Usages de la biographie historique. Le cas italien entre Lumières et Restauration
NB : Ce texte est la version remaniée d’une intervention dans le cadre du Séminaire d’études italiennes (ENS de Lyon / Université Jean Moulin Lyon 3), à Lyon, le 29 janvier 2015.
Introduction
Mes recherches dans le domaine de l’histoire et des lettres italiennes m’ont conduit ces dernières années à retracer, à partir de leurs manuscrits et de leurs archives personnelles, la biographie intellectuelle de deux hommes de lettres italiens, entre Ancien Régime, Lumières et Révolution – deux figures bien intégrées dans les réseaux des correspondance de la République européenne des lettres, qui avaient en commun le goût du journalisme, une pratique académique des belles lettres et l’expérience d’un voyage en France qui fut l’occasion d’une initiation aux Lumières, ou d’une découverte de leur véritable visage.
Le premier, Filippo Venuti (1706-1768)[1], était un érudit originaire de Cortone, en Toscane, où il avait été fondateur de l’Académie étrusque, avec ses frères Marcello et Ridolfino, deux archéologues destinés à occuper de hautes fonctions, respectivement dans la Naples de Charles III et dans la Rome de Benoît XIV. Filippo, lui, fut nommé abbé de Clairac, sur les rives du Lot, en 1738. Il y rencontra Montesquieu, qui se prit d’affection pour lui et le fit nommer bibliothécaire de l’Académie de Bordeaux. Douze ans plus tard, Venuti revint en Toscane où il participa à la publication de la réédition annotée de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, en français, à Lucques. En s’efforçant, avec les autres annotateurs, d’atténuer la violence de la confrontation entre religion et raison, et de valoriser l’aspect encyclopédique de l’œuvre, il fut de ceux qui renouèrent le lien entre le public italien – le public ecclésiastique en particulier – et le courant de la grande pensée européenne de son temps. Sa participation à cette singulière opération intellectuelle et éditoriale faisait de lui l’un des représentants significatifs de la première génération du réformisme catholique italien.
La seconde étude de cas, plus complexe, était consacrée à Alessandro Verri (1741-1816)[2], frère de Pietro et collègue de Cesare Beccaria pendant les années les plus productives de l’illuminismo lombardo, marquées par la publication des Délits et des peines et de la revue Il Caffè (1764-1766). Après un crochet par les salons de d’Holbach, Diderot et d’Alembert, Alessandro Verri s’installa à Rome, y trouvant un cadre propice où cultiver son goût des lettres et son scepticisme conservateur. Romancier, historien, il devient à la fin de sa vie l’apôtre de la Restauration catholique.
Dans une Péninsule partagée entre tradition, érudition, réformisme politique et ferveur éditoriale, Verri et Venuti apparaissaient tous deux représentatifs d’un certain type de carrière lettrée, avec ses aléas et ses déceptions ; d’une certaine forme de sociabilité et de solidarité littéraire ; d’une capacité à s’improviser passeurs de livres, à se faire ambassadeurs d’idées et de modèles nouveaux.
Au travail de prospection documentaire, mené sur un ensemble de sources de première main souvent inédites, s’associait un travail interprétatif pour comprendre la façon dont se structurait et évoluait, dans un cas comme dans l’autre, la « vie de l’esprit ». Il s’agissait de comprendre sa logique, de lui assigner une cohérence, si tant est qu’elle en eût une, au regard du contexte historique dans lequel elle s’inscrivait. Et en cela réside la difficulté de l’écriture d’une vie, qui engage à passer du factuel au « sens » à donner à la trajectoire individuelle. De façon plus générale, la biographie, en invitant à revenir vers le stade du témoin et du témoignage (avec le problème de son jugement et de sa fiabilité), conduit à un « retour en arrière » méthodologique, le retour vers ce moment où la trace de vie, où le document d’archive ne sont pas encore transformés en connaissance historique. L’enjeu consiste donc, à partir de là, à refaire « l’opération historiographique », c’est-à-dire à accomplir « la transition de la mémoire vive à la position ‘extrinsèque’ de la connaissance historique »[3]. C’est autour de ce point – la capacité du récit de mémoire à se constituer en histoire – que se concentrent les interrogations sur la pratique biographique.
Lié à la rhétorique de l’éloge, le genre biographique a longtemps pâti d’une mauvaise réputation. Le panégyrique, l’hagiographie, l’oraison funèbre, dont le dix-huitième siècle n’a pas été avare, ne se posaient pas la question de la méthodologie historique, ni celle de l’exactitude des sources : depuis l’Antiquité, le récit de vie était une fabrique de modèles et d’exemples de vertus, dont le propos était de « styliser la réalité de l’expérience vécue pour lui permettre de porter des témoignages à valeur et à portée générales »[4]. Cette quête d’exemplarité ou de signification faisait partie des prérequis pouvant conduire à aplanir certaines aspérités des parcours biographiques pour leur assigner une « cohérence » qui, de toute évidence, était un construit rétrospectif. Ce procédé courant contamine tant l’écriture biographique que l’autobiographie. On peut penser à la Vie d’Alfieri et aux étapes qui conduisent vers sa « conversion » et la naissance de sa « vocation » ; on peut penser à certains syntagmes rappelés en 1986 par Bourdieu[5], qui induisent une équivalence entre chronologie et logique explicative et transforment la vie en destin. L’écriture épistolaire n’est d’ailleurs pas en reste : les frères Verri eurent ainsi tendance à réordonner eux-mêmes leur parcours en le récapitulant, dans certaines lettres des dernières années de leur vie. Tâtonnements, hésitations, improvisations en sont comme effacés. C’est de cela que doit se préserver autant que possible le biographe, tout insatisfaisants que soient les constats de discontinuité et de ruptures qui émaillent une vie. Mais le genre biographique fut long à se remettre des dommages causés par la biographie romancée, et d’une tradition qui, pour reprendre le mot de Ricœur, a « fait de la mémoire une province de l’imagination »[6].
Il s’agira ici, d’une part, de rappeler brièvement les nouvelles perspectives de recherches qu’a pu ouvrir, en matière d’histoire sociale et de pratiques culturelles, le « contre-pied » biographique (avec ses apories et les « cas-limites » de la micro-histoire) ; et de se pencher, d’autre part, sur les surprises que peut encore réserver l’examen de parcours « déviants » – ou ceux des individus jugés « mineurs », qui n’ont pas eu les honneurs de la grande historiographie – pour repenser ou éprouver les limites de certaines catégories de l’histoire, et de l’histoire littéraire en particulier.
1. Le retour du biographique
La biographie fait preuve d’une vitalité pérenne et jouit depuis la fin des années 1990 d’un vrai regain d’intérêt de la part des historiens, à la fois en tant que pratique et en tant que « problème ». On a ainsi eu tendance, ces dernières années, à « penser le biographique » ou à affronter le « défi biographique » tout autant (si ce n’est plus) qu’à écrire des biographies[7]. Dans la seconde moitié du vingtième siècle prévalait encore une approche de l’histoire par le biais des destins collectifs, des classes, des groupes et des forces en conflit, avant que ne s’amorce un retour vers le biographique, contesté par certains historiens rétifs à l’idée d’abandonner « l’histoire-problème » pour revenir à une « histoire-récit » de type chronologique[8]. L’école des Annales avait, en France, vivement rejeté l’histoire événementielle, entendue comme histoire des grands hommes, où « l’individu est le porteur ultime du changement historique »[9].
