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L’anglais et l’allemand, cousines germaniques

Par Michel Lefèvre : Professeur de linguistique allemande - Université Montpellier 3
Publié par mduran02 le 07/09/2011

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Dans le but de sensibiliser les enseignants d'allemand, notamment ceux exerçant en classe bilangue, aux points de convergence linguistiques fondamentaux entre l'anglais et l'allemand, cette contribution fait un rapide tour d'horizon des phénomènes phonétiques, sémantiques et morphosyntaxiques similaires dans les deux langues.

L’objectif de la présente contribution est d’offrir un très court résumé de connaissances qui sont établies depuis bien longtemps, mais que la configuration actuelle des cursus universitaires et de la formation des enseignants d’allemand ne permet plus de transmettre que dans de très rares cas. Sans chercher à soulever une quelconque polémique, soulignons tout de même que le « dépoussiérage » intensif au sein des universités ne conduit pas seulement à une hémorragie de personnels enseignants spécialisés dans la langue, qui plus est, dans la langue ancienne, mais aussi à une mise au pilon par le personnel des bibliothèques d’ouvrages scientifiques et didactiques recelant ce savoir ayant fait la gloire des plus grandes universités européennes à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Et nous voilà donc dans la situation quelque peu paradoxale de devoir sauver de l’oubli quelques bribes de savoir ancien pour sensibiliser les enseignants d’allemand à une situation d’avenir, l’enseignement de l’allemand se maintenant ou se développant surtout dans des classes européennes, où l’anglais n’est plus un concurrent, mais vu comme complémentaire de l’allemand. D’un point de vue linguistique, cela relève de l’évidence, et ces quelques pages, s’adressant à ceux parmi les enseignants d’allemand qui n’ont bénéficié d’aucune formation en histoire de la langue, présentent quelques-uns des phénomènes réguliers observables dans le contraste ou la similitude entre la langue allemande et la langue anglaise. Cette contribution s’adressera bien sûr aussi aux collègues enseignant l’anglais et même le français, la complémentarité s’étendant sur les trois langues. Il s’agit avant tout de souligner le caractère régulier et mécanique de ressemblances ou dissemblances qui peuvent soit être ressenties confusément de manière intuitive, soit échapper complètement à la conscience des enseignants comme des élèves. L’objectif, pour l’enseignant d’allemand, est de pouvoir au moins sensibiliser ses élèves au fait, par exemple, que la préposition allemande zu est la même que la préposition anglaise to, de ne pas se laisser aveugler par des normes orthographiques relativement arbitraires semblant dissocier « o » de « u », d’expliquer le mécanisme qui différencie un /t/ d’un /ts/ (correspondant, en allemand, au graphème « z »), et peut-être même de remarquer qu’en anglais, comme en allemand, cette préposition se trouve associée d’une certaine manière à des infinitifs.

L’essentiel de cette présentation sera consacré à des phénomènes phonétiques, avec un petit élargissement aux phénomènes sémantiques et syntaxiques.

1. Pourquoi "cousines germaniques" ?

1.1 Les origines germaniques

Malgré l’évidence, l’expérience montre qu’il n’est pas inutile de rappeler que l’anglais est une langue germanique au même titre que l’allemand et quasiment toutes les langues du Nord de l’Europe. Le mot anglais est dérivé du nom d’une tribu germanique, les Angles, qui occupaient, au moment où ils participaient aux invasions de l’île Britannique autour du Ve siècle, une aire géographique se situant aux confins de l’actuelle Allemagne du Nord et du Danemark. Ils étaient voisins des Saxons : les Anglo-Saxons sont donc ainsi nommés en raison de cette invasion germanique, de même que les Français tiennent leur nom d’une autre tribu germanique, les Francs, et les Allemands dans leur dénomination française, d’une autre encore, les Alamans. L’exemple des Français montre certes que les peuplades n’ont pas forcément gardé leur idiome d’origine, les Francs ont été en partie romanisés, côté « français », comme d’ailleurs les Anglais, ces derniers à la suite de la conquête normande après 1066.

