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Transfert intra et interlinguistique autour de la morphologie altérative

Par Omar Colombo : Lecturer in Italian language & culture - Paris-Sorbonne University Abu Dhabi (UAE)
Publié par Damien Prévost le 08/04/2008

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La recherche s'intéresse aux stratégies d'apprentissage intra et interlinguistiques déployées, en compréhension écrite, autour des suffixes altératifs ou évaluatifs de l'italien par un groupe d'étudiants francophones, de niveau A1 (CECR). Les résultats obtenus font apparaître que ces stratégies jouent un rôle déterminant à condition qu'elles soient associées à d'autres facteurs cognitifs et linguistiques.

1. Introduction : pourquoi s'intéresser à l'altération en italien langue étrangère?

On appelle « altérées » les bases, dans la plupart des cas lexicales, dérivées par les suffixes dits altératifs ou évaluatifs, ou, plus récemment, modificatifs (Mutz, 1999). Ces suffixes sont appelés ainsi car ils altèrent (ou modifient) du point de vue quantitatif ou dimensionnel le signifié du mot : il s'agit d'une part des diminutifs, dont -ino et -etto sont les plus productifs en italien, qui altèrent le signifié de la base dans le sens de la diminution (libriccino, « petit livre »), de la relativité ou de l'âge (un ragazzino « un petit et/ou un jeune garçon ») ; d'autre part, des augmentatifs, principalement -one, qui modifient le signifié du mot dans le sens de l'augmentation (un ragazzone, « un grand garçon »). Ces suffixes permettent également au locuteur d'évaluer qualitativement et intentionnellement, en positif ou en négatif, le sens du mot dérivé, d'où la dénomination de suffixes évaluatifs : dans ce cas, les suffixes sont dits mélioratifs (ces derniers se réalisant avec la même forme que les diminutifs : una rosellina, « une petite rose gracieuse »), atténuatifs (ibidem : stupidino, « un peu stupide »), ou péjoratifs (dont le suffixe -accio est le plus productif, comme dans un ragazzaccio, « un mauvais/méchant garçon »).

L'altération est un secteur de la dérivation productif dans les discours des italophones. Certains suffixes sont beaucoup plus récurrents et, pour cela, plus familiers que d'autres, (-ino, -etto; -one; -accio). De plus, souvent, un nom italien altéré subit une lexicalisation : les formations lexicalisées, ou cristallisées, sont des mots à l'origine évalués qui ont perdu successivement leur propre motivation évaluative en assumant un signifié totalement autonome par rapport à la base de départ ; ainsi, leur relation avec la base s'est perdue, ils ont assumé une indépendance lexicale et sémantique, même si le contexte pourrait nous aider à retrouver leur étymologie. Ce qui enrichit certains champs lexico-sémantiques, notamment : la cuisine (spago > spagh-etti, pomodor-ino « tomate cerise », peperon-c-ino « piment »), les vêtements (camiciacamicetta « chemisette », magli-etta/one « t-shirt »/« pull », giubb-etto/otto « corselet »/« blouson »), les transports (bicicl-etta « vélo », motor-ino/etta « cyclomoteur, scooter », carr-etto « charrette »), etc.

Étant donné la richesse du lexique évaluatif et sa fréquence, tout apprenant d'italien langue étrangère (désormais LE) peut être exposé à sa réception, d'où la nécessité de faire face à une activité cognitive en compréhension qui ne va pas toujours sans poser problème. Pourtant, si d'une part il existe plusieurs recherches en morphologie évaluative, de l'autre rien n'a été fait à notre connaissance en didactique de l'italien LE. D'où l'intérêt de s'intéresser de près à ce domaine lexical et morphosémantique spécifique de la dérivation. Ce qui implique que le terrain de la recherche est celui de la didactique des LE et de l'italien comme langue cible, en particulier :

  • l'apprentissage morphosémantique, en compréhension écrite, des suffixes évaluatifs par un groupe d'étudiants francophones débutants en italien (de niveau A1, selon le Cadre Européen Commun de Référence, CECR) ;
  • la dérivation lexicale et nominale.

