Les artistes sur le front. La guerre des images entre les « deux Espagne » (affiche, peinture, sculpture, photographie).
La guerre d’Espagne, largement considérée comme la première bataille de la Deuxième Guerre Mondiale, commence à la suite d’un coup d’état lancé par des généraux de droite contre le gouvernement légalement élu de la IIe République espagnole le 17-18 juillet 1936. Il s’agit de la cristallisation des tensions entre droite et gauche qui s’aggravent au fil des années de la République, laquelle lance de nombreuses réformes progressistes à partir de 1931. Ainsi commence le conflit sanglant entre « républicains », un rassemblement idéologique et social hétéroclite, comprenant des sympathisants de gauche, communistes, anarchistes, Catalans, Basques, paysans, travailleurs urbains, intellectuels, la marine et l’armée de l’air, et « nationalistes », une coalition de droite comprenant les officiers de l’armée, l’aristocratie, la bourgeoisie, monarchistes, grands propriétaires terriens, industrialistes, catholiques intégristes et phalangistes (Bohm-Duchen, 2013). Après trois ans de guerre fratricide, le général Francisco Franco mène définitivement ses troupes nationalistes à la victoire, et devient dictateur de l’Espagne jusqu’à sa mort en 1975.
Cette confrontation est certes importante pour ses enjeux politiques, mais aussi du point de vue de l’histoire iconographique de la guerre. En effet, ce conflit nous a laissé des témoignages visuels abondants et innovants, dans la mesure où la propagande multiforme joue un rôle de première importance dans les deux camps. C’est pourquoi nous pouvons parler d’une guerre d’images entre les « deux Espagne », pour utiliser la phrase de l’écrivain républicain Antonio Machado se référant ainsi aux divisions idéologiques et sociales qui aboutissent à la guerre (1997, 98).
À présent, en nous appuyant sur des œuvres multiformes —à la fois des affiches, des photographies, des tableaux et des sculptures—, nous retracerons comment l’art devient une véritable arme pour affirmer les valeurs et la vision du pays que chaque bord défend et promeut dans la guerre d’Espagne. D’abord, nous évoquerons l’émergence d’un art de guerre graphique en Espagne, réalisé largement par des « soldat[s] aritste[s] » (Baudelaire, 1980, 803). Ensuite, nous examinerons comment des artistes ibériques s’impliquent sur un autre front, celui des expositions vitrines à l’étranger. Enfin, nous verrons des représentations de la victoire dans l’Espagne franquiste, et de la défaite dans l’art en exil en France, première destination des réfugiés républicains, à travers lesquelles chaque côté cherche à imposer ou à préserver l’identité du pays qu’il défend.
I- Le développement d’un art de guerre en Espagne
1- La République se repose sur ses « soldat[s] artiste[s] »
Au début du conflit, les deux bords sollicitent l’aide militaire et financière des pays dont les gouvernements partagent leur idéologie, mais ce secours est interdit par le pacte de « Non-Intervention » auquel adhèrent vingt-sept nations européennes en août 1936. Si les alliés probables de la République respectent largement le pacte, à l’exception de l’URSS, qui n’intervient que tardivement, l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste passent outre, en apportant un soutien considérable aux insurgés avec l’envoi de soldats, d’avions et d’armes (Preston, 2007).
Disposant ainsi de ressources matérielles et militaires inférieures à celles du camp adverse, la défense de la République repose largement sur la Culture, un pilier de leur politique et même de l’identité de l’Espagne républicaine dès le départ. Considérées comme un vecteur important de transformation sociale, de nombreuses initiatives culturelles sont mises en œuvre à partir de 1931, comme des théâtres et musées ambulants, et des campagnes d’alphabétisation, qui visent à instruire le peuple et à lui transmettre le riche patrimoine culturel espagnol (Brihuega, 1981, 329).
Pour sa défense, la République compte particulièrement sur l’engagement des artistes et des intellectuels; l’on parle même de leur « responsabilité » à s’engager (Miravitlles, lettre à Picasso, 1936). Ils sont nombreux en effet à soutenir ce gouvernement démocratique qui leur a accordé une place privilégiée. Avec l’aide des associations d’artistes et d’intellectuels, le Ministère de l’Instruction Publique et de la Propagande, et en Catalogne, le Commissariat de propagande géré par la Generalitat, développent une activité culturelle foisonnante, antifasciste et militante, fortement influencée par l’orientation communiste stalinienne qui s’empare du gouvernement en guerre. Ils mettent en œuvre un appareil efficace de propagande écrite et surtout visuelle, destiné à l’intérieur du pays comme à l’étranger. Si cet art de guerre est multiforme, se déclinant entre autres en pancartes, enseignes, monuments sculptés et décors éphémères pour les défilés et les trains, l’affiche se distingue comme l’outil de propagande visuelle le plus répandu à l’intérieur du pays, grâce à sa facilité de reproduction, de diffusion et de lisibilité.
