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La présidence Obama ou la confirmation d’un renforcement institutionnel transpartisan de l’exécutif américain

Par Hamed Jendoubi : PRAG - Université Paris II Panthéon-Assas
Publié par Marion Coste le 22/05/2017
La présidence américaine, dirigée par celui que l'on présente volontiers comme le « leader du monde libre », est aujourd'hui une institution bien plus puissante que lors de sa création en 1787. Cet article partira d'une analyse de la présidence de Barack Obama pour insister sur le caractère transpartisan de ce renforcement institutionnel, qui est aussi bien le fait de présidents démocrates que de leurs homologues républicains.

Introduction

La Constitution américaine, rédigée en 1787, avait pour objectif premier de garantir la pérennité de la nature démocratique du régime politique. Conscients de la place centrale occupée dans le processus ayant mené à la Guerre d’Indépendance par le refus de toute forme de tyrannie, les Pères fondateurs voyaient dans la mise en place d’un pouvoir exécutif trop puissant le chemin le plus court vers un système antidémocratique dont aucun Américain ne voulait. La peur d’une éventuelle « tyrannie de l’exécutif » était telle que les rédacteurs de la première Constitution américaine, les Articles de la Confédération de 1781, avaient renoncé à créer un pouvoir exécutif indépendant, préférant alors demander au Congrès de cumuler les fonctions législatives et exécutives.

Un tel système ayant vite démontré ses limites et l’accomplissement des fonctions régaliennes de l’État s’étant avéré difficile pour ne pas dire impossible, la rédaction d’un nouveau texte mettant en place un véritable pouvoir exécutif indépendant du législatif fut nécessaire, et la Constitution de 1787, celle-là même qui est encore aujourd’hui la Constitution des États-Unis, se chargea d’édifier un système fédéral composé de trois pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire) à la fois souverains et interconnectés par le système des freins et contrepoids ((En anglais, checks and balances.)). Pour autant, la peur d’un exécutif suffisamment puissant pour remettre en cause les équilibres institutionnels et démocratiques n’avait pas disparu sous le poids de la nécessité, et la Constitution a créé une présidence limitée dans ses attributions et dépendante des autres pouvoirs fédéraux.

Ainsi, si le président a le droit de choisir les juges fédéraux, la Constitution précise que leur nomination doit être confirmée par une majorité des sénateurs. Le véto présidentiel peut quant à lui être surmonté par une majorité des deux tiers dans chacune des deux chambres du Congrès, et les traités conclus par le président au nom des États-Unis doivent être approuvés par deux tiers des membres de la Chambre haute. Ces limites constitutionnelles qui lui étaient imposées étaient censées maintenir l’exécutif sous l’œil vigilant des autres pouvoirs fédéraux, et notamment du Congrès.

1. La présidence impériale

Pour autant, ce constat initial contraste fortement avec l’évolution de l’institution présidentielle au cours des dernières décennies : alors qu’elle n’était même pas censée être l’institution dominante du système politique américain (une simple lecture de la Constitution démontre la supériorité théorique du Congrès en termes d’étendue des prérogatives), la présidence américaine est aujourd’hui volontiers présentée comme l’institution politique la plus puissante au monde. En 1973, en plein scandale du Watergate et alors que les Américains découvraient avec stupéfaction que leur président, Richard Nixon, s’était rendu coupable de faux témoignage ou encore d’obstruction à la justice dans le seul but d’affaiblir ses opposants politiques, l’historien américain Arthur Schlesinger allait même jusqu’à évoquer une « présidence impériale » et décrivait une institution qui s’était selon lui libérée de ses entraves constitutionnelles au point d’accoucher d’une présidence non plus républicaine mais impériale, qu’il définissait de la manière suivante :