Mais le statut dont jouit la biographie est aujourd’hui différent. Depuis plusieurs années, elle a pu notamment se prévaloir de l’essor notable, en France puis en Italie, des travaux sur les milieux intellectuels et la sociabilité culturelle. Ces derniers, qui se sont traduits par une attention aux villes et aux réseaux de diffusion des savoirs, à l’inscription spatiale des productions culturelles et à l’étude des circulations artistiques et savantes, ont permis de rompre, dans certains cas, avec quelques stéréotypes tenaces sur l’isolement ou le retard de territoires de la Péninsule, en mettant valeur les initiatives d’acteurs locaux (hommes de lettres, imprimeurs, académiciens) et leur intégration dans le jeu des échanges intellectuels internationaux. L’enquête biographique apparaît comme le corrélat naturel de l’étude des formes de sociabilité dans la mesure où elle permet de réinscrire les trajectoires individuelles dans une histoire collective en variant les « jeux d’échelle » – pour reprendre le titre d’un ouvrage de Jacques Revel sur la question[10].
D’autre part, replacer le sujet agissant sous la loupe de l’historien offre la possibilité, en se détachant de la contemplation d’une histoire accomplie et de l’explication du mouvement collectif, de renouer avec le devenir historique, avec la liberté qui préside à son élaboration, et de reconnaître, donc, l’importance des décisions individuelles dans la constitution de la trame générale. La biographie bouscule les grands paradigmes interprétatifs : elle invite, comme le précise Sabina Loriga, à « briser l’excès de cohérence du discours historique, pour s’interroger non seulement sur ce qui a été, sur ce qui s’est produit, mais aussi sur les incertitudes du passé et les possibilités manquées »[11]. La biographie conduit à valoriser le fondement individuel de l’histoire, à considérer en cette dernière un ensemble de pensées, d’actions et de responsabilités. « Ce qui est désormais au cœur du projet biographique, c’est la prise en compte d’une expérience singulière plutôt que celle d’une exemplarité destinée à incarner une vérité ou une valeur générale, ou encore à converger avec un destin commun », rappelle Jacques Revel[12]. Désormais, la singularité prévaut : on cherche ce qui ne rentre pas dans le cadre général.
2. Un détour : la biographie et le silence des sources
Ce mouvement de revalorisation de la démarche biographique s’est accompagné, en France comme en Italie, d’un renouvellement sensible du répertoire des sources (archives privées, mais aussi archives policières et judiciaires). Il est certain, par exemple, qu’une reconstitution précise des biographies des frères Verri, à l’instar de celle que Carlo Capra a consacrée à l’aîné Pietro, aurait été impensable sans le travail préalable de dépouillement et de catalogage de l’Archivio Verri, à Milan, qui aura duré entre vingt et trente ans[13].
En réalité, le défi que représente la question des sources pour la biographie historique est double : si, d’un côté, les lacunes de la documentation constituent un obstacle apparemment irrémédiable à l’enquête de terrain sur laquelle se fonde la pratique biographique, de l’autre, l’accumulation des traces manuscrites, la richesse de l’écriture mémorielle qui est la matière première de l’histoire, pose parfois des problèmes de lisibilité, de clarté de l’interprétation. Avant de revenir sur ce second cas en nous intéressant à la figure d’Alessandro Verri, voyons comment certains historiens et biographes ont tenté de remédier à la question de l’absence de sources. Ce « détour » préalable servira de mise en perspective : dans un cas comme dans l’autre, c’est bien la transformation de la mémoire (ou de ses bribes) en connaissance historique qui est l’enjeu de la démarche biographique.
À partir des années 1980, des historiens français et italiens ont pris à bras le corps le problème des silences de l’histoire en s’efforçant de les surmonter, ce qui a conduit à des avancées notables dans la réflexion sur l’écriture biographique. En Italie, certains eurent l’ambition d’offrir une alternative à l’approche « macro-analytique » de l’histoire en développant le principe d’une « micro-histoire », la microstoria, fondée sur les bribes de connaissances négligées que pouvaient encore offrir le monde de l’écrit et des archives. En 1976, Carlo Ginzburg s’intéressait à Domenico Scandella, dit Menocchio, un meunier du seizième siècle condamné à mort pour hérésie, dans Il Formaggio e i vermi, tandis que Giovanni Levi retraçait la vie d’un curé exorciste du dix-septième siècle, Giovan Battista Chiesa, dans L’Eredità immateriale, en 1985 (traduit en français sous le titre Le pouvoir au village, en 1989). Il s’agissait, à partir d’enquêtes sur des individus qui n’étaient pas hommes de plume et n’avaient donc pas laissé de témoignage direct, « de rendre à l’expérience des acteurs sociaux une signification et une importance face au jeu des structures et à l’efficacité des processus sociaux massifs, anonymes, inconscients, qui ont longtemps parus seuls requérir l’attention des chercheurs »[14].
Ainsi ce que Ginzburg appelle « il caso limite » du meunier frioulan – au sens où Menocchio n’est pas un « contadino “tipico” (nel senso di “medio”, “statisticamente piú frequente”) » – n’en est pas moins exemplaire : son procès illustre le processus « di repressione e cancellazione della cultura popolare » par la culture dominante, symptomatique d’un contrôle sans cesse renforcé des classes hégémoniques sur les groupes marginaux et les vagabonds, dans la campagne, au cours de la seconde moitié du seizième siècle. Les lacunes de la documentation témoignaient de cet état des rapports de force, et devait stimuler les historiens à se pencher sur les traces et les vestiges de la culture presque exclusivement orale des classes subalternes de l’Europe pré-industrielle pour repenser, à partir de là, les racines populaire de la haute culture européenne médiévale et post-médiévale.
Il s’agit là d’un renversement de perspective important. Cette histoire « vue du bas », ou « au ras du sol »[15], permettait de reconstruire en partant de la base, en partant de fragments d’expériences individuelles, des logiques sociales complexes et un cadre général affiné, non homogène ni unifié. Ginzburg expliquait dans la préface de son ouvrage :
Ampliare verso il basso la nozione storica di “individuo” non è un obiettivo di poco conto. Certo, c’è il rischio di cadere nell’aneddoto, nella famigerata histoire événementielle (che non è soltanto, né necessariamente, storia politica). Non si tratta però di un rischio inevitabile. Alcuni studi biografici hanno mostrato che in un individuo mediocre, di per sé privo di rilievo e proprio per questo rappresentativo, si possono scrutare come in un microcosmo le caratteristiche di un intero strato sociale in un determinato periodo storico[16].