2. Les problématiques de la recherche

Les intérêts de la recherche concernent également l'apprentissage de l'italien LE à partir de deux langues qui appartiennent à la même famille (romane). On a analysé les stratégies intra et interlinguistiques, notamment les phénomènes liés aux transferts et aux interférences, mises en action par les sujets dans le traitement lexical et morphosémantique des noms altérés, afin de vérifier ce qui se passe dans l'accomplissement de tâches en compréhension écrite (cf. paragraphe 3). On a voulu constater notamment le rôle de l'espagnol (en 1ère, 2ème, 3ème LE) et du français, la langue maternelle (désormais LM). Cependant, on s'est proposé de tenir en compte également d'autres langues romanes et germaniques (anglais et allemand) dans l'accès au lexique, si ces LE faisaient partie du patrimoine langagier des apprenants. De plus, la recherche présente certaines caractéristiques d'une étude longitudinale : en effet, on a suivi le développement de l'interlangue dans l'apprentissage des suffixes évaluatifs au cours d'une année universitaire, l'objectif étant d'observer également le rôle des préconnaissances lexicales en italien. Il en suit que la recherche prend en compte non seulement l'apprenant dans des tâches en compréhension, mais également le processus cognitif d'apprentissage, la langue cible et les LE.

Comprendre les rôles joués par les LE dans la compréhension écrite a conduit à poser la problématique suivante :

  • Comment les étudiants ont géré les divergences morphosyntaxiques entre les trois langues romanes et l'opposition entre signifié quantitatif et qualitatif des suffixes (diminution ou augmentation vs appréciation positive ou négative)?
  • Est-ce que les différences, tant parmi les altérés réels (par ex., ragazz-ina, « petite fille »), apparents (bambina, « gamine ») et lexicalisés (Signorina), que parmi les typologies lexicales et suffixales, ont été pertinentes dans l'accomplissement des tâches ?
  • Est-ce que la segmentation morphématique entre base et suffixes(s) a été effectuée correctement par les étudiants ?

3. Le protocole de recherche : composition de l'échantillon et procédure méthodologique

Les discours recueillis sont produits par les étudiants qui sont insérés dans le milieu pédagogique universitaire (en situation de classe de langue), individuels et entre pairs. L'échantillon de recherche comptait 16 étudiants francophones natifs provenant d'horizons formatifs différents mais ayant une caractéristique commune : l'initiation à l'italien LE en tant que module optionnel dans leur parcours universitaire. Ces étudiants constituaient un groupe d'italien de niveau A1 (CECR) au département LANSAD de l'Université Stendhal-Grenoble 3. Le groupe en question a suivi un cours d'italien pendant toute l'année universitaire, pour un total de 48h de formation en langue italienne. Les 16 sujets ont composé 4 groupes d'après leur connaissance de l'espagnol :

  • 1er groupe : ayant l'espagnol en 1ère LE ; l'anglais en 2ème. L'espagnol était la langue de la mère et/ou du père  (parfois elle était vernaculaire car parlée en famille) ;
  • 2e : ayant l'anglais en 1ère LE ; l'espagnol en 2ème (étudié depuis 7/8 ans) ;
  • 3e : ayant l'anglais et/ou l'allemand en 1ère et 2ème LE ; l'espagnol en 3ème (2/3 ans) ;
  • 4e : composé par 4 étudiants germanistes (anglais/allemand) n'ayant jamais étudié une autre LE.

