catholique, et elle est associée à la providence qui permit à l’Angleterre de sortir triomphante. Elisabeth développe en même temps un empire, comme l’indique la main droite posée sur le globe : la concurrence de la France, de l’Espagne et du Portugal dans la conquête de nouveaux territoires, notamment sur le continent américain, était intense, et la souveraine voulait faire rayonner la puissance de son pays. L’explorateur Walter Raleigh (1554-1618) avait débarqué sur la côte est de l’Amérique du Nord dès 1584.
A partir de 1603, une nouvelle dynastie, celle des Stuart, fut au pouvoir. Inaugurée par Jacques Ier, son fils Charles lui succéda en 1625. Poursuivons notre analyse avec l’un des peintres de cour les plus remarquables de cette époque : Antoine Van Dyck (1599-1641). Originaire d’Anvers, il travailla à la cour d’Angleterre dès 1632, réalisant plusieurs dizaines de portraits de Charles Ier et des membres de la cour.
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L’un de ses tableaux les plus célèbres est le portrait équestre de 1633, Charles I on Horseback with M. de Saint-Antoine, que Christopher Brown compare à la statue équestre de Marc Aurèle sur le Capitole, ou au Portrait équestre de Charles Quint à Mühlberg (1548) du Titien (1999, 30), et que l’on peut également rapprocher d’un autre portrait de l’empereur à cheval de Van Dyck (vers 1620). Le roi donne l’impression d’une entrée théâtrale en passant sous l’arc de triomphe. Pierre Antoine Bourdon, seigneur de St Antoine, maître d’équitation du roi, regarde celui-ci avec déférence et admiration. Les éléments placés par Van Dyck doivent être pris comme un ensemble : l’architecture qui crée un cadre pour le roi, les armoiries royales qui assoient son autorité, l’armure et le bâton qui lui confèrent un statut guerrier, les dimensions du tableau (368,4 x 269,9 cm) – tout concorde pour accentuer la stature de Charles Ier. Van Dyck a voulu souligner sa prestance en le peignant en hauteur, avec un point de vue légèrement plus bas que la ligne du regard. Cette toile devait être accrochée au palais Saint James, l’une des demeures royales à Londres (Brown, 1999, 29).
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D’autres toiles révèlent un autre aspect de la vie du roi : sa famille. En 1632, dans Charles I and Henrietta Maria with their two Eldest Children, Van Dyck représenta Charles avec son épouse Henriette Marie, fille d’Henri IV et de Marie de Médicis, qu’il avait épousée en 1625, le prince Charles (futur Charles II) à côté de son père, et la princesse Marie dans les bras de sa mère, âgés respectivement de trois et deux ans. A l’arrière-plan apparaissent le Parlement et Westminster Hall. Les attributs royaux sont posés sur une table à la droite du monarque. Ce portrait fait pénétrer le spectateur dans l’intimité de la famille royale. La reine jette un regard confiant à son mari, tandis que le jeune prince pointe son père du doigt, montrant que ce dernier est la figure la plus importante de ce portrait. La reine est placée à côté de la tenture, alors que le roi est assis à côté d’une ouverture qui crée une forme de perspective sur l’institution législative. De nouveau, le pouvoir royal est affirmé grâce à ce lien visuel. Le roi, lui, fixe le spectateur comme pour mieux marquer son autorité. Là encore, le contexte éclaire la mise en scène de cette toile : Charles, comme son père, gouvernait selon le principe du droit divin des rois – l’autorité royale provenait de la volonté de Dieu uniquement. Charles prit ses décisions sans jamais consulter le Parlement de 1629 à 1640, constituant l’une des sources majeures de tension qui mena à la guerre civile (1642-1649).
Deux siècles plus tard, une autre femme laissa une trace indélébile dans l’histoire britannique, la reine Victoria. Son règne, qui dura plus de soixante ans (de 1837 à 1901), donna l’occasion à plusieurs peintres de réaliser son portrait. Victoria avait nommé David Wilkie (1785-1841) peintre ordinaire, tandis que le titre de portraitiste et de peintre d’histoire échut à George Hayter (1792-1871). La souveraine s’adressa d’abord à Wilkie pour son portrait de couronnement, mais, parce qu’il s’avéra dans l’impossibilité de le faire, elle demanda alors à Hayter de s’en charger.
