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«Le Cycle des résurrections» d'Angélica Liddell

Par Marie Du Crest : Professeure, chroniqueuse
Publié par Christine Bini le 27/12/2014
Présentation d'une trilogie d'Angélica Liddell.

Angélica Liddel, Le cycle des Résurections- Epître de saint Paul aux Corinthiens- You are my destiny ( Le viol de Lucrèce) –Tandy suivi du journal La fiancée du fossoyeur traduit de l’espagnol par Christilla Vasserot, éd. Les Solitaires Intempestifs, 2014.

Le Texte des Textes

liddel-250_1419707350908-pngLe dernier volume des éditions Les Solitaires Intempestifs consacré à Angélica Liddell réunit trois pièces courtes, qui constituent un cycle (celui des Résurrections) et un journal. Ces deux formes d’écriture, loin d’être éloignées l’une de l’autre, ne cessent de se répondre comme si la matière intime du journal irriguait celle de la matière dramatique et inversement. Plus encore, l’écriture devient forme unique : des paragraphes en forme de verset plus ou moins longs ; de petits contes se succèdent parfois numérotés, parfois séparés par un astérisque, dans l’une et l’autre forme littéraire. Angelica Liddell s’éloigne presque totalement par exemple du système dramatique, fondé sur l’échange de la parole, inscrit dans des personnages et leurs répliques respectives (p. 32-33 « Toi et moi » ou encore p. 40 « Tandy et son père »). Ces passages sont d’une brièveté remarquable puisque celle-ci posera la question des fondements de ce nouveau langage dramatique ou plutôt scénographique. Ce qu’entreprend Angélica Liddell, c’est de faire corps avec toutes les autres formes textuelles pour faire émerger sa propre écriture. Et l’Amour reconquis passera par les oeuvres sacrées, celles des Psaumes pour l’Ancien Testament et une épître de St Paul pour le Nouveau Testament, écritures religieuses qui ont tant marqué l’auteure espagnole.  Ainsi l’ouverture de la première pièce n’est-elle autre qu’une reprise presque intégrale de L’Épître aux Corinthiens, 13, que l’édition de la TOB désigne sous le nom de l’amour fraternel. Les deuxième et troisième volets (le conte de la neige et les questions à Dieu) constituent une sorte de méditation poétique sur la relation à Dieu, d’un appel à l’Amour universel :

Comment est-il possible, Seigneur, comment est-il possible que nous ne soyons pas tous fous d’amour ? (p 22)

Par ailleurs A. Liddell cite à plusieurs reprises le Livre d’Ésaïe (p. 34-35). L’ensemble des textes du volume est en quelque sorte citations, « paroles sœurs » de même que les reprises musicales de Monteverdi avec le Lamento della ninfa (p 51-52-53) dans Tandy ; la Lucrezia de Haendel dans You are my destiny suivi de la chanson de Paul Anka qui sert de titre, font partie intrinsèque de l’œuvre de Liddell. Tandy illustre parfaitement ce cheminement. Sa source est identifiable : la nouvelle de 1919 de l’américain Sherwood Anderson. Liddell cite, transfère la version originelle. Nous retrouvons le personnage énigmatique de l’alcoolique,  du « stranger », la fillette et son père, Tom Hard. Certains passages sont identiques comme : Dare to be strong and courageous. / Be brave enough to dare to be loved… /Be Tandy. (p 40). Mais Tandy de la petite ville de l’Ohio, s’efface et laisse les mots d’Angélica prendre peu à peu la place de ceux de l’auteur américain. Au tout début du syndrome de Clérambault, elle écrit : 1- J’ai rêvé que j’étais une petite fille, je m’appelais probablement Tandy… Et ce prénom disparaît, laissant le seul je, guider le texte.

L’amour selon A. Liddell est aussi communion en écriture : Emily Dickinson ; A. Artaud ; Ezra Pound ; Mishima ; Kawabata ; Hölderlin ; Dante ; Evan S Connel ; G.Eiot ; Hawthorne et tant d’autres sont convoqués dans l’ensemble des œuvres comme autant de traductions d’une même pensée, d’un sentiment identique au sien. L’intervention d’autres langues que l’espagnol (italien, anglais) renvoie à cette parole croisée, amplifiée et partagée. À ce titre, le journal représente un témoignage exemplaire du « chantier »  de l’œuvre. Il tient d’ailleurs, en terme de pages, une place prépondérante dans le volume. Il est formellement hybride. Du journal, il présente l’inscription dans une chronologie limitée,  du premier avril 2013 au 28 septembre 2014 et également une inscription dans des lieux, correspondant, en fait, aux diverses villes du monde dans lesquelles se rend la diariste (départ de Madrid et retour ; Vienne ; Lyon ; Valence ; Avignon ; Sarajevo ; Sao Paulo ou encore Genève ; Paris…) Il relève bien de l’intime : Angélica évoque ses chambres d’hôtel, ses petits déjeuners et ses tourments insomniaques. Elle remonte dans son enfance en Estrémadure et s’attarde sur la figure malade de sa mère. Le début du texte ressemble à une prise de notes régulière avec des textes courts par journée. Mais progressivement, il va bifurquer vers des formes plus étoffées comme à la date de novembre 2013 qui est constituée d’un retour in utero et de la célébration du dit de l’amour profane et sacré. Dès lors le texte du journal est comme une poétique de l’œuvre sur scène. Nous retrouvons les péripéties des spectacles : la pièce, You are my destiny apparaît comme un long rêve de théâtre :

La pièce commençait par la création du monde.

De même, elle devient la petite Tandy, à la page du 27 janvier à Namur dont elle reparlera lors de la première à Berlin le 3 juillet 2014 comme elle enregistre, également, la générale suivie de la première de You are my destiny.  Le journal oscille entre narration, description et élévation lyrique :

Ta pensée est ma bague. Et ma douce soumission donne forme à ce miracle fait de silence. Je t’aime. (p 156).

Il y a quelque chose du Cantique des Cantiques dans cet appel amoureux. Le journal d’ailleurs se termine sur un ensemble de douze psaumes datés de l’automne 2014, écrits en Emilie-Romagne. Cette fois-ci, ils ne sont pas citations mais écriture personnelle, petits poèmes en prose, quête des étoiles, retour à l’amour et à la langue italienne : com la prima stella.

NB : Les pièces Epître de saint Paul aux Corinthiens, et Tandy  seront programmées en mars 2015 à Lausanne et à La Chaud-de Fonds et You are my destiny à la comédie de Valence en janvier.

 

Pour citer cette ressource :

Marie Du Crest, "«Le Cycle des résurrections» d'Angélica Liddell", La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), décembre 2014. Consulté le 19/03/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/espagnol/arts/theatre/theatre-contemporain/angelica-liddell-le-cycle-des-resurrections