L’un des centres de propagande visuelle les plus importants était le Syndicat des dessinateurs professionnels (SDP) de Barcelone. Il faut souligner que la capitale catalane constituait le centre des arts graphiques du pays, et ce syndicat avait été fondé avant le conflit pour protéger les dessinateurs de publicité des commandes abusives. Puis, le SDP se politise au début des hostilités, et se consacre à la défense de la République. Les dessinateurs mettent désormais les principes de base de la publicité —à savoir, la lisibilité et l’attractivité—, au service de la cause (Fontserè, 1978).
C’est ainsi que des jeunes dessinateurs jusqu’alors apolitiques comme Carles Fontserè, un Barcelonais de 20 ans en 1936, se transforment en propagandistes républicains, dont les affiches circulent dans toute la péninsule. L’une des plus connues est Llibertat !, réalisée à la demande de la Fédération anarchiste internationale (F.A.I.) en 1936. L’affiche montre un paysan aux formes robustes levant la tête et le bras, faucille à la main, poussant un cri, le drapeau rouge et noir de la F.A.I. en toile de fond. L’image souligne son héroïsme et sa force déployés dans la lutte pour la liberté. Le dessin et le message sont clairs et concis, le nombre de motifs réduit, la gamme chromatique vive et limitée. Cette image est emblématique par la forme et le fond du réalisme socialiste, la doctrine officielle de l’URSS dès 1934, ayant pour objectif selon Andreï Jdanov de « représenter la réalité dans son développement révolutionnaire » (Fauchereau, 1987) afin d’inculquer l’idéologie socialiste aux travailleurs. Cette esthétique s’impose progressivement à l’art de la guerre républicain.
En plus de promouvoir l’engagement armé contre la menace fasciste, Fontserè et ses confrères s’adressent également à l’arrière-front. Par exemple, Tot per al Front (1937), montrant une usine en toile de fond et un tracteur conduit par un paysan au premier plan, incite des agriculteurs et des travailleurs industriels à soutenir la guerre avec leur labeur. D’autres affiches vantent les progrès socio-économiques de la République et appellent à la protection du patrimoine de la guerre.
Ensuite, Fontserè et ses camarades partent au front, à la suite de la mobilisation de l’été 1937, où ils continuent leur travail culturel. Ainsi, ils deviennent de véritables « soldat[s] artiste[s] », pour employer le terme utilisé par Charles Baudelaire au sujet de Constantin Guys, lorsqu’il suivait et dessinait « les faits et gestes de ses soldats, tous exprimés minutieusement, au jour le jour » pendant la guerre de Crimée (Baudelaire, 1980, 803). Le livret 10 dibujos de guerra, réalisé en 1937 par Joaquim Martí Bas et Antoni Clavé, deux camarades de Fontserè du SDP qui se retrouvent dans la 31e Division, se situe dans la lignée de l’œuvre de Guys. Chaque « soldat artiste » réalise cinq « dessins vécus » sur le front dans ce livret, figurant des personnages stylisés, réunis dans des compositions dépouillées et compactes. On y retrouve des soldats qui s’instruisent autour d’un livre, ou qui songent sous un ciel étoilé, un courrier à la main. Outre ces scènes qui accentuent l’humanité des troupes républicaines, figurent des images qui soulignent l’altérité et la barbarie des nationalistes. Par exemple, Clavé évoque leur cruauté inouïe envers les populations civiles, par l’image d'une mère et son bébé fuyant, terrorisée, les avions qui circulent dans le ciel (Herold-Marme, 2019). Il est à noter que, pour la première fois en Europe, les populations civiles deviennent des cibles systématiques des bombardements nationalistes lors de la guerre d’Espagne, ce qui choque profondément l’opinion publique internationale.
Les preuves de cette violence choquante perpétrée par les nationalistes contre leurs compatriotes sont diffusées également sous forme photographique. En effet, grâce à des avancées techniques et un accès illimité auprès des troupes républicaines, la guerre d’Espagne est la première à être couverte intégralement par des photojournalistes, ou « reporteros gráficos », comme Agustí Centelles, Endre Ernő Friedmann, alias « Robert Capa », Gerta Pohorylle, alias « Gerda Taro » et David Seymour, alias « Chim ». Un réseau efficace de propagande internationale s’instaure pour faire circuler ces images graphiques, dans l’espoir de rallier le soutien international à la cause républicaine. Cet art de guerre constitue l’un des éléments privilégiés de sa stratégie de défense.
2- Les Nationalistes, contre les « esclaves de Moscou »
Passons maintenant à l’autre bord. À la différence des républicains, les nationalistes jouissent d’un soutien militaire important. Ils accordent moins d’importance à l’art, aux artistes et aux intellectuels que leurs adversaires, favorisant plutôt des impératifs militaires. De leur propre aveu, leur propagande visuelle est moindre, d’un point de vue quantitative et qualitative (Lefebvre, 2013, 22). Néanmoins, ils ont recours à la propagande visuelle tout de même, qu’ils diffusent en Espagne puis à l’étranger.