L’histoire particulière, auparavant considérée comme inessentielle, en s’appuyant sur le développement des sciences sociales prend le contre-pied de l’histoire universelle. Revel compare l’effet de la micro-histoire à celui de l’agrandissement photographique dans Blow up d’Antonioni : la variation d’échelle (le zoom) permet d’observer un détail qui met sur la piste d’une autre lecture de l’ensemble[17]. De même, l’étude biographique peut contribuer à renverser certaines représentations sociales, à revenir vers la multiplicité des expériences parfois contradictoires ou ambigües à travers lesquelles les hommes construisent leur monde.
Plus radical, en tout cas plus expérimental dans sa démarche de biographe, Alain Corbin s’est efforcé de reconstituer en 1998 la vie d’un « inconnu », Louis-François Pinagot, un sabotier du Perche dont les archives ne portaient presque plus de trace : un individu tout à fait ordinaire, donc, dont l’existence se déroula aux frontières de l’insignifiance. La démarche de l’historien consiste ici à se détourner de la figure des grands hommes (Pinagot était le contemporain de Michelet, de Hugo) pour s’intéresser aux vies non exceptionnelles, ce qui le conduit à s’aventurer dans l’« indifférencié » du quotidien, à se pencher sur le « grouillement des disparus » ou encore « l’atonie des existences ordinaires »[18] – « fallacieuse atonie, comme lissée par les modes d’enregistrement et de conservation de la trace »[19]. On ne connaît de Pinagot que les données laconiques conservées par l’état civil sur sa naissance, son mariage, sa généalogie et sa mort[20]. La biographie, qui vise à restituer la stature morale de l’être, la densité d’un vécu ordinaire dans sa dimension physique, concrète et affective, est ici impossible. L’historien se trouve contraint, dit Corbin, de « prendre appui sur le vide et sur le silence afin d’approcher un Jean Valjean qui n’aurait pas volé de pain »[21]. Mais la démarche importe moins pour ses résultats que par son parti pris :
Il s’agit, en effet, d’inverser les procédures de l’histoire sociale du 19e siècle. Celle du « peuple », sinon celle des élites, se fonde sur l’étude d’une gamme restreinte d’individus au destin exceptionnel ; lesquels par le seul fait de prendre la plume, se sont extirpés du milieu qu’ils évoquent. […] Ainsi s’élargit subrepticement une voie d’accès au 19e siècle. J’ai le sentiment qu’un bon millier de pages autour de Louis-François Pinagot, fussent-elles descriptives et par trop prudentes dans l’interprétation, combleraient mieux le désir de comprendre ce temps que bien des tableaux minutieux consacrés aux structures de la proto-industrialisation[22].
Cette « biographie impossible »[23] traduit bien la volonté du genre de reporter sur le devant de la scène les exclus de la mémoire, de façon à « réparer petitement la négligence des historiens »[24]. Une telle entreprise représente, pour reprendre la lecture qu’en fait Sabina Loriga, « le point extrême de la crise de l’héroïsme, qui est à la base de la redécouverte de la biographie dans ces dernières décennies » – point extrême dans la mesure où tous les ponts, ou presque, sont coupés avec le monde des archives et de l’écrit, et que l’historien doit « procéder par induction, déduction, intuition »[25], car le recours à l’imagination, qui aurait permis de combler par les ressources de la narration les apories de l’archive, est ici proscrit.
3. La cohérence du récit de vie en question
On en vient, ce faisant, au second défi de la biographie, qui concerne non plus les problèmes inhérents à la connaissance de faits, mais l’opération interprétative par laquelle le biographe organise et unit la série chronologique des informations dont il dispose.
En 1986, au moment où se profile le « retour en grâce » du biographique, Bourdieu adresse une mise en garde contre les « illusions » dont se berce encore le genre. L’un des présupposés de la biographie, estime-t-il, est « que la ‘vie’ constitue un tout, un ensemble cohérent et orienté, qui peut et doit être appréhendé comme expression unitaire d’une ‘intention’ subjective et objective, d’un projet ». C’est-à-dire que, pour Bourdieu, passer de l’individuel et de la fragmentation à la « signification unificatrice » implique que le biographe fasse usage d’un art de la composition « littéraire » afin de donner à la vie une finalité, afin de l’intégrer dans un réseau signifiant et orienté vers la réalisation d’un projet. Il affirme que ce « postulat du sens de l’existence racontée », découle d’une complicité du biographe (défini « professionnel de l’interprétation ») avec de son objet, et aboutit une « création artificielle de sens », c’est-à-dire à la construction d’un « artefact »[26].
On a depuis plusieurs années dépassé les réserves, si ce n’est les préventions, de Bourdieu à l’égard de la biographie et des abus de logique dont elle pouvait se prévaloir. Mais son intervention n’en pose pas moins une question fondamentale : l’identité d’un individu réside-t-elle dans la « constance à soi-même » ? dans une fidélité supposée à certains principes ? En d’autres termes, l’écriture biographique peut-elle accueillir « l’incohérence à soi » d’un individu sans que cela soit perçu comme un échec épistémologique ? d’un inadéquation entre l’objet choisi par le biographe et sa mission consistant à produire de la connaissance ?
Le cas d’Alessandro Verri s’avère de ce point de vue particulièrement retors, dans la mesure où la consécution est chez lui contradictoire et que son identité semble instable ou discordante. Avant de revenir sur la question de la quête de cohérence biographique et sur l’intérêt que peut présenter un tel cas, commençons par quelques considérations sur la façon dont deux grands historiens des Lumières italiennes, Franco Venturi et Carlo Capra, ont envisagé et fait usage de la biographie dans leurs travaux.
4. Tradition biographique italienne et Settecento riformatore
Franco Venturi a joué à partir des années 1950 un rôle de premier plan dans la revalorisation en Italie de la biographie politico-intellectuelle en tant qu’outil de base de la connaissance historique. Il affirmait en 1989 :
Ho visto che recentement anche qui da noi si è discusso e ridiscusso sopra la legittimità o meno della biografia. Secondo me non è una questione che si possa discutere. L’uomo è la misura delle cose. Credo che sia assolutamente impossibile fare una storia senza biografia. La biografia è la base stessa della storia[27].
« L’homme est la mesure des choses » : ses volumes Settecento riformatore et Illuministi italiani semblent au premier regard s’inscrire dans une tradition prestigieuse qui avait vu le jour au dix-huitième siècle, celle de Muratori, Bettinelli, Mazzucchelli et Tiraboschi – érudits bibliothécaires qui se définissaient, pour reprendre une belle formule de Bettinelli « storici dell’uomo più che del mondo, degl’Italiani più che dell’Italia »[28]. Mais tandis que les grands compilateurs du dix-huitième siècle avaient pour projet de déceler dans la série des auteurs, poètes et académiciens exhumés des archives, un génie culturel et littéraire italien, Venturi envisageait, lui, la vie des fonctionnaires, des historiens, des économistes et des juristes, comme un outil heuristique pour penser une histoire collective des Italiens qui ne fût pas (ou qui ne fût plus) une histoire de la littérature. Exit Parini, Goldoni, Metastasio... :
Ho studiato unicamente e soltanto le rivolte e le riforme, le conquiste e i confini, i mercati e le strade, le monete e le leggi, le idee politiche e quelle economiche, i catasti e gli appalti, cose tutte ben diverse dai prodotti della seconda Arcadia[29].
