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«Days of Heaven» / «Les moissons du ciel» (Terrence Malick - 1978)

Par Lionel Gerin : Professeur d'anglais et cinéphile - Lycée Ampère de Lyon
Publié par Marion Coste le 06/06/2016

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En 1974 sortait le premier long-métrage de Terrence Malick, ((Badlands)) (((La balade sauvage))), sur la dérive meurtrière de deux amants juvéniles dans une Amérique rurale et désertique. Un très beau premier film où l'on voit rétrospectivement les germes des œuvres à venir. Quatre ans plus tard, ((Days of Heaven)) arrivait sur les écrans. Les germes avaient mûri puis éclos. La moisson était magnifique. Terrence Malick filme le temps. Celui qu'il fait, car ses films sont météorologiques. Celui qui passe, ou qui justement a du mal à passer.

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(Source : Youtube, Days of Heaven - Trailer)

En 1974 sortait le premier long-métrage de Terrence Malick, Badlands (La balade sauvage), sur la dérive meurtrière de deux amants juvéniles dans une Amérique rurale et désertique. Un très beau premier film où l'on voit rétrospectivement les germes des œuvres à venir. Quatre ans plus tard, Days of Heaven arrivait sur les écrans. Les germes avaient mûri puis éclos. La moisson était magnifique.

Terrence Malick filme le temps. Celui qu'il fait, car ses films sont météorologiques. Celui qui passe, ou qui justement a du mal à passer.

Chicago, 1911. Bill (Richard Gere) travaille dans une usine, qu'il quitte précipitamment après une bagarre mortelle. Avec sa fiancée Abby (Brooke Adams), et sa soeur, ils prennent le train pour le Texas. Ils y trouvent du travail dans une grande propriété agricole. Là, le propriétaire (Sam Shepard) tombe sous le charme d'Abby, qu'il croit être la soeur de Bill. Celui-ci laisse Abby l'épouser, espérant qu'ils en tireront profit. Mais dans les ménages à trois, il y a toujours une personne de trop.

Histoire d'amour? Trio infernal? Bien sûr, mais cela ne suffit à décrire le film.

En effet, si beaucoup de films ont l'amour pour trame et les grandes plaines pour décor (que l'on se souvienne par exemple de Giant de George Stevens, sorti en 1956), ici c'est presque l'inverse. En exagérant à peine, on pourrait dire que les moissons, évoquées par le beau titre français, sont la vraie trame du film, et que les personnages n'en sont que le décor.

Les saisons passent, le temps change, le blé pousse, et c'est magnifique! Combien de cinéastes ont filmé, vraiment filmé le ciel, le mouvement des blés mûrs? Malick est un panthéiste. Chez lui, un orage qui approche est un événement en même temps qu'une émotion esthétique. Lumière d'hiver, crépuscule, chaleur, vent: tout est louange ("Teach the free man to praise" écrivait W.H. Auden). Les hommes, par contagion avec cette nature, sont taiseux. Regards, mains qui se frôlent, doigts qui montrent, rien de plus.

La maison se détache sur la ligne de fuite d'un horizon sans limite, ouverture de tous les possibles. On pense évidemment aux peintres anglais ou américains, à Edward Hopper et ses demeures de grande solitude, son splendide ennui, à Andrew Wyeth et l'étrangeté du quotidien rural, à Christina's world en particulier. Un nuage de sauterelles est beau comme un Turner. La musique d'Ennio Morricone surgit aux moments les plus inattendus.

Si Malick est panthéiste, il est aussi Chrétien et connait sa Bible sur le bout des doigts. À tout fruit son ver. Un fléau de sauterelles dévastatrices annonce une fin tragique. Présent du paradis, puis instant de la chute: chez Terrence Malick, l'homme est constamment chassé de la splendeur du jardin. Nulle morale pourtant, car il est plus question de destin que de châtiment. La fin, à travers les yeux d'une enfant, nous offre d'ailleurs une possible liberté, toujours à conquérir, à défaut d'un bonheur certain.

Ce n'est pas un film avec "de belles images", dans le genre carte postale. C'est une œuvre élégiaque, lyrique et solaire. Mais le soleil peut aussi brûler.

Si vous vous laissez prendre, de grandes émotions vous attendent. Si vous aimez les dialogues et cette plaie nouvelle et puérile (parce qu'obligatoire) que l'on nomme action, passez votre chemin. Si par contre, le vent et la neige ne vous font pas peur, chauffez-vous au feu Malickien qui embrase la nuit et ravage les moissons. Il laissera vos yeux rassasiés et vos cœurs en jachère.

On peut reprocher beaucoup de choses à Terrence Malick. Critiques et spectateurs ne s'en sont d'ailleurs pas privés. Néanmoins, il a ce que très peu de cinéastes ont: un style unique et une vision du monde.

Il allait falloir attendre encore vingt ans pour découvrir un autre chef d'oeuvre: The Thin Red Line (La ligne rouge, 1998).

 

Pour citer cette ressource :

Lionel Gerin, Days of Heaven / Les moissons du ciel (Terrence Malick - 1978), La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), juin 2016. Consulté le 23/11/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/anglais/arts/cinema/days-of-heaven-les-moissons-du-ciel-terrence-malick-1978-