En Espagne, cette propagande vise à renforcer leurs objectifs militaires en semant la terreur afin de briser le moral et la résistance des populations civiles. Un exemple est un dessin de Pere Pruna publié dans la revue franquiste Destino, et lancé par l’aviation franquiste sur l’arrière républicain pendant l’offensive sur la Catalogne.
Pruna, originaire de Barcelone, vit avant la guerre entre la capitale catalane et Paris, où il fait fortune avec sa peinture en phase avec le « retour à l’ordre » de l’entre-deux-guerres, un courant qui réinterprète l’idéal classique. En 1936, contrairement à la plupart de ses camarades, Pruna délaisse Paris et retourne en Espagne, où il s’enrôle dans l’armée franquiste. Par ailleurs, il travaille dans la section des arts plastiques de la propagande nationaliste en tant qu’illustrateur, où il contribue au développement d’une stratégie visuelle (Miralles, 1998). Très différente de l’esthétique révolutionnaire des républicains, l’iconographie nationaliste est largement religieuse et militaire, et les motifs de prédilection sont les anges, les héros, et les martyrs (Llorente, 1995).
Le dessin de Pruna est emblématique de ces principes. Il montre un ange, rédempteur et vengeur à la fois, muni d’un épi de blé et d’une épée, qui flotte au-dessus d’une mer entourée de montagnes, dans un paysage évocateur de la côte catalane. Devant lui, un personnage portant une tunique, les yeux fermés, les bras levés, sort de l’eau. Dans le ciel, des formes noires ailées et stylisées, ressemblant à des oiseaux mécaniques, entourés d’une lumière intense, volent vers la droite, évoquant la menace des avions qui bombardent la Catalogne. Les nationalistes invitent les Catalans à se rendre, se montrant comme des figures rédemptrices et nourrissantes pour ceux qui se repentissent, mais en rappelant le danger pour ceux qui résistent.
Contrairement à cet exemple qui vise l’intérieur du pays, les images envoyées à l’extérieur cherchent à positionner les nationalistes comme les protecteurs de la civilisation ibérique contre la « terreur rouge ». En effet, ils présentent les républicains comme des esclaves déchaînés d’une mentalité soviétique et athée. Des témoignages graphiques de cette violence sont présents dans presque chaque numéro d’Occident, Le bimensuel franco-espagnol, une revue publiée à Paris par le « Comité intellectuel de l’amitié de la France et de l’Espagne ». Carlos Saenz de Tejada, un peintre nommé chef de la Section graphique de la propagande nationaliste (Cazenave, 2001, 447), se convertit en spécialiste de la « terreur rouge ». Par exemple, La maison outragée, un dessin paru le 25 novembre 1937, représente un appartement saccagé avec le slogan « Viva Rusia, muera España », avec la faucille et le marteau communistes, tracés dans les cendres sur les murs.
Il est vrai que des factions d’extrémistes de gauche perpétuent des actes de violence contre les individus soupçonnés d’être des sympathisants nationalistes en territoire républicain, et contre le patrimoine religieux espagnol. Cependant, ces actes de violence ne sont jamais cautionnés par le gouvernement républicain. Au contraire, celui-ci met en place des programmes pour protéger le patrimoine, autant, voire beaucoup plus endommagé par les bombes incendiaires nationalistes. Néanmoins, la violence et destruction anticléricales est l’un des axes les plus efficaces de leur propagande à l’échelle internationale.
Ils n’hésitent pas non plus à inventer des actes de sauvagerie perpétrés contre des personnalités de droite. Par exemple, ils font circuler à deux reprises la nouvelle mensongère de l’assassinat aux mains des rouges d’Ignacio Zuloaga, éminent peintre vivant entre l’Espagne et Paris depuis la fin du XIXe siècle. Zuloaga était connu dans le monde entier pour sa peinture qui puise dans la tradition picturale espagnole du Siècle d’or, incarnée par des maîtres comme Doménikos Theotokópoulos, connu en Espagne comme « El Greco » (1541-1614), ou Diego Rodríguez de Silva y Velázquez (1599-1660). Par exemple, La naine Doña Mercedes (1899), conservé au musée d’Orsay, s’inspire de Las Meninas (1656), chef d’œuvre de Velázquez. La fausse nouvelle de sa mort est largement diffusée par les réseaux de propagande franquiste, jusqu’à atteindre des revues prestigieuses telles le New York Times (Novo González, 2006, 235).
Zuloaga aurait été incommodé par cette campagne mensongère qui se sert de lui, mais finit par soutenir les nationalistes, et même par devenir leur peintre phare. Nous y reviendrons. Dans un premier temps, il soutient l’Espagne nationaliste par la plume. Son texte, « Un avertissement au Monde », publié dans le premier numéro de la revue Occident, dénonce que « Moscou et ses esclaves d’Espagne se livrent à la […] destruction systématique du trésor » espagnol, entraînant le « dommage irréparable causé par la guerre rouge à [leurs] trésors d’art ». Ses propos sont illustrés par des reproductions d’œuvres d’art de maîtres comme Le Greco qui auraient été brûlées ou « lacér[ées] à coup de couteaux » par les « rouges » (Zuloaga, 1937, 8). Ce texte est diffusé largement en français et en anglais. Cet axe de propagande taxant les républicains d’anticléricaux violents et de destructeurs déchaînés du patrimoine espagnol nuit considérablement à leur image à l’international.
