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Photographie et peintures murales urbaines au Chili entre 1970 et 1989 : créations, diffusions et narrations

Par Carine Lemouneau : Docteure en histoire de l’art contemporain - Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Publié par Elodie Pietriga le 14/12/2021

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Chili, 1970 : les photos de ((murales)) apparaissent régulièrement dans la presse de gauche afin d’illustrer la démocratisation artistique impulsée par le nouveau gouvernement socialiste de Salvador Allende (1970-1973). Sous la dictature du Général Pinochet, une nouvelle génération d’artistes muralistes constituera ses propres archives photo tandis que la Junte militaire publiera certains clichés afin de décrédibiliser une pratique jugée sans valeur. La production des peintures murales urbaines a engagé des processus de création, de monstration et de narration très distincts : quel a été le rôle de la photographie dans la construction ou la déconstruction des valeurs artistiques attribuées à ces nouveaux objets plastiques ?

Introduction : pas d’art sans appareils

S’intéresser à la création artistique suppose aussi de prendre en compte l’arsenal technique et matériel qui a modelé sa perception. La notion d’appareil développée par Jean-Louis Déotte (Déotte, 2004, 99) nous oblige à repenser la manière dont s’étudie ce qu’il est coutume d’appeler la réception artistique. Prenant le contre-pied des théories de la réception qui se sont développées dans les années 1970-1980 autour des travaux de Hans-Robert Jauss et l’école de Constance, le philosophe soutient que la sensibilité ne se trouve pas uniquement dans les conditions de réceptivité, mais bien plutôt dans les manières de faire apparaître les événements artistiques suivant la technicité d’une époque. Autrement dit, il n’existe aucune représentation ou inscription qui ne soit déterminée par une technique qui configure en amont la sensibilité commune en rendant possible l’accumulation des formes de savoir et de perceptions possibles. Pourtant, cette évidence nous échappe parfois.

Pour reprendre sa formule, « Lapparaître est appareillé » : pas d’art sans appareil. Impossible dès lors d’étudier séparément la manière dont un artefact est à la fois conçu, montré, archivé et perçu sans tenir compte de l’environnement technique qui permet sa diffusion. Curieusement, le lien entre art urbain et photographie a peu été mis en avant alors qu’il est un point essentiel à explorer et à analyser pour comprendre comment les archives nous parviennent, sous quelles formes et suivant quelles intentions. La photographie a joué, du moins au Chili, un rôle considérable dans le développement de la pratique des peintures murales à différents niveaux : la photo a été un moyen de propager et de montrer cette pratique naissante par le biais du photojournalisme et donc de se présenter en tant qu’événement artistique. Nous verrons à ce sujet comment les angles et les prises de vue se sont diversifiés avec le temps. La photographie a aussi permis la mise en récit d’une histoire nationale mais également continentale via la confrontation avec les images de peintures murales mexicaines, cubaines ou bien des fresques murales chiliennes plus anciennes. Tissant ainsi des liens, avec ce qu’il y avait de commun ou de novateur entre toutes ces productions aux temporalités et aux localisations distinctes dans l’ensemble de l’Amérique latine, elles ont grandement participé à l’historisation d’un art en pleine expansion durant cette seconde moitié du XXème siècle. Mais cette mise en récit a également préoccupé la Junte militaire très peu de temps après le coup d’État de septembre 1973 : à grand renfort d’illustrations, la dictature de Pinochet s’est attelée, également par le biais de la photographie, à criminaliser cette pratique considérée comme sans valeur et n’engendrant que désordre. Nous verrons comment la photographie a aussi été un moyen de sauvegarder une mémoire de quartier, et de se consolider comme une pratique d’archivage pour les artistes urbains. Enfin la photographie a également permis de rendre hommage à des figures importantes en reproduisant leur portrait dans des compositions murales situées sur les artères principales de certains quartiers. Les usages, l’articulation texte et image et les fonctions accordées à la photographie sont donc bel et bien multiples et complexes.

En effet, l’appareil qu’est la photographie (Poivert, 2015, 53) et notamment la photographie de presse, permet de montrer des artefacts qui sans ce medium, seraient visibles uniquement par une minorité de personnes et sur une durée limitée. Dans l’étude des peintures murales populaires de Santiago du Chili, la photographie a joué un rôle souvent mésestimé; plus fort qu’un discours, les clichés d’une œuvre murale sont tout aussi parlants et révélateurs de l’approche sensible vis-à-vis de ces objets, et permettent également de stimuler tout un imaginaire pour le lecteur. À ce sujet, Michel Poivert, souligne la double nature de la photographie : à la fois projection et construction sociale bien qu’étant appréhendée le plus souvent comme une trace, un témoignage de la réalité. Cette approche nous conduit à nous poser une question d’un nouveau genre concernant les peintures murales produites dans l’espace urbain : quel a été le rôle de la photographie dans la construction, ou au contraire, la déconstruction des valeurs artistiques attribuées à ces nouveaux objets plastiques durant le gouvernement de Salvador Allende (1970-1973) et la dictature du Général Pinochet (1973-1989)?

