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Conditions de vérité et stéréotypes dans les généralisations sur les sujets humains

Par Ismaël Zaïdi : Doctorant en linguistique - Université Grenoble Alpes
Publié par Marion Coste le 19/10/2023

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[Fiche] Cet article a pour objectif de dépasser les études classiques sur les conditions de vérité des généralisations et ainsi de mettre en lumière ce qui se joue lorsque sont pris en compte les sujets humains et les stéréotypes qui leur sont associés. Nous partons d’un état de l’art qui nous mène à examiner les conséquences sémantiques de l’ajout de l’adjectif ((typical)) aux groupes nominaux dans les généralisations. Nous cherchons à examiner la notion de ((vérité)) afin de considérer sa pertinence lorsque l’on envisage les sujets humains, qui sont intrinsèquement marqués par la diversité. Nous nous demandons si de telles généralisations sont compatibles avec les conditions de vérité, qui forment le cœur de la recherche sur le générique.

Article réalisé dans le cadre du diplôme de l'ENS.

Introduction

Au contraire de la référence générique stricte (qui n'admet pas d'exceptions, comme dogs are mammals), les généralisations (aussi appelés « characterizing sentences ») sont sujettes aux exceptions : « Characterizing sentences express ‘principled’ generalizations over the entities of a class, and do not capture mere ‘accidental’ facts about them » (Krifka et al. 1995 : 44). Il est important de prendre en compte les différents degrés d'exception : mosquitoes carry the West Nile virus (on estime que seul 1% des moustiques sont porteurs du virus du Nil occidental [Leslie 2008 : 2]) admet beaucoup plus d'exceptions que ducks lay eggs, qui n'inclut dans la généralisation que les canes et exclut les canards. Pourtant, ces deux énoncés pris distinctement sont habituellement acceptés comme étant vrais. Comment expliquer cela, puisque que l'un ne fait référence qu'à une très maigre partie de la classe et que l'autre exclut tous les mâles ?

Cette question a donné lieu à un certain nombre d’études, qui ne sont pas parvenues à rendre compte de l'ensemble des conditions qui rendent une généralisation vraie ou fausse. La plupart reposent sur des « conditions de vérité », c’est-à-dire qu’elles évaluent la quantité pour quelqu’un qui serait omniscient. Or, de telles théories se retrouvent la plupart du temps confrontées à des exemples qui les remettent en cause. Par exemple, certaines approches ne parviennent pas à prédire comme faux certains énoncés qui le sont pourtant intuitivement, comme « books are paperbacks », que l’on sait faux malgré la prédominance des livres de poche (Leslie 2008) ; nous développerons ce point. La recherche sur les conditions de vérité s’est principalement concentrée sur les sujets non-humains (animaux, plantes) ; seuls Radden (2009) et Gardelle (2023) ont inclus de telles considérations, en mettant en place une réflexion sur la spécificité des noms humains. Si certaines études mentionnent des sujets humains, elles n'y accordent pas de réelle importance.

Or, inclure de tels noms permet de sortir d'une vision binaire énoncé générique vrai / faux pour aller vers la perception des conditions de vérité ; le générique appliqué aux noms humains renvoie à ce qui est perçu comme étant vrai et pouvant être élevé au rang d'énoncé généralisant. Ainsi, un énoncé comme Americans are hardworking peut être jugé vrai par tel énonciateur, alors que tel autre pourra affirmer sans hésitation Americans are lazy. Dans les études traditionnelles, les énoncés pris pour exemple occultent la présence de l’énonciateur ; par exemple, ducks lay eggs, très souvent repris, ne découle que de l’observation scientifique de la manière dont se reproduisent les canards. Il serait aberrant d’imaginer un énonciateur contester cette affirmation en disant ducks give birth to live young, parce qu'il n'est pas ici question d'opinion : l'observation biologique est fondée sur la logique d'un monde appréhendé à travers des règles naturelles établies. La présence de l’énonciateur et la dimension subjective sont au contraire prégnantes dans les généralisations sur les sujets humains, pour lesquels les génériques de reproduction sont rares. Il s’agit plutôt de généralisations en lien avec des comportements sociaux : « Humans have, in addition to lower-order properties, higher-order properties such as intelligence, emotions, morality, etc. » (Radden 2009 : 313).

