L'écrit et la compréhension de l'oral en anglais
1. Eléments propres à la langue anglaise
Les liens entre l'écriture (graphie) et la prononciation (phonie) peuvent être source de difficultés à l'écoute. En effet, les rapports entre l'écriture et la prononciation de l'anglais sont des rapports complexes, souvent peu explicités en tant que tels, alors que leur méconnaissance par les apprenants d'anglais langue étrangère peut être source de perturbations en situation de compréhension de l'oral. En voici quelques aspects, envisagés selon une progression allant des unités minimales jusqu'au texte, dans la perspective de la compréhension de l'oral.
a) Les unités
Les unités d'écriture sont traditionnellement désignées par les termes de voyelles (a, e, i, o, u, y) et de consonnes (les 20 autres lettres de l'alphabet) ; ces unités assurent l'écriture de la langue orale. Or, l'anglais se compose de 20 phonèmes de type "voyelles" et 22 phonèmes de type "consonnes", auxquels il faut ajouter 2 "semi-consonnes" (ou "semi-voyelles", ou "glides").
b) A propos des liens entre l'écrit et la compréhension de l'oral en anglais
En anglais, une écriture ne peut donc pas correspondre à un seul phonème, ni un phonème à une seule écriture. Ainsi <ea> se prononce différemment dans tea, sweat et break ; <ai> se prononce différemment dans said et maid. Inversement, le phonème /e/ est rendu différemment à l'écrit dans bread, let, Leicester et said. Or des études ont montré la tendance chez les apprenants d'anglais langue étrangère à associer un son à une écriture unique, et réciproquement (Heiderscheidt, 1988), ce qui bien sûr est dommageable à la fois en production et en compréhension de l'oral.
c) Les mots isolés
Dans un mot anglais, tous les éléments écrits ne se prononcent pas nécessairement. Ce phénomène se produit aussi en langue maternelle, mais il semble que l'apprenant ne soit pas forcément en mesure d'en transférer le principe à la langue étrangère (Gaonac'h, 1990). Les exemples de ce phénomène sont nombreux en anglais, de la simple lettre non prononcée telle que le <i> de business, le <r> de bird, ou le second <o> de chocolate, à la série de lettres telles que <gh> dans neighbour par exemple.
A cela s'ajoute une variabilité dans la prononciation de certains phonèmes, en relation avec leur position ou leur environnement ; ainsi, il faut noter l'existence d'allophones (c'est-à-dire de variantes) pour un même phonème. Par exemple, la consonne /l/ existe sous deux variantes, dites "l clair" (devant une voyelle : clean) et "l sombre" (devant une consonne : building ou en fin de mot : mail). L'allophone "sombre" n'est pas toujours reconnu, notamment dans un flux de parole où il est facilement confondu avec d'autres phonèmes : "I'll come" est parfois compris par les apprenants comme "I'd come" voire "I come".
Signalons également les allophones des consonnes douces (ou sonores) : les vibrations des cordes vocales, normalement activées pour la prononciation de ces consonnes sont neutralisées par la présence immédiate d'une consonne dite forte (ou sourde). C'est par exemple le cas de /b/ dans obtain ou absent, dont la prononciation se rapproche de /p/ ; le mot peut alors ne pas être reconnu à l'oral.
Sans viser une exposition exhaustive de la variabilité des phonèmes, nous pouvons encore évoquer, car cela contribue aux difficultés de reconnaissance, le fait qu'une même voyelle puisse être prononcée avec une longueur variable, selon la nature de la consonne qui la suit immédiatement : la voyelle est plus courte devant une consonne forte (lick) et plus longue devant une consonne douce (lid). Cette variation de longueur peut s'accompagner de différences dans la sonorité de la voyelle elle-même.
De plus, dans un mot, l'alternance de degrés divers d'accentuation fait que certaines syllabes s'entendent peu car leur voyelle est réduite, atténuée. Le volume sonore se situe donc dans une relation de "dissymétrie" par rapport à l'écrit (Bailly, 1995), conduisant l'apprenant à une attente erronée. On peut penser à la seconde syllabe de comfortable et de super, peu audibles.
d) Les mots en contexte
Au-delà des connaissances portant sur les mots, il est nécessaire de prendre en compte les conséquences liées à leur intégration dans une structure syntaxique. Certaines caractéristiques évoquées ci-dessus se manifestent bien sûr au-delà des frontières du mot, car l'oral se présente comme un flux continu.