II- Des expositions vitrines : La guerre des images à l’international
L’implication de Zuloaga, qui vit entre Paris et l’Espagne, nous permet de faire la transition vers la prochaine étape de notre étude : la guerre des images à l’international, non dans la presse, mais sous forme d’expositions internationales, un autre champ de bataille important. En effet, de nombreux artistes espagnols résident à Paris depuis bien avant l’éclatement de la guerre en 1936 pour profiter des opportunités de formation, exposition et promotion sans pareil dans la capitale des arts. Ils sont nombreux à se retrouver sur ce front. Bien qu’ils soient largement apolitiques avant 1936, comme leurs confrères restés en Espagne, ils s’engagent massivement à partir du début de la guerre, notamment, dans de grandes expositions vitrines tenues à l’étranger.
1- Un art moderne sur le devant au Pavillon espagnol de l’Exposition Universelle de 1937
La plus célèbre de ces manifestations phares est le Pavillon espagnol de l’Exposition Internationale des arts et techniques dans la vie moderne, communément appelé l’Exposition Universelle de 1937, tenue à Paris. Malgré la guerre, l’Espagne républicaine répond présente, reconnaissant une occasion unique de plaider sa cause devant un public international. Le pavillon moderniste, conçu par les architectes Josep Lluis Sert et Luis Lacasa, abrite plusieurs expositions, dont une qui est consacrée à la peinture et à la sculpture (Alix, 1987).
Si la plupart des œuvres exposées sont envoyées depuis la péninsule, le gouvernement républicain passe commande pour des œuvres destinées aux meilleurs emplacements auprès de plusieurs Espagnols résidant à Paris, dont Julio González, Joan Miró et Pablo Picasso. Ce dernier est le premier à recevoir la commande de Josep Renau, artiste communiste nommé directeur des Beaux-Arts, pour une peinture monumentale vouée à être la pièce maîtresse du pavillon. Si Zuloaga est l’artiste phare des nationalistes, les républicains veulent que Picasso, qui jouit d’un renom international et d’une fortune considérable en 1936, s’associe à leur côté.
Bien que sympathisant de gauche, Picasso est apolitique avant la guerre. Par ailleurs, il vit à Paris depuis plus de trois décennies. Pour éveiller son patriotisme, la République le nomme directeur du musée du Prado. Ce geste honorifique constitue la première reconnaissance officielle de l’État espagnol envers Picasso, considéré jusqu’alors comme trop radical. Il fait son effet : ému, Picasso voue son adhésion enthousiaste à la cause, puis accepte la commande pour le Pavillon (Tusell, 1999).
Comme pour les affiches, les organisateurs du pavillon préconisent des œuvres réalistes et révolutionnaires, centrées explicitement sur la guerre (Alix, 1987, 28), comme Madrid 1937 (Aviones Negros), de Horacio Ferrer. Ferrer représente un groupe de femmes en composition pyramidale devant un paysage urbain en ruines. La figure centrale, dont le sein nu et l’enfant à ses côtés au poing levé rappellent Le 28 juillet : La Liberté guidant le peuple d’Eugène Delacroix, menace avec son poing serré le ciel où circulent les avions ayant détruit le village. Le dynamisme et le courage de ces jeunes femmes contrastent avec la vieille dame affaissée située derrière ce groupe, les mains jointes comme si elle priait. Plutôt qu’une victime supplémentaire, nous pouvons voir une image de l’Espagne réactionnaire et faible des nationalistes.
Picasso réalise deux œuvres pour le Pavillon. Il se met dès janvier 1937 à la réalisation de son eau-forte Songe et mensonge de Franco, deux planches (I et II) de neuf vignettes chacune, montrant un Caudillo déformé en monstre ubuesque perpétrant des atrocités contre des symboles du peuple et de la culture espagnols. En revanche, Picasso peine à trouver un sujet approprié pour sa peinture. En avril, il réalise quelques dessins préparatoires sur le thème de L’Atelier : Le peintre et son modèle, puis abandonne, insatisfait.
Il trouve enfin son inspiration lorsque la ville basque de Gernika est bombardée le 26 avril 1937, par la Légion Condor allemande et l’aviation fasciste italienne, avec l’aval des nationalistes. D’une grande importance symbolique pour les Basques, la ville n’avait aucun intérêt militaire. Cet acte de cruauté, perpétré un jour de marché pour atteindre un maximum de victimes, illustre la sauvagerie des nationalistes et le non-respect flagrant du pacte de non-intervention. Après des mois d’hésitation, Picasso se lance dans Guernica, son chef d’œuvre monumental. Son processus créatif est soigneusement documenté par de nombreux dessins préparatoires et les photographies de Dora Maar, sa compagne.