L’objectif de cet article est de mettre en lumière la manière dont s’établit le passage de l’étude des conditions de vérité des généralisations plutôt classiques (nous nous appuierons ici sur la recherche consacrée à des exemples régulièrement cités dans les études, sur les oiseaux, les moustiques, etc.) à la perception subjective de ces conditions, particulièrement évidentes lorsque les généralisations sur les humains sont prises en compte. J’utiliserai dans cette perspective les notions de stéréotype, qu’il s’agira de définir en lien avec les généralisations, et de restriction des généralisations, en voyant ce qu’apporte l’ajout d’un adjectif comme typical au sein d’un groupe nominal (le nom et ses constituants). Le typique induisant d’emblée l’expression d’un comportement stéréotypé (le Français typique, un soldat typique, les professeurs typiques, etc.), comment s’exprime la prétendue vérité d’une telle généralisation exprimée par un sujet donné ? La référence au type impliquant l’existence de l’atypie, comment l’énonciateur construit-il son type et quels phénomènes expliquent qu’un énonciateur puisse considérer son énoncé comme vrai même à la lumière de contre-exemples ?

1. État de l’art critique des conditions de vérité dans les généralisations

Afin de justifier la nécessité d’inclure les noms humains dans la réflexion sur les conditions de vérité, il nous faut souligner l’insuffisance des approches universelles et quantificatrices du générique. Les exemples utilisés étant presque tous en lien avec des sujets non-humains, nous avons pour ambition d’expliquer pourquoi les études existantes présentent des failles et nous nous demanderons si les sujets humains permettent ou non de réhabiliter certaines de ces analyses.

Le générique a d’abord pu être perçu comme un opérateur tourné vers l’universalité. Pelletier et Asher (1997) font de l’opérateur du générique non matérialisé qui précède le groupe nominal un quantifieur proche de all, mais qui n’inclut que les membres d’une classe évoluant dans un monde normal et exclut ceux considérés comme anormaux, d’où la différence avec all. Ainsi, un énoncé sous la forme Ks are F est valable quand le prédicat est satisfait par chaque membre qui compose la classe si ce membre évolue dans le monde le plus normal possible. Ainsi, « ducks lay eggs » est considéré comme vrai car lorsqu’on identifie le mode de reproduction d’une espèce, ce sont les femelles qui sont prises en compte (en ce sens et dans ce contexte, les mâles ne sont pas considérés comme des canards « normaux »). A l’inverse, « ducks are female » est jugé faux car pour la propriété du sexe, le monde « normal » inclut les mâles et les femelles. Cependant, la thèse avancée ici n’explique pas pourquoi l’énoncé mosquitoes carry the West Nile virus est jugé vrai, car même dans le plus normal des mondes, tous les moustiques ne portent pas le virus du Nil occidental (Leslie 2008 : 8). Quant à ducks lay eggs, l’énoncé ferait référence de manière sous-jacente aux membres femelles de la classe (Pelletier et Asher 1997, 2012), mais ducks don’t lay eggs n’est pas admis. Nous restons avec ce dernier énoncé dans le domaine de la reproduction, ce qui signifie, comme dit supra, que le « monde normal » est celui des femelles qui peuvent se reproduire, mais dire qu’elles ne pondent pas d’œufs supposerait un autre mode de reproduction, qui n’existe pas.