Les peuplades germaniques, très diverses, très instables et mobiles, n’avaient certes pas de langue unique, mais leurs idiomes avaient tout de même des similitudes qui permettent de postuler une sorte de famille de langues avec une évolution similaire par rapport à l’indo- européen. Cette famille de langue peut ainsi être décrite à l’aide de caractéristiques qui leur sont communes, et qui les distinguent d’autres langues (latin, grec) ou groupes de langues (langues celtiques, slaves ou romanes, cf. les deux ouvrages d’Antoine Meillet).

Citons ici deux de ces caractéristiques qui sont le plus aisément reconnaissables :

- Les langues germaniques sont des langues indo-européennes qui ont vu l’accent tonique se fixer sur la première syllabe. Il s’agit d’un trait fondamental pour expliquer toute une série d’évolutions phonétiques. Certes, de nombreux emprunts perturbent ce principe dans l’état actuel de l’allemand et surtout de l’anglais (fortement romanisé), mais on retrouve cette similitude sur de nombreux mots simples d’origine germanique.

brother/Bruder
mother/Mutter

L’accent sur la première syllabe explique la rythmique particulière des mots allemands (syllabe forte + syllabe faible) et le phénomène d’amuïssement (ou d’affaiblissement) des voyelles de la deuxième syllabe se confondant en un /´/ (graphème « e ») indifférencié. Le phénomène est similaire en anglais, avec en plus une tendance plus forte à l’apocope (ou disparition) de la deuxième syllabe (avec « e » muet ou chute complète de la syllabe) :

make/machen
learn/lernen

- Les langues germaniques se caractérisent par la première mutation consonantique (loi de Grimm), phénomène que l’on peut dater à partir de 1600 av. J. C., dont nous ne rappelons ici que la partie concernant l’évolution des occlusives sourdes indo-européennes /p/, /t/, /k/ et /kw/ vers, respectivement, /f/, /T/ (combinaison de graphèmes « th » en anglais), /h/ et /w/, alors que dans les langues romanes, par exemple, elles subsistent respectivement comme /p/, /t/, /k/ (/S/, graphèmes « ch » en français) et /k/.

- Exemples pour /p/ > /f/ :

lat. pater

lat. princeps

lat. pos

gr. pente

frç. père > angl. father

frç. prince > angl. first

frç. pied > angl. foot

frç. pent(agone) > angl. five

alld. Vater

alld. Fürst

alld. F

alld. fünf

- Exemples pour /k/ > /h/ :

lat. cavus

gr. canabis

lat. cor

lat. centus

frç. cavité, cave > angl. Hole

frç. chanvre > angl. hemp

frç. coeur > angl. heart

frç. cent > angl. hundred

alld. hohl, Höhle

alld. Hanf

alld. Herz

alld. hundert

- Exemples pour /t/ > /θ/ en anglais, /d/ en allemand :

lat. tonare

lat. tenuis

lat. tectum

lat. tres

frç. tonnerre > angl. thunder

frç. ténu > angl. thin

frç. toit > angl. thatch

frç. trois > angl. three

alld. Donner

alld. dünn

alld. Dach

alld. drei

- Exemples pour /kw/ > /w/ :

lat. quo, quis, que, etc…., frç. qui, que, quoi, etc… >    angl. who, where, what etc, alld. wo, wer, was, etc..

On notera que tous ces mots de l’indo-européen en /kw/ et leurs représentants germaniques /w/ ou /v/ désignent des indéfinis ou des quantificateurs universaux. Il s’établit en allemand des oppositions entre was…, das… qui sont les mêmes qu’en angl. entre what…, that… qui sont les mêmes qu’entre, par exemple, ein Mann repris par der...

1.2 Différences entre les deux cousines : les substrats de l’anglais

Les Angles, Saxons, Jutes et Frisons qui ont progressivement germanisé l’île Britannique au Ve siècle n’étaient probablement pas les premières peuplades germaniques à s’y installer (il existait déjà un royaume de Cimbres dès le Ier siècle), mais le substrat était jusqu’au Ve siècle encore généralement celtique. Les influences des langues celtiques sur les langues germaniques venues s’y superposer sont similaires aux effets sur les langues romanes venues se superposer au substrat celtique dans le domaine géographique roman, sur la façade Atlantique de l’actuelle France, Espagne et du Portugal. Le substrat celtique se trouve documenté dans la toponymie par la racine gal, désignant la pierre, en l’occurrence, celle de la civilisation celtique mégalithique : on retrouve cette racine dans les noms de régions que sont le Portugal, la Galice, la Gaule, le Pays de Galles. L’étymologie populaire de la Gaule depuis l’époque gallo-romaine associée au gallinacé, du lat. galus le coq, vient d’une confusion de deux racines homonymes, gal désignant la pierre, et gala désignant celui qui  chante,  comme  dans  le  mot  alld.  die  Nachtigall,  ou  comme  dans   le   mot   français l’orgueilleux, de ur-gala désignant celui qui chante en levant la tête.