I. La distinction avec les rayados des campagnes présidentielles

La plupart des ouvrages sur l’art urbain au Chili font remonter les première peintures murales de rue (murales callejeros) aux campagnes électorales des années 60. Il s’agissait alors de consignes de vote où seul un texte écrit en lettres capitales se répliquait sur les axes principaux de Santiago. Or, ces moments politiques, souvent mis en avant pour retracer l’origine de ces œuvres, occultent d’autres expériences tout aussi importantes : les prises de terrain illégales appelées communément tomas de terreno. Ces expériences collectives ont joué un rôle déterminant sur la manière dont des populations historiquement et géographiquement marginalisées se sont perçues en tant qu’acteurs sur la scène politique. Mario Garcés dans son célèbre ouvrage (Garcés, 2002) souligne à quel point ces expériences de prises de terrain illégales, commencées à la fin des années 1960 face à une crise du logement mal ou non gérée par les gouvernements successifs, ont permis à ces habitants de modifier leur forme d’appartenance à la ville et de prendre part à la gestion urbaine. Par ailleurs, ces regroupements autogérés révèlent l’ampleur des réseaux solidaires bien ancrés dans le milieu universitaire (notamment de la faculté d’architecture de l’université du Chili) et militant, générant par la suite une multitude de structures associatives au sein de ces nouveaux quartiers. Il s’agit en réalité de moments historiques sur la manière dont des collectifs ont su démontrer leur capacité à générer leur propre espace en dehors d’une impulsion gouvernementale officielle. Cette revendication du droit au logement corrélée à une participation grandissante pour les campagnes électorales successives de 1964 et 1970 atteste de l’importance de l’appropriation des murs : le geste de peindre et de prendre possession du mur devient tout aussi important que ce qui est donné à voir. Nous pouvons y lire le marquage d’un espace commun durement acquis, dans lequel un consensus s’opère entre les habitants du quartier comme l’illustre la photographie ci-dessous. Ce qui n’était perçu que comme simple slogan politique, autrement appelé rayado (du verbe rayar signifiant  littéralement marquer, rayer, abîmer, laisser une marque), revêt dès lors un sens beaucoup plus profond que ne le laisse laisse entrevoir cette articulation texte/image plutôt classique.

Pobladora haciendo mural en campamento de Santiago

Pobladora haciendo mural en campamento de Santiago, 1973.
Source : COFRE SCHMEISSER, Boris, « El movimiento de pobladores en el Gran Santiago : las tomas de sitios y organizaciones en los campamentos. 1970-1973 » in Tiempo Histórico, UAHC, Chili, N°2, septembre 2011, p.140, Licence CC BY.

En effet, il s’agit d’un hommage à une figure majeure des luttes populaires et ouvrières, Luis Emilio Recabarren (1876-1924), fondateur du Parti Socialiste en 1912 et leader du mouvement ouvrier chilien. Nous pouvons lire sur la partie gauche de la maison « notre lutte est plus grande que la maison c’est pour la révolution socialiste » et sur la partie de droite MPR pour Movimiento Popular Revolucionario. Cette photographie nous montre dans une même action, plusieurs générations prenant part à une œuvre commune. Nous pouvons imaginer que c’est cette capacité à pouvoir se penser comme acteur social et politique qu’a voulu mettre en avant le photographe. D’un point de vue plastique, la réalisation de l’œuvre demeure assez conventionnelle et statique.

La confrontation avec le corpus photographique de Raymond Depardon ((Le corpus de Raymond Depardon contient en réalité peu de photos de peintures murales, mais il permet de relativiser le fait que cette pratique serait uniquement le fruit de partis politiques car on y voit des œuvres anonymes, sans aucun indice sur un groupe politique en particulier.)) nous engage également à remettre en question les discours sur la naissance des peintures murales populaires et à réévaluer le rôle des brigades des partis politiques. On appelait « brigades » les groupes d’intervention qui étaient en charge d’écrire sur les murs de la ville les consignes de vote des partis politiques de gauche ((Les partis de gauche ont pris possession des murs de la capitale pour contrebalancer le poids des magnats de la presse et de la radio qui étaient plutôt des conservateurs de droite (Cortázar (Dir.), 1974). Le cas le plus connu est celui d'Augustin Edwards, propriétaire d'un des journaux les plus lus à l'époque, le Mercurio. Il a effectué un voyage aux États-Unis après l'élection de Salvador Allende le 11 septembre 1973 afin d'y rencontrer Henry Kissinger pour mettre fin au nouveau gouvernement socialiste. Grâce aux archives déclassifiées de la CIA, nous savons aujourd'hui que le Président Nixon avait autorisé le versement de près de deux millions de dollars entre 1971 et 1972 à ce même journal. (NSA  : https://nsarchive.gwu.edu/briefing-book/chile/2017-04-25/agustin-edwards-declassified-obituary).)). Nous pouvons imaginer que la victoire de l’Unité Populaire offrait un cadre idéal pour développer l’expression artistique de tout un chacun. La photographie « La tierra para el que la trabaja » de Raymond Depardon, prise à Parral, lieu de naissance de Pablo Neruda, dans la région du Maule (VIIème région) au sud de Santiago du Chili en 1971 nous montre une œuvre sans signature (à moins qu’elle n’ait été volontairement mise hors-cadre par le photographe) pour laisser apparaître dans une composition dynamique et joviale un paysan sur son tracteur qui semble sortir de la surface plane du mur. Cette image illustre alors les préoccupations de l’époque à propos de réformes agraires promettant un meilleur accès à la terre aux paysans, ainsi que la récupération des terres usurpées aux Mapuches. Le texte fait également référence aux propriétaires terriens étrangers qui tirent profit à eux seuls de la richesse du pays.