Une approche tout aussi quantificatrice a été avancée par Radden (2009), cette fois fondée sur la notion de générique proportionnel : dans l’énoncé hedgehogs are shy, la classe des hérissons constitue une « masse de référence » (« reference mass », Radden ibid.: 277), à partir de laquelle découle une généralisation fondée sur la majorité des membres de la classe. S’il existe des hérissons qui ne sont pas timides, il reste que la part de hérissons timides constitue une « proportion saillante » (« salient proportion », Radden ibid.: 298). Cette dernière peut être synonyme de most, mais cela n’est pas un pré-requis : mosquitoes carry the West Nile virus est vrai, non parce que beaucoup de moustiques en sont porteurs, mais parce que la possibilité qu’ils le soient et le danger que cela représente fait que le petit nombre de moustiques porteurs constitue une proportion jugée comme saillante. Cependant, cette approche est également insuffisante puisqu’en la prenant comme référence, l’énoncé books are paperbacks devient vrai, car la classe des livres forme une « masse de référence » et la part de livres de poche excède assez largement celle des grands formats et constitue alors une « proportion saillante ». Or, cet énoncé est sans aucun doute faux.

La quantification étant mise de côté, nous pouvons nous interroger sur ce qu’une approche probabiliste peut apporter aux conditions de vérité : Cohen (2002) propose de distinguer les « génériques absolus » (« absolute generics » : un énoncé est vrai si la probabilité que le sujet satisfasse le prédicat est supérieure à 50%) des « génériques relatifs » (« relative generics ») qui reposent sur un principe de comparaison : un énoncé est vrai si la probabilité que le sujet d’une classe satisfasse le prédicat est supérieure à la probabilité qu’un sujet d’une autre classe le satisfasse. The Frenchman eats horsemeat (Cohen ibid. : 9) est considéré comme vrai car il s’agit d’une caractéristique plus communément associée aux Français qu’aux autres nationalités. Cependant, Leslie remarque que l’approche probabiliste tend à considérer comme vrais des énoncés pourtant intuitivement faux : « [if] a handicap or birth defect D is more frequent among one kind than all others, then ‘Ks have D’ will be a true relative generic. Thus, for example, ‘humans are one-legged’, or autistic, or blind, would be true relative generics by Cohen’s lights » (2008 : 12).

Il semble donc peu probable de trouver une seule règle qui s’appliquerait aux conditions de vérité des généralisations dans leur ensemble. C’est pourquoi Leslie (2008), psycholinguiste qui étudie les généralisations d’un point de vue cognitif, propose de voir le générique comme un phénomène de bas-niveau, en partant du constat que les enfants font beaucoup plus rapidement des généralisations qu’ils n’acquièrent l’utilisation des quantifieurs (pendant l’apprentissage de la parole, l’enfant dira « j’aime les jouets » plus facilement qu’il ne dira « j’aime la plupart des jouets »). Leslie avance l’existence de trois types de propriétés, qui tolèrent de manières différentes les exceptions. La première concerne les « dimensions caractéristiques » (« characteristic dimensions », Leslie ibid. : 16) de la classe, où une généralisation est vraie même si elle ne concerne qu’une partie de la classe. C’est le cas de la reproduction : ducks lay eggs est vrai même s’il ne concerne que les femelles de la classe car l’énoncé attribue à l’espèce une propriété de reproduction. La deuxième propriété est la propriété remarquable, au sens d’effrayante, extraordinaire ou frappante. Dans ce cas, il suffit de quelques occurrences pour que l’énoncé générique soit considéré comme vrai : mosquitoes carry the West Nile virus l’est alors que 99% des moustiques ne sont pas porteurs du virus. Ce qui compte est qu’ils soient disposés à l’être et la généralisation est jugée vraie car elle fait office de prévention. Ceci explique pourquoi accountants are murderers est faux : le prédicat rentre dans le deuxième type de propriété, mais il ne relève pas d’une disposition inhérente à la classe des comptables. La troisième propriété repose sur un principe de majorité : la généralisation est vraie quand la majorité des membres satisfait le prédicat (lions have manes). Lorsqu’un énoncé est faux sous ces conditions, c’est parce qu’il existe une « alternative positive » (« positive alternative », Leslie ibid. : 33) ; ainsi books are paperbacks est faux même si la majorité des livres sont des livres de poche, car il existe une alternative tout aussi saillante, celle d’être un livre grand format. Quant à lions have manes, il n’existe pas d’alternative saillante. Les membres de la classe qui n’ont pas de crinière sont simplement dépourvus de cette caractéristique : rien ne lui fait concurrence. L’énoncé est donc jugé vrai.