L’interférence la plus typique est l’amuïssement des consonnes, notamment intervocaliques, en particulier pour les palatales /k/ et /g/ > /j/, /i/ (cf. magister/maire) : on a ainsi les mêmes oppositions entre le latin, langue à articulation forte, et le français, langue avec relâchement articulatoire, qu’entre l’allemand et l’anglais.

lat. noct

vs.-

frç. nuit

/

alld. Nacht

vs.

angl. night US nite

lat. oct

vs.

frç. huit

/

alld. acht

vs.

angl. eight

lat. tegula

vs.

frç. tuile

/

alld. Ziegel

vs.

angl. tile

lat. occulus

vs.

frç. œil

/

alld. Auge

vs.

angl. eye

lat. fructus

vs.

frç. fruit

/

alld. Frucht

vs.

angl. fruit

Le vocabulaire français conserve des séries complètes de mots s’opposant par une articulation forte ou relâchée :

lat. focus

gallo-rom. feu, foyer

réemprunt au lat. focal

lat. focus

gallo-rom. lieu, loyer

réemprunt au lat. local

lat. radius

gallo-rom. raie, rayon

réemprunt au lat. radian

Entre langues romanes, ce phénomène est observable :

lat. sanctus esp. santo port. sao.

De la même manière s’expliquent les différences entre anglais et allemand :

alld. legen vs. angl. lay

alld. mögen vs. angl. may

alld. sagen vs. angl. say

alld. Tag vs. angl. day

alld. licht vs. angl. light

alld. fechten vs. angl. fight

alld. Recht vs. angl. right

alld. gelb vs. angl. yellow

alld. ich vs. angl. I

alld. Bogen vs. angl. bow

Cet amuïssement peut se traduire aussi par la transformation d’une occlusive en fricative (par exemple /b/ > /v/) : alld. Biber vs. angl. biver.

1.3 Influences germaniques plutôt du Nord

Angles, Saxons et autres peuplades qui ont influencé de leur langue l’île Britannique sont des peuplades germaniques du Nord, qui n’ont pas connu des évolutions déjà en cours, au Ve siècle, dans le Sud de l’actuelle Allemagne, mais qui ont en revanche connu des évolutions typiques des langues nordiques.

On observe, par exemple, pour le mot angl. child une proximité avec d’anciennes formes nordiques, par opposition au mot kind (le genre, l’espère) proche de la forme haut-allemande Kind.

Un autre exemple : les mots anglais n’ont pas connu le durcissement (de consonnes occlusives sonores vers occlusives sourdes) typique du haut-allemand (dans le Sud de l’Allemagne actuelle) : on observe, à l’intérieur du système allemand actuel, des oppositions de type Egge (bas-allemand)/Ecke (haut-allemand), ce sont des oppositions que l’on trouve généralement aussi entre l’anglais et l’allemand, par exemple pour Brücke/bridge, et pour la réalisation de /t/ allemand sous forme de /d/, (cf. infra, partie 2.3).

1.4 Autre différence entre les cousines : romanisation de l’anglais

La langue anglaise comporte une très forte proportion d’emprunts au domaine roman, une conséquence de la conquête normande de 1066. Des mots anglais comme image, mail, management, journey, chair, table, etc. sont des emprunts précoces au domaine roman, l’allemand a certes emprunté au latin depuis toujours (cf. des mots comme Ziegel, Fenster), mais au roman (français ou italien) surtout après le Moyen-Âge pour des termes comme Leutnant, Sergeant, Balkon, etc. Beaucoup de ces mots sont empruntés en anglais de la même manière.

Outre les emprunts, on trouve aussi de nombreux calques du français dans la langue anglaise, par exemple déjeuner > breakfast (das Fasten brechen calqué sur le mot français signifiant rompre le jeune).