Venturi ne se posait pas en historien des sciences, de la philosophie ou de la littérature (il refusait de se laissait entraîner vers les « beate lande » de la littérature), mais en « storico dei movimenti intellettuali e politici »[30].
À travers les profils étudiés, les idées et les forces « incarnées » qu’il mettait au jour, Venturi soulignait les éléments de continuité entre le mouvement réformateur éclairé italien et le triennio, tout en soulignant l’incidence que ce dernier avait pu avoir sur les origines du Risorgimento. Il mettait ainsi en place les éléments d’un débat sur les rapports entre Lumières, réformes, Révolution, qui se poursuit encore aujourd’hui[31]. À cet égard, on peut considérer Capra comme son continuateur. Alors qu’il vient de publier son ouvrage de synthèse sur le long Settecento[32], Capra avait initié ses travaux en 1968 avec la biographie de Giovanni Ristori (1755-1830), journaliste éclairé, révolutionnaire et jacobin, devenu fonctionnaire et jurisconsulte[33] ; il a ensuite publié, en 2002, une magnifique biographie de Pietro Verri, I Progressi della ragione.
Pour Capra, la biographie est une voie irremplaçable pour pénétrer l’esprit d’une époque : Verri devient sous sa plume un sismographe. Sa vie privée, individuelle, accueille de la vie publique, et il voit en elle « la testimonianza di una rottura epocale, dell’irrompere e del radicarsi di una visione nuova dell’uomo e dei rapporti familiari e sociali »[34]. Mais l’entreprise biographique exige quelque précaution : Pietro Verri reste « una personalità eccezionale per doti di carattere, di intelletto e di cuore » ; c’est un individu mû par « un’ossessiva volontà di lasciare traccia di sé, di chiarire a se stesso e a ipotettici lettori futuri le ragioni dei propri atti, dei propri successi e insuccessi »[35]. En ce sens, ses écrits autobiographiques, sa correspondance et ses mémoires, engagent plus encore qu’un processus d’explication, un processus d’héroïsation de soi, dont l’historien, comme le rappelle Capra, a le devoir de se préserver :
Pietro Verri si costituì nel 1790 archivista di se stesso, mise insieme un’importante raccolta di documenti e di carte intesa da un lato a tutelare gli interessi patrimoniali propri e della famiglia, dall’altro a certificare i traguardi da lui raggiunti nella vita pubblica, e nel campo letterario […]. Il pericolo per lo studioso, è semmai quello di rimanere prigioniero di questo gioco di specchi, di questo incessante lavorio volto a costruire un’immagine eroica di se stesso e della propria solitaria grandezza, in un mondo dominato dalla viltà, dalla cortigianeria, dal pregiudizio[36].
Pietro Verri, c’est l’homme éclairé, le réformateur inflexible, le républicain de cœur qui ne renie pas ses positions, même quand l’Ancien régime vit ses dernières heures. Et qui condamnent ceux dont les convictions sont chancelantes, ceux qui, comme son frère, se sont avilis en conformant leur jugement « alle circostanze e alla società »[37]. Son discours, disons-le, est aussi porteur d’une vision clivée du siècle, entre progrès et conservatisme, Lumières et obscurantisme, énergie et mollesse, scritti civili et ozio letterario, capitales rayonnantes et périphéries réceptrices voire « arriérées ». Et son frère Alessandro, qui a quitté Milan pour se consacrer aux belles-lettres, à Rome, le déçoit : c’est un égarement qui le désole. La sentence était sans appel et fut sans doute de celles qui contribuèrent à reléguer dans un oubli relatif le parcours et la production de son cadet.
Pourtant, le parcours mouvant et malcommode d’Alessandro Verri, erratique et accidenté, offre peut-être quelque chose « de plus » que celui de Pietro pour embrasser et comprendre son siècle.
5. Alessandro Verri : l’« irrégularité » comme logique biographique
L’enquête biographique conduit parfois à s’éloigner des paradigmes, du confort des types, à les remettre en question. Elle peut s’avérer déroutante, au sens même où elle nous conduit hors des sentiers battus. Contrairement à son frère, le parcours d’Alessandro Verri, longtemps resté à l’écart des histoires littéraires, est difficile à appréhender d’un regard. Seul existait à son sujet un certain nombre d’articles dont chacun semblait difracter les facettes d’une œuvre composite et complexe. Satiriste, économiste, juriste, historien, épistolier, romancier, tragédien, traducteur, il fallait pouvoir surmonter cette dispersion des formes et des contenus, dont le dépouillement des fonds d’archives ne cessait de faire ressurgir la diversité, pour cerner une personnalité qui déjoue les modèles.
De toute évidence son parcours est délimité en « époques » qui correspondent à des déplacements géographiques : une première période à Milan – les années de jeunesse, de formation, le temps des premiers écrits –, suivie d’une période charnière qui correspond au voyage à Paris et à Londres où il se rendit en 1766 pour promouvoir avec Beccaria (du moins, selon le programme initial) l’ouvrage Des délits et des peines ; enfin, une longue période romaine, jalonnée d’abord d’écrits que l’on pourrait dire expérimentaux avant que ne soient composées les œuvres de la maturité.
Les études sur Verri ont ainsi eu tendance à structurer sa vie en deux blocs opposés articulés autour d’une césure, qui est celle du voyage à Paris, et qui correspondrait à une palinodie. Le but, à défaut d’assigner une logique globale à son parcours, était d’y retrouver de grands « segments logiques » : l’initiation aux Lumières en compagnie de Pietro Verri, d’un côté, et le revirement académique et littéraire sans Pietro, de l’autre. Mais sans doute était-ce aller un peu vite en besogne et ne choisir parmi les textes de chaque époque ainsi isolée que ce qui correspondait aux besoins d’une démonstration anticipée ; c’était d’autre part entretenir une vision stéréotypée des milieux intellectuels italiens et des productions qu’ils généraient.