Les 4 équipes ont été disposées dans 4 salles différentes. Elles avaient 5mn pour lire une histoire en italien qu'a été fabriquée, dont la particularité réside dans la richesse des noms altérés : des altérés réels, seulement en apparence ou désormais lexicalisés, pour un total de 45 noms suffixés (réellement ou en apparence) sur lesquels les étudiants devaient concentrer leur attention. Certaines bases nominales ont été altérées deux fois (par ex. ragazza > ragazzina, ragazzetta). Les réponses ont été sollicitées grâce à la constitution d'un échantillon de suffixes en compréhension sans en revanche interférer sur les réponses finales : le protocole et le texte ont été formulés dans le souci de ne pas expliciter la centralité des 45 noms altérés. Il s'agissait cependant d'une observation contrôlée, et non pas uniquement observée.

La lecture du texte terminée, les équipes se sont prêtées à une démarche ludique, les tâches à accomplir étant insérées dans un jeu collectif, avec des points à attribuer, des équipes gagnantes et d'autres perdantes. Il s'agissait d'accomplir des tâches en compréhension écrite : un résumé en français (les étudiants se sont concentrés particulièrement sur la morale de l'histoire : viser les mots difficiles pour comprendre les faits et pouvoir, ainsi, saisir et juger la morale proposée) ; un questionnaire en italien composé de 10 points qui visaient à apprécier  la compréhension générale du texte et le traitement du sens de certains mots qui pouvaient être à tort considérés comme ambigus  (comme rapina « vol /cambriolage » et tacchino « dinde/dindon ») ; des analyses morpho-sémantiques (par exemple, souligner les mots considérés comme étant les plus difficiles, ou traduire des mots et des phrases en français). Dans cette dernière tâche, il y avait une phrase à traduire contenant 6 mots probablement difficiles à comprendre : bimbetta (« petite gamine »), cestello (« petit panier »), furbacchiotto (« petit malin »), diavolaccio (« mauvais diable »), giacchetta (« petite veste »), coltellaccio (« grand couteau »). Les activités ont été enregistrées sur minidisque : le temps préétabli et respecté pour l'accomplissement des tâches était d'environ 45mn. Chaque étudiant a été invité à se confronter à haute voix, et en français, avec ses co-équipiers, dans l'objectif d'accomplir les tâches et gagner le jeu. L'enseignant est intervenu seulement pour expliquer la procédure des activités. Un minidisque a enregistré la discussion collective à la fin du jeu. Ainsi, la méthodologie adoptée pour le recueil des données introspectives concernait le discours prononcé à haute voix, pendant l'accomplissement de la tâche. L'analyse qualitative qui a suivi a donné lieu au traitement de données à la fois discursives (obtenues par l'enregistrement des discours) et linguistiques (concernant les aspects cognitifs et interactionnels).

4. Quelques présupposés et hypothèses initiaux

La recherche se basait sur des présupposés essentiels : en effet, on s'attendait à ce que les étudiants rencontrent des difficultés dans la compréhension du texte du point de vue lexical. Les noms altérés devaient être très probablement inconnus des élèves, et leur suffixation évaluative réelle ou fictive poser des problèmes de reconnaissance et de compréhension des marques morphologiques ; ce qui pouvait entraîner des incompréhensions sémantiques. A partir de ce présupposé, on avait formulé les hypothèses suivantes :

  • les étudiants, en accomplissant les tâches, allaient choisir, volontairement ou pas, des phénomènes interlinguistiques, comme le transfert (positif) et l'interférence entre langues voisines (et en particulier de l'espagnol), pour essayer de maîtriser le sujet d'analyse ;
  • les étudiants connaissant l'espagnol l'utilisent comme langue tremplin dans la compréhension du texte du point de vue syntaxique, morphologique et sémantique.