Le moment où l’on va commencer à photographier de manière systématique ces œuvres coïncide avec l’élection de Salvador Allende en septembre 1970. Pour l’instant, il n’a pas encore été démontré qu’il n’existait pas ce type de production avant le gouvernement de l’Unité Populaire dans les poblaciones c’est-à-dire les quartiers populaires qui entouraient le centre économique de la capitale. Mais de quoi les peintures murales de rue sont-elles devenues les héritières? Comment sont-elles entrées dans les débats artistiques et comment en retour, ont-elles évolué? En somme, quels ont été les discours qui les ont accompagnées ?

Tout d’abord, nous pourrions y voir la conjonction de deux phénomènes distincts qui ont fini par s’imbriquer à la fin des années 1960 : les premiers rayados de rue s’apparentaient à des consignes et des slogans suivant l’actualité nationale ou internationale, ou bien énonçaient les grandes lignes de la coalition de gauche. Ils étaient extrêmement présents lors des campagnes présidentielles successives de 1858, 1864 et 1970 et servaient de moyen peu onéreux pour soutenir les partis politiques de gauche à défaut de tirages d’affiches beaucoup plus coûteux ou de campagnes télévisuelles ou radiophoniques : nous comprenons donc que dans cette approche, le texte occupe une place primordiale, répond à une injonction de lisibilité rapide (d’où la grosseur des lettres en majuscule). C’est donc avant tout une pratique de communication graphique (Castillo Espinoza, 2016) dont la forme du texte est conçue pour pouvoir interpeller le plus de personnes possibles. Ces slogans sont souvent situés à des endroits stratégiques de grands passages (sur les grands axes, devant les écoles, dans le coeur économique de la ville) puisque c’était dans une logique de communication massive qu’ils ont été produits. Durant la campagne de 1970, les réseaux deviennent plus importants et structurés bien que le Parti Communiste soit largement dominant. Ceux que l’on nommait les brigades muralistes, les auteurs de ces interventions, ont cherché significativement à avoir un plus grand impact visuel par une introduction progressive des images. Mais en 1964, un événement marquant a sûrement eu un rôle déterminant dans ce changement d’approche de la part des groupes muralistes. En effet, divers étudiants et professeurs de l’École des Beaux-Arts et de l’École Expérimentale Artistique (Osvaldo Reyes, Luz Donoso, Carmen Johnson, Pedro Millar, Hernán Meschi pour les plus connus) avaient investi les rives du fleuve Mapocho pour rendre hommage aux leaders progressistes de l’histoire du Chili ainsi qu’aux acteurs du milieu ouvrier et paysan. Même si la plupart de ces artistes étaient des sympathisants du Parti Communiste, ils se refusaient à mener une quelconque campagne de propagande comme ils ont pu l’affirmer lors de diverses interviews. Ils souhaitaient produire une fresque monumentale en s’accaparant des thèmes sociaux et politiques à travers la mise en forme d’une histoire par le bas grâce à la présence de portraits significatifs.

Mural réalisé sur les rives du fleur Mapocho en 1964

Fragment du mural réalisé sur les rives du fleuve Mapocho en automne-hiver 1964 au moment de la campagne présidentielle.
Source : Castillo Espinoza, Eduardo. 2016. Puño y letra. Movimiento social y comunicación gráfica en Chile en 2016 (p.72-73), Santiago de Chile: Ocho Libros.

Cette fresque monumentale mesurait presque 200 mètres de long et fut réalisée sur une période de trois mois. Les photos qui subsistent ont été prises de manière frontale, avec des passants curieux ou admiratifs, qui nous permettent de considérer l’immensité du travail collaboratif. Les croquis ont été réalisés par Julio Escámez (1925-2015), muraliste de profession, issu d’une formation académique à l’École des Arts Appliqués. Il exerça comme professeur de dessin et de peinture murale au sein de l’Université de Concepción, ayant eu comme mentor Gregorio de La Fuente (1910-1999) ancien élève de l’École des Beaux-Arts, très connu pour ses peintures murales, notamment celles de la gare ferroviaire de la même ville. Il a notamment voyagé en Italie et entrepris à son retour en 1957 la décoration des murs d’une pharmacie de la même ville - la pharmacie Maluje – représentant l’histoire de la médecine au Chili.