Quand l’équilibre constitutionnel est renversé en faveur des pouvoirs du président et aux dépens de l’obligation qui lui est faite de rendre des comptes, la présidence peut être qualifiée d’impériale. ((Arthur Schlesinger Jr, The Imperial Presidency, Mariner Books, 2004 (première édition en 1973), page ix. Citation originale : « When the Constitutional balance is upset in favor of presidential power and at the expense of presidential accountability, the office can be said to become imperial. »))

Schlesinger fait le constat d’un processus de renforcement de la présidence américaine entamé en réalité dès les premières heures de l’exercice du pouvoir exécutif et dont le Watergate représentait l’apogée plutôt que la naissance : le président se pensait maintenant suffisamment puissant et à l’abri des lois pour se permettre de mettre sous surveillance ses opposants politiques.

Mais il s’agissait bien là d’un processus au long cours et non d’un épiphénomène limité à une mandature, aussi particulière fût-elle. Les présidents américains n’avaient pas attendu Nixon pour décider unilatéralement l’engagement de troupes américaines à l’étranger alors même que la Constitution donne au Congrès le pouvoir exclusif de déclarer la guerre, contourner le processus législatif en prenant quelques-unes des décisions les plus importantes de l’histoire du pays par le biais de décrets exécutifs jamais prévus par le texte constitutionnel, ou signer des accords exécutifs permettant au président de conclure une entente avec une nation étrangère sans avoir à passer par la procédure de ratification des traités. Nixon était donc le révélateur du renforcement de l’institution présidentielle davantage que son unique ou même son principal artisan.

S’il n’est donc pas le fait d’un seul président, ce renforcement institutionnel n’est pas non plus l’œuvre d’un seul parti. Certes, le concept de présidence impériale est « né » au cours d’une mandature républicaine. Mais un regard rapide sur l’histoire des États-Unis suffit à se convaincre que le renforcement de la présidence est un phénomène institutionnel davantage qu’une manœuvre partisane qui serait l’apanage exclusif des Républicains. Dès la première moitié du 20ème siècle, Woodrow Wilson et surtout Franklin Roosevelt, tous deux issus du Parti démocrate, ont été décrits par leurs opposants politiques comme des présidents peu respectueux de l’équilibre des pouvoirs, Roosevelt étant même clairement qualifié de dictateur en puissance par certains au moment de son conflit ouvert avec la Cour suprême en 1937 ((Contrarié par une Cour suprême majoritairement hostile au New Deal et qui avait déjà frappé d’inconstitutionnalité quelques-unes des lois les plus importantes des premières années de sa présidence, Roosevelt souhaite faire passer le nombre de juges de la plus haute cour du pays à 15 (au lieu de 9) de manière à noyer la majorité conservatrice de la Cour en nommant lui-même des juges qui seraient plus favorables à ses idées. La manœuvre n’aurait rien eu d’illégal puisque le nombre de juges de la Cour suprême n’est pas fixé par la Constitution, mais de nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer une dérive autoritaire du président.)). Plus récemment, le comportement d’un Lyndon Johnson forçant la main du Congrès pour obtenir un soutien législatif à la Guerre du Vietnam tout en prenant soin de rappeler qu’il n’avait pas besoin de ce soutien pour lancer les hostilités sera repris à l’identique par George W. Bush au moment des guerres en Afghanistan et en Irak. Enfin, les opérations militaires en Serbie, au Soudan, en Afghanistan ou en Iraq décidées unilatéralement par Bill Clinton sans aucune autorisation préalable du Congrès ont également démontré que les Démocrates étaient au moins autant en mesure que leurs homologues de la droite américaine d’utiliser l’accroissement du pouvoir présidentiel à leur avantage.