En contexte, l'allophone "sombre" de /l/ n'est pas toujours reconnu (cf. supra). De même, la prononciation de of dans "the jungle was full of snakes and flies" est affectée par un dévoisement dû à la présence de la consonne forte à l'initiale de snakes. Il s'agit de phénomènes d'assimilation qui peuvent parfois générer des erreurs d'interprétation plus graves comme par exemple entre "he's succeeded" et "he succeeded". Lorsqu'il y a assimilation, certaines caractéristiques d'un phonème peuvent être modifiées par l'influence d'un phonème voisin. Le phonème modifié est en partie assimilé au phonème voisin.
A cela s'ajoutent des phénomènes de liaison, de telle sorte que plusieurs lettres identiques sont rendues par un seul phonème : par exemple, un seul /s/ et un seul /m/ dans "he bets some money".
Mais il faut aussi prendre en compte les phénomènes morpho-syntaxique et sémantique, qui font qu'un même élément morphologique se prononce de façon variable selon son insertion en syntaxe et selon le rôle que l'énonciateur lui affecte au plan sémantique. Cela concerne la plupart des éléments monosyllabiques dont la nature est d'être prépositions, déterminants (some et ses variantes) ou auxiliaires. Le même mot, écrit de façon unique, peut être soit accentué et donc bien audible, soit inaccentué et donc peu audible. L'oral est sous-tendu par des régularités (Huart, 2002), qui sont pourtant peu enseignées. En voici quelques unes.
Dans le cas des prépositions, la plupart sont inaccentuées lorsqu'elles sont simples relateurs de notions cognitivement associées (of dans "the jungle was full of snakes and flies" ; at dans "I'm looking at Jane"), mais accentuées lorsque la syntaxe sépare les termes associés par les prépositions (of dans "that's what I've been thinking of" ; at dans "what are you looking at?").
De même, les auxiliaires sont affectés par une réduction de leur voyelle et sont donc peu audibles lorsqu'ils figurent dans un énoncé déclaratif (la valeur de la relation prédicative n'est pas en cause), affirmatif et complet (le prédicat est explicité) : "the bell is ringing", "she can come by train", "I will leave tomorrow". L'écriture de l'auxiliaire sous forme contractée, lorsqu'elle est possible et choisie, donne à l'apprenant une image sporadique d'un phénomène pourtant presque systématique.
De plus, pour un même auxiliaire, il faut tenir compte de son environnement en termes de consonnes et de voyelles pour en établir la prononciation : has peut ainsi être prononcé /z/ (dans "Sally has been to the beach"), /s/ (dans "Pat has gone"), /z/ (dans "he has gone"), /hæz/ (dans "has Kate been with him?", avec dévoisement de /z/), ou bien être inaudible : "James has gone".
Il n'est pas inutile d'avoir une approche inverse, pour expliciter le fait qu'un même phonème peut correspondre à des morphèmes variés. Par exemple, quand on entend /s/, cela peut notamment correspondre à has ("Pat has gone") ; is ( "Pat is coming") ; un pluriel (cups) ; un cas possessif (Pat's books) ou encore la finale du présent simple à la troisième personne du singulier ("he walks a lot"). Il s'agit de cas d'homophonie.
Les divers phénomènes évoqués ci-dessus doivent être explicités pour pouvoir être intégrés dans la construction d'une grammaire de l'oral, indispensable à la maîtrise de la compréhension de l'oral.
2. Éléments de psycholinguistique
a) Difficultés à l'écoute dues à un appui sur l'écrit
L'apprenant qui s'appuie sur l'écrit est susceptible d'activer des stratégies peu efficaces (traduction, écriture mentale) et des connaissances erronées s'appuyant sur l'écrit (sollicitation de la base lexicale).