Dans cette œuvre spectaculaire de 1964, il avait choisi de représenter les oubliés de l’histoire : un groupe de femmes et des mineurs dans une composition assez statique, rappelant les primitifs italiens qu’il avait sûrement vu lors de son voyage en Europe. Nous pouvons y voir le portrait, une fois de plus, de Luis Emilio Recabarren et de l’ancien président José Manuel Balmaceda (1840-1891) ; durant son mandat, ce président avait ordonné la construction d’écoles et d’hôpitaux, développé le réseau ferroviaire du pays afin de redresser l’économie globale. Dans cette œuvre, il tient un document où l’on peut lire : « Esta tierra, esta riqueza, será de Chile, esta materia blanca convertiré en escuelas, en pan para mi pueblo ». Cette composition liant les grands personnages qui ont marqué l’histoire aux côtés des travailleurs du Chili apparaissait au milieu des années 60 comme une œuvre assez novatrice dans le paysage urbain, mais sans la dissidence qu’apportèrent par la suite les brigades muralistes. La composition pour le moins classique renvoie à des scènes du quotidien : une mère s’occupant de son enfant, une embrassade entre deux femmes, à droite, les mineurs en habits de travail symbolisent à la fois ce Chili des classes laborieuses mais aussi ce qui fait la richesse économique du pays : les mines de cuivre. Pour Luz Donoso, qui avait suivi les cours de peinture murale de l’Université du Chili jusqu’en 1963, investir les murs publics était devenu une nécessité. L’usage d’une peinture figurative, réaliste, servait à représenter ce milieu populaire qui n’apparaissait que trop rarement dans des œuvres d’art exposées dans des musées ou des galeries. Ici, l’incorporation de texte n’était en somme que secondaire. Bien qu’ayant des objectifs très divers et des manières de faire bien distinctes, les auteurs des rayados et les peintres muralistes professionnels ont toutefois eu le projet commun de vouloir interpeller le grand public et convertir l’espace public en un espace narratif et visuellement expressif. On y trouve cette volonté partagée de donner une voix au peuple, aux gens du quotidien pouvant être aussi des acteurs de premier plan.

II. À nouvelle esthétique, nouvelles prises de vue

La victoire d’Allende a profondément transformé les conditions de production des peintures murales ainsi que leur mode de monstration. Le gouvernement de la coalition de gauche a ouvert la voie à des projets de grandes ampleurs, notamment une exposition historique au Musée d’Art Contemporain de la capitale chilienne en avril-mai 1971. Après un premier temps d’émancipation et de conquête des murs, nous pourrions parler d’une véritable praxis qui se consolide, engageant une réflexion plus approfondie sur les types d’action à mener, notamment de la part des membres de la Brigade Ramona Parra. À l’occasion du cinquantième anniversaire du Parti Communiste, soit huit ans après une première occupation collective des murs bordant le fleuve de la capitale, d’autres œuvres sont rajoutées ou peintes par dessus. Il y eut également un projet d’embellissement d’espace public comme le mural de la piscine municipale La granja ou les façades du local de la radio Canal 9. De cette façon les groupes muralistes s’extirpèrent du strict cadre de propagande auquel ils étaient assignés en proposant des œuvres non plus exécutées dans la hâte, mais valorisant les espaces du vivre-ensemble.

Photographies de l'exposition de la Brigade Ramona Parra

Photographies de l’exposition de la Brigade Ramona Parra en avril-mai 1971. Les peintures murales étaient reproduites sur des panneaux en bois.
Source : Chile, Breve Imaginería política 1970 - 1973 -- http://www.abacq.net/imagineria/exp12.htm, reproduction libre.

Les photographies de l’époque de l’œuvre célébrant les cinquante ans du Parti Communiste nous montrent une production beaucoup plus hétéroclite, dynamique, et surtout avec une claire orientation politique : la fresque est photographiée en détail, pour elle-même, comme on photographierait une œuvre au musée afin de l’immortaliser : ces clichés voulaient-ils attirer l’attention du spectateur sur la nouvelle esthétique plus moderne et osée, développée par les brigades muralistes ? Ou servaient-ils à parachever une consécration et une reconnaissance artistique déjà bien engagée ?

Photo du mural El río Mapocho se viste de historia

Source « El Mapocho se viste de historia » in Ramona, N°11, 7 janvier 1972.
Colección Biblioteca Nacional de Chile, disponible en Memoria Chilena.

