Élections présidentielles américaines 2016 - Les primaires
Stephen Colbert, humoriste
Depuis le mois d’août 2015, les candidats des deux partis principaux des États-Unis, les démocrates et les républicains, mènent une campagne riche en rebondissements. Du côté démocrate, Hillary Clinton, qui n’avait pas obtenu la nomination de son parti face à Barack Obama en 2008, fait figure de favorite depuis le début de la campagne. Du côté républicain, dix-sept candidats s’étaient déclarés en août 2015 : ils ne sont plus que quatre aujourd’hui.
Aux États-Unis, les démocrates et les républicains de chaque État votent à tour de rôle pour indiquer quel candidat ils souhaiteraient voir représenter leur parti lors de l’élection présidentielle du 8 novembre 2016. C’est traditionnellement dans l’Iowa que les primaires commencent au début du mois de février. Puis c’est au tour du New Hampshire, de la Caroline du Sud et du Nevada. Selon les résultats obtenus lors de ces premiers votes, certains candidats émergent comme favoris dans le reste des États, tandis que d’autres se retirent de la compétition. Lors du premier mardi du mois de mars, également appelé "Super Tuesday", de nombreux États votent en même temps : les résultats permettent souvent de prédire avec une plus grande certitude l’issue des primaires dans les deux partis.
Les candidats du parti démocrate
Outre les candidats peu connus comme l’humoriste Vermin Supreme, qui propose d’offrir un poney gratuit à chaque Américain, six candidats importants se sont déclarés chez les démocrates. Après le premier débat, diffusé par CNN en octobre 2015, l’ancien républicain Jim Webb, le pacifiste Lincoln Chafee et le professeur de Harvard Lawrence Lessig ont tous les trois mis un terme à leur campagne.
Martin O’Malley, ancien maire de Baltimore et ancien gouverneur du Maryland, n’a abandonné la compétition qu’à la suite des résultats dans l’Iowa au début du mois de février 2016. N’ayant récolté que 1% des voix, celui qui se présentait comme un rassembleur et comme le candidat d’une économie verte aux États-Unis n’a pas réussi à s’imposer face à deux rivaux extrêmement médiatisés.
Hillary Clinton reste aujourd’hui la grande favorite des primaires démocrates. Les sondages d’intentions de vote lui donnaient une vingtaine de points d’avance sur les autres candidats jusqu’en février 2016. Forte d’une longue expérience en politique, elle avait déjà fait figure de favorite en 2008, avant d’être dépassée in extremis par le jeune sénateur Barack Obama. Cette année, Hillary Clinton se présente avec un CV enrichi du titre de « Secretary of State », ou ministre des affaires étrangères, de 2009 à 2013. Dans un contexte international marqué par les attentats de Daesh, par les essais balistiques de la Corée du Nord et par une politique agressive de la part de la Russie de Vladimir Poutine, cette expérience supplémentaire lui confère un avantage certain.
Son adversaire principal, le sénateur Bernie Sanders, originaire du Vermont, se décrit comme « un socialiste ». Dans un pays où ce terme est souvent compris comme synonyme de « staliniste », la percée de Bernie Sanders est surprenante. Elle se situe pourtant dans le sillon du mouvement Occupy Wall Street qui, en 2011, dénonçait les excès du capitalisme et la responsabilité des marchés économiques dans la crise de 2008. Bernie Sanders est parvenu à incarner les réclamations du mouvement sur la scène politique : ses critiques se concentrent sur le coût élevé de l’éducation aux États-Unis, sur l’écart grandissant entre les plus pauvres et les plus riches, sur le rôle trop important des lobbyistes dans la politique américaine et sur les prix exorbitants des services de santé (assurances, médicaments, hospitalisation, etc).
C’est auprès des plus jeunes électeurs que le sénateur de 75 ans rencontre un succès plus important : dans le New Hampshire, 83% des électeurs entre 18 et 29 ans ont voté pour Bernie Sanders. Contrairement à ce que la campagne de Hillary Clinton avait anticipé, les électrices votent à peu près à part égale pour le sénateur et pour l’ancienne Secretary of State. La stratégie de Hillary Clinton consiste donc en un recentrage sur les minorités ethniques aux États-Unis, notamment sur les électeurs Africains Américains ou hispaniques. Elle insiste également sur l’importance d’accorder plus de visibilité aux communautés LGBTQIA+. Bernie Sanders apparaît ainsi comme un candidat qui ne se concentre que sur les inégalités économiques. À l’inverse, Hillary Clinton affirme s’opposer à toutes les inégalités dont souffre le peuple américain, qu’elles soient économiques ou sociales : lors du débat du 4 février 2016, elle appelait à ne pas oublier « les problèmes persistants du racisme, du sexisme, des discriminations contre la communauté LGBT ». Cette stratégie est payante : lors du Super Tuesday du 1er mars, Hillary Clinton a remporté plusieurs États grâce au vote des électeurs Africains Américains.