En effet, on observe que l'apprenant, lors d'une tâche de compréhension orale, peut être accaparé par la recherche des unités de sens constituant le flux sonore entendu, au détriment de l'interprétation ; l'apprenant se focalise sur des opérations de bas niveau non encore automatisées (opérations de décodage portant sur des sons, des mots, des parties d'énoncés) et il se trouve rapidement en état de surcharge cognitive (Gaonac'h, 1987 & 1990). Cela l'empêche de mettre en œuvre, en parallèle et de façon interactive, des opérations dites de haut niveau, telles que l'inférence et l'anticipation, qu'il utilise sans en avoir forcément conscience en L1.
L'anticipation repose sur l'émission d'hypothèses et leur vérification : anticiper c'est prédire, émettre une hypothèse et la valider ou l'infirmer, à l'épreuve des faits. L'inférence est "une opération de raisonnement logique par laquelle, à partir d'un fait, d'une proposition..., on tire une conséquence" (Bailly, 1998, p.132). Ainsi, inférer consiste à utiliser l'information disponible pour deviner le sens d'items nouveaux, prédire des résultats ou combler des informations manquantes (Wenden, 1991). L'inférence est effectivement une stratégie très utile dans la compréhension de l'oral et particulièrement en L2 dans la mesure où, au non-dit, s'ajoute le non-perçu (Poussard, 2003).
De plus, l'apprenant, concentré sur des opérations de bas niveau, peut avoir recours à des stratégies comme la traduction ou l'écriture mentale au fil de l'écoute (Narcy, 1991), stratégies très coûteuses cognitivement et neutralisant de ce fait l'activation de stratégies plus efficaces.
D'autre part, dans les opérations de décodage, l'apprenant fait appel à ses connaissances lexicales. Les recherches actuelles (Caron, 1995 ; Buser, 1998) conduisent à penser que ces connaissances reposent sur une double base lexicale, phonologique et graphique : il y aurait, entre ces deux composantes, des échanges constants et des traitements en parallèle. Les phénomènes de sub-vocalisation ou d'oralisation constatés en lecture, en L1 et en L2, attestent d'ailleurs de ces échanges (Masperi, 2004 ; Degache, 1996). L'apprenant, face à un nouveau mot écrit, va certes en chercher et en mémoriser le sens et la graphie mais il va aussi imaginer sa forme sonore et la mémoriser, qu'elle soit correcte ou erronée. Si la forme sonore imaginée est erronée, notamment en raison de la spécificité, en anglais, de la "dissymétrie" (Bailly, 1995) entre le volume phonologique et le volume graphique, l'apprenant ne pourra ni reconnaître ce mot ni être compris lorsqu'il produira ce mot.
b) Conséquences d'une écoute erronée pour la production écrite ou orale
Ce que l'apprenant a entendu et reconnu va alimenter sa construction interne de règles sur le fonctionnement de la langue cible et contribuer à l'existence de règles erronées, floues ou conflictuelles (avec d'autres règles), qui le conduiront à produire également des énoncés erronés, par exemple *one year a more pour one year or more ou *a happy a year pour a happier year (exemples donnés par W. Halff, 1987).
C'est vraisemblablement un phénomène plus ample qu'on l'imagine, qui pourrait peut-être expliquer pourquoi des apprenants, en lecture à voix haute, ne prononcent pas certains morphèmes (ED, S) et ne les produisent pas non plus à l'écrit, la règle devenant floue, "facultative" en quelque sorte, puisqu' après tout, ils n' entendent pas bien ces /t/ ou /d/ ou /s/ ou /z/ souvent pris dans le flux sonore et liés aux autres mots de l'énoncé.
Là encore, il est essentiel que l'apprenant se constitue une grammaire de l'oral.
3. Choix didactiques
Il revient au pédagogue / didacticien d'aborder la question de la compréhension de l'oral en mettant en relation à la fois des éléments propres à la langue anglaise et des éléments de psycholinguistique tels que ceux relevés ci-dessus.
