Mauro Bolognini, «La corruzione» (1963)
En 1963 Mauro Bolognini sort La Corruzione.
Depuis 1960 et Il Bell'Antonio, il s'est émancipé de sa fantastique et fructueuse collaboration avec Pasolini. Il faut revoir La Notte Brava par exemple pour réaliser cette influence.
Pasolini, pour sa part, a alors déjà tourné deux films, "Accattone" et Mamma Roma".
De quoi parle le film?
Stefano (Jacques Perrin) veut rentrer dans les ordres, au sortir de ses études. Son père (Alain Cuny), entrepreneur et jouisseur sans scrupule, essaie de l'en dissuader à coup de croisière, soirée et séduction. Il entraîne son fils sur son yacht, avec sa maîtresse (Rosanna Schiaffino) qui s'offrira à lui. Stefano, en bon idéaliste, est désorienté, dégoûté face à ce monde de l'artifice et de la satisfaction immédiate et matérielle.
Il est passionnant de retrouver cette Italie en plein boom économique et de voir en quelque sorte naître les Berlusconis à venir. Ce père richissime est en effet un personnage récurrent du cinéma moderne, et pas seulement italien, à la différence près qu'il ne choque plus grand monde, et que son cynisme est devenu un sentiment répandu. Ici, il est présenté pour ce qu'il est et il nous faut essayer de le voir avec les yeux d'alors. Tout ce qui a pu révolter une génération entière.
Stefano, en Candide, semble, lui, un personnage plus daté et n'en est que plus passionnant. En effet, nul doute qu'un spectateur adolescent d'aujourd'hui va se demander pourquoi Stefano veut embrasser la prêtrise alors qu'il peut avoir tout ce dont il a envie. Le film est donc potentiellement riche en débats et interrogations. Stefano est une proie dans un monde devenu prédateur. A-t-il une chance d'accéder à son idéal ? La pureté a-t-elle encore une place ? On l'a sûrement oublié, mais Pasolini, et Bolognini dans un autre registre, était aussi un moraliste et un visionnaire. Pasolini qui dans son diagnostic visionnaire dénonçait dès les années 60 "les désastreux effets sociaux d'un nouveau fascisme fondé sur la jouissance aliénante de biens matériels superflus", "jouissance aliénante", "biens matériels superflus", de longues heures de perplexité pour les nouvelles générations.
La scène finale est magistrale, muette.
Le film vaut aussi par la beauté. Celle des images, un noir et blanc en cinémascope. Celle des décors, splendides. Celle enfin de Rosanna Schiaffino, ravissante et hypnotique. L'on comprend aisément que Stefano ne puisse résister. Pourtant le personnage d'Adriana ne se résume pas à la séductrice intéressée. Elle a une vraie énergie, une force et une gaité. Si elle aussi est victime du système, elle n'en est pas dupe. Elle a, à sa façon, une morale lucide, une morale de proie qui survit et qui reste debout. Son appétit de vivre l'emporte sur le cynisme ambiant.
Ce film clôt pour son auteur un cycle sur la jeunesse italienne. Bolognini aura ensuite des hauts et des bas. Metello par exemple, sorti en 1970, retrouvera par d'autres biais ce souffle social, avec une esthétique de la couleur qui rejoint la peinture impressionniste.
La Corruzione est donc un film à redécouvrir, et qui peut-être amènera le spectateur à revoir également le Pasolini de cette époque, ce que ne saurait manquer de faire tout cinéphile, ou tout amateur de culture italienne.
Pour citer cette ressource :
Lionel Gerin, "Mauro Bolognini, «La corruzione» (1963)", La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), décembre 2015. Consulté le 05/10/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/italien/arts/cinema/mauro-bolognini-la-corruzione-1963