En ce qui concerne les étudiants qui n'avaient pas appris de langues apparentées, d'après les hypothèses initiales, ces apprenants décideraient de baser leurs stratégies de compréhension sur le transfert à partir de la LM (le français) : d'après l'hypothèse des équivalences sémantiques (Ijaz, 1986) un apprenant d'une LE s'appuierait sur les modèles conceptuels et les pratiques sémantiques et linguistiques de la LM, facilitant ainsi l'acquisition lexicale ; selon la conception de l'association verbale, le lexique de la LE serait directement induit du lexique de la LM ; tandis que d'après la transparence nominale (Masperi, 1996), pour accéder au sens textuel l'étudiant s'appuierait sur la reconnaissance familière des substantifs à partir du lexique morphologiquement proche italien/français. Ainsi, il en découlait l'hypothèse d'un très probable recours automatique à la LM, le français, par la plupart des sujets. Pour finir, on voulait observer si les étudiants qui bénéficient d'autres langues voisines à l'italien, comme le portugais, les utilisent ou non pour aboutir à une compréhension acceptable de l'histoire.

5. Les résultats de l'enquête

D'après les résultats obtenus, en phase de compréhension écrite, l'échec dans l'accès au lexique évaluatif (c'est-à-dire, la mauvaise interprétation des mots cibles) l'emporte sur la réussite. En revanche, la motivation à s'engager dans l'expérience et le choix personnel quant aux stratégies à adopter pour accomplir les tâches proposées (cf paragraphe 6) influencent considérablement le taux de réussite dans l'accès au lexique. Réussite échecDans la plupart des cas les techniques qui ont mené les étudiants à l'échec ont été l'hyperonyme et le mauvais choix dans le champ lexical. Ainsi, par ex., le mot cible vocetta (« petite voix ») et paesello (« petit village ») sont interprétés et traduits comme étant leur hyperonyme, respectivement « voix » (voce) et « village » (paese). Dans le choix hyperonyme, l'étudiant met en évidence le signifié de la base et non pas celui du suffixe porteur d'une valeur propre et à part entière : le sens de X-suffixe serait un X tout court, le signifié du suffixe se confondant avec la base; le résultat de l'analyse sémantique est un signifié unique et non pas la somme des signifiés du mot. Très souvent les étudiants ont perçu le cadre sémantique dans lequel placer le mot, c'est-à-dire le champ lexico-sémantique d'appartenance, sans réussir cependant à le situer avec certitude. Par ex., la cible polsini (« manchettes ») a été généralement bien inséré dans son champ lexical « vêtements » mais sans succès : le mot polsini a été traduit par le 1er groupe comme étant soit un bouton, soit un col soit encore des manches (hyperonyme). D'ailleurs, ce résultat confirmerait la préférence des adultes à placer leurs réponses sur l'axe paradigmatique en se basant sur l'opposition lexicale (Bogaards, 1994 : 95-96).

6. Quels sont les facteurs et les stratégies qui entrent en jeu dans l'accomplissement des tâches et dans l'accès au lexique ?

Dans l'apprentissage d'un phénomène morphosémantique si complexe que la suffixation évaluative de l'italien, dans l'accomplissement des tâches et dans l'accès au lexique pour des apprenants débutants, trois catégories de facteurs entrent en jeu : la compétence linguistique, l'inférence et les compétences métalinguistiques.

a) La compétence linguistique. Les hypothèses concernant l'importance de l'espagnol en tant que langue-tremplin dans l'accès au lexique s'est avérée réaliste mais non prioritaire : lorsque le recours à l'espagnol à été productif, c'était surtout en association à d'autres facteurs. Ainsi, par exemple, la performance positive des sujets germanistes n'a pu se baser ni sur l'espagnol, ni sur l'anglais, ni sur l'allemand. Néanmoins, la connaissance de l'espagnol s'est avérée influente dans la correcte interprétation du diminutif-mélioratif -uccio qui a été reconnu grâce au transfert interlinguistique -ucho esp.> -uccio it. dans un mot type casuccia (« petite/jolie maison ») ou boccuccia (« petite/jolie bouche »). En définitive, l'espagnol LE peut faciliter l'accès lexical en italien, mais cela n'est absolument pas une relation de cause à effet.

L'élément décisif a été la compétence linguistique et lexicale en italien : un bon niveau de compétence en italien a également permis une bonne performance. Les sujets germanistes l'ont bien démontré (voir Tableau 1): le recours systématique à la mémoire lexicale et sémantique est évident et attesté par ces étudiants qui présentaient un bon niveau lexical en langue italienne.

