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«Heaven's Gate» / «La porte du paradis» (Michael Cimino -1980)

Par Lionel Gerin : Professeur d'anglais et cinéphile - Lycée Ampère de Lyon
Publié par Clifford Armion le 09/12/2014

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1978. ((Deer Hunter)) / ((Voyage au bout de l'enfer)). Bien qu'avare du mot, je l'ose ici: chef d'œuvre absolu. N'en déplaise aux détracteurs, à ceux qui y voient, à grand tort, un film (de plus) sur le Vietnam. ((Deer Hunter)) est un immense film, profondément américain. Faut-il être aveugle pour y lire un message impérialiste, malgré cette dernière scène poignante, si souvent incomprise. Chef d'oeuvre, donc. Presque trois ans plus tard, sort ((Heaven's Gate)), le plus grand désastre financier du cinéma américain, mais qu'importe! Combien de tableaux Van Gogh a-t-il vendu? Combien d'exemplaires Rimbaud a-t-il écoulé?

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1978. Deer Hunter / Voyage au bout de l'enfer.

Bien qu'avare du mot, je l'ose ici: chef d'œuvre absolu. N'en déplaise aux détracteurs, à ceux qui y voient, à grand tort, un film (de plus) sur le Vietnam. Deer Hunter est un immense film, profondément américain. Faut-il être aveugle pour y lire un message impérialiste, malgré cette dernière scène poignante, si souvent incomprise. Chef d'oeuvre, donc. Précipitez-vous, si vous ne l'avez jamais vu. Âmes sensibles, s'abstenir, il est vrai.

Presque trois ans plus tard, sort Heaven's Gate, le plus grand désastre financier du cinéma américain, mais qu'importe! Combien de tableaux Van Gogh a-t-il vendu? Combien d'exemplaires Rimbaud a-t-il écoulé?

Je parlais de malentendu à propos de Deer Hunter, que dire alors de cette "Porte du paradis"? Que certains américains avaient au contraire trop bien entendu, et qu'ils n'aimaient pas du tout ce que Cimino avait à leur dire, et que les autres ne voulaient même pas l'entendre. Comme d'habitude, comme toujours, l'on a oublié, qu'avant tout, ce film-là était du cinéma, et quel cinéma! Quelle maestria! Quelle ampleur! Quelle ambition!

C'est à nouveau l'histoire américaine que Cimino interroge, et toujours par le biais des communautés qui la composent. Un épisode sanglant de l'histoire de l'ouest, qui opposa des émigrants slaves et allemands à des éleveurs de bétail, dans le Wyoming, en 1892.

La longue scène qui tient lieu de prologue est proprement magistrale. Harvard, 1870, Graduation Day. Défilé, discours. C'est un début, de film, de vie. Mais c'est déjà une fin. John Hurt le pressent bien, qui s'écrie "It's over!" Finie déja l'innocence? Le bal vient clôturer la fête (nombreuses sont les cérémonies chez Cimino, cf. Le marriage de Deer Hunter, par exemple). Scène étourdissante, magnifique. L'on pense à John Ford (que Cimino admire) et à ses rituels. Toute une légende!

Une deuxième scène de danse viendra rythmer le film. Wyoming, 1892. Toute une réalité cette fois. Plus de jeunes aristocrates avec leurs belles, échappées de Gone with the Wind. Des immigrants slaves, polonais pour la plupart, organisent une danse dans l'arrière-salle d'un bar. Pas de valse, mais une musique populaire, endiablée, et l'énergie des danseurs oscille entre le défouloir et le désespoir. Pas de parole, pas de temps mort. Tout pourtant tourne et vacille. Du très grand cinéma. Pure émotion, suscitée, magnifiée par la photographie de l'immense Vilmos Zsigmond (à qui l'on doit The Long Good-bye / Le Privé d'Altman, Deliverance de J. Boorman ou bien sûr Deer Hunter déjà cité). Regarder ce film sur un écran d'ordinateur relèverait du crime de lèse-cinéphilie!

Alors que Ford, que j'évoquais, s'intéresse à la communauté, et au destin commun, Cimino s'intéresse lui aux communautés, qui forment la nation américaine, qu'elles soient polonaises, allemandes ou chinoises. Il interroge au passage l'identité américaine et son histoire. Alors que Ford (on y revient toujours!) fait dire à un personnage à la fin de The Man who Shot Liberty Valance : "When the legend becomes fact, print the legend!", Cimino lui penche pour la réalité des faits, aussi peu glorieuse soit-elle. C'est donc à un grand film lucide auquel nous assistons, un anti-western total qui finit de déboulonner les mythes de l'ouest. Le melting-pot est loin, et pour venir à bout du non-WASP une seule méthode: la guerre. La scène finale est là encore une scène de bal(les), un grand opéra tournoyant, qui laisse tout le monde à terre et l'American Dream KO. La cavalerie massacrant les indiens, soit! Nous avons l'habitude. Mais des blancs en massacrant d'autres, sciemment, systématiquement, c'en est trop! Insupportable, inaudible!

Impossible malgré tout de résumer une telle fresque (3h 28mn!), qui est en fait, comme chez David Lean, une fresque intimiste, ou un intimisme à grand spectacle. Les acteurs sont grands: Kris Kristofferson, Isabelle Huppert, John Hurt, Jeff Bridges, Christopher Walken, rien que ça! Il y a en permanence, en filigrane, le sentiment du temps qui passe, et des gens qui passent à côté de ce temps. Il y a le savoir terrible de l'inéluctable, la certitude de l'ignominie. Il y a le charme prégnant de la mélancolie et sa beauté contagieuse. C'est un film de l'attente, un film de l'orage. Il va venir, éclater, l'air s'alourdit. Tous seront mouillés.

Comme à la fin de Deer Hunter, quelque chose irrémédiablement est cassé, et il faut une grande foi, ou une grande envie pour continuer à croire au destin commun. Les blessures, elles, ne se referment jamais. Sortis de la guerre, les personnages savent que la guerre n'est pas sortie d'eux. Quelque chose est bien fini, pourtant quelque chose est possible. Chez Cimino, la lucidité sur le passé est le prix à payer pour construire un futur.

Quant au cinéma, quelque chose aussi finissait avec Heaven's Gate, qui tirait les derniers pétards du Nouvel Hollywood, après sa décennie prodigieuse. Star Wars et Jaws / Les dents de la mer sonnaient le glas du cinéma libre pour adultes et inauguraient ce qui sévit encore de nos jours: l'ère des blockbusters pour adolescents, du marketting et des "sequels". Séquelles est bien le mot (en français tout au moins). Il nous reste le DVD. Profitons-en!

L'échec du film allait interdire à Cimino tout nouveau grand projet. Il ne tournera plus que 4 films(!) en quarante ans. Un désastre, un scandale! Dans un autre registre, il faut voir Year of the Dragon / L'année du dragon. L'on retrouve un thriller dans une autre communauté, chinoise, cette fois. Un film qui fut encore taxé de racisme. L'Amérique préfère vraiment la légende.

PS: il existe une version DVD tronquée du film (2h et quelques), qui est à bannir. La seule valable est celle de Carlotta, excellent éditeur. Signalons également le très bon livret de Jean-Baptiste Thoret, à qui l'on doit également Road Movie, USA et Le cinéma américain des années 70.

 

Pour citer cette ressource :

Lionel Gerin, Heaven's Gate / La porte du paradis (Michael Cimino -1980), La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), décembre 2014. Consulté le 23/11/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/anglais/arts/cinema/heaven-s-gate-la-porte-du-paradis-michael-cimino-1980-