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Dans son tableau, le peintre montre une reine jeune, âgée de dix-huit ans, en pleine lumière. Il s’agit d’un moment fort et symbolique, marquant l’avènement d’un nouveau règne. Le cérémonial du couronnement est extrêmement codifié, et l’artiste a cherché à conserver cette solennité. Les couleurs, fortes et expressives, évoquent les tons dorés liés à la puissance. Le dais met la reine Victoria en valeur : par exemple, le rouge plus foncé du dais fait écho au rouge plus clair de sa robe. Hayter a représenté la couronne et le sceptre, deux symboles du pouvoir royal présents lors du couronnement d’un nouveau souverain. Victoria a le regard tourné vers le ciel, comme pour faire écho à l’expression « Dieu et mon droit », la devise de la monarchie depuis Henri V (1413-1422), partiellement lisible derrière son épaule gauche. Les traits de son visage reflètent sa jeunesse et le poids du rôle qui lui incombe.
Les rois et reines ne furent pas seulement portraiturés de manière officielle, ils firent également l’objet de caricatures, et ce dès la fin du XVIIIe siècle. James Gillray (1756-1815) fut l’un des grands caricaturistes de cette période, et une large partie de sa production concerna la politique. Il cibla la famille royale dans Monstrous Craws at a New Coalition Feast en 1787.
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On y voit le roi Georges III, sur le trône depuis 1760, à droite, vêtu des habits d’une paysanne ; son épouse Charlotte à gauche, et leur fils, le prince Georges, au centre. Les trois personnages utilisent chacun une louche afin de boire de l’or qui tombe dans leur jabot (celui du prince est vide, tandis que celui de son père est rempli) et qui provient d’une grande marmite sur laquelle on lit « Le sang de John Bull » (« John Bull’s Blood »), et semblent ne pas être repus. John Bull, personnage qui figure le peuple britannique, est utilisé comme référence pour signifier que le couple royal et l’héritier de la couronne sont voraces, et intéressés par des considérations uniquement pécuniaires. Le couple royal menait une vie plutôt austère, alors que le prince était dénoncé pour sa vie dissolue et ses dettes. Le support diffère des exemples précédents : il ne s’agit pas d’un tableau, mais d’une estampe, dont la diffusion était plus aisée. Gillray fait montre d’un esprit mordant et caustique grâce à un style beaucoup plus direct et la force du trait qui ont un impact immédiat sur le spectateur. La caricature devait être facilement comprise par les personnes qui la regardaient. Cela n’empêcha ni le roi ni son fils d’acheter ses caricatures (la plupart furent vendues en 1920 à la bibliothèque du Congrès).
Les comparaisons jouent un rôle intéressant, car elles font ressortir des traits de caractère et des manières de représenter qui dévoilent des similitudes notables au fil du temps. Les artistes de cour se devaient de construire une image liée à l’expression de l’autorité et de la puissance, celle de la couronne se reflétant dans la nation. Il s’agit de créer une narration du règne, d’où l’importance de mettre chaque portrait dans son contexte : le spectateur peut comprendre quelle étape dans la vie du monarque est représentée, ou comment un événement historique dont la portée rejaillit sur la figure royale est illustré. La liberté d’expression donna une certaine latitude à des caricaturistes tels que Gillray pour dessiner les contours d’une autre image de la royauté, où la satire et une vision plus crue de l’institution s’expriment.
II) L’idée de progrès : la Révolution industrielle et le développement du pays dans l’art britannique des XVIIIe et XIXe siècles
La Révolution industrielle fut l’un des bouleversements les plus importants des XVIIIe et XIXe siècles en Grande-Bretagne. Cette dernière se servit des progrès technologiques pour asseoir sa puissance. James Watt (1739-1816) déposa des brevets pour ses modèles de machine à vapeur qu’il fit évoluer dans les dernières décennies du XVIIIe siècle. Cette période donna l’occasion aux inventeurs et aux ingénieurs de mener la nation britannique à faire un bond technologique fulgurant. Cette révolution aboutit à des transformations économiques et sociales qui se retrouvèrent dans l’art. Joseph Wright of Derby (1734-1797) était originaire d’un comté, le Derbyshire, qui fut marqué par le développement industriel. Débutant avec des portraits, il se tourna à la fin des années 1760 vers des tableaux dont les personnages sont éclairés à la bougie. Après quelques années passées à Liverpool (de 1768 à l’automne 1771), il produisit plusieurs scènes entre 1771 et 1773 montrant des artisans au travail dans leur atelier. Deux versions d’une même scène, A Blacksmith’s Shop (1771), existent (l’une se trouve au musée de Darby, l’autre au Yale Center for British Art).
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Le peintre a pris soin de créer une histoire, le sabot d’un cheval ayant besoin d’être réparé, ce qui explique la présence des personnages dans la partie droite.
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La version du tableau de Yale montre un enfant qui regarde la scène, tandis qu’un autre est aveuglé par l’incandescence du métal.
