Préface à l'attention des professeurs
Jean-Pierre Gabilan
Maître de Conférences en linguistique anglaise
Université de Savoie
Chambéry
Il y a la Grammaire, avec un grand « G »… et il y a les « grammaires », c’est-à-dire les ouvrages dans lesquels le ou les auteurs tentent de rendre compte des principes de fonctionnement de telle ou telle langue, et ce avec plus ou moins de bonheur. La Grammaire, elle, est forcément parfaite ; sans perfection, sans organisation systématique, il n’y aurait tout simplement pas de langue possible, pas de langue apprenable. Quant aux livres de grammaire, parfois l’émanation d’une théorie linguistique particulière, il appartient aux lecteurs avisés de les juger et d’adopter ou non les points de vue qui sont présentés.
La langue anglaise est sans doute la langue qui fait l’objet du plus grand nombre de publications, ce qui ne signifie pas pour autant que les publications en question viennent à bout de la tâche fixée, qui est d’expliquer de façon claire et convaincante comment fonctionne l’anglais. Certes, les choses ont évolué depuis le milieu du 20ème siècle en ce qui concerne la présentation du fait grammatical et les travaux de certains linguistes y ont largement contribué. Mais la tradition perdure avec son lot de contre-vérités, comme insensible à toute découverte qui viendrait mettre en péril l’édifice pourtant bien fragile qui avait été érigé : les « actions », qu’elles soient habituelles ou en cours, les « pas de futur après when », la règle des centimètres pour this et that, les verbes qui « ne se mettent pas à la forme progressive »… autant de recettes qui égarent l’élève mais qui sont toujours bel et bien présentes dans les manuels d’enseignement ou dans les livres de grammaire à destination du grand public. Il ne peut y avoir la Grammaire des natifs et celle qu’on apprend à l’Ecole. Il ne peut y avoir la Grammaire pour les professeurs, celle qui fait en principe partie du bagage de l’angliciste qui enseigne, et celles des élèves et des QCM que l’on propose souvent comme seuls instruments de mesure du savoir grammatical. Avec les instructions officielles de Collège de 1985 était né le concept de Pratique Raisonnée de la langue « […] par le truchement de la Pratique Raisonnée de la Langue l’élève est amené à exercer sa réflexion sur les grands principes de fonctionnement de l’anglais et la maîtrise de sa langue maternelle s’en trouve renforcée. ». Près de trente ans plus tard, il ne reste plus grand chose des espoirs nés de l’annonce de cette PRL dans les classes. Sans doute parce qu’en 1985 peu de professeurs en poste avaient une conscience claire de ce que pouvaient être les « grands principes de fonctionnement de l’anglais », et leur hiérarchie ne semblait guère plus avancée. Ce concept de PRL a pourtant beaucoup fait parler de lui. Moult réunions pédagogiques et stages de formation ont eu pour thème central cette PRL. Mais la seule pédagogie, sans qu’elle repose sur une connaissance grammaticale poussée, reste inefficace. Certes, les étiquettes ont changé. Si la « forme progressive » a disparu – ou presque car des foyers infectieux demeurent – au profit de be+ing, il n’est pas du tout assuré que les fondements théoriques, eux, aient changé. Le contenu grammatical d’ouvrages publiés en France à l’aube des années 1930 est quasiment identique à ce que l’on peut lire au début du 21ème siècle dans la plupart des manuels d’enseignement. Au nom du « ludique » et des « il faut simplifier pour les élèves » on a tout simplement continué de rendre la tâche difficile aux élèves… sans imaginer un instant que le type de grammaire présenté est en rupture totale avec le véritable fonctionnement de la langue, et que, si l’enseignement de l’anglais reste un échec dans notre pays les causes n’en sont pas uniquement dans l’inappétence des élèves face à l’anglais et à toute forme de travail. Quand des lycéens disent avoir des problèmes avec les « temps » de l’anglais, le pluriel même qu’ils emploient est révélateur de l’inadéquation des explications qui leur ont été imposées.
Le défi auquel ont à faire face les professeurs est double : il leur faut d’abord comprendre la Grammaire de l’anglais, comprendre ce que sont ces « grands principes de fonctionnement de l’anglais » souvent évoqués mais trop rarement exposés, puis, après avoir bien assimilé eux-mêmes le fonctionnement du système, mettre en place des stratégies de présentation du fait grammatical dans leurs cours. Il s’agit donc de comprendre pour enseigner, de comprendre et ensuite enseigner (voir Comprendre et enseigner be+ing). Certes, la tâche n’est pas moindre car dès qu’on se pose des questions, tout pose problème !
Mais là est le rôle du professeur, à condition d’avoir bien entendu une haute idée de ce rôle qui ne peut se borner à présenter des règles plus qu’approximatives suivies d’exercices qui le seraient tout autant. Il y a bien mieux à mettre en place.
Le précis grammatical qui est présenté ici est à la fois ambitieux et raisonnable, mais sans concession. Il est volontairement « linguistique » en ce sens qu’il repose sur des fondements théoriques dont la pertinence n’est plus à prouver. Les élèves pourront, avec l’aide de leurs professeurs, en appréhender le contenu, à condition toutefois que les têtes de pont, les fondements même de tout édifice grammatical, soient bien installées. Si le professeur doit avant tout rompre lui-même avec une tradition grammaticale dont il sent bien qu’elle ne convient pas mais dont il s’accommode encore pour la salle de classe, rien ne presse. L’adage selon lequel on ne peut expliquer, décrire, que ce qu’on a bien compris soi-même reste de mise. Il n’y a pas urgence à vouloir tout remettre à plat. Mais il faut quand même un jour franchir le pas. La bibliographie qui suit donnera aux professeurs désireux de parfaire leur formation grammaticale de quoi se forger des outils d’analyse.
Bibliographie
Ouvrages de grammaire
Adamczewski, H. et Gabilan, J.-P., (1996), Déchiffrer la grammaire anglaise, Paris, Didier.
Gabilan, J.-P., (2006), Grammaire expliquée de l’anglais, Ellipses.
Gabilan J.-P., (2020), Grammaire expliquée de l'anglais, 2ème édition. Ellipses.
Ouvrages généraux
Adamczewski, H. (1991), Le Français déchiffré, clé du langage et des langues, Paris, Armand.
Articles
Gabilan, J.-P, (2007) "Comprendre et enseigner Be+ing", La Clé des Langues
Gabilan, J.-P, (2007) "Le temps ne fait rien à l’affaire", Les langues Modernes, numéro de juin.
Pour citer cette ressource :
Préface à l'attention des professeurs, La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), avril 2012. Consulté le 27/12/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/anglais/langue/precis-de-grammaire/preface-a-l-attention-des-professeurs