2. Barack Obama : entre promesses de changement et poursuite du renforcement de l’exécutif

Ce caractère transpartisan du renforcement de l’institution présidentielle n’a pas évité à Barack Obama de devoir prendre en compte, lors de sa première campagne victorieuse en 2008, la demande d’un retour à une présidence plus modeste et respectueuse de la séparation des pouvoirs. Le candidat Obama fut alors élu au moins en partie sur une volonté de changement, un changement dont il avait d’ailleurs fait un slogan de campagne et qui devait être mesuré entre autres par rapport à son prédécesseur immédiat, George W. Bush. Ledit changement devait concerner tous les domaines, aussi bien politiques qu’institutionnels, et l’utilisation du pouvoir présidentiel apparut très rapidement comme l’un des critères sur lesquels le nouveau président allait être jugé. Son prédécesseur avait, au lendemain du 11 septembre, poussé tellement loin les limites du pouvoir exécutif que Barack Obama, lui-même ancien professeur de droit constitutionnel, était attendu sur sa capacité à ramener la présidence américaine dans les limites que la loi organique lui imposait.

Le candidat Obama lui-même fit part, durant la campagne de 2008, de son inquiétude vis-à-vis de l’accroissement du pouvoir présidentiel durant la mandature qui s’achevait et de sa volonté, une fois aux responsabilités, de revenir à une vision plus modeste des pouvoirs de l’institution qu’il prétendait diriger :

J’ai enseigné le droit constitutionnel pendant dix ans, je prends la Constitution très au sérieux. Les problèmes les plus graves auxquels nous faisons face actuellement sont liés à la façon dont George Bush essaye d’accumuler de plus en plus de pouvoir au sein de l'exécutif sans passer par le Congrès. Et c’est une tendance que j’ai l’intention d’inverser lorsque je deviendrai président des États-Unis. ((Propos tenus le 31 mars 2008 lors d’un meeting de campagne dans la ville de Lancaster en Pennsylvanie. La vidéo est consultable à l’adresse suivante : https://www.youtube.com/watch?v=a3IWq3CXHyc))

Pourtant, alors que la présidence Obama vient de prendre fin, il semble difficile d’affirmer que le pouvoir exécutif américain a reculé ou même stagné au cours des huit dernières années. Si la plus grande victoire législative de la présidence Obama, la loi de réforme du système de santé mieux connue sous le nom d’Obamacare, est le fruit d’une répartition des rôles institutionnels somme toute assez classique puisqu’il s’agit d’une loi adoptée par le législatif et appliquée par la présidence, les deux institutions étant sous contrôle du Parti démocrate lors de l’adoption de la loi, la prise en main partielle (dès 2011) puis totale (à partir de 2015) du Congrès par les Républicains a placé Barack Obama dans une situation de cohabitation partisane dans laquelle le président a à de nombreuses reprises fait usage des pouvoirs unilatéraux de la présidence pour tenter d’engranger des victoires politiques qui ne pouvaient désormais plus être obtenues par la voie traditionnelle de la collaboration entre exécutif et législatif.

Barack Obama lui-même reconnaissait volontiers ce changement de méthode institutionnelle et cette utilisation plus offensive du pouvoir exécutif lors d’une déclaration publique faisant suite au premier conseil des ministres de l’année 2014.

Nous n’allons pas nous contenter d’attendre des avancées législatives pour faire en sorte de fournir aux Américains l’aide dont ils ont besoin. J’ai en ma possession un stylo et un téléphone, et je peux me servir de ce stylo pour signer des décrets présidentiels et accomplir des choses au niveau exécutif et administratif qui permettront d’obtenir des résultats, de faire en sorte que nos enfants reçoivent la meilleure éducation possible, que nos entreprises reçoivent l’aide dont elles ont besoin, que les gens puissent être formés afin d’être à même de trouver un emploi.