Prenons Rome, par exemple. Il faut attendre les « premières considérations » de Philippe Boutry dans Società urbana e sociabilità delle élite nella Roma della Restaurazione, en 1989, puis les travaux de Maria Pia Donato, sur les formes et les dynamiques de l’organisation intellectuelle des académies romaines du Settecento pour que se dissipe un peu l’image d’une ville immobile et coupée du commerce de l’Europe, lieu commun assez largement diffusé par les voyageurs étrangers dès le dix-huitième siècle. Les travaux de Christophe Charle et de Daniel Roche[38], puis les volumes de l’École française de Rome, dont Naples, Rome, Florence. Une histoire comparée des milieux intellectuels italiens[39], en 2005, ont achevé de réinsérer Rome au carrefour des échanges culturels et de la sociabilité internationale, d’en restituer l’importance en tant que foyer de création artistique cosmopolite, l’effervescence culturelle, voire politique. Donato a bien mis en évidence le lien entre les cercles néo-classiques et l’émergence d’un courant républicain à Rome, où tout ferment réformateur n’était pas d’origine exogène[40]. Le paysage arcadique, si placide en apparence, était moins lisse qu’il n’y paraissait, et Alessandro Verri contribua lui-même cette ferveur : comme en témoigne sa longue correspondance avec Pietro, il introduisit à Rome en contrebande, avec l’aide de ce dernier, trente-huit brochures de Voltaire, entre 1768 et 1772, et put se procurer l’Encyclopédie dans son édition de Livourne, entre 1771 et 1773[41]. C’est également à Rome que Verri rencontra Alfieri, qu’il le vit jouer ses tragédies avant de renoncer à publier les siennes, estimant : « Credo questo l’autore che fonderà la tragedia italiana »[42] ; c’est là, aussi, qu’il se lia d’amitié avec Canova ; et c’est en vain qu’il tenta de convaincre son frère du génie du dramaturge et du sculpteur. C’est également l’un des premiers en Italie à avoir goûté et traduit Shakespeare ; à tenter la voie du roman sépulcral… Au fond, le parcours d’Alessandro Verri, à rebours d’un dix-huitième siècle strictement « venturiano », fut moins archaïque et moins anachronique qu’on ne pourrait le croire. La valeur de son parcours intellectuel ressortit à cette multiplicité des expériences d’écriture et de pensée qui parcourent le siècle. Et sans doute est-ce là la réponse à la question de la cohérence du tracé de vie que nous nous posions un peu plus tôt.
Dans son article « La biographie comme problème historiographique », Jacques Revel, estime qu’une biographie doit se donner pour projet de reconstituer les « possibles » qui se sont offerts à l’individu, et les choix et les décisions de ce dernier dans l’incertitude du devenir. La question de la logique globale du vécu n’est plus prioritaire ; la vie « n’est plus pensable sous les seules espèces de la nécessité – cette vie a eu lieu et la mort l’a transformée en destin – mais comme un champ de possibilités entre lesquelles l’acteur historique a dû choisir »[43]. Toutefois, prévient Revel, « tenter de reconstruire ces choix » faits par l’individu « n’est assurément pas la chose la plus facile pour un historien, qui vient après coup constater l’existant et qui, de son point de vue, est structurellement attiré par la rétrodiction : un seul de ces possibles a été retenu »[44].
Le destin d’Alessandro Verri n’est pas un destin héroïque, maîtrisé, mais il permet justement de retrouver cette tension, dans l’existence d’un individu, entre ce qu’il projette ou promet d’accomplir, et ce qu’il fait — ou ce qu’il ne fait pas, ce qui ne répond pas aux attentes. Le réseau des possibles conduit à rompre avec la linéarité chronologique et l’aplanissement rationalisé de l’expérience biographique. En juin 1815, quelques mois avant sa mort, Verri écrivait à sa belle-sœur :
Mi vado confessando con voi. [...] In gioventù mi pareva che incontrassi una benevolenza consolante. Il Conte di Firmian mi propose non meno che di raccomandarmi a Vienna, ed instradarmi nel corpo Diplomatico in qualità di alunno, cioè di giovane addetto a qualche ministro in corti estere. Avrei dovuto imparare prima il Tedesco per due anni in Vienna, dove il conte si prendeva il carico di farmi assegnare il mantenimento da mio Padre. Altra occasione fu il conte Antonio Greppi che mi offerse appoggiarmi in Roma mettendomi in Prelatura o se volevo tornare in Patria procurarmi un impiego. Ho vedute viltà infinite in molti per far fortuna, ed io meriterei di non aver pane per averla sprezzata[45].
On fait là un premier pas vers « la reconstitution des possibles offerts à des acteurs »[46]. Penser le biographique, c’est aussi affronter la complexité de l’inaccompli, l’enchevêtrement des intérêts, des désirs, des logiques sociales et individuelles. S’il apparaît essentiel de ne pas surestimer le rôle de Verri ni la portée de ses œuvres, de ne pas l’édifier en destin exemplaire, il serait dommage, inversement, de négliger ce que ses écrits et son existence peuvent nous dire, dans leur réussite comme dans leur échec, de la genèse intellectuelle et artistique de ce long Settecento italien. Ils en sont le creuset. Sa vie s’est jouée toute entière dans un entre-deux incertain : il a été partagé entre ces deux catégories qu’on nomme, par commodité, raison d’un côté et sensibilité de l’autre ; il a été au point de rencontre du classicisme et du romantisme ; il a été pris entre ce que Diderot nommait la « poésie des ruines » tout en restant fidèle à l’« antiquomanie » érudite. Il a fini par toucher à tous les genres sans jamais triompher en aucun – du moins si l’on se fie au jugement de la postérité qui oublia bien vite les succès éditoriaux qu’il rencontra de son vivant. En précurseur égaré, il semble avoir semé pour d’autres, qui ont repris, parfois sans le savoir, ce qu’il avait ébauché : les accents humanitaires de ses suppliques en défense des condamnés ont nourri l’ouvrage de Beccaria, l’idée du salut apporté par l’Église dans les moments critiques de l’histoire d’Italie se retrouvera chez Manzoni, son beau roman Le Avventure di Saffo a des accents léopardiens.
En ce sens, sa biographie permet aussi d’amender certains aspects de l’historiographie des Lumières italiennes. S’il fallait trouver une limite aux travaux de Venturi, ce serait sans doute d’avoir choisi les acteurs d’un Settecento riformatore dont auraient été écartés ou tus les parcours qui n’entraient pas dans le moule du mouvement progressiste, ce qui pouvait conduire à sous-estimer les forces contradictoires qui sous-tendait l’édifice de ce qu’on appelle les Lumières italiennes.
L’historien Sergio Luzzatto s’inquiétait déjà, en 1984, des « signes de fatigue » données par l’historiographie venturiana qui ne suffisait plus à rendre compte de la totalité des expériences littéraires et politique du dix-huitième siècle italien. Il avançait l’idée d’une catégorie intermédiaire et transitoire d’hommes de lettres, qui sans être tout à fait progressistes n’en étaient pas pour autant des réactionnaires, et dont les parcours en partie « décevants » ou « déviants », devaient être revalorisés. Il proposait ainsi comme perspective d’étude celle « di un terzo Settecento, di questo Settecento “irregolare” diviso fra politica e letteratura, fra “impegno” e “disimpegno” »[47]. Ce siècle irrégulier se prêtait à accueillir, ajoutait-il, des parcours comme celui d’Alessandro Verri, et plus généralement « di una certa intellettualità italiana fra Sette e Ottocento », dont la vie ne fut pas guidée par la « constance à soi ».