Le suspense reste cependant assez faible sur l’issue des primaires démocrates : en outre du vote des adhérents, le parti attribue aussi directement un nombre élevé de voix lors de la désignation officielle de son candidat. Bernie Sanders et Hillary Clinton sont pour le moment en situation d’égalité au niveau du vote des adhérents, mais l’ancienne Secretary of State a déjà sept fois plus de soutiens officiels du parti que le sénateur. Tout porte à croire qu’elle affrontera le candidat républicain à partir du mois d’août 2016.
Les primaires du parti républicain
Les primaires républicaines semblent beaucoup plus ouvertes que les primaires démocrates. En août 2015, pas moins de dix-sept candidats s’étaient déclarés. De nombreux débats ont été organisés par la direction du parti, et la campagne s’est révélée riche en rebondissements. Ce sont d’abord les gouverneurs Rick Perry (Texas), Scott Walker (Wisconsin) et Bobby Jindal (Louisiane) qui ont abandonné la course suite à des sondages trop défavorables.
Après les attentats de Paris en novembre 2015, le vétéran Lyndsey Graham, dont la campagne consistait essentiellement à avertir la population du danger représenté par Daesh, s’est déclaré satisfait de voir ses idées reprises par ses concurrents. Il a mis fin à sa campagne avant de soutenir celle de Jeb Bush. La même semaine, l’ancien gouverneur de New York George Pataki, reconnu comme modéré parmi les républicains, a lui aussi renoncé, n’arrivant à dépasser les 1% d’intentions de vote.
Les candidats étaient encore une douzaine lors du début des primaires en Iowa et dans le New Hampshire. Suite à des résultats trop décevants dans ces deux États, la liste des abandons s’est agrandie de l’évangéliste Mike Huckabee, du libertarien Rand Paul, de l’opposant à l’avortement Rick Santorum, du gouverneur du New Jersey Chris Christie, de l’ancienne CEO de Hewlett Packard Carly Fiorina et du vétéran conservateur Jim Gilmore. Puis ce sont le frère et fils d’anciens présidents Jeb Bush et le chirurgien Ben Carson qui ont jeté l’éponge plus récemment.
Les candidats encore en lice au début du mois de mars, avant notamment les primaires de l’État de Floride, sont présentés ci-dessous, du candidat ayant le moins de chances d’emporter la nomination jusqu’au candidat qui a le plus de chances de représenter le parti républicain face aux démocrates.
John Kasich, gouverneur de l’Ohio, est sans doute le candidat le plus modéré parmi les républicains encore en lice. Son « attitude positive » lors des débats et de la campagne sur le terrain lui a permis de décrocher une seconde place aux primaires du New Hampshire. John Kasich concentre son discours sur les affaires économiques et sur le chômage aux États-Unis. Contrairement aux autres candidates, il a également signifié publiquement son opposition à un retour sur la légalisation du mariage pour les personnes de même sexe, argumentant que la loi avait été passée et qu’elle devait donc être respectée. Malgré ses bons résultats en février, le gouverneur devrait avoir plus de difficultés à rassembler des voix dans les États du sud des États-Unis, où sa politique modérée ne devrait pas trouver beaucoup d’écho chez les républicains.