Un vers tiré du poème de Pablo Neruda «  À mon Parti » rend directement hommage au Parti Communiste dont il était un membre actif. Les mineurs du Nord sont de nouveau mis à l’honneur devant le symbole du marteau et de la faucille, mais cette fois dans un traitement plus dynamique, avec des visages plus expressifs et aux traits épais faisant écho à l’esthétique des muralistes mexicains, notamment Siqueiros et Rivera. Pour autant, il faut noter que certaines parties de la fresque sont peintes dans un style plus abstrait ; les sources d’inspiration sont multiples. Pour Hernán Meschi, la grande rupture entre les brigades de propagande et les muralistes de formation académique se situe aussi bien dans la manière de travailler que dans la recherche de nouvelles formes : eux peignaient ce qu’ils avaient appris, sur un support autre que la toile, alors que les brigades d’action ont créé un système de travail, une méthode, et toute une graphie (contours noirs, couleurs vives de remplissage des lettres) née dans ce contexte socio-politique bien particulier à des fins de communication de masse. On a donc deux types d’organisation et de réseaux distincts, mais qui vont parfois collaborer à des œuvres communes comme nous le verrons avec l’exemple du mural réalisé par la Brigade Ramona Parra et Roberto Matta.

Si les articles sur les peintures murales étaient régulièrement présents dans la revue socialiste El Siglo, (27 articles en 1970, et 26 en 1971), le sujet semble disparaître à la fin des trois ans de l’Unité Populaire : on ne compte plus que 4 articles en 1973 ce qui pourrait laisser croire à un essoufflement du mouvement. Sans autre document et à défaut d’une collecte de témoignages systématique, il est difficile de connaître l’expansion de ce mouvement. Quoi qu’il en soit, on peut bien attester d’un phénomène d’artification (Heinich et Shapiro, 2012) rapide qui se traduit par une institutionnalisation via le Musée d’Art Contemporain de Santiago, une première mise en récit (Saul, 1972) avec un parallèle évident avec l’expérience mexicaine, et une exposition internationale conséquente prévue à la fin de l’année 1973 avec les muralistes mexicains et cubains mais annulée suite au coup d’État. En effet, les auteures définissent le processus d’artification comme un passage de pratiques souvent amateures à travers diverses instances de légitimation visant à transformer la perception même de ces objets ou pratiques et à redéfinir les frontières entre art et non-art. Les archives photographiques nous permettent de saisir l’évolution de forme et de contenu de la Brigade communiste Ramona Parra (BRP) car ces œuvres furent au final les plus photographiées. Se détachant de simples consignes, les contenus évoluent vers des images à part entière venant illustrer les nouvelles mesures du gouvernement. Même si les membres de la BRP furent le groupe le plus visible et structuré, il faut bien leur reconnaître cette capacité à capter l’attention de manière efficace avec un répertoire iconographique facilement identifiable (poing levé, colombe, marteau et faucille, etc.) qui inscrit leur démarche dans une histoire de luttes communes à l’échelle internationale. L’esthétique est définie par les conditions même d’exécution et répond à un objectif de visibilité pour les piétons comme pour les automobilistes.

III. Vers une diversification des prises de vue, des discours et des usages

Comme nous l'avons vu, la photographie a joué un rôle non négligeable dans la légitimation de cette pratique artistique. Nous pouvons constater une grande diversité dans la manière de photographier ces œuvres : tantôt en montrant plusieurs personnes en pleine action (souvent de jeunes étudiants ou lycéens) s’attelant à une grande fresque collective, tantôt en se focalisant sur les détails du rendu final. Il y a également des photos non pas de murales, mais des artistes qui les ont produits. Lorsque Roberto Matta, artiste de renommée internationale à l’époque, participe en 1971 à l’élaboration d’une œuvre collective intitulée « El primer gol del pueblo chileno », une photographie immortalise cette collaboration où il pose entouré de membres de la Brigade Ramona Parra, tel un moment historique dans l’histoire de l’art au Chili.

Roberto Matta et les membres de la Brigade Ramona Parra

Roberto Matta travaillant à la fresque intitulée El primer gol del pueblo chileno réalisée à l’intérieur de la piscine municipale La Granja en novembre 1971 avec les membres de la Brigade Ramona Parra.
Source : Olmedo Carrasco, Carolina. 2012. "El muralismo comunista en Chile: la exposición retrospectiva de las Brigadas Ramona Parra en el Museo de Arte Contemporáneo de Santiago, 1971" in El siglo de los comunistas chilenos 1912-2012. Santiago de Chile : Ariadna Editores CC.