Intégrer ces parcours à la grande galerie des portraits du siècle permet de voir, par exemple, comment à partir d’un même milieu de départ, à partir d’un même socle de formation, différentes individus élaborent différentes stratégies de carrière ou mûrissent des pensées divergentes : la biographie d’Alessandro Verri fait pendant à celles de Pietro Verri et de Cesare Beccaria. Ses choix qui le conduisent loin de Milan semblent le faire passer « hors cadre ». Et il est précisément des expériences biographiques dont la valeur est de permettre un « détour », ou un « pas de côté » par rapport aux grandes synthèses historiques ; des biographies qui invitent à un usage plus prudent des périodisations, des catégories de l’histoire intellectuelle. En 2002, Giuseppe Ricuperati notait justement :
Il terreno biografico è sempre confronto tra un individuo che ha attraversato tempi diversi e la sua originale reazione. La biografia è il solo terreno per scorpire il tasso di creatività all’interno di un’avventura che attraversa percezioni epocali che neanche altri hanno vissuto. È sempre storia di una rappresentazione, di una soggettività, che può essere interrogata sia per i messaggi consapevoli e volontari, sia anche per quelli indiretti o addirittura inconsapevoli. […] Apparentemente la sfida della biografia appare relativamente semplice, rispetto ad altri modelli di storia. I tempi e gli spazi sono ben determinati. In realtà, chi si avvicini al genere, scopre che le cose non sono mai lineari e che bisogna imparare a restituire forme e categorie della soggettività, un difficile tempo e spazio vissuti che si contrappongono a quelli esterni e convenzionali. In questo senso, la biografia è un utile correttivo ad una storia fatta di concetti d’epoca prefissati[48].
En rompant avec le principe d’exemplarité qui avait longtemps régi ses codes, l’écriture biographique perd son caractère d’évidence. Les vies retracées n’ont pas vocation à être vertueuses ni édifiantes. L’histoire du biographique, comme cela a été abondamment relevé, suit une trajectoire qui évoque celle du roman moderne. Elle est devenue un outil mieux armé pour embrasser la complexité des formations intellectuelles et des trajectoires individuelles, notamment en croisant les critiques venues des sciences sociales et celles de l’histoire des pratiques culturelles. En devant « problématique », la biographie, un temps considérée comme le symptôme d’une historiographie tombée dans les facilités narratives de l’illustration ou de la vulgarisation, est devenue un « correctif » ou un « remède ».
Conclusion
La biographie en histoire peut s’assigner comme tache d’interroger les « irrégularités » qui mettent à mal les « lois » communément admises. Elle permet de réintégrer dans l’histoire des idées et des pratiques ce qui en avait été écarté pour formuler des « constantes », de secouer les usages commodes et paresseux de notions ou des catégories qui ont été certes essentielles pour l’intelligence du passé mais qui ne vont pas, ou qui ne vont plus de soi. Dès 1940, dans son essai sur Dalmazzo Francesco Vasco, Venturi proposait ainsi de remplacer « l’idée stérile d’influence » dans l’histoire des idées par « l’étude des personnalités »[49]. Plus récemment l’essor des études sur les « réseaux de sociabilité » et les « transferts culturels » a achevé de remédier à l’usage de ces notions datées de rayonnement ou d’influence ; et les étude de cas (portant sur les petits groupes de lettrés, des imprimeurs, de leurs réseaux de diffusion, de leurs initiatives privées) ont été au fondement de ces révisions.
En histoire littéraire, la revalorisation des expériences d’écriture et l’étude précise de la diffusion des modèles esthétiques a permis d’en finir, pour la période à laquelle appartenait Alessandro Verri, avec la catégorie de « préromantisme », qui était au mieux un pis-aller rhétorique pour désigner cette zone de fracture et de frontière entre l’ancien et le moderne, catégorie très en vogue en Italie dans les années 1960, mais qui ne servait au fond qu’à opérer une reconstitution rétroactive des prémisse du Romantisme (en suivant le raisonnement téléologique du post hoc, propter hoc). En allant à rebours d’une histoire des grands textes et des grands auteurs, on sort de la littérature des anthologies, de la hiérarchie des majeurs contre les mineurs. Et on trouve parfois sur les bas côtés de la renommée littéraire des personnages éclairants par leur complexité, comme Alessandro Verri. La biographie est un outil d’exploration historique et de vérification des synthèses. Le changement d’échelle qu’elle autorise, explique Revel, a joué le rôle « d’un dépaysement par rapport aux catégories d’analyse et aux modèles interprétatifs du discours historiographique dominant ; mais aussi par rapport aux formes d’exposition existantes »[50].
Si l’on pense à l’Italie, l’un des domaines où l’évolution des usages de la biographie a été le plus remarquable ces dernières années est certainement celui du Risorgimento. Les biographies et les réflexions académiques sur la biographie qui ont fleuri à l’occasion des commémorations du cent cinquantième anniversaire de l’Unité, en 2011, ont confirmé le passage d’une « histoire-panthéon » (celle des pères de la Patrie) à une histoire des oubliés. L’une des conclusion de la table ronde finale des Leçons sur l’Unité des Italiens organisées à la rue d’Ulm par Gilles Pécout sur Hommes, femmes et mémoires d’acteurs. De la biographie à l’histoire du long Risorgimento, était que l’approche biographique et sentimentale pouvait constituer une voie d’accès vers une nouvelle histoire politique de l’Ottocento, en réintroduisant au cœur du discours historique les personnages écartés de l’historiographie officielle, parfois relégués dans l’oubli – les épouses, en l’occurrence, mais plus largement la cellule familiale. La biographie des oubliés venait non seulement combler les lacunes d’une impossible exhaustivité des célébrations officielles ; elle venait aussi rappeler la pluralité du passé, élargir la palette des expériences historiques, sans nécessairement rechercher la représentativité ou l’exemplarité des parcours.
Mais, faut-il le souligner il n’y a pas nécessairement de parcours vertueux entre biographie et histoire. Le fait que la biographie soit un outil de remise en question de l’histoire officielle est à double tranchant, avec le danger que l’érudition ne devienne le terreau du révisionnisme et la biographie le terrain de la manipulation. On peut penser par exemple aux polémiques qui ont accompagné la sortie en Italie du film de Mario Martone, Noi credevamo, en 2011. Adapté du roman d’Anna Banti par l’écrivain et magistrat Giancarlo De Cataldo, le film fait le choix de laisser dans l’ombre les principaux acteurs du Risorgimento pour raconter trois biographies imaginaires de personnages issus du Sud de la Péninsule, celles de républicains vaincus par leurs propres divisions et contradictions. Le film fut accusé d’offrir une déformation de l’Histoire, Mazzini y apparaissant comme un opiomane et les démocrates comme des déséquilibrés, dont l’action est interprétée sur le modèle du terrorisme. Voila que renaissait la méfiance à l’encontre du biographique comme outil heuristique.
Dernier renversement paradoxal dans l’histoire de ce genre décidément balloté entre désaffection et réhabilitation, la proposition de Sabina Loriga, dans son compte rendu de l’ouvrage sur Pinagot : prenant le contre-pied de la progressive disjonction entre biographie et littérature (ou imaginaire), elle invite le biographe, à l’instar de Corbin, à ne pas exclure toute dimension narrative de l’histoire biographique, voire à se rallier à la littérature pour réintroduire dans le récit de vie, tout historique qu’il fût, un semblant… de vie :
Dans ces dernières années, l’idée du récit (surtout autobiographique), saisi comme une sorte de masque à éliminer, a trop souvent prévalu. Je me demande si ce masque n’est pas la condition sine qua non pour rendre aux hommes du passé, non seulement un nom, mais aussi quelque trace de capacité vitale[51].