Ted Cruz a créé la surprise au début du mois de février en s’imposant face à Donald Trump dans l’Iowa. S’il arrive à maintenir des résultats corrects jusqu’au vote des États les plus conservateurs dans le sud, le sénateur texan pourrait encore une fois surprendre ses rivaux. Fréquemment décrit comme « la personne la moins appréciée dans une pièce, quelque soit la pièce », Ted Cruz s’oppose souvent ouvertement à la direction de son parti et à ses collègues au Congrès américain. Membre de l’aile la plus conservatrice du parti républicain, il est représenté comme très peu enclin au compromis. Sa victoire en Iowa au début du mois de février, paradoxalement, a suscité une amélioration des relations entre Donald Trump et des membres éminents du parti républicain, pour qui le candidat à la présidentielle devait être « n’importe qui sauf Ted ». Le gagnant en Iowa, cependant, est souvent trop conservateur pour être officiellement choisi par le parti républicain : si Ted Cruz peut prétendre maintenir sa campagne plus longtemps que d’autres, il aura beaucoup de difficultés à emporter la nomination officielle de son parti.
Le grand favori du côté républicain, jusqu’aux victoires répétées de Donald Trump, était le jeune sénateur Marco Rubio, étoile montante du parti. À 44 ans seulement, il incarnerait la jeunesse face à deux candidats démocrates de plus de 65 ans. Fils d’immigrants cubains, il pourrait aussi mobiliser une partie de l’électorat hispanique : il a d’ailleurs critiqué ses rivaux qui ne parlaient pas espagnol lors d’un débat de février 2016. Marco Rubio est de plus en plus ouvertement religieux, ce qui lui permet de trouver un écho auprès de l’électorat traditionnel républicain dans le sud rural. Il est opposé au droit à l’avortement, au mariage entre personnes de même sexe et à l’instauration d’un programme de sécurité sociale au niveau fédéral. Il est personnellement favorable à la multiplication d’écoles privées et il a proposé de mettre un terme au financement de l’éducation nationale par l’État fédéral. Enfin, Rubio s’est déclaré en faveur d’un budget de la défense plus important, afin d’augmenter la présence militaire américaine dans le Pacifique, où la Chine est de plus en plus active.
Ces différentes positions placent Marco Rubio dans la droite lignée des républicains les plus influents depuis Ronald Reagan. Cependant, le jeune sénateur n’a pas réussi à s’imposer face à ses rivaux lors des débats télévisés. Ses performances ont donné l’impression d’un écolier récitant sa leçon et il s’est retrouvé incapable de répondre aux critiques virulentes du gouverneur du New Jersey Chris Christie. De plus, le grand nombre de républicains « traditionnels » a divisé les voix des électeurs lors des primaires du début du mois de février, favorisant des personnages plus clivant comme Ted Cruz ou Donald Trump. Pour arriver à vaincre Trump et à obtenir la nomination du parti, Rubio devra se montrer plus assuré lors des débats, d’où ses récentes attaques virulentes contre Donald Trump.
Donald Trump, milliardaire à la tête du groupe d’entreprises The Trump Organization, n’a presque pas quitté la tête des sondages d’intentions de vote depuis l’annonce de sa candidature en juillet 2015. Il a remporté les primaires du New Hampshire en février 2016 et il est à nouveau en tête des sondages pour les dernières primaires du mois de février. Son rejet du « politiquement correct » et son style très violent lors des débats ont contribué à sa notoriété de ce côté de l’Atlantique. Lors du débat de septembre 2015, par exemple, Donald Trump répondait à une critique lancée par Rand Paul par les mots suivants : « je ne l’ai jamais attaqué sur son physique, et pourtant il y aurait beaucoup à dire ». Le milliardaire est aussi connu en France pour ses propositions concernant l’immigration : construction d’un mur à la frontière mexicaine, déportation des immigrés illégaux, moratorium sur l’entrée de musulmans aux États-Unis…
Ce sont paradoxalement ces propositions qui font le succès de Trump auprès d’un grand nombre d’électeurs. En insistant sur le thème de l’immigration, Trump désigne à son électorat des responsables du chômage et des bas salaires, mais il emmènait aussi ses adversaires principaux, Jeb Bush et Marco Rubio, tous deux proches des communautés hispaniques, sur un terrain difficile. S’ils l’affrontaient directement sur ce sujet, ils prenaient le risque d’avoir l’air plus proches des démocrates, ce qui pouvait affaiblir leur image auprès des conservateurs républicains.