Au sein de ces trois propriétés, nous verrons qu’une fois transposée aux humains, le principe de majorité et l’idée d’une alternative saillante restent les plus importants : teachers teach in high school est faux parce qu’il existe une alternative saillante (enseigner à l’école primaire, par exemple) ; teachers teach their subjects est vrai parce qu’il n’existe pas de telle alternative (en général, un professeur n’enseignera pas une matière qui n’a rien à voir avec la sienne). En dehors de toute considération de tels exemples basiques, il sera important d’analyser l’importance de la subjectivité des connaissances. En effet, les exemples utilisés dans les études postulent tous une connaissance omnisciente du monde : Gardelle (2023) montre qu’au contraire, dans un cas comme celui des moustiques, les articles qui abordent le virus du Nil occidental ne mentionnent en aucun cas le fait que cela ne concerne que 1% des moustiques. Cela suppose ainsi une différence dans le jugement d’un énoncé comme vrai entre un énonciateur informé sur le sujet et un énonciateur qui ne l’est pas.

2. Pourquoi étudier l’influence du stéréotype dans les conditions de vérité des généralisations ?

La subjectivité des connaissances justifie le passage d’une étude des conditions de vérité à une analyse qui prend en compte la présence de l’énonciateur, ses probables connaissances imparfaites ainsi que le rôle de la perspective argumentative. C’est pourquoi nous proposons de nous concentrer sur typical, adjectif qui incarne le stéréotype et restreint la généralisation (typical + nom fait référence à moins de membres de la classe que le nom seul), et d’étudier comment il agit sur les différentes approches exprimées plus haut.

Le stéréotype renvoie à « l’ensemble des croyances d’un individu relatives aux caractéristiques ou aux attributs d’un groupe » (Judd et Park 1993 : 110, traduction Légal et Delouvée 2021 : 6). La mention de « croyances » met en lumière l’idée que le stéréotype trouve ses origines dans le discours d’un énonciateur, même s’il lui est transmis par le groupe auquel il appartient, sa famille, ou encore les médias. Les stéréotypes sont également « composé[s] d’un mélange de divers éléments de connaissances » (Légal et Delouvée ibid. : 9), mais de connaissances simplificatrices et déformantes de la réalité ; c’est pour cela que le stéréotype et ses croyances s’opposent à une connaissance parfaite du monde (qui ne peut de toute façon qu’être virtuelle et est exprimée dans les généralisations vues en première partie) et sont souvent négatifs, bien qu’ils puissent être occasionnellement positifs (Waroquier et Klein 2006 : 20). Ainsi, Americans are hardworking est un stéréotype, mais qui renvoie à l’image du bon travailleur.

Indépendamment de son influence sur les conditions de vérité, le stéréotype s’exprime par des généralisations, des groupements de différents objets au sein d’une même classe. Il correspond également à un besoin cognitif de catégorie sociale : « Si les êtres humains étaient en mesure de percevoir leurs pairs dans leur irréductible singularité, les stéréotypes n’existeraient pas » (Waroquier et Klein ibid. : 24).

Alors, comment s’exprime la prétendue vérité de telles généralisations ? Quel traitement des contre-exemples un énonciateur qui prononce typical Americans are hardworking trahit-il ? Le stéréotype exprimant « une expression ou opinion toute faite, sans aucune originalité » (Larousse 2022), que fait l’énonciateur à la lumière des exceptions ?

Sémantiquement, typical exprime l’idée d’un représentant prototypique, un parangon d’une classe donnée. Notons cependant que le représentant typique de la classe diffère en fonction des connaissances de l’énonciateur et de son opinion à propos de la classe désignée. Cela renforce la complexité de l’étude de la perception de la vérité des généralisations avec cet adjectif.