Les interférences avec le domaine roman ont aussi des conséquences phonétiques, par exemple sur l’évolution de /k/ en /tS/ (graphèmes « ch ») pour des mots comme church (cf. néerlandais kerk, alld. Kirche), child (cf. alld. Kind), cheese (cf. alld. Käse), chicken (cf. alld. Küken). Cette évolution ne s’est faite que de manière très partielle dans le domaine anglais, on trouve donc, aussi bien, des mots en /k/ en allemand et en anglais (cold/kalt, cat/Katze, can/kann). Cette évolution n’est pas complète non plus dans le domaine franco-roman, on trouve des oppositions entre /k/ et /S/ (graphèmes « ch ») pour des mots issus de la même racine : château/castel (et Cateau dans la toponymie), calcaire/chaux (Caux dans la toponymie), capitaine/chef, etc.

2. Oppositions phonétiques

Les mots allemands et anglais se différencient souvent par des oppositions phonétiques très régulières dont nous indiquerons ici les principales. Il s’agit ici simplement de montrer qu’il existe des phénomènes d’évolution phonétiques connus et relativement banals qui permettent de regrouper en quelques lois des oppositions qui peuvent intuitivement paraître foisonnantes. Ces lois permettent en outre de rendre prédictibles des oppositions, quelques exercices scolaires pourraient, par exemple, permettre de « deviner » un mot allemand à partir de l’anglais, ou réciproquement. Il est vrai que la plupart des règles que nous aborderons concernent les consonnes, l’évolution des voyelles en anglais étant un peu plus complexe.

2.1. La deuxième mutation consonantique

Cette autre loi formulée par Grimm permet de distinguer l’allemand de toutes les autres langues germaniques. S’étant déroulée du Sud au Nord, cette mutation est complète dans les dialectes du Sud de l’Allemagne, de plus en plus partielle en allant vers le Nord et ne concerne donc pas le néerlandais, le danois, ni l’anglais. La norme haut-allemande se fondant sur les dialectes du Sud de l’Allemagne, la plus grande partie de la seconde mutation se trouve standardisée dans l’allemand moderne.

La seconde mutation consonantique s’est déroulée au début de notre ère, on considère qu’elle est achevée aux alentours de l’an 600. On observe ainsi dans le vocabulaire allemand différents mots issus de la même racine, dont on peut dater l’apparition dans le lexique selon qu’ils ont subi la première ou la seconde mutation consonantique : à partir de  la racine teg, on a Dach/Thatch, mais aussi Ziegel via le latin tegula.

La seconde mutation concerne, en partie, les mêmes sons que la première : ce sont les consonnes occlusives sourdes qui évoluent vers des sons fricatifs : /p/, /t/ et /k/ deviennent respectivement /pf/ ou /f/, /ts/ (graphème « z ») ou /s/, /ç/ ou /x/ (graphèmes « ch »), les variations dépendant de la position initiale dans le mot, intervocalique ou finale.

- Exemples pour /p/ > /pf/ ou /f/ :

à l’initiale :

pipe

pound

penny

plant

plum

pale

plough

Pfeife

Pfund

Pfennig

Pflanze

Pflaume

Pfahl

Pflug

Intervocalique et finale :

ship

pipe

grip

soap

up

sheep

sleep

Schiff

Pfeife

greifen

Seife

auf

Schaf

schlafen

- Exemples pour /t/ > /ts/ ou /s/ :

à l’initiale :

tongue

tooth

town

to

tile

two

ten

twelve

Zunge

Zahn

Zaun

zu

Ziegel

Zeit

zwei

zehn

zwölf

Intervocalique et finale :

cat

seat

heat

hot

foot

shoot

nut

white

let

bite

shit

that

out

Katze

Sitz

Hitze

heiß

Fuß

Schuss

Nuss

weiß

lassen

beißen

Scheiße

das, dass

aus

- Exemples pour /k/ > /kx/ ou /ç/, /x/ :

à l’initiale : uniquement dans les dialectes alémaniques.