Dans An Iron Forge (1773), un artisan se tient aux côtés de sa famille, tandis qu’un assistant tient une barre de fer entre des pinces, prête à être travaillée. Le mouvement de la forge est alimenté par de l’eau, introduisant une forme de modernité absente du tableau précédent.
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Le point de vue choisi par le peintre est un peu plus large que les toiles précédentes dans An Iron Forge Viewed from Without (1773), ce qui lui permet d’intégrer des éléments naturels dans le décor, tels que les arbres et le cours d’eau à gauche. Le contraste entre la nature et le travail manuel est ainsi souligné. Toutes les scènes sont nocturnes, jouant ainsi sur un clair-obscur très prononcé qui attire immédiatement l’œil vers le métal qui émet une lumière parfois impossible à supporter pour certains personnages. Cet éclairage met le travail des artisans en valeur, leurs mouvements, leur présence physique, mais aussi les personnages qui les regardent travailler, reflétant en cela le spectateur qui regarde la scène. La présence d’enfants annonce la nouvelle génération qui va connaître les progrès issus de cette phase de la Révolution industrielle. Il est possible de relier ces scènes à la figure mythologique de Vulcain, le dieu romain du feu et patron des forgerons (Renne, 2011, 249). Ce type de toiles suscita un intérêt certain : par exemple, An Iron Forge Viewed from Without fut acheté pour l’impératrice Catherine II de Russie en 1774 (Renne, 2011, 246).
Les toiles révèlent aussi comment, et à quel point, le paysage fut transformé par l’industrialisation progressive. Coalbrookdale, un village du Shropshire où le minerai de fer fut fondu pour la première fois par Abraham Darby (1678-1717), joua un rôle industriel qui attira les artistes, à cause de ses hauts-fourneaux. Philippe-Jacques de Loutherbourg (1740-1812), né à Strasbourg, arriva à Londres en 1771, où il attira l’attention au théâtre Drury Lane pour ses effets visuels scéniques, notamment l’Eidophusikon (Klingender, 1988, 11), un théâtre miniature mécanisé utilisant des automates et des toiles éclairées de telle sorte qu’il pouvait donner l’illusion du mouvement. Son expérience au théâtre permet de réfléchir à sa manière de mettre en scène en peinture.
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Dans Coalbrookdale by Night (1801), Loutherbourg peint les fourneaux appartenant à la Madeley Wood Company, fondée en 1756, qui extrayait du charbon et du minerai de fer dans le village anglais. Les flammes qui montent dans le ciel offrent des tons rougeoyants et orangés dans un ciel éclairé par la lune où les deux finissent par se fondre l’un dans l’autre. Le monde ancien est symbolisé par la charrette tractée par le cheval, et les chaumières. Le spectacle devient presque fascinant, comme hypnotique. Les cheminées des maisons se détachent contre le feu issu de la sidérurgie, qui vient remplacer le feu domestique. Le paysage montagneux s’efface à l’arrière-plan, symbolisant ainsi la puissance du travail industriel qui occupe l’espace. Le point de vue n’est pas trop éloigné de la scène de travail, le clair-obscur est marqué pour rendre la scène spectaculaire et souligner la lumière produite par le feu ou la fusion du métal.
Dans le domaine du transport, Richard Trevithick (1771-1833) entra dans la postérité grâce à la locomotive à vapeur en 1801. En 1833 fut fondée la compagnie ferroviaire Great Western Railway, qui fit rouler ses premiers trains entre Londres et le sud-ouest de l’Angleterre cinq ans plus tard.
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La toile de Joseph Mallord William Turner (1775-1851), Rain, Steam and Speed: The Great Western Railway (1844), est immédiatement saisissante car elle traduit l’impression de vitesse. Le train émerge de la brume, le pont traçant une ligne de force qui attire d’emblée le regard. Les arbres parcourent la toile, une partie d’entre eux sépare les deux ponts, symbolisant une transition vers un monde différent, où la machine introduit une accélération non seulement technologique, mais aussi temporelle. Ian Carter voit dans ce tableau exprime à la fois la perte et le progrès (1997, 4). L’ancien monde, figuré par les pêcheurs, le lièvre qui court près des rails, est en passe d’être remplacé par une nouvelle ère de progrès qui semble inexorable. Les éléments naturels et la machine coexistent dans la même toile, le titre du tableau lui-même suggérant une juxtaposition entre la nature et la mécanique, comme si la brume et la vapeur se fondaient l’une dans l’autre.