Il est important pour Trump de marquer des points auprès de l’aile la plus conservatrice du parti. Il a plusieurs fois soutenu Hillary Clinton lorsqu’elle était Secretary of State et il s’était publiquement opposé à la guerre en Irak en 2003. Il est aussi favorable à une plus grande taxation sur le revenu pour les populations les plus aisées, et il propose un système de sécurité sociale qui prendrait en charge « tout le monde », y compris ceux qui n’ont pas d’assurance privée. Ses positions sur l’immigration, le port d’armes et la torture contre les terroristes lui permettent d’effacer l’image d’un candidat ami des démocrates, dans une période de forte polarisation en politique américaine, afin d’éliminer la concurrence du côté des Républicains. Il est possible que, face à Hillary Clinton, Donald Trump revienne sur certaines de ses déclarations (il a notamment commencé à nuancer ses propos sur l’immigration) et montre une image beaucoup plus modérée aux électeurs américains.
Le joker du parti républicain : Mitt Romney
Le multimillionnaire Mitt Romney, qui était le candidat du parti républicain en 2012 face à Barack Obama, est sorti de sa réserve après le Super Tuesday pour critiquer ouvertement Donald Trump. Selon l’ancien gouverneur du Massachusetts, qui est connu pour sa modération au sein du parti, il est impensable de confier la candidature républicaine à un « charlatan » qui n’a « ni le tempérament, ni le jugement pour être président ». Mitt Romney appelle donc les électeurs américains à voter dans chaque État pour le candidat qui est le mieux placé pour battre Donald Trump. Ni Trump, ni ses adversaires, dans ce cas de figure, n’auraient un nombre de voix assez important pour obtenir une majorité absolue lors de la désignation officielle du candidat au mois de juillet 2016. Qui serait alors mieux placé que le candidat de 2012, Mitt Romney lui-même, pour sauver le parti du risque d’implosion et le représenter face à Hillary Clinton ?
La troisième voie: Michael Bloomberg
[Mise à jour: Michael Bloomberg a annoncé mardi 8 mars 2016 qu'il renonçait à une éventuelle candidature aux primaires.]
Au mois de février 2016, suite aux succès de Bernie Sanders et de Donald Trump dans les sondages puis lors des primaires dans le New Hampshire, l’entourage du multimilliardaire Michael Bloomberg a fait savoir que l’ancien maire de New York et CEO de Bloomberg L.P. pensait déclarer une candidature indépendante au mois de mars.
Michael Bloomberg était un adhérent du parti démocrate jusqu’en 2001, puis il est devenu maire de New York en tant que républicain de 2002 à 2013. Il est généralement reconnu comme un modéré et il jouit d’une forte popularité aux États-Unis. Selon le magazine Forbes, il est actuellement la huitième personne la plus riche des États-Unis, loin devant Donald Trump, dont la fortune équivaut à seulement un dixième de celle de Bloomberg.
En tant que maire de New York, Michael Bloomberg s’est montré conservateur au niveau du budget, réduisant autant que possible les dépenses de la ville. Dans un effort d’exemplarité, il avait ainsi réduit son salaire à la symbolique somme d’un dollar par an. Il a également mené une réforme de l’éducation à New York, conditionnant le financement des écoles à l’amélioration des résultats des élèves et augmentant de 15% le salaire des enseignants.
L’ancien maire de New York est partisan du droit à l’avortement, du droit au mariage pour les personnes de même sexe, d’une restriction plus forte du port d’arme et de la légalisation des immigrés clandestins aux États-Unis. En 2015, conjointement avec la maire de Paris Anne Hidalgo, il a annoncé la création d’une Coalition mondiale des maires pour le climat. Lors de la COP 21 à Paris, il a été annoncé que Michael Bloomberg prenait la tête d’une nouvelle organisation mondiale chargée d’aider les grandes entreprises et les marchés financiers à comprendre les risques du réchauffement climatique.
La candidature de Michael Bloomberg à la présidentielle américaine n’a pas encore été officialisée, mais elle deviendrait certainement un obstacle considérable pour les candidats des deux partis traditionnels, si elle était confirmée. Tous les présidents élus aux États-Unis depuis 1853 sont investis par le parti démocrate ou par le parti républicain. Pourtant, avec une cote à seize contre un au milieu du mois de février, avant même l’annonce d’une candidature officielle, Michael Bloomberg fait un meilleur score auprès des bookmakers que la moitié des candidats encore en lice.
Pour citer cette ressource :
Fabien Poète, "Élections présidentielles américaines 2016 - Les primaires", La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), février 2016. Consulté le 15/10/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/anglais/civilisation/domaine-americain/la-presidence-americaine/elections-presidentielles-americaines-2016-les-primaires