Intervocalique et finale :

make

cook

cake

 

 

break

book

stick

machen

kochen

Kuchen

(mais :

Keks)

brechen

Buch

stechen

2.2 Réalisation de la dentale occlusive initiale : angl. /T/, alld. /d/

Il s’agit en fait d’une particularité relevant de la première mutation consonantique : le son /t/ indo-européen a tendance à devenir aspiré et fricatif, comme le /p/ évoluant vers /f/, mais l’allemand n’a pas conservé les dentales fricatives, seul l’anglais conserve ce /T/ (graphèmes « th ») devenu typique de cette langue. C’est le résultat d’un durcissement progressif de la fricative en occlusive sonore :

then

thank

think

thick

dann

danken

denken

dick

2.3 Lénisation, notamment de la dentale occlusive

L’influence du domaine germanique du Nord, nous l’avons vu, contribue à créer entre l’anglais et l’allemand une opposition observable aussi entre les dialectes du Nord et ceux du Sud : une lénisation (ou atténuation) des occlusives sourdes, une réalisation notamment sous forme de /d/ de sons /t/ de l’allemand.

under

day

diep

dance

desk

daughter

Dollar

drop

unter

Tag

tief

Tanz

Tisch

Tochter

Taler

Tropfen

2.4 Disparition de /n/ avec compensation par allongement vocalique

Ce n, appelé infixe nasal, est un phénomène observable dans toutes les langues indo- européennes. L’infixation nasale peut opposer des mots au sein d’une même langue ou les mêmes mots entre deux langues. Par exemple, à l’intérieur du frc français : délit/délinquant. Très riches sont les oppositions produites par la racine i.e. *m-o-(n)-d/s : cette racine donne Mond, Monat, messen, mensuration, mesurer, menstruation, modique, modéré, modeste, espagnol mes, frç. mois en face de mensuel. Les oppositions ainsi observables entre l’allemand et l’anglais relèvent d’un phénomène lui aussi très courant :

Mund

Zahn

Tun

nun

mouth

tooth

do

now

2.5 Métathèses

Ce terme phonétique désigne des inversions de position de la consonne par rapport à la voyelle à l’intérieur de la syllabe. Le plus souvent, cela concerne le son /r/. Il s’agit d’un phénomène phonétique fréquemment observable dans toutes les langues, cf. frç. fromage (ital. formaggio), frç. brouette (patois : bourette), etc, mais aussi les deux formes latines de la préposition pro et per, alld. vor ou ver-, angl. for.

brennen

dritter

Träne

durch

hundert

Ross

burn

third

Tear

through

hundred

horse

2.6 Alternances /r/ /s/

Il est régulièrement observable dans différentes langues qu’un son /r/ peut, sous certaines conditions notamment d’accentuation, être réalisé /s/. Les exemples classiques cités pour illustrer ce phénomène sont les mots avec l’élément lexical ur-/or- (Ursprung/origine) qui donnent, pour désigner l’origine de la course du soleil, Orient, mais aussi Osten, (frç. Est), et aussi Ostern. Ainsi, les formes apophoniques de certains verbes comme kiesen donnant (er)kor paraissent bien moins bizarres, ces oppositions correspondent en fait à une partie de la loi de Werner (qui explique que certaines mutations consonnantiques s’expliquent par des déplacements de l’accent tonique).

ich war

frieren

(ver)lieren

Kuren

Eisen

I was

freeze

loose

choose

iron

3. Oppositions sémantiques

Les mots appartenant à des systèmes linguistiques différents subissent forcément des choix d’emploi différents, et donc évoluent vers des sens différents. Les mots « cousins » sont donc tous plus ou moins des faux-amis, mais amis tout de même. Ces évolutions se font rarement de manière anarchique. Il est toujours possible de retrouver un élément sémantique de la racine en commun dans les deux langues. Les différences sémantiques paraissant, de manière intuitive, très diverses, obéissent à des règles d’évolution assez strictes et en nombre somme toute assez limité, de même que pour les évolutions phonétiques. On observe surtout des restrictions ou élargissements de sens, ainsi que des phénomènes métonymiques.