S’accorder la liberté de croiser les démarches ouvre des horizons stimulants. Citons l’exemple de Patrick Boucheron, qui retrace en 2008, dans Léonard et Machiavel, l’histoire de leur familiarité supposée (de leur « connivence intime »[52]) tout en défiant l’absence quasi totale de sources documentaires sur la réalité de leur rencontre. On en revient au problème du silence des sources et aux stratégies à employer pour le rendre éloquent. Le livre est ainsi articulé autour de l’hypothèse – voire du mythe – que Léonard de Vinci et Machiavel se croisèrent en 1502 à Imola, à la cour de Cesare Borgia. Aucune preuve n’existe, mais l’historien s’émancipe de la suprématie du document-témoin pour scruter les textes où sont disséminés les « traces » et les « échos » d’une rencontre non archivée. Cette absence nourrit une curiosité, elle constitue un vide « vertigineux qui donne envie d’y précipiter du discours »[53]. Boucheron rappelle qu’« un historien sans ses notes est comme l’enfant à qui on vient d’ôter les petites roues de son vélo »[54] : mais il se lance, au risque de rompre avec les codes dits scientifiques de l’écriture de l’histoire, pour en retrouver toute l’intensité et la dimension narrative de ces nuovi tempi auxquels appartenaient Machiavel et Léonard.
La biographie est un instrument de vérification des synthèses, avons-nous dit ; mais c’est aussi un outil d’interrogation des sources et de leurs silences, qui permet d’expérimenter diverses modalités de la narration historique. L’entreprise est parfois aventureuse, elle peut comporter des risques. Plonger au plus près de la grande histoire sans disposer d’assez de recul pour la comprendre n’est pas sans rappeler la situation de Fabrice à Waterloo qui, dit Stendhal, « n’y comprenait rien du tout »[55]. C’est un peu la même chose pour Alessandro Verri, assailli par la perplexité et le désarroi au cours des années qui suivirent les événements de 1789. Il écrivait à son frère Pietro, en novembre 1792 :
Nella Rivoluzione di Francia io fino a queste ultime vicende ho creduto che il mio criterio mi assistesse, onde ne formava il mio giudizio e le mie congetture. Ma presentemente confesso che né la storia, per quanto ne so io, né l’esperienza, né il mio raziocinio trova riposo, od uscita a quel laberinto in cui mi trovo perduto. Credo che non conosciamo bene questo vasto oggetto[56].
Il ajoutait en 1796 « Dell’avvenire poi non ne intendo nulla, come poco anche del presente »[57]. L’intelligibilité et la connaissance font défaut. Au seuil de son existence, Verri ne parvient pas à adopter une perspective surplombante sur l’Histoire. Son témoignage est utile pour cerner la genèse d’un certain discours contre-révolutionnaire qui adopte la posture du désarroi pour condamner ce qui paraît insensé et politiquement inacceptable. Mais pas davantage. En valorisant le particulier, on en revient au désordre&nnbsp;: et il faut ensuite tirer les conclusions pour réinscrire son objet, l’expérience particulière, dans l’histoire générale dont elle représente une modulation particulière.
Notes
[1] Voir P. Musitelli, « Filippo Venuti, ami de Montesquieu et collaborateur de l’édition lucquoise de l’Encyclopédie », dans Dix-huitième siècle, n° 38, Dictionnaires en Europe, Paris, La Découverte, 2006, p. 429-448, et « Dall’antiquaria all’enciclopedismo : l’itinerario di Filippo Venuti tra Francia e Toscana nel secolo dei Lumi », dans Annuario dell’Accademia etrusca, n. XXXII (2006-2007), Cortona, Calosci, 2008, p. 117-148.
[2] Je renvoie à mon ouvrage à paraître : Le flambeau et les ombres. Alessandro Verri, des Lumières à la Restauration (1741-1816), Rome, Collections de l’École Française de Rome, 2016.
[3] P. Ricœur, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Seuil, 2000, p. 191.
[4] J. Revel, « La biographie comme problème historiographique », dans Montagnes, Méditerranée, Mémoire. Mélanges offerts à Philippe Joutard, P. Cabanel, A.-M. Granet-Abisset et J. Guibal (dir.), Musée dauphinois et Publications de l’Université de Provence, 2002, p. 472.
[5] Bourdieu comptait au nombre des présupposés de l’« illusion biographique » le fait « que la “vie” constitue un tout, un ensemble cohérent et orienté, qui peut et doit être appréhendé comme expression unitaire d’une “intention” subjective et objective, d’un projet : la notion sartrienne de “projet originel” ne fait que poser explicitement ce qui est impliqué dans les “déjà”, “dès lors”, “depuis son plus jeune âge”, etc., des biographies ordinaires, ou dans les “toujours” (“j’ai toujours aimé la musique”) des “histoires de vies” » (P. Bourdieu, « L’illusion biographique », dans Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 62-63, juin 1986, p. 69).
[6] P. Ricœur, La mémoire, l’histoire, l’oubli, op. cit., p. 5.
[7] Voir les travaux de Jacques Revel, Sabrina Loriga et Ann Jefferson cités en bibliographie. Voir également V. Broqua et G. Marche (dir.), L’épuisement du biographique ? Newcastle-upon-Tyne, Cambridge Scholars Publishing, 2010.
[8] Sur l’opposition entre histoire-récit et histoire-problème et pour une analyse de la « place de la narrativité dans l’architecture du savoir historique », voir P. Ricœur, La mémoire, l’histoire, l’oubli, op. cit., p. 307-309.
[9] Ibid., p. 309. « C’est en effet dans l’histoire politique, militaire, diplomatique, ecclésiastique, que les individus – chefs d’État, chefs de guerre, ministres, prélats – sont censés faire l’histoire » (id.).
[10] J. Revel (dir.), Jeux d’échelles. La micro-analyse à l’expérience, Paris, Gallimard/Seuil, 1996.
[11] S. Loriga, « La biographie comme problème », dans Jeux d’échelles, op. cit., p. 228.
[12] J. Revel, « La biographie comme problème historiographique », op. cit., p. 474.
[13] C. Capra, I progressi della ragione. Vita di Pietro Verri, Bologna, Il Mulino, 2002 ; G. Panizza et B. Costa, L’Archivio Verri, Milano, Fondazione Raffaele Mattioli per la Storia del pensiero economico, 2 vol., 1997 et 2000.
[14] J. Revel, « Micro-analyse et construction du social », dans Jeux d’échelles, op. cit., p. 10.
[15] Voir la préface de J. Revel, « L’histoire au ras du sol », dans G. Levi, Le pouvoir au village. Histoire d’un exorciste dans le Piémont du XVIIe siècle, trad. de l’italien par Monique Aymard, Paris, Gallimard, 1989, p. I-XXXIII.
[16] C. Ginzburg, Il formaggio e i vermi. Il cosmo di un mugnaio del ’500, Torino, Einaudi, 1976, p. XIX.
[17] J. Revel, « La biographie comme problème historiographique », op. cit., p. 36.