Conformément aux hypothèses initiales, la LM est essentielle : l'hypothèse des équivalences sémantiques, l'association verbale et la transparence nominale se sont avérées prioritaires dans le succès de l'accès au lexique. Des mots cibles comme fossette ou sigaretta (« cigarette ») n'ont pas comporté de difficultés particulières dans leur interprétation correcte étant donné le transfert positif fossettes fr.> fossette it., cigarette fr, cigarro/cigarillo esp..> sigaretta it.. Les coïncidences morpho-sémantiques français/italien, surtout lorsque l'acception sémantique en LE est incluse dans l'aire sémantique de la LM (Masperi, 1996), ont joué un rôle essentiel dans l'intentionnalité à effectuer le transfert positif.

b) L'inférence. Les étudiants ont activement recherché des indices contextuels tout au long de leur analyse: grâce à la technique du mot vide (Blanche-Benveniste), un mot inconnu et opaque a activé une inférence, ce qui a permis souvent d'accéder avec succès au lexique évaluatif. En outre, l'appui sur les indices contextuels a été accompagné par d'autres techniques et stratégies : cette conjonction de techniques et de stratégies permet aux étudiants de confirmer leurs conclusions. En effet, les étudiants ont très souvent fait recours à plusieurs procédés en même temps pour la compréhension de certains mots : en général, cette conjonction est le procédé prioritaire pour tous les groupes d'apprenants. Cependant, lorsque la lisibilité morpho-sémantique des évaluatifs pose problème, le recours à la LM et/ou aux autres LE, italien compris, n'est guère d'utilité, alors les indices contextuels semblent les seuls moyens pour aboutir à une réponse définitive.

c) Les compétences métalinguistiques. Parfois les étudiants ont effectué une véritable analyse contrastive et explicite parmi les mots pour lesquels ils remarquaient des similitudes lexicales à l'intérieur du texte : ils se rendaient compte que des couples de mots comme boccuccia/bocchino (« petite/jolie bouche », « fume-cigarette »), occhioni/occhiacci (« grands yeux », « yeux louches ») ou vocione/vocetta (« grosse voix », « petite voix ») dérivaient du même morphème lexical (bocca, occhio, voce). Ce qui a permis d'en conclure que l'analyse contrastive permet, parfois, de trancher quant à l'opposition morphosémantique des noms suffixés par des évaluatifs, si ces mots figurent dans le texte sous forme de couples ayant des signifiants et signifiés différents, mais dérivés à partir du même morphème lexical. Ce faisant, les étudiants sont arrivés, mais pas toujours, à interpréter correctement au moins un des deux noms à l'aide de plusieurs techniques et/ou stratégies adoptées.

Mais en général, malheureusement, la complexité morphosémantique des noms suffixés-comme la présence d'infixe (peperon-c-ino), d'allomorphie (giacca > giacch-etta) et de cumul de suffixes (piogg-er-ell-ina, « petite pluie »)- n'a pas facilité les tâches des apprenants, ce qui les a conduits très souvent à l'échec indépendamment des stratégies adoptées. L'appui sur les coïncidences morphosémantiques ne suffit pas pour accéder au sens d'un mot, surtout si ce dernier est particulièrement complexe du point de vue morphologique et si l'étudiant ne l'a jamais rencontré auparavant. Ce résultat s'explique également par les divergences morphosyntaxiques entre le français et l'italien : un nombre très restreint de suffixes évaluatifs (qui joue un rôle marginal dans la dérivation française), le manque d'un véritable augmentatif en LM ; et de manière plus générale, une portée faible de la dérivation par rapport à la composition, d'où la nécessité d'un recours à des modifications syntaxiques au moyen de l'emploi d'adjectifs (petit, grand ; beau, mauvais, etc.) pour rendre compte de la valeur sémantique typique de l'évaluation, la quantitative et la qualitative.