3. L’ajout de typical aux groupes nominaux dans les généralisations : l’humain atypique, probabilité, disposition et contre-exemples

Il est tout d’abord important de comprendre ce qu’induit typical lorsqu’il est ajouté à un énoncé. Si nous prenons l’exemple suivant : New curriculum work is necessary because typical teachers can not keep up with the cascade of new knowledge flowing from research (revue, 1991), l’existence de professeurs typiques suppose celle, reconnue, de professeurs atypiques. Si nous retirons typical, l’énoncé exprime un stéréotype et les professeurs qui ne satisfont pas le prédicat ne sont pas reconnus comme atypiques, mais comme « négligeables » (Gardelle 2023). Ces exemples négligeables expliquent que la généralisation ne soit pas remise en cause à la lumière de ces exceptions.

Confrontons d’abord les généralisations avec typical à la thèse des mondes normaux de Pelletier et Asher (1997). Dans notre cas, il faut passer du normal au typique. Faire cette opération, c’est voir la différence entre un monde défini par une certaine logique et un monde qui passe par le prisme d’un énonciateur. Pour ce faire, nous reprenons l’exemple ci-dessus : New curriculum work is necessary because typical teachers can not keep up with the cascade of new knowledge flowing from research (revue 1991). Ici, selon l’énonciateur, la sous-classe des professeurs satisfait le prédicat, malgré l’existence d’exceptions, et l’énoncé est perçu comme vrai au sein du monde du sujet parlant, dans lequel la référence au typique devient la référence à la majorité. De plus, Pelletier et Asher arguaient que ducks lay eggs était vrai car il faisait référence de manière sous-jacente aux femelles de la classe. Ici, l’énonciateur fait référence, mais de manière affirmée, à une sous-classe de professeurs (les professeurs typiques). Pour l’énonciateur, il s’agit d’une caractéristique de la plupart des professeurs que d’être confrontés aux difficultés d’un nouveau système (on retrouve ici l’idée de croyance). L’énoncé est ainsi perçu comme vrai car l’ajout de typical permet à l’énonciateur de marquer l’existence d’une autre sous-classe (celle des professeurs atypiques) jugée plus secondaire, à savoir, les professeurs qui ne rencontrent pas de difficultés.

Au niveau de la perception des conditions de vérité en lien avec l’approche probabiliste (Cohen 2002), les noms d’humains ont ceci de particulier qu’ils mêlent « génériques absolus » (« absolute generics ») et « génériques relatifs » (« relative generics ») : The typical American consumes too many calories (revue, 2009). Ici, l'énonciateur considère sans doute que la probabilité que le taux d’Américains typiques qui satisfont le prédicat est bien supérieur à 50% (« absolute generics ») et la précision quantificatrice “too many calories” illustre un jugement de valeur par lequel l’énonciateur affirme que l’Américain typique a plus de chances de satisfaire le prédicat que l’Américain atypique (« relative generics »). Leslie (2008) remarquait que des énoncés intuitivement faux (par exemple, humans are blind) seraient vrais avec l’approche de Cohen ; ceci vaut également lorsque typical est ajouté : typical humans are blind ne fonctionne pas. S’ajoute cependant à ceci la charge de stéréotype induite par l’adjectif : l’énoncé ci-dessus sur l’Américain typique n’est considéré intuitivement faux que dans le monde de ceux qui n’adhèrent pas au stéréotype et qui, intuitivement, n’attribuent pas ces caractéristiques à l’Américain typique. L’énoncé ne serait donc pas reconnu comme absurde à l’unanimité, au contraire de typical humans are blind. Ce n’est donc ici pas le sémantisme de typical qui est déterminant, mais le type de nom avec lequel il est utilisé (il est plus fréquent d’avoir un stéréotype avec un nom de nationalité qu’avec le nom human).