Le titre de l’œuvre évoque de manière imagée la victoire du premier gouvernement socialiste du pays. Ce qui est mis en avant c'est donc ce moment doublement symbolique : la victoire de l’Unité Populaire mais surtout, la possibilité d’un travail commun entre un artiste consacré et des groupes de jeunes ayant appris dans la rue, dans une piscine municipale, en périphérie du coeur de la capitale afin de décentraliser l’accès à l’art et à la culture. En effet, l’urbanisation de la capitale chilienne s’est faite au fil des siècles selon une politique de ségrégation spatiale qui a atteint son paroxysme au moment des grands travaux de réaménagement urbain durant la seconde moitié du du XIXème siècle. Il y avait d’un côté l’espace « civilisé » européen de la capitale, et de l’autre, en périphérie, les zones d’habitations indigènes ou rurales : au centre, les lieux de formation et de monstration répondaient à une fonction civilisatrice, à même de pouvoir éduquer le goût des classes bourgeoises habitant le cœur historique de la capitale, délimité par le fameux « camino de cintura » qui avait à la fois une fonction économique (favoriser l’entrée et la sortie des flux de marchandises ) et symbolique (séparation entre deux mondes : l’archaïque et le moderne) et culturelle (en terme d’accès aux biens culturels comme les bibliothèques, les musées, ou les parcs). Autrement dit, la politisation de l’art au Chili précède la période qui nous concerne puisqu’elle intervenait explicitement dans la configuration du visage de la capitale. C’est pourquoi le lieu de réalisation de cette œuvre était en soi éminemment symbolique. Sans surprise, elle fut recouverte de peinture noire au tout début de la dictature; il aura fallu attendre un premier chantier de restauration en 2006 pour retrouver la peinture originale. Le coup d’État militaire du 11 septembre 1973 sonna la fin d’un mouvement qui avait réussi à marquer l’histoire de l’art nationale. Les peintures les plus significatives furent toutes recouvertes ou détruites, les réseaux démantelés, les acteurs emprisonnés ou exilés. Nous verrons toute l’habileté déployée par la Junte militaire pour renverser cette échelle de valeur à travers un usage de la photographie tout autre : de fait, le meilleur moyen pour décrédibiliser un mouvement n’est pas seulement de l’occulter ou d’empêcher sa pratique, mais de proposer la démonstration visuelle des conséquences néfastes engendrées par une pratique qualifiée d’anarchique et perçue avant tout comme du vandalisme et une atteinte à l’ordre public et à la sécurité du pays.

La Junte militaire a soutenu tout au long de son gouvernement (1973-1989) une politique culturelle parfaitement définie et cohérente, s’enracinant essentiellement sur l’élimination du lègue socialiste et communiste sur la reconstruction culturelle du pays. Le coup d’État militaire du 11 septembre 1973, trouvait sa justification par l’expansion de ce que Pinochet appelait le « cancer communiste ». Sans pour autant édicter le contenu de ce que pourrait être un art officiel, la Junte militaire s’est davantage attelée à détruire tout ce qui avait été mis en route sous le gouvernement de l’Unité Populaire et à enlever toutes traces de ces nouvelles expériences artistiques perçues comme activités trop populaires et trop ancrées dans une idéologie communiste. Dès lors, l’Unité Populaire apparaissait comme « un accident », un épisode qui n’avait pas sa place dans l’Histoire du pays.

La politique antimarxiste menée par le gouvernement affirmait son intention de mettre en place l’individualisme libre contre le collectivisme totalitaire, ce qui supposait de rompre avec tous les réseaux et formes d’associations liées à la gestion artistique, et à remanier les instances culturelles de légitimation : si les brigades muralistes étaient directement visées par ces nouvelles mesures, la Junte militaire qui était alors peu crédible devant la communauté internationale, essayait dans le champ artistique d’éviter toutes mesures trop répressives. Les expositions étaient le fruit d’entreprises privées et portaient sur des thèmes traditionnels, notamment le paysage, afin d’encourager le tourisme.

On assista alors à une sorte de démonstration par l’image de ce qu’avaient engendré l’épisode du socialisme et le « retour à la normale » effectué par la Junte à travers un livre au titre évocateur (Chile, Ayer y Hoy, paru en 1975 en édition trilingue, français, anglais, espagnol), proposé par le gouvernement et destiné à la communauté internationale afin de justifier cette prise de pouvoir et de donner une image positive du Chili. Cet ouvrage est en réalité un livre d’images en noir et blanc, élaboré sur le mode de la comparaison : le Chili d’hier symboliquement sur les pages de gauche et le Chili d’aujourd’hui sur les pages de droite. Des légendes viennent commenter les photographies afin de valoriser la situation actuelle et montrer les effets positifs du nouveau gouvernement. Cette vision binaire n’est pas sans rappeler les expositions tristement connues sur l’art « dégénéré » et l’art officiel allemand qui ont circulé dans les grandes villes allemandes dès 1937.

Foto de estudiantes en Chile

Hier. Les étudiants étaient des propagandistes utilisés par les professeurs marxistes qui les envoyaient « accomplir des taches dans la rue ».
Aujourd’hui. Parmi les étudiants règne la camaraderie.
Source : Chile, Ayer, Hoy, Santiago : Édition Gabriela Mistral, 1975, p.16-17.

Sur l’ensemble de l’ouvrage, six double-pages concernent directement ou indirectement les peintures de rue. Sans surprise, on ne trouve finalement aucune photographie des grandes fresques murales avec un travail artistique conséquent comme celles réalisées pour les cinquante ans du Parti Communiste ou l’œuvre de Roberto Matta et de la BRP pour la piscine de La Granja. C’est ici la pratique dans son ensemble qui est condamnée par la Junte Militaire alors qu’au même moment, se formaient déjà des collectifs muralistes d’artistes chiliens exilés en signe de résistance et dont on a pu voir les travaux à la Biennale de Venise de 1975.