Le président Obama n’a d’ailleurs pas hésité à passer de la parole aux actes. Ainsi, les directives présidentielles DACA ((Deferred Action for Childhood Arrivals)) et DAPA ((Deferred Action for Parents of Americans and Lawful Permanent Residents)), ont permis à l'Administration Obama, de manière unilatérale et donc sans avoir à obtenir l'assentiment du Congrès, d'accorder aux clandestins arrivés mineurs sur le sol américain ainsi qu’aux parents clandestins d’enfants nés sur le sol américain une amnistie de deux ou trois ans et la possibilité de solliciter un permis de travail. Les directives en question pouvaient potentiellement concerner jusqu’à cinq millions de personnes, soit près de la moitié de la population clandestine estimée des États-Unis.

Une coalition de 26 états décide alors de porter l’affaire devant les tribunaux fédéraux et obtiendra gain de cause puisqu’une cour fédérale de première instance ainsi qu’une cour d’appel fédérale donneront tort à l’Administration Obama, la cour d’appel allant même jusqu’à affirmer que les deux directives présidentielles enfreignaient les lois américaines liées à l’immigration et la naturalisation. L’affaire arrivera jusqu’à la Cour suprême qui, composée de huit membres suite au décès du juge Antonin Scalia, rendra une décision paritaire ((Dans l’arrêt États-Unis c. Texas, 579__ US (2016))) qui confirme donc la décision prise par les cours inférieures, et ne permettra pas à l’Administration Obama de mettre en place les directives DACA et DAPA.

La plus haute juridiction du pays a également dû rappeler à la présidence les limites que la Constitution lui impose dans un autre domaine, celui des nominations par le président des membres de l’administration fédérale. L’Article II de la Constitution précise en effet que le président doit les nommer « avec l’avis et le consentement du Sénat », mais lui donne la possibilité de procéder seul à des nominations temporaires lorsqu’une vacance intervient alors que le Sénat n’est pas en session. Au cours de l’année 2012, l’Administration Obama a de manière unilatérale interprété un ralentissement du travail quotidien du Sénat comme une absence de session parlementaire, et en a profité pour nommer trois nouveaux membres du Bureau National des Relations du Travail. Dans une décision unanime ((Arrêt NLRB c. Noel Canning, 573 __ US (2014))) en forme de camouflet pour la présidence, la Cour suprême a infirmé le droit du président de procéder à de telles nominations en concluant que seul le Sénat, et non l’exécutif, était en mesure de déterminer si la Chambre haute était ou non en session.

Ces deux affaires, aussi importantes soient-elles, ne sont que deux exemples parmi d’autres de la relation tendue qu’a entretenue l’Administration Obama avec la Cour suprême au sujet des limites du pouvoir exécutif. On évoquera également, dans ce domaine, la décision Hobby Lobby de 2014 ((Le nom exact de l’arrêt est Burwell c. Hobby Lobby Stores, Inc., 573 __ US (2014))). Suite à l’adoption de la loi de réforme du système de santé Obamacare, le Département de la santé avait contraint les entreprises américaines fournissant à leurs employés une assurance santé à inclure dans celle-ci la prise en charge de certains traitements contraceptifs. Les propriétaires de l’entreprise familiale Hobby Lobby ont alors poursuivi l’État américain en justice car cette obligation portait selon eux atteinte à leur liberté de culte en les forçant à financer des méthodes contraceptives contraires à leurs convictions religieuses. La Cour suprême leur donna raison dans la décision Burwell c. Hobby Lobby, infligeant par la même une défaite judiciaire à l’Administration Obama.

Plus généralement, une étude réalisée par le célèbre site d’analyse statistique Five Thirty Eight a mis en lumière le fait que l’Administration Obama n’avait, à la fin du mois de juin 2015, remporté que 47% des affaires jugées par la Cour suprême dans lesquelles elle était impliquée, soit le plus faible total pour n’importe quel président américain depuis Harry Truman dans les années 1940. ((Les conclusions de l’étude sont consultables à l’adresse suivante : https://fivethirtyeight.com/datalab/despite-this-weeks-victories-obama-has-struggled-at-the-supreme-court/))

Dans le domaine de l’énergie, Barack Obama, confronté à l’attitude frileuse des Républicains sur la thématique du changement climatique et de ses conséquences environnementales, a mis en place un projet connu sous le nom de Clean Power Plan, dont l’objectif annoncé était de réduire de 32% les émissions de dioxyde de carbone par les centrales électriques américaines à l’horizon 2025.