- Métonymies :

Zaun/town (= la partie entourée par une enceinte)

Dach/thatch (=la matière dont sont faits les toits traditionnellement, le chaume)

Bein/bone (le sens du mot allemand a évolué vers un membre contenant un nombre restreint et prototypique d’os, le mot Gebein conservant le sens d’origine, désignant la matière dont est composée le membre, comme l’anglais bone, qui s’oppose à leg pour désigner le membre)

- Elargissements :

Licht/light (désigne en anglais aussi un briquet, par exemple)

Zeit/tide (le mot allemand désigne le temps en général à partir du cas particulier du phénomène de marées)

- Restrictions ou spécialisations de sens :

Kind/kind (le mot allemand restreint au seul genre, à la seule espèce humaine)

Fürst/first (le mot allemand se restreint au premier dans un État)

Höhle/hole (le mot allemand a un emploi restreint à un certain type de cavités seulement)

recht/right (le mot allemand restreint au sens juridique ou celui d’avoir raison, les autres sens étant rendus par d’autres dérivés de la même racine)

Keks/cake (le mot allemand désigne une catégorie très limitée de gâteaux secs) bekommen/become (le mot anglais se restreint au seul futur qui arrive, vient vers quelque chose ou quelqu’un, cf. frç. de-VENIR).

- Restrictions au domaine non standard :

look/luoga (alémanique)

do/tun (dans des emplois d’auxiliaire, notamment d’auxiliaire pour former des subjonctifs dans certains dialectes du Sud de l’Allemagne)

On observe au passage la redistribution sur d’autres mots, dans les systèmes respectifs, des parties de signifiés qu’un signe possède dans l’autre système, ces autres mots étant souvent des formes dérivées de la même racine : Gebein complémentaire de Bein dans le système allemand, pour rendre le signifié de bone anglais, richtig complémentaire de recht dans le système allemand pour rendre une partie du signifié de right dans le système anglais, Gezeiten complémentaire de Zeit dans le système allemand pour rendre le signifié de tide anglais. Les mots, et, encore plus les racines, sont en nombre extrêmement limités pour désigner une infinité d’objets du monde. Chaque système linguistique a ainsi sa propre distribution des mots sur les objets qu’elles désignent.

On observe aussi un phénomène sémantique typique : les mots composés conservent le sens ancien du lexème principal de la composition : le lexème Bein dans le composé Ge-bein conserve le sens ancien proche de l’anglais bone, de même pour ge- recht, Ge-zeiten.

4. Ressemblances morphosyntaxiques

Afin d’élargir quelque peu le propos, nous relevons ici quelques phénomènes montrant une parenté profonde entre l’anglais et l’allemand dans les domaines morphologiques et syntaxiques. L’ambition n’est pas d’amorcer une grammaire comparée de l’anglais et de l’allemand, Il s’agit simplement d’attirer le regard des élèves sur des phénomènes certes très différents du français, et donc nouveaux et perturbants, mais qui offrent tout de même des similitudes avec l’autre langue germanique qu’il pourrait être en train d’apprendre en même temps, par exemple pour ce qui est des verbes « irréguliers » en anglais et « forts » en allemand.

Cet exemple montre aussi que la terminologie grammaticale souvent très différente dans les traditions didactiques de l’anglais et de l’allemand risquent fort de masquer aux yeux des élèves une similitude pourtant évidente, il en est de même pour le domaine des verbes de modalité ou modalisation, pour l’appellation des temps verbaux, etc.

4.1Subsistance des séries apophoniques

Le changement de voyelle pour indiquer une modification aspectuelle d’une racine  fait partie des principes fondamentaux de l’indo-européen, et il s’est maintenu dans la conjugaison des verbes les plus anciens dans certaines langues comme l’anglais et l’allemand pour caractériser certains temps verbaux. Il est donc parfaitement incongru d’appeler les verbes obéissant à ce principe originel « irréguliers », d’autant plus que les variations vocaliques sont le résultat d’évolutions phonétiques régulières. Le principe concurrent de la morphologie des verbes reposant sur la seule combinaison de morphèmes de temps et de mode avec une racine à la voyelle stable est certes un principe plus récent et devenu exclusif dans de nombreuses langues comme le français, mais il n’est pas pour autant plus « régulier » que le principe originel de l’apophonie.

Les racines indo-européennes ont toutes trois « degrés », avec trois voyelles différentes, toujours les mêmes : degré -e- (aspect cursif, présentant un procès en cours), degré -o- (accompli, résultat du procès, de là souvent aussi causatif), degré zéro, absence de voyelle, devenu souvent -u- en germanique (absence de toute considération de bornage). Ces trois degrés donnent les séries apophoniques des verbes « irréguliers » ou « forts » allemands par simple évolution régulière de ces trois voyelles, le nombre relativement important de voyelles de l’état actuel des langues s’expliquant par les évolutions différentes en fonction des sons en contact avec la voyelle radicale : e/o/u + j, e/o/u + w, e/o/u + liquide, e/o/u + nasale, etc, chacun de ces cas de figure donnant une « classe » de conjugaison de l’allemand et de l’anglais ancien.

