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«Kiss Me Deadly» / «En quatrième vitesse» (Robert Aldrich - 1955)

Par Lionel Gerin : Professeur d'anglais et cinéphile - Lycée Ampère de Lyon
Publié par Marion Coste le 21/10/2015

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Lionel Gerin, professeur d'anglais au lycée Ampère de Lyon et cinéphile averti, nous donne ici son point de vue sur quelques films représentatifs du patrimoine cinématographique du monde anglophone.

https://video.ens-lyon.fr/eduscol-cdl/2015/ANG_2015_Kiss_Me_Deadly.mp4

Début des années cinquante. L'Amérique se croit encore blanche. Le maccarthysme a fait des ravages. Nous sommes en pleine guerre froide. Le cinéma est plein de chasses aux sorcières, que ce soit dans les films noirs (Pickup on South Street, de Fuller) ou dans les films d'horreur (The Thing from Another World, de Hawks). La menace vient clairement de l'est et du froid. La peur de la bombe est réelle.

Robert Aldrich, qui vient de réaliser deux westerns iconoclastes, Bronco Apache et Vera Cruz, s'attaque au film noir et dynamite littéralement le genre.

Scène inaugurale coup de poing.

Nuit. Deux jambes nues courent sur une route. Un souffle, entre halètement et orgasme, fait office de bande-son. Le générique déroule, à l'envers. Dans les phares d'une voiture, une femme nue sous un imperméable. Dans la voiture, Mike Hammer, le privé créé par Mickey Spillane. Elle monte. Barrage de police. On recherche une femme échappée d'un asile. Elle saisit la main de Hammer et la glisse sous son imperméable, entre ses jambes nues. Marché silencieux. Le barrage franchi, la voiture est arrêtée par des malfaiteurs, Spillane assommé, la femme torturée.

En quatrième vitesse. Le titre français dit bien la cadence de ce prologue. Un mot d'ordre: survivre!

Réveil à l'hôpital.

Qui a tué? Pourquoi? Hammer veut savoir, l'enquête est lancée.

Nous savons déjà depuis le début que nous ne sommes pas dans un film classique. L'enquête suit bien toutes les étapes auxquelles nous sommes habitués, depuis, The Maltese Falcon de John Huston. Il y a interrogatoires des témoins, des suspects, intimidation de la part des truands, bagarres, explosions.

Pourtant, tout est nouveau. Les cadrages, le rythme donnent au film une ambiance d'urgence, paranoïaque. Nombreux plans d'escaliers, de couloirs, utilisation de la profondeur de champ qui déforme. Nous sommes dans une Amérique malade, une Amérique du soupçon. Les personnages sont souvent seuls dans le plan, qui dégage une sensation d'étouffement. Les méchants sont méchants, les vamps vampent, mais nos repères ne fonctionnent plus.

Quant au héros, finis les Humphrey Bogart au grand cœur. Ce Mike Hammer là prostitue plus ou moins sa fiancée-secrétaire. Il est plus cruel que les malfrats, et en plus, il prend plaisir à torturer les supects. On est loin du redresseur de torts.

L'enquête aboutit. Bouquet final. Pandora ouvre la boîte et le feu s'impose. La mer tire un trait sur l'humanité.

Un poème de Christina Rossetti, qui se trouve au cœur de l'enquête, porte le titre épitaphe: Remember Me. On y trouve ces vers "... darkness and corruption leave a vestige of the thoughts..." qui traduisent bien ce dont il est question, tout autant que le titre anglais qui annonce "The Killer's Kiss" (pour citer Kubrick), le baiser du tueur ou de la femme fatale. Bref, Eros et Tanathos.

Un grand film halluciné. Un vrai film noir jubilatoire. Une grande leçon de mise en scène.

En quatrième vitesse. Vavavoum!

 

Pour citer cette ressource :

Lionel Gerin, Kiss Me Deadly / En quatrième vitesse (Robert Aldrich - 1955), La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), octobre 2015. Consulté le 21/11/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/anglais/arts/cinema/kiss-me-deadly-en-quatrieme-vitesse-robert-aldrich-1955-