C’est pourquoi, invisibilisation ne veut pas dire absence d’image. Nous pouvons imaginer que ces photographies avaient été soigneusement choisies puisque l’ouvrage ne retenait que les rayados les plus politiques, c’est-à-dire ceux réalisés pendant la campagne présidentielle, sans laisser entrevoir la mutation de ces objets en des œuvres plastiques monumentales avec une dimension artistique volontairement mise au premier plan après l’élection d’Allende. D’autre part, cet ouvrage soulignait le chaos qui pouvait régner dans ces groupes, la dimension récréative, la portée exclusivement politique de ces objets au service d’une idéologie étrangère. De ce fait, les peintures murales de rue n'avaient plus leur place dans le paysage urbain, cette pratique étant tombée — de nouveau — dans l’illégalité. On assista à un phénomène pourtant remarquable : les groupes de muralistes qui se reformèrent à partir des premières contestations au début des années 1980 produisirent leurs propres archives photographiques. Concernant la période de la dictature militaire, on a donc paradoxalement une pratique mieux documentée, qui a laissé des témoignages écrits, oraux et photographiques. Ces clichés servirent de corpus de base lors du retour à la démocratie au début des années 1990 dans un ouvrage devenu célèbre d’une artiste plasticienne anciennement exilée et qui a souhaité faire une compilation des peintures murales réalisées durant ces années de terreur (Bellange,1995). Nous pouvons alors facilement prendre la mesure de l’ampleur de cette pratique qui renaît dans un climat de contestation, de dénonciation et de commémoration de victimes. Nous avons l’exemple de Mauricio Muñoz, actif dans plusieurs brigades et dont les archives personnelles permettent de voir la transposition d’un même motif dans différents quartiers. Aussi bien peintre que photographe, Mauricio Muñoz a effectué un travail important de collecte d’archives photographiques qui mériterait d’être mieux connu et exploité dans le cadre d’une histoire de l’art urbain au Chili.

Photo de Mauricio Muñoz

Photo d'une peinture sur tissu, qui aurait été prise entre 1982 et 1983. Le dessin aurait été réalisé par Luis Enriquez. © Mauricio Muñoz, archives personnelles.

Photo de Mauricio Muñoz

© Mauricio Muñoz, archives personnelles.

C'est aussi le cas du groupe féministe BLA (pour Brigade Laura Allende), qui pour l’instant n’apparaît dans aucun livre sur le sujet, mais qui a effectué des peintures rapides dans le centre de la ville notamment lors des manifestations de contestation qui constituaient un cadre idéal pour cette pratique.

BLA photo de Mauricio Muñoz

Œuvre du groupe féministe BLA (Brigade Laura Allende). © Mauricio Muñoz, archives personnelles.

On trouve également des réinterprétations d’œuvres d’artistes célèbres comme Salvador Dalí. Celle que l’on peut voir ci-dessous fut probablement réalisée l’année de sa mort en 1989, comme signe de commémoration, mais aussi parce que le moment politique s’y prêtait bien : l'élection de Patricio Aylwin le 14 décembre 1989 marquait le retour à un état démocratique.

Photo dun mural

Mural réalisé par une brigade du Mouvement Humanisme (Movimiento Humanismo) dont Mario Luis Rodriguez Cobos alias SILO, est le fondateur. Sous l’insigne du parti on peut lire «  la communauté pour l’équilibre de l’être humain ». © Mauricio Muñoz, archives personnelles.

Jacques Lancelot, prêtre du quartier de la Victoria, avait lui aussi collecté des photos en gros plans de peintures réalisées dans ce quartier extrêmement stigmatisé, et dont les habitants ont été les premières victimes. Ces photographies furent par la suite éditées sous forme de cartes postales avec des légendes, que nous ont transmises les sœurs habitant dans ce quartier.

Photos de Jacques Lancelot

Cartes postales éditées par Jacques Lancelot, 1985-1986. © Carine Lemouneau
À gauche : « L’amour des couples et la vie de famille ont aussi leur place sur les murs de leur quartier ».
À droite : « Le chômage et la répression n’ont pas éteint, dans le peuple chilien, la joie de vivre et le goût de la fête ».

Nous pouvons alors y voir, comme nous y invitent les légendes, des messages d’amour et d’espoir. Ces œuvres contrastent ainsi avec les peintures de dénonciation ou des portraits de disparus reproduits sur les murs du quartier. Enfin, dans certains cas, à l’inverse, la photographie de presse va servir de support pour des peintures murales, souvent commémoratives, de personnalités importantes du quartier, notamment les prêtres de la Victoria. Par exemple, la photographie du prêtre Pierre Dubois s’interposant entre les militaires et les habitants à l’entrée du quartier de La Victoria le 27 mars 1984 a servi de modèle pour la composition d’un mural de la brigade La Garrapata réalisé en 2013 dans ce même quartier.

Photo de Carine Lemouneau

 Mural de la brigade La Garrapata réalisé en 2013, quartier de La Victoria. © Carine Lemouneau

Peinture murale du quartier de La Victoria

Peinture murale du quartier de La Victoria, restaurée en novembre 1989. © Mauricio Muñoz, archives personnelles.