Par exemple (cité de Bouchez 1962), la racine i.e. *bhergh (bhorgh, bhrgh : idée de mettre en lieu sûr) donne bergen, barg, geborgen, par simple application des règles d’évolution phonétique, respectivement : e > e, o > a, zéro > u > o, (cette racine offrant effectivement l’avantage d’une certaine stabilité des voyelles dans le temps). La conjugaison repose sur le même principe que la constitution de l’ensemble du vocabulaire des langues issues de l’indo-européen : la racine ci-dessus donne aussi bien Berg (degré -e- : à l’intérieur d’une montagne, on est en lieu sûr !), que Burg (degré zéro), et donc le bourg français.

Certains verbes dérivés récents, de Herberge (français : auberge) fonctionnent sur le principe plus récent de l’ajout de morphèmes : herberg + en, herberg + te, herberg + t : c’est la conjugaison dite « faible ».

4.2 Principes de composition : préposition-verbe

D’une manière générale, l’anglais et l’allemand recèlent des similitudes dans  la forme, mais aussi dans les possibilités combinatoires des prépositions avec notamment les verbes. Pour ce qui est des formes, il n’est peut-être pas inutile de rappeler que, par exemple, la préposition anglaise for (à rapprocher de pour en français, de per et pro en latin) est cousine à la fois de la prépositions allemandes für et vor, de la proforme prépositionnelle dafür (dans ich kann nichts dafür) et des préverbes vor- (séparable) et ver- (inséparable). On note ainsi une similitude en allemand et en anglais dans la combinaison des prépositions avec les verbes, où la préposition est soit étroitement soudée au verbe, soit plus ou moins distante du verbe. La terminologie habituellement utilisée pour appeler la préposition dans le premier cas « particule » ou « préverbe », séparable ou non, dans le cas où elle se trouve dissociée du verbe, voire « adverbe » ne fait que masquer qu’il s’agit de différentes positions syntaxiques de la même préposition. En anglais, le comportement des prépositions est très comparable à ce que l’on observe en allemand : elles peuvent être soudées au verbe (to forbidn) ou dissociées, avec les ambiguïtés syntaxiques que cela entraîne (to look for, to look forward, to walk down the street).

4.3 Infinitif avec zu/to

En anglais, l’absence de morphème spécifique pour marquer l’infinitif des verbes contraint à l’emploi de la préposition to pour identifier les verbes à l’infinitif. Le choix de cette préposition n’est pas le fruit du hasard. On peut faire le rapprochement avec l’allemand qui emploie la préposition zu dans les groupes infinitivaux. Les infinitifs en anglais comme en allemand sont perçus avant tout dans une perspective de finalité, comme le montre d’ailleurs la terminaison –(e)n des infinitifs allemands, issue d’un ancien datif pluriel de substantifs, à valeur finale. Ce datif pluriel correspond donc exactement à l’anglais to + V, autre forme pour la même expression de finalité dans l’infinitif : to say est donc fondamentalement identique à sag + en, ce morphème de l’infinitif correspondant à un ancien datif de finalité que l’anglais rend par la préposition to. Les groupes infinitifs allemands utilisent la même préposition zu, toujours pour l’expression de la finalité : hast du etwas zu sagen ? Ich gehe hin, (um) ihm meine Meinung zu sagen, etc…

4.4Similitude de l’emploi de tun/do comme verbe outil

L’anglais dispose de verbes-outils comme to do permettant de marquer certains types d’énoncés : interrogatifs, négatifs, mais aussi l’assertion renforcée. L’allemand fonctionne dans certaines formes régionales d’une manière similaire avec tun. Dans ces dialectes, le verbe-outil tun permet lui aussi de renforcer certaines attitudes discursives, dont l’assertion : das tue ich nicht essen, et devient même auxiliaire de conjugaison pour la formation de subjonctifs (là où l’allemand standard utilise würde) : tätest du nicht gerne im  Lotto  gewinnen ?