L’œuvre, qui synthétise quarante ans du génie créateur de Picasso, déploie la tragédie humaine et la dévastation matérielle du bombardement par des motifs empruntés à des sources diverses comme l’iconographie chrétienne, la culture espagnole, sa vie personnelle, et la propagande photographique. Par exemple, le taureau et le cheval renvoient à la tauromachie, fête nationale espagnole, dont Picasso était un grand aficionado. La femme à l’enfant mort évoque la Pietà, la Vierge tenant le Christ mort sur ses genoux, alors que l’attitude des femmes qui hurlent rappelle la Mater dolorosa, la Vierge de douleur qui pleure la mort de son fils. Le noir et le blanc utilisés renvoient aux photographies des atrocités qui abondent dans la presse.
La polysémie des motifs choisis contribue à la grandeur de l’œuvre, tout comme le fait que Picasso ne fige pas la scène dans le temps ou l’espace. Cette ambiguïté contribue à sa portée universelle. Enfin, le style cubo-surréaliste qui déforme et défigure les motifs est en adéquation avec le sujet du bombardement, et permet d’accentuer la confusion et la violence inhérente à la scène. Picasso ajoute une dimension politique indéniable à son œuvre, mais sans tomber dans le dogmatisme. Tout cela explique pourquoi elle devient une icône universelle par la suite.
Or, Guernica n’est pas appréciée par les commanditaires, qui préfèrent largement la Montserrat de Julio González, exposée à l’entrée du Pavillon. En 1937, González, un ami catalan de Picasso installé à Paris depuis 1900, commence enfin à se forger un nom grâce à sa sculpture en fer, avec laquelle il arrive à « dessiner dans l’espace » (González, 1931-2). Alors qu’il penche initialement pour Femme au miroir (1937), une sculpture en fer aux formes élancées qui semble abstraite, il finit par exposer la Montserrat. Cette sculpture en fer réaliste, grandeur nature, montre une paysanne debout, tête levée, faisant un pas vers l’avant d’un air déterminé, tenant une faucille dans une main, son enfant dans l’autre, comme un bouclier. Le titre, un prénom catalan typique, renvoie à un haut lieu spirituel et symbolique pour la région. Cette œuvre est saluée par les commanditaires pour avoir incarné dans une forme lisible le courage et la combativité du peuple catalan en proie à l'attaque. En revanche, l’utilisation par Picasso d’une esthétique avant-gardiste, considérée comme élitiste et hermétique, n’enchante guère les commanditaires, qui regrettent par ailleurs son pessimisme.
En dépit des controverses autour de ces œuvres qui défient le diktat du réalisme socialiste, des critiques avisés et engagés comme Jean Cassou, Christian Zervos, Paul Éluard ou José Bergamín saluent les efforts de Picasso. Ils trouvent son style avant-gardiste et sa liberté créatrice en adéquation avec la liberté et le progressisme réclamés par l’Espagne démocratique. Il s’agit de l’événement culturel le plus médiatisé et le plus prestigieux qu’a organisé par la République pendant les années de guerre.
2- Défendre « l’Espagne catholique » sur la scène internationale
Ne bénéficiant pas de pavillon, l’Espagne dite « catholique » est tout de même représentée à l’Exposition universelle par une œuvre accrochée au pavillon du Vatican. Il s’agit de l’Intercession de Sainte Thérèse de Jésus dans la Guerre civile espagnole (Llorente, 2000, 63) du peintre-décorateur catalan Josep María Sert. Sert, appelé un « baroque moderne » par Guillaume Apollinaire, fait fortune à Paris avec ses ensembles décoratifs, qui se caractérisent par la mise en scène, le mouvement et le spectacle, ainsi qu’un travail sur l’espace qui joue avec la perception du spectateur. Dans ce retable monumental, Sert met ce style au service des nationalistes. Au centre, figure Sainte-Thérèse, devenue le symbole du soutien divin à leur cause depuis la découverte d’un reliquaire contenant sa main gauche lors de la conquête de Málaga. Debout sur une colline, comme si elle était montée sur scène, la sainte est soutenue par des évêques et encadrée par une lumière divine rayonnante. Elle tend le bras vers le Christ sur la Croix, qui descend du ciel dans une ligne diagonale pointue, créant un trompe-l’œil typique de l’art de Sert. Plus bas sur la colline, couverte de crucifix, s’allongent les martyrs nationalistes. Au loin, à droite, une cathédrale est en flammes.
L’exposition de ce tableau intervient alors que l’Espagne franquiste essaie de fédérer l’opinion internationale catholique à sa cause et de se faire reconnaître officiellement par le Vatican (Basilio, 2014). En plus d’accentuer le sentiment de drame et de théâtralité de la scène, ces procédés stylistiques issus de l’art baroque, courant de la contre-réforme par excellence, renvoient au Siècle d’Or, l’apogée de l’Espagne impériale et catholique. Ce retable cherche à représenter les nationalistes comme les défenseurs de cette Espagne catholique contre les « rouges », dont la sauvagerie est soulignée par la cathédrale en flammes.