La démarche didactique devrait ainsi s'attacher à :
- faire acquérir en parallèle à l'apprenant formes écrites et formes orales afin de l'aider à construire les liens complexes existant entre l'écrit et l'oral. Dans le cas particulier d'apprenants ayant déjà un parcours plus ou moins long en langue anglaise, il peut être utile de s'appuyer sur leurs connaissances de l'écrit pour aller vers l'oral, en faisant repérer, par exemple, que des mots comme les auxiliaires, les déterminants ou encore certaines prépositions, tout en ayant une écriture unique, peuvent se prononcer de façon différente selon le contexte où ils se trouvent ;
- favoriser l'activité métalinguistique : l'enseignant peut en effet guider la réflexion de l'apprenant sur les phénomènes qui lui posent problème afin que l'apprenant s'approprie des procédures qu'il pourra mettre en œuvre spontanément ;
- combiner l'activité métalinguistique et l'exposition à la langue, toutes deux nécessaires à la pratique raisonnée d'une langue seconde ;
- entraîner l'apprenant à utiliser des stratégies d'écoute de façon à compenser ce qu'il n'entend pas ou ce qu'il entend mal. Outre l'anticipation, les stratégies d'écoute qui peuvent être entraînées sont notamment des stratégies d'inférence à partir d'indices contextuels et linguistiques (grammaticaux et phonologiques) ; par exemple, la présence du pronom personnel "they" dans le contexte, co-référentiel au sujet, permet de lever l'ambiguïté entre "my teachers are" et "my teacher is a", qui sont homophones.
Conclusions
Compte tenu de la prééminence de l'écrit dans la culture scolaire et des faibles compétences observées en anglais à l'oral chez les élèves francophones, il est important d'envisager un travail à la fois au plan lexical (en guidant de façon systématique les échanges, la circulation entre les composantes graphiques et phonologiques de la base lexicale), et au plan des stratégies (en entraînant les stratégies les plus efficaces à mettre en œuvre en situation de compréhension orale).
Références bibliographiques
Bailly, D. 1995. "Les apports de Wendy Halff à la didactique de l'anglais". Cahiers Charles V, 19. pp 179-197. ----. 1998. Les mots de la didactique des langues. Le cas de l'anglais. Lexique. Paris-Gap : Ophrys.
Buser, P. 1998. Cerveau de soi, cerveau de l'autre. Paris : Odile Jacob.
Caron, J. 1995. Précis de psycholinguistique. 3° édition. Paris : PUF.
Degache, C. 1996. L'activité métalinguistique de lecteurs francophones débutants en espagnol. Thèse en Sciences du langage et didactique des langues. Université Grenoble 3.
Gaonac'h, D. 1987. Théories d'apprentissage et acquisition d'une langue étrangère. Paris : Crédif-Hatier. ----. 1990. "Les stratégies attentionnelles dans l'utilisation d'une langue étrangère". In Acquisition et utilisation d'une langue étrangère, Gaonac'h, D. (coord.). Paris : Hachette. 41-49.
Halff, W. 1987. "L'oral et l'erreur grammaticale". Les langues modernes, 5. 31-37.
Heiderscheidt, J. 1988. "Quelques régularités phonographématiques de l'anglais et leur représentation chez des étudiants francophones belges en philologie germanique". Actes du quatrième colloque d'avril sur l'anglais oral à Villetaneuse : le suprasegmental II. Paris : APLV. pp 213-232.
Huart, R. 2002. Grammaire orale de l'anglais. Paris : Ophrys.
Masperi, M. 2004. "Médiation phonologique et construction du sens en italien langue voisine inconnue". In Lecture à l'université, Simon, J.-P. & Grossmann, F. (dir.). pp. 103-114.
Narcy, J.-P. 1991. Comment mieux apprendre l'anglais. Paris : Éditions d'organisation.
Poussard, C. 2003. "Guider des stratégies de compréhension de l'oral en ALAO : le cas de l'inférence". Alsic, vol.6.1. 141-147. http://alsic.org
Wenden, A. 1991. Learner Strategies for Learner Autonomy. Prentice Hall International.
Pour citer cette ressource :
Laurence Vincent-Durroux, Cécile Poussard, L'écrit et la compréhension de l'oral en anglais, La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), janvier 2008. Consulté le 23/11/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/anglais/langue/phono-phonetique/l-ecrit-et-la-comprehension-de-l-oral-en-anglais