4.5 Verbes de modalisation

Un des chapitres souvent perçus comme difficile en allemand comme en anglais est la bonne utilisation et compréhension des verbes dits « modaux ». Certes, leur valeur en allemand et en anglais ne se recouvre pas complètement, mais il est intéressant de noter tout de même qu’il s’agit partiellement du même paradigme.

muss/must

soll/shall

will/will

mag/may

kann/can

On peut observer différentes convergences entre les verbes anglais et les verbes allemands.

- convergence sémantique pour l’expression de certaines modalités : notamment pour kann/can (yes, we can !). Pour d’autres verbes en revanche, par exemple pour will, l’anglais répartit sur deux formes verbales distinctes et complémentaires l’expression de la modalité (want) et celle de la modalisation (will), là où l’allemand n’utilise qu’une forme pour les deux (will).

- convergences pour l’expression de la modalisation : la fonction des verbes allemands est notamment d’opérer un calcul sur le degré de vérité ou de probabilité d’un contenu sémantique (das könnte stimmen, das dürfte stimmen, das wird stimmen), une fonction similaire est remplie par une partie des verbes anglais, par exemple may (may be). Cependant, les verbes permettant d’exprimer la modalisation allemands dürfte et wird n’ont pas de correspondant dans le paradigme anglais, et l’équivalent allemand de may, mag, s’est plutôt spécialisé dans l’expression d’une concession (das mag zwar stimmen, aber....).

- Un cas particulier de l’expression de la modalisation est l’expression du futur. L’allemand utilise l’un de ses verbes du paradigme des verbes permettant l’expression de la modalisation pour réaliser des périphrases de futur (er wird kommen), l’anglais en utilise deux autres : shall et will.

5. Conclusion

Les formes, mots et sens relevant de deux systèmes linguistiques différents sont forcément soumis à des évolutions différentes, à des répartitions différentes entre les fonctions et signifiés à l’intérieur des systèmes respectifs. Il faut donc bien sûr tenir compte de ces divergences actuelles pour des phénomènes à l’origine identiques. Une réflexion sur les ressemblances aboutit donc forcément à une réflexion sur les divergences, sur les contrastes entre les deux langues. Mais selon une méthode bien établie en linguistique structurale, les oppositions ou contrastes les plus intéressants résultent de « paires minimales », c’est-à-dire du rapprochement d’unités, formes ou phénomènes syntaxiques qui sont très proches, presque identiques. La présente contribution mêle donc sans véritablement les distinguer ressemblances et dissemblances comme les deux faces d’une même pièce, l’ambition de ces quelques considérations étant de nourrir la réflexion sur les points de convergences que l’on pourrait établir à destination des élèves apprenant ces deux langues germaniques, tout en veillant à bien formaliser les différences, par un travail, par exemple, sur les différents types de « faux-amis » que l’on peut rencontrer. Une autre ambition serait bien sûr aussi de susciter chez les enseignants, et pourquoi pas chez les élèves aussi, une curiosité pour ces phénomènes de ressemblance ressentis intuitivement, une curiosité pour l’histoire de la langue ou pour l’étymologie. Le travail sur l’apprentissage de lexique par exemple pourrait se faire au moins en partie par famille de mots convergents entre le français et l’allemand. Une ambition bien plus lointaine serait bien sûr la réalisation d’outils didactiques communs pour les deux langues, ou du moins une harmonisation de la terminologie grammaticale, visant à éviter des concepts comme celui  de  « verbes  irréguliers » induisant qu’il s’agirait là d’exceptions, alors que les séries apophoniques sont au contraire plutôt la règle. Une ambition plus immédiate, enfin, de cette contribution, rejoignant très certainement celle de l’enseignement des langues en général, est de nourrir l’idée d’une culture linguistique ; or celle-ci, comme toute culture, passe nécessairement par l’intérêt pour l’histoire, les racines, ainsi que pour les influences réciproques entre cultures divergentes.

Bibliographie

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L’anglais et l’allemand, cousines germaniques

 

Pour citer cette ressource :

Michel Lefèvre, "L’anglais et l’allemand, cousines germaniques", La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), septembre 2011. Consulté le 28/03/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/allemand/langue/langue-et-normes/l-anglais-et-l-allemand-cousines-germaniques