Le plan a été géré exclusivement par la Maison-Blanche et l’Agence américaine de protection de l’environnement ((Environmental Protection Agency, ou EPA.)), elle-même placée sous la responsabilité du président, sans que le Congrès soit impliqué dans un projet pourtant législatif par nature. Les critiques dénonçant un abus de pouvoir de l’Administration Obama ont été nombreuses et toutes ne sont pas venues des rangs républicains. Ainsi, Lawrence Tribe, professeur de droit constitutionnel à l’université d’Harvard, homme de gauche et, symboliquement, ancien professeur de Barack Obama, s’est montré très critique à l’encontre de son ancien élève en affirmant que « bruler la Constitution ne devrait pas faire partie de notre politique énergétique ».

Des polémiques ont également émergé dans le domaine de l’exécution des lois, devenu depuis les années 1970 l’un des principaux points d’achoppement entre présidence et Congrès. La Constitution américaine est on en peut plus claire sur le fait que la principale tâche de l’exécutif, si ce n’est sa seule raison d’être, est de « veiller à la fidèle exécution des lois » adoptées par le Congrès. Toutefois, confrontés de plus en plus souvent à des lois en forme de fourre-tout législatifs adoptées par un Congrès fréquemment contrôlé par leurs adversaires politiques, les présidents américains ont développé des techniques administratives leur permettant de remettre en cause, à des fins politiques, leur engagement constitutionnel en matière d’exécution des lois.

Dès 1974, le Congrès adoptait ainsi le Congressional Budget and Impoundment Control Act, censé mettre fin à la pratique de l’administration Nixon qui consistait à ne pas exécuter certaines dispositions de loi en refusant de dépenser les fonds publics alloués par le Congrès. Plus tard, à partir de la présidence de Ronald Reagan et de manière décuplée durant la présidence de George W. Bush, les chefs de l’État ont pris pour habitude de rédiger des documents connus sous le nom de déclarations de promulgation ((En anglais, signing statements ou presidential signing statements.)). Dans ce document qu’il joint à une loi qu'il a accepté de promulguer, le président annonce se réserver le droit de ne pas exécuter certaines dispositions qu'il juge problématiques d'un point de vue constitutionnel, quand bien même les dispositions en question ont été adoptées par le Congrès et promulguées par le président lui-même.

Cet apparent renoncement au devoir constitutionnel du président d'exécuter toute loi qu'il accepte de promulguer (et à laquelle il n'oppose donc pas son veto) a fini par créer une vive polémique institutionnelle et médiatique au cours de la présidence de George W. Bush, cette pratique de la déclaration de promulgation ayant pris une ampleur sans précédent durant sa mandature.

Censé incarner un changement radical par rapport au président l'ayant précédé, Barack Obama fut interrogé dès sa campagne présidentielle de 2008 sur la position et le comportement qu’il adopterait, s’il devait être élu, vis-à-vis de ces déclarations de promulgation. Plus précisément, il lui fut demandé s’il pouvait promettre de ne pas utiliser de déclarations de promulgation pour altérer à son avantage le processus législatif. La réponse de celui qui était alors sénateur de l’Illinois fut sans équivoque :

Notre système politique a été construit par les Pères fondateurs de manière à ce qu’il y ait des freins et contrepoids. Nous ne voulons pas d’un président trop puissant, d’un Congrès trop puissant, ou de cours trop puissantes, chacun a son propre rôle. Le rôle du Congrès est d’adopter des lois. Le président peut promulguer ces lois ou utiliser son droit de veto.