Revue El Siglo, du 27 novembre au 10 décembre 1989, p.21

Revue El Siglo, du 27 novembre au 10 décembre 1989, p. 21. © Carine Lemouneau

Conclusion

À travers cet article, nous souhaitons apporter une lecture beaucoup plus complexe du développement de la peinture murale urbaine à Santiago du Chili selon un angle d’approche qui s’écarte d’une simple évolution des styles et des sujets. Comme nous avons pu le voir, il y a plusieurs temporalités concernant la production et la diffusion des peintures murales où la photographie a joué un rôle central par sa capacité à produire des archives, être réplicable, illustrer un discours ou encore à servir de modèle.

Elle va dans un premier temps donner une ampleur à cette pratique et la faire exister en tant qu’événement ; si les murales étaient uniques, la photographie est quant à elle reproductible à l’infini, circule rapidement, et dispose d’une durée de vie plus avantageuse que les peintures murales. Nous voyons bien que l'instrument photographique a donc d’abord permis de façonner le regard du grand public sur l’évolution d’une pratique de communication graphique (les rayados) à une pratique artistique à part entière. Les groupes muralistes ayant changé d’objectifs durant le gouvernement de l’Unité Populaire, les prises de vue vont elles aussi naturellement évoluer. Nous pouvons constater que les clichés des peintures murales ne vont plus mettre l’accent sur un investissement collectif des murs de la ville de la part de groupes de jeunes individus, mais davantage sur la technique, la recherche plastique et l’originalité des œuvres produites. Immortaliser ces moments et ces œuvres par nature éphémères et soumises aux aléas du temps faisait partie de la stratégie du nouveau gouvernement en place. D’ailleurs, certaines œuvres étaient réalisées de manière officielle et pour durer. Finalement, l’histoire de l’évolution des peintures murales aussi bien nationales que continentales repose sur le perfectionnement depuis le milieu du XIXème siècle de l’appareil photographique. Qu’il s’agisse de fresques murales réalisées à l’intérieur de bâtiments ou de peintures de rue éphémères, la photographie va offrir la possibilité de tisser des comparaisons, de comprendre et saisir les points communs ou les différences, autrement dit, de mettre ces images en résonance malgré des moments historiques et des régions de production extrêmement divers.

La mise en contextualisation de ces clichés est également un aspect important à prendre en compte dans l’étude des liens entre photographie et peinture murale. La relation texte/image dans le fameux ouvrage publié par la Junte militaire en 1975 nous rappelle qu’une image, une photographie ou une toile est toujours perçue sous le prisme du texte, de la légende ou du cartel qui l’accompagne : elle ne parle ainsi que rarement pour elle-même puisque son interprétation est déjà guidée par le discours qui oriente sa perception.

Suite au coup d’État militaire et après dix longues années d’autocensure, de nouveaux collectifs vont faire surface soutenus le plus souvent par des concitoyens de retour d’exil et probablement influencés par le développement de l’art urbain nord-américain ou européen ; la renaissance des peintures murales urbaines va aller de pair avec le développement de la photographie amateur. Ce travail d’archivage fera en quelque sorte partie du travail des groupes muralistes. Ces clichés acquerront par la suite le statut d’archives visuelles dans les années 1990. Dorénavant, ce sont les artistes urbains eux-même qui vont pouvoir documenter ces réalisations éphémères et de résistance, et montrer ainsi la diversité des possibilités d’exécution. Mais ici, la photographie ne sert plus seulement à documenter ; certains portraits photographiques vont servir de modèles pour des compositions de plus en plus élaborées et changeantes au fil des années.

Il est donc contre-intuitif de penser que le contrôle de l’espace urbain opéré par la junte mit fin à la prolifération des peintures murales : d’une part, les peintres de profession exilés comme José Balmès perpétuèrent cette pratique en la rendant « exportable » sur des panneaux peints à l’étranger dans des villes à tendance socialiste, afin de dénoncer la dictature militaire. D’autre part, c’est dans ce climat de contestation de la dictature du Général Pinochet que les peintures murales vont être les plus nombreuses, les plus documentées, et aussi les plus préservées par les habitants eux-mêmes dans certains quartiers de la capitale dans la mesure où elles renferment une charge émotionnelle très forte. Cela pourrait d’ailleurs faire l’objet d’une autre étude.

Notes

Références bibliographiques et sitographiques

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Pour aller plus loin

Sitographie

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Filmographie

MATTELART Armand, MAYOUX Valérie, MEPPIEL Jacqueline (commentaires de Chris Marker). 1976. La spirale. En ligne : https://www.youtube.com/watch?v=nnZI4RX5Fh4

 

Pour citer cette ressource :

Carine Lemouneau, "Photographie et peintures murales urbaines au Chili entre 1970 et 1989 : créations, diffusions et narrations", La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), décembre 2021. Consulté le 29/03/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/espagnol/arts/arts-visuels/les-classiques-de-la-peinture-hispanique/photographie-et-peintures-murales-urbaines-au-chili-entre-1970-et-1989-creations-diffusions-et-narrations