La compréhension globale de l'histoire proposée résulte, néanmoins, satisfaisante, et cela même si souvent le nom cible était considéré comme une variante stylistique du nom de base de la dérivation évaluative, en raison d'un échec dans la segmentation morphologique du mot, opération d'ailleurs souvent absente. Sûrement le trait sémantique[+concret] du nom (par ex., ragazzina) a favorisé le traitement des formations altérés (Bogaards, 1994), probablement en raison de l'objectivité qui caractérise la dimension physique (diminution, augmentation) en opposition à la dimension qualitative (méliorative, péjorative) liée à une subjectivité (intentionnalité, pragmatique) qui n'est pas toujours facile à dégager dans le texte. Si certains aspects de la structure morphosémantique des altérés facilitent ou compliquent l'accès au lexique, les oppositions entre altéré réel vs apparent vs lexicalisé sont neutres n'ayant eu aucune incidence.

De tous ces résultats, et en tenant compte également des difficultés des étudiants français non-linguistes à traiter la dérivation, il en découle une tendance à hypergénéraliser les suffixes les plus récurrents, fréquents (donc, familiers) et simples, c'est-à-dire -ino, -etto et secondairement -ello ; -one et-accio : en ligne avec les leçons de Bogaards (1994), le traitement et la mémorisation des évaluatifs sont conditionnés par la récurrence et la familiarité des morphèmes, et tout particulièrement dans le cas des diminutifs -ino et -etto.

7. Conclusion : les implications pédagogiques

Étant donné les difficultés que la suffixation évaluative a procuré aux étudiants de l'échantillon, une constatation s'impose : ce secteur de la morphologie n'est pas indiqué pour un apprentissage approfondi par un public d'apprenants débutants en italien. En effet, la compréhension écrite a donné des résultats décevants. Pour son traitement optimal la morphologie évaluative s'adapterait plutôt à un public intermédiaire (au moins de niveau A2, CECR) : ce public peut accéder plus facilement à l'interprétation et à l'enregistrement en mémoire des noms altérés, grâce à une compétence lexicale en italien nettement plus développée que celle d'un apprenant débutant. La nécessité d'apprendre par cœur chaque nom suffixé (ne pouvant pas prévoir lequel parmi les suffixes s'adapte au mieux au nom en question), requiert une expérience linguistique en italien, et une certaine sensibilité phonétique et morphosémantique. De plus, l'apprentissage de la dérivation évaluative devrait être conduit selon un programme pédagogique longitudinal (à long terme).

Si la manipulation morphosémantique des évaluatifs requiert une certaine compétence lexicale, il reste néanmoins exact que tout apprenant peut s'exposer à tout moment à leur réception (cf. paragraphe 1). L'apprenant devrait être en mesure au moins de reconnaître les suffixes évaluatifs le plus récurrents, familiers et productifs auxquels il peut être exposé. Il nécessiterait également de donner la priorité au sémantisme prédominant pour chaque suffixe : la dimension quantitative de diminution pour les diminutifs -ino, -etto et -ello (pour lesquels il faudrait préciser l'aspect qualitatif-mélioratif dans des contextes discursifs spécifiques et ponctuels), de grande taille pour l'augmentatif -one et, pour finir, la qualité péjorative pour le suffixe -accio.

Pour conclure, n'oublions pas que la dérivation est et reste un secteur dérivationnel productif en italien, raison pour laquelle il faudrait bien présenter la suffixation évaluative aux apprenants d'italien, pour les aider au moins en phase de reconnaissance morphosémantique (en compréhension écrite et orale).

Bibliographie

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Pour citer cette ressource :

Omar Colombo, "Transfert intra et interlinguistique autour de la morphologie altérative", La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), avril 2008. Consulté le 23/04/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/italien/langue/transfert-intra-et-interlinguistique-autour-de-la-morphologie-alterative