Ignacio Zuloaga, qui a diffusé par la plume cette même notion des « rouges » destructeurs et infidèles, prête également son pinceau à la cause dans des œuvres comme Alcazar en flammes et Tolède en flammes (1938). Dans les deux tableaux, la guerre s’inscrit dans le paysage castillan, dans la continuité de son œuvre précédente et de celle du Greco. Dans les deux œuvres, ce paysage aride et rocheux, emblématique de l’âme espagnole, prend la place centrale, occupant les deux tiers de la composition, sous un ciel nocturne tourmenté. Au sommet, se situe Tolède, engouffré dans des nuages de fumée, indiquant que la ville est en flammes. L’œuvre renvoie à la prise de Tolède par les nationalistes en septembre 1936. En tant que première ville prise par les chrétiens dans la reconquête de l’Espagne contre les Maures en 1085, Tolède revêt une énorme importance symbolique. La prise de la ville permet aux nationalistes de réaffirmer leur lutte comme une « guerre sainte » contre les infidèles « rouges ». La libération de Tolède devient l’un des mythes fondateurs de l’Espagne nationaliste et aide par ailleurs à solidifier l’autorité de Franco, qui détourne ses troupes sur le chemin de Madrid pour « libérer » cette ville mythique, mais sans aucune importance stratégique (Llorente, 2000). Ces œuvres sont exposées à la Biennale de Venise de 1938, l’exposition principale de l’Espagne franquiste en guerre, où Zuloaga, lauréat du prix Mussolini, est consacré comme le peintre phare du régime. Dix tableaux de Pruna sont également exposés à cette occasion. Il arrive à Venise habillé en uniforme militaire, montrant sa fierté d’être un « soldat artiste » (Miralles, 1998).
Ces grandes expositions vitrines en dehors de l’Espagne mettent en avant les œuvres des Espagnols les plus prestigieux qui promeuvent les valeurs de chaque camp. Du côté nationaliste, on retrouve une iconographie catholique et militaire, et une esthétique enracinée dans la tradition picturale du Siècle d’Or. De l’autre côté, en dépit de la prédilection pour le réalisme socialiste, les œuvres phares du Pavillon républicain de l’Exposition universelle de 1937, réalisées par des pro-républicains prestigieux, comme Picasso et Miró, gardent leur liberté créatrice, et mettent leur esthétique avant-gardiste au service de l’Espagne moderne et démocratique. Ainsi, l’art véhicule les deux visions distinctes de l’identité hispanique.
III- L’art de la victoire, l’art de la défaite
1- L’art de l’Espagne franquiste victorieuse
Le 1er avril 1939, c’est l’Espagne nationaliste qui triomphe. Après la victoire, c’est l’heure de la consolidation du pouvoir et de l’identité de la nouvelle Espagne par tous les moyens, y compris les arts. Les créateurs de talent ayant soutenu la cause, comme Zuloaga, Pruna et Sert, récoltent les fruits de leur loyauté avec des expositions et des commandes prestigieuses.
Les portraits du dictateur, dans une variété de lieux et de poses, constituent la principale manifestation de l’art après la guerre (Llorente, 1995). Le culte du Caudillo vise à compenser l’absence d’une idéologie franquiste unanime, et à rassembler les factions de droite. Zuloaga se prête à l’exercice en 1940, inscrivant le Caudillo dans son paysage castillan de prédilection, inspiré du Gréco, sous un ciel nuageux et turbulent. Portant le béret rouge carliste, la chemise bleue phalangiste et un pantalon et bottes militaires, et entouré d’un énorme drapeau jaune et rouge de la nouvelle Espagne, Franco est représenté à la fois comme chef de l’armée, de l’État, et des factions rivales de droite. Ce message d’unité inscrit visuellement le dictateur dans la tradition du Siècle d’or (Basilio, 2014).
Quant à Sert, il bénéficie d’un autre volet de l’art franquiste, à savoir la reconstruction de monuments détruits par les « rouges ». A ce titre, il reçoit la commande de décorer la chapelle de l’Alcázar de Tolède, et réalise trois esquisses en 1943 au sujet de La Défense de l’Alcázar. Vers la Victoire et La Vierge de l’Alcázar de Tolède (Llorente, 2000, 62 et 64) ont recours aux mêmes procédés stylistiques issus du baroque pour donner un sens théâtral, dramatique et foisonnant aux faits qui se veulent héroïques. Dans la première, Sert réemploie le Christ en trompe-l’œil qui indique le chemin vers la victoire aux soldats nationalistes traversant un pont. La Vierge de l’Alcázar de Tolède représente des troupes franquistes massées à l’intérieur, et montées sur les murs de la forteresse en ruines. Au milieu, une Vierge monumentale abrite des soldats agenouillés dans les plis ondulants de son voile massif, soulignant la foi des martyrs de l’Espagne catholique, qui bénéficient de sa protection divine.
Sert n’aura pas le temps de réaliser ces décors. Il décède en 1945, tout comme Zuloaga, laissant l’Espagne franquiste sans ses peintres phares. Un art académique et conservateur, largement orienté vers les thèmes religieux et folkloriques, domine la scène espagnole de l’après-guerre, à l’image du régime réactionnaire au pouvoir.