Au sein de la classification proposée par Leslie, la notion de « disposition » (ibid. : 41) est tout à fait pertinente avec typical : ‘Roughly speaking’, Steuerle told an American Enterprise Institute conference, last month, a typical worker already loses 8 to 10 percent of earned income simply to support current government health programs (presse, 1991). D’abord, l’énoncé s’applique à la sous-classe majoritaire des travailleurs typiques, mais l’énonciateur reconnaît l’existence des atypiques (ici, les privilégiés). Au sein même de la classe des typiques, s’il existe des exceptions, elles sont négligeables (Gardelle 2023), car même s’il existe un travailleur qui n’est pas affecté par l’impact des programmes gouvernementaux sur son salaire, ou, du moins, pas au même niveau, l’énonciateur considère qu’il est disposé à l’être, parce que Steuerle (économiste américain dont le propos constitue ici un argument d’autorité) a montré que cela se produisait en général. L’énoncé reste alors perçu comme vrai et ledit travailleur n’est pas forcément exclu de la classe des travailleurs typiques.

Quant à l’idée d’une alternative positive proposée par Leslie (books are paperbacks est faux malgré l’omniprésence des livres de poche, car il existe des livres grands formats), il semble que tout énoncé exprimant un stéréotype en soit porteur. Cela est le cas de A typical gymnast trains between five and eight years to make it to the world’s biggest stage (Google Books 2020), où s’exprime l’idée de l’athlète qui travaille sans relâche pour atteindre ses objectifs les plus élevés. Au niveau de la perception des conditions de vérité, l’énonciateur n’envisage pas que son affirmation puisse être fausse et qu’il existe une alternative positive : il fait de l’énoncé une règle et ne considère pas la possibilité qu’un gymnaste typique doive s’entraîner moins ou plus longtemps, même s’il peut potentiellement reconnaître que certains ne sont pas concernés, mais ils deviennent alors atypiques au sein de la classe des gymnastes. Cependant, il existe en réalité une alternative positive, qui provient de l’extérieur. Il ne serait pas absurde d’imaginer un co-locuteur affirmer You’re kidding! A typical gymnast has to train for at least ten years to become a world-class athlete. L’énoncé se fonde alors sur une représentation différente, où le co-locuteur fait montre de standards différents, plus exigeants. Les deux perçoivent alors leur énoncé comme vrai. Ainsi, la notion d’alternative positive ne fait ici qu’illustrer le fait que le stéréotype est une croyance à laquelle un sujet peut choisir d’adhérer, ou, au contraire, de se détacher.

Concluons enfin en analysant la manière dont sont traités les contre-exemples au sein des énoncés avec typical. Dans un énoncé comme Typical Americans start the morning being filmed passing through the lobby of their apartment building or hotel, or being recorded walking down the street (presse, 2004), ce qui importe pour ne pas être relégué dans la classe des Américains typiques est simplement de ne pas vivre complètement isolé, à une distance considérable du reste de la population, en autarcie. Ces Américains isolés relèveraient de la sous-classe des Américains non typiques et ne seraient donc pas dans le groupe évalué ici. Au sein de la classe des Américains typiques, il existe ainsi des exceptions négligeables (Gardelle 2023) : ces personnes ne sont peut-être pas surveillées tous les jours, mais ont une disposition à l’être, si elles passent dans un hall d’hôtel, par exemple. Les exceptions négligeables sont bien des membres de la sous-classe sur laquelle on généralise, alors que les Américains atypiques en sont simplement exclus. Par ailleurs, un tel énoncé rejoint les remarques de Gardelle (ibid.) sur la subjectivité des connaissances. Il peut être considéré comme vrai par un énonciateur sensible aux questions de surveillance des populations, ou, sinon faux, du moins imprécis pour un autre, qui s’inclut dans la classe des Américains typiques mais, comme dans le scénario ci-dessus, vit dans une zone rurale. Ce sont donc la théorie des exceptions négligeables et des connaissances propres à chaque énonciateur qui permettent de conclure les considérations sur la subjectivité de la perception des conditions de vérité.

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Pour citer cette ressource :

Ismaël Zaïdi, Conditions de vérité et stéréotypes dans les généralisations sur les sujets humains, La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), octobre 2023. Consulté le 17/11/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/anglais/langue/linguistique/conditions-de-verite-et-stereotypes-dans-les-generalisations-sur-les-sujets-humains