Un peintre qui résuma ces évolutions fut William Bell Scott (1811-1890), d’origine écossaise, qui descendit à Londres en 1837. Proche des Pré-Raphaélites, il devint ami avec Sir Walter Trevelyan (1797-1879) et son épouse, Lady Pauline Trevelyan (1816-1866). C’est elle qui lui passa commande d’une série de peintures décoratives pour leur demeure à Wallington, dans le comté de Northumberland, un projet auquel il se consacra de 1856 à 1861. Partant de l’époque romaine et de la construction du mur d’Hadrien, William Bell Scott sélectionna sept autres épisodes historiques relatant l’histoire de la région, jusqu’à la Révolution industrielle.
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Grâce à Iron and Coal (1861), le peintre effectue une sorte de synthèse où les innovations majeures issues de la Révolution industrielle sont présents – le télégraphe, le train, les journaux, la vapeur. Trois hommes manient des marteaux, tandis qu’un quatrième travaille à mains nues. Sur la gauche, une petite fille attend que son père ait terminé pour pouvoir manger. A l’arrière-plan, on distingue le High Level Bridge, inauguré par la reine Victoria en 1849, l’une des réalisations de l’ingénieur Robert Stephenson (1803-1859). Des pêcheurs et un photographe s’affairent sur le quai. Tous les plans du tableau sont comme saturés tant Bell Scott a voulu inclure d’éléments, créant un entrelacs de lignes qui évoque l’intense activité industrielle de Newcastle.
Hercules Brabazon Brabazon (1821-1906), qui partagea son temps entre Oaklands (dans le comté du Sussex), Londres et l’étranger, propose une vision différente de l’industrie dans sa toile intitulée Landscape with Industrial Buildings by a River (vers 1890).
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La peinture est appliquée de manière rapide, comme le suggèrent les traces du premier plan. Ce sont davantage des bandes de peinture qu’une application homogène. Les lignes verticales sont particulièrement visibles, grâce au bâtiment, aux cheminées, et au ciel. Brabazon a construit son paysage autour d’une bichromie : des teintes grisâtres et marron dominent la composition. Le bâtiment au deuxième plan à droite est la partie la plus reconnaissable du point de vue des formes. Il faut aussi noter l’absence de toute présence ou activité humaine, ce qui donne à cette scène une dimension statique absente des tableaux abordés jusqu’à présent.
L’art britannique accompagna les progrès techniques des XVIIIe et XIXe siècles. L’activité et le travail sont mis en avant, avec des couleurs franches et des lignes affirmées. Les artistes s’y intéressèrent à titre personnel, mais il ne faut pas oublier le contexte mondial dans lequel la Grande-Bretagne s’inscrivait à cette époque : elle était au faîte de sa puissance grâce à son empire, et la Révolution industrielle faisait partie des raisons qui lui permirent de s’implanter sur plusieurs continents, notamment par l’entremise des réseaux de transport. Ces tableaux rappellent l’origine de ce développement.
Conclusion
Les œuvres d’art sont révélatrices de l’histoire des mentalités à une époque donnée. Une méthode qui s’appuie sur la description et le contexte de production permet de déterminer des axes pour construire une interprétation. Les exemples choisis montrent l’aspect protéiforme de la production artistique en Grande-Bretagne à travers les siècles, et souligne les liens entre art, histoire politique et sociale, qui peuvent être rapportés à une approche interdisciplinaire en classe.
Références bibliographiques
BROWN Christopher, VLIEGHE Hans, BAUDOUIN Frans. 1999. Anthony Van Dyck, 1599-1641. Anvers: Antwerpen Open.
CARTER Ian, 1997. « Rain, Steam and What? », The Oxford Art Journal, volume 20, n° 2, p. 3-12.
KLINGENDER Francis D., 1988. « Le sublime et le pittoresque », Actes de la recherche en sciences sociales, volume 75, n° 1, p. 2-13.
RENNE Elizaveta. 2011. State Hermitage Museum Catalogue: Sixteenth- to Nineteenth-Century British Painting. New Haven: Yale University Press.
STRONG Roy. 1987. Gloriana: The Portraits of Queen Elizabeth I. New York: Thames and Hudson.
Pour aller plus loin
JAUBERT Alain, LAGIER Valérie, MONCOND’HUY Dominique, SCEPI Henri (éd.). 2007. L'Art pris au mot ou Comment lire les tableaux... Paris : Gallimard.
LANEYRIE-DAGEN Nadeije. 2015 (2002). Lire la peinture dans l’intimité des œuvres. Paris : Larousse.
Pour citer cette ressource :
Nicolas Bourgès, "La méthodologie de l’analyse d’image : quelques exemples tirés de la peinture britannique", La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), avril 2017. Consulté le 02/11/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/anglais/arts/peinture/la-methodologie-de-l-analyse-d-image-quelques-exemples-tires-de-la-peinture-britannique