2- L’art de la défaite et de l’exil
En ce qui concerne l’art de la défaite républicaine, nous évoquerons d’abord l’art de l’exil, réalisé par des « soldat[s] artiste[s] » obligés de se réfugier en France en 1939, puis la création plastique des pro-républicains ayant vécu la guerre à Paris.
Commençons par l’art de l’exil à proprement parler. L’une des particularités de la guerre d’Espagne réside dans le fait que la victoire militaire ne suffit pas à Franco. Son but était d’éradiquer complètement l’idéologie républicaine par une répression féroce sur la population, pendant et après la guerre. La loi du 9 février 1939 dite « des responsabilités politiques » rend illégale toute participation à la vie politique républicaine depuis octobre 1934, ou toute opposition, concrète ou passive, à son mouvement national depuis février 1936. Ceux qui sont jugés coupables par des tribunaux d’exception risquent la prison, les travaux forcés et souvent l’exécution (Dreyfus-Armand, 1999).
Cela explique pourquoi les « soldat[s] artiste[s] » comme Clavé, Martí Bas et Fontserè, se retrouvent dans les rangs de la Retirada, l’exode massif d’un demi-million d’Espagnols en France entre fin janvier et début février 1939, à la suite de la chute de la Catalogne qui sonne le glas pour la République. Considéré par le gouvernement français d’Édouard Daladier comme des immigrés « indésirables », les ex-combattants sont parqués dans des camps d’internement improvisés dans les terres marécageuses du Sud-Ouest. Les conditions sont déplorables, les vivres insuffisants et l’hygiène problématique (Dreyfus-Armand et Temime, 1995). A Argelès-sur-Mer, l’un des camps principaux, les Espagnols doivent construire leurs baraquements eux-mêmes. Le « soldat artiste » Antonio Rodríguez Luna capte le désespoir et l’humiliation des internés dans son eau-forte Espagnols confinés dans le camp de concentration d’Argelès-sur-mer. Au premier plan, un cheval mourant côtoie un homme assis démoralisé. Derrière lui, un personnage sinistre, une sorte de faucheuse, les guette. À l’arrière-plan, une marée humaine s’abrite tant bien que mal dans le sable, sous un ciel turbulent. La scène est apocalyptique.
Quant à Fontserè et Clavé, ils se retrouvent aux « Haras », d’anciennes étables, aménagés en camp transitoire. Ils se remettent vite au dessin, réalisant des portraits des camarades, des gendarmes et des gardiens sénégalais. Au-delà des quelques sous qu’ils gagnent, cette activité est emblématique de la vie culturelle qui se développe dans les camps, comme moyen de s’occuper, de préserver son identité et de poursuivre la lutte. En ce qui concerne Fontserè et Clavé, leurs dessins au sujet de l’exode leur permettent même de quitter leur camp. Ces œuvres parviennent jusqu’à Marie Martin, une galeriste à Perpignan. Cette dernière se joint au peintre Martin Vivès et un prêtre catalan pour solliciter auprès de la préfecture la sortie des artistes du camp (Fontserè, 2004).
Tous deux poursuivent la thématique de l’exil une fois arrivés à Paris, une ville pourtant interdite aux « asilés » espagnols. Fontserè réalise Exode de Catalogne (1939), une lithographie à l’encre rouge qui montre trois figures enveloppées dans des couvertures, disposées en forme pyramidale, s’éloignant d’une église à l’architecture espagnole, sous un ciel nuageux. Les formes affaissées des figures latérales contrastent avec la droiture de la figure centrale qui avance dans une attitude héroïque, tête levée, vers l’avenir. Fontserè représente aussi des ex-combattants, par exemple dans Réfugiés (1939). Trois soldats dans un piètre état —jambe de bois, yeux bandés, enveloppés dans des couvertures aux couleurs du drapeau français— franchissent la frontière, signifiée par des poteaux couverts de barbelés. Contrairement à la première, cette œuvre est entièrement tournée vers la défaite.
Des œuvres sur le thème de l’exil sont fréquents chez les réfugiés. Faciles à commercialiser, comme les œuvres aux sujets folkloriques, ils répondent certainement, au moins en partie, à un besoin de survie dans un contexte hostile. Mais ces artistes réalisent aussi des expressions plus personnelles de l’exil et de la défaite. Par exemple, Coquille-plage (1939) de Clavé est un assemblage des matériaux et objets trouvés, naturels ou fabriqués, mêlant couleurs et textures. Au centre, se retrouve un coquillage qui repose sur un fond de sable, entouré de morceaux de carton polychromes. Il s’agit d’une évocation innovante de sa ville natale au bord de la mer, réalisée au contact des avant-gardes parisiennes. Il en est de même pour Hommage à García Lorca (1939), une sculpture en bois de Baltasar Lobo, autre « soldat artiste » exilé qui se retrouve à Paris après un passage par les camps. Elle représente une guitare dont les plans sont décomposés en courbes gonflées, montrant une influence nette du cubisme. La guitare renvoie à l’univers littéraire de Federico García Lorca, poète progressiste, assassiné par les nationalistes au début de la guerre. Bien que Lobo abandonne l’esthétique réaliste et révolutionnaire des illustrations qu’il réalise pendant la guerre, notamment pour la revue anarchiste Mujeres libres, co-fondée par sa femme, Mercedes Guillén, cette œuvre montre qu’il continue à défendre et faire vivre l’Espagne républicaine par ses œuvres.