[18] A. Corbin, Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot. Sur les traces d’un inconnu, 1798-1876, Paris, Flammarion, 1998, p. 9 et p. 8.
[19] Ibid., p. 289.
[20] Signalons cependant la richesse des sources notariales exploitées par Jacques Rémy pour apporter un nouvel éclairage sur Pinagot, dans « Partage égalitaire et ventes aux enchères au siècle de Louis-François Pinagot », Ruralia, revue de l’Association des ruralistes français, 3, 1998, http://ruralia.revues.org/62.
[21] A. Corbin, Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot, op. cit., p. 9.
[22] Ibid., p. 7 et 15.
[23] Ibid., p. 289.
[24] Ibid., p. 10.
[25] Compte rendu de l’ouvrage d’A. Corbin, dans Annales. Histoire, Sciences sociales, 2002, 57, p. 241, n. 1, et p. 254.
[26] Pierre Bourdieu, « L’illusion biographique », op. cit., p. 69 et p. 71.
[27] F. Venturi, « Introduzione generale », dans Dal trono all’albero della libertà. Trasformazioni e continuità istituzionali nei territori del Regno di Sardegna dall’antico regime all’età rivoluzionaria, Roma, Ministero per i Beni culturali e ambientali, 1991, t. I, p. 24, cité dans L. Guerci, « Gli studi venturiani sull’Italia del ‘700: dal “Vasco” agli “Illuministi italiani” », dans L. Guerci et G. Ricuperati (dir.), Il coraggio della ragione. Franco Venturi intellettuale e storico cosmopolita, Torino, Fondazione Luigi Einaudi, 1998, p. 205.
[28] S. Bettinelli, Del Risorgimento d’Italia dopo il Mille, Milano, Cavalletti, 1819, I, p. 46. Sur les usages de la biographie au dix-huitième siècle, je me permets de renvoyer à P. Musitelli, « Vers une histoire littéraire unitaire. Usages de la biographie en Italie au XVIIIe siècle », dans Vies d’écrivains, vies d’artistes. Espagne, France, Italie XVIe-XVIIe siècles, M. Residori, H. Tropé, D. Boillet et M.-M. Fragonard (éd.), Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2014, p. 311-326.
[29] F. Venturi, Settecento riformatore. Da Muratori a Beccaria, Torino, Einaudi, 1969, « Prefazione », p. XIII.
[30] Ibid., p. XVI.
[31] « Tutte quelle idee che variamente ostacolarono, colorarono o si legarono più o meno intimamente al sorgere dello stato unitario : conservazione, riforma, costituzione, libertà, democrazia [...] si affermano nel Settecento europeo [...]. Là dobbiamo cercarle, non come precorrimenti di qualche cosa che ancora non era nato, ma come forze che hanno un loro proprio valore e significato e che ci chiariscono il processo del nostro Risorgimento, a condizione di distinguerle storicamente da esso » (F. Venturi, « La circolazione delle idee », dans Rassegna storica del Risorgimento, XLI, 1954, p. 203).
[32] C. Capra, Gli Italiani prima dell’Italia. Un lungo Settecento dalla fine della Controriforma a Napoleone, Roma, Carocci, 2014.
[33] C. Capra, Giovanni Ristori. Da illuminista a funzionario (1755-1830), Firenze, La Nuova Italia, 1968.
[34] C. Capra, I progressi della ragione, op. cit., p. 11.
[35] Ibid., p. 9.
[36] Ibid., p. 10.
[37] Carteggio di Pietro e Alessandro Verri, dans Edizione nazionale delle opere di Pietro Verri, 2e série, vol. VIII, S. Rosini (éd.), Roma, Edizioni di storia e letteratura, 2008, p. 975.
[38] Notamment C. Charle et D. Roche (dir.), Capitales culturelles, capitales symboliques, Paris et les expériences européennes, XVIIIe-XXe siècles, Paris, Publications de la Sorbonne, 2002 ; C. Charle (dir.), Capitales européennes et rayonnement culturel XVIIIe-XXe siècles, Paris, Éditions Rue d’Ulm, 2004.
[39] J. Boutier, B. Marin et A. Romano (dir.), Naples, Rome, Florence. Une histoire comparée des milieux intellectuels italiens (XVIIe-XVIIIe siècles), Rome, École française de Rome, 2005.
[40] M. P. Donato, « Cultura dell’antico e cultura dei lumi a Roma : la politicizzazione dello scambio culturale durante il pontificato di Pio VI », dans Mélanges de l'Ecole française de Rome. Italie et Méditerranée, 104, 1992, 2, p. 503-548.
[41] Carteggio di Pietro e Alessandro Verri dal 1766 al 1797, vol. I-VI (1766-1774), F. Novati, E. Greppi et A. Giulini (éd.), Milano, L. F. Cogliati, 1910-1928.
[42] Carteggio di Pietro e Alessandro Verri, dans Edizione nazionale delle opere di Pietro Verri, 2e série, vol. VII, G. di Renzo Villata (éd.), Roma, Edizioni di storia e letteratura, 2012, p. 77.
[43] J. Revel, Jeux d’échelle, op. cit., p. 35.
[44] J. Revel, « La biographie comme problème historiographique », op. cit., p. 478.
[45] Lettere di Alessandro Verri a Vincenza Melzi d’Eryl (1794- 1816). Edizione e saggio di commento, S. Rosini (éd.), Université de Pavie, 1998, p. 967.
[46] J. Revel, « La biographie comme problème historiographique », op. cit., p. 478.
[47] S. Luzzatto, « Da Silla a Erostrato. Il tema dell’individualità in Pietro e Alessandro Verri », dans Studi settecenteschi, 6, Napoli, Bibliopolis, 1984, p. 204.
[48] G. Ricuperati, « Pietro Verri e il genere della biografia », dans Società e storia, 2002, fasc. 96, p. 381.
[49] F. Venturi, Dalmazzo Francesco Vasco, Paris, Droz, 1940, p. 7.
[50] J. Revel, Jeux d’échelles, op. cit., p. 34.
[51] S. Loriga, compte rendu de l’ouvrage d’A. Corbin, Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot, dans Annales. Histoire, Sciences sociales, 2002, 57, n. 1, p. 241.
[52] P. Boucheron, Léonard et Machiavel, Lagrasse, Verdier, 2008, p. 24.
[53] Ibid., p. 23.
[54] Ibid., p. 147.
[55] Stendhal, La Chartreuse de Parme, Paris, Gallimard, 1972, p. 60. Voir également P. Ricœur, La mémoire, l’histoire, l’oubli, op. cit., p. 361-362.
[56] Carteggio di Pietro e Alessandro Verri, vol. VIII, op. cit., p. 173.
[57] Ibid., p. 1212.
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Pour citer cette ressource :
Pierre Musitelli, Usages de la biographie historique. Le cas italien entre Lumières et Restauration, La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), mai 2015. Consulté le 17/11/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/italien/civilisation/xvie-xixe/les-lumieres/usages-de-la-biographie-historique-le-cas-italien-entre-lumieres-et-restauration