Une fois à Paris, Clavé et Lobo intègrent le milieu des Espagnols modernes et pro-républicains qui, sous l’égide de Picasso, accueillent et aident les exilés d’un point de vue matériel, logistique et administratif. Nombreux à avoir participé au Pavillon espagnol de 1937, ils continuent à exprimer leur désarroi face à la défaite, le plus souvent par une esthétique moderne ou avant-gardiste, et de manière allégorique. À partir du début de la guerre d’Espagne, Picasso, González, et d’autres compatriotes prennent l’habitude de dater leurs œuvres en indiquant le jour exact. Cela permet de mettre leur création en rapport direct avec la guerre. Par exemple, dans Femme assise au fauteuil gris de Picasso, daté du 1 avril 1939, un personnage féminin cubo-surréaliste aux tons gris sobres, pousse un cri de désespoir devant la perte de l’Espagne républicaine, qui cesse définitivement d’exister ce même jour. Picasso continue à avoir recours à la Mater dolorosa, l’un de ses motifs de prédilection face à la guerre.
Quant à Julio González, il perpétue le motif de la paysanne catalane par le biais de la sculpture et du dessin, de manière réaliste ou abstraite. En revanche, alors que la Montserrat présentée au Pavillon de 1937 est courageuse et combattante, les paysannes réalisées autour de la défaite républicaine, puis pendant la Deuxième guerre mondiale, sont des femmes terrifiées qui hurlent de désespoir, par exemple, dans le dessin Le cri, daté du 25 mars 1939, quelques jours avant la défaite. L’un des exemples les plus poignants s’agissant de sculpture est Masque de Montserrat criant (1938-39), où la souffrance de la paysanne hurlante est réduite à l’essentiel. Dans un fer rugueux, aux contours déchiquetés, les vides à la place des yeux et la bouche qui crie expriment de manière crue et poignante la perte de la Patrie. González se sert de ce motif évocateur de son pays pour incarner la souffrance de l’Europe entière aux mains du fascisme jusqu’à sa mort prématurée en 1942. L’utilisation d’une iconographie espagnole et un style avant-gardiste pour capter l’angoisse et la violence de l’époque est partagé par d’autres artistes pro-républicains à Paris, entre autres, Joan Miró, Luis Fernández, Oscar Domínguez et Ismael González de la Serna.
Alors que ces artistes pro-républicains à Paris sont contraints à garder profil bas sous l’Occupation, ils poursuivent la lutte dans l’après-guerre à travers une série d’expositions antifranquistes médiatisées qui se répand de Paris à Prague (Herold-Marme, 2018). La modernité des œuvres exposées, contrastant fortement avec le caractère traditionnel et conservateur des œuvres promues dans l’Espagne franquiste à la même époque, vise à préserver la culture et l’identité progressistes de l’Espagne républicaine. Ces expositions, qui reçoivent l’attention de la presse et des visites des personnalités françaises et internationales, contribuent à un climat antifranquiste si fort que la France décide la fermeture de la frontière franco-espagnole pendant presque deux ans à partir de mars 1946. Cet élan est coupé ensuite par la guerre froide, qui permet à Franco de se positionner en allié de la lutte anti-communiste, et à l’Espagne de réintégrer la scène internationale. Sa dictature répressive perdurera sans menace extérieure significative jusqu’à sa mort en 1975.
Les séquelles de la guerre et la dictature franquiste ont fortement marqué la société espagnole, bien au-delà de la transition à la démocratie à partir de 1975. Aujourd’hui, les œuvres de Zuloaga, Sert et Pruna promouvant les valeurs de ce régime ont largement disparu de la circulation, alors que Guernica est considérée comme un trésor national. Cette icône universelle du pacifisme et antitotalitarisme est admirée par des millions de visiteurs chaque année au Musée National Centre d'Art Reine Sofía, ainsi que les œuvres engagées de González, Ferrer, Miró et bien d’autres pro-républicains. Si elle a perdu le conflit militaire, l’Espagne républicaine a gagné tout de même la guerre des images.
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Pour citer cette ressource :
Amanda Herold-Marme, Les artistes sur le front. La guerre des images entre les deux Espagne (affiche, peinture, sculpture, photographie)., La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), mai 2020. Consulté le 11/11/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/espagnol/civilisation/histoire-espagnole/guerre-civile-et-dictature/les-artistes-sur-le-front-la-guerre-des-images-entre-les-deux-espagne-affiche-peinture-sculpture-photographie