Mais George Bush, dans sa tentative d’accroître les pouvoirs de la présidence, a tenté d’affirmer son droit de changer ce que le Congrès a adopté en joignant une lettre disant « je ne suis pas d’accord avec telle ou telle partie de la loi, je vais choisir de l’interpréter de telle ou telle manière. » Cela ne fait pas partie de ses pouvoirs, mais George Bush croit qu’il peut inventer des lois comme bon lui semble. Je suis en désaccord avec cette pratique, j’ai enseigné la Constitution pendant dix ans, je crois en la Constitution et j’obéirai à la Constitution des États-Unis. Nous n’utiliserons pas les déclarations de promulgation pour contourner les pouvoirs du Congrès. ((Propos tenus le 19 mai 2008 lors d’un meeting de campagne dans la ville de Billings dans le Montana. La vidéo est consultable à l’adresse suivante : https://www.youtube.com/watch?v=4iGAgocmI54))

Les choses semblaient claires : celui qui deviendrait quelques mois plus tard le 44ème président des États-Unis semblait rejeter la pratique des déclarations de promulgation et s’engager dans la voie d’une répartition traditionnelle des rôles au sein de laquelle le Congrès adopte les lois et l’exécutif les applique sans autre forme de procès.

Pourtant, la présidence Obama va donner un nouvel élan à la polémique autour des déclarations de promulgation en donnant naissance à une polémique à laquelle même la présidence Bush avait échappé : un cas clair et avéré d’une disposition de loi adoptée par le législatif, promulguée par le président, et qui ne sera pourtant pas appliquée par l’exécutif après avoir vu sa légitimité remise en cause par le président dans une déclaration de promulgation.

Ainsi, le 31 mai 2014, le sergent de l’armée américaine Bowe Bergdhal, détenu par les Talibans depuis le mois de juin 2009, est libéré dans le cadre d’un échange incluant cinq prisonniers Talibans détenus à Guantanamo. Or, les conditions d’une éventuelle libération de détenus de la prison de Guantanamo étaient réglementées par la disposition 1035 de la loi d’Autorisation de la Défense nationale pour l’année fiscale 2014 ((En anglais, National Defense Authorization Act, FY 2014.)), intitulée « transfert vers des pays étrangers d’individus détenus à la base navale américaine de Guantanamo », et qui autorisait l’exécutif à procéder à de tels transferts à la condition, entre autres, que « Le ministre de la Défense prévienne les commissions compétentes du Congrès (…) au moins 30 jours avant le transfert ou la libération de l’individu.»

Toutefois, dans le cas des cinq Talibans détenus à Guantanamo et échangés contre le sergent Bowe Bergdhal, le Congrès n’a été prévenu par l’exécutif que quelques heures avant l’échange et l’Administration Obama n’a donc pas respecté les termes de la disposition 1035, dont elle avait remis en cause la constitutionnalité dans sa déclaration de promulgation relative à la loi d’Autorisation de la Défense nationale pour l’année fiscale 2014, loi que le président avait pourtant accepté de promulguer.

Au-delà de ce seul cas, là thématique de l’exécution des lois par la présidence a surgi à plusieurs reprises au cours des deux mandats de Barack Obama, notamment dans le cadre de l’exécution de la loi phare de sa présidence, la réforme du système de santé dite Obamacare.

Ainsi, au moins trois dispositions au sein du large édifice législatif que représente cette loi (la mise en place d’un plafond pour les franchises médicales, l’obligation faite à toute entreprise de plus de cinquante employés d’assurer ces derniers, et celle faite à tout Américain de choisir une assurance santé compatible avec Obamacare) ont vu leur application repoussée dans le temps par l’Administration Obama sans que cela ne semble être autorisé par la loi en question.

La question constitutionnelle posée par une telle pratique est à la fois complexe et essentielle puisqu’il s’agit de savoir si le président a le droit, au nom de son devoir d’exécuter les lois adoptées par le législatif, de repousser l’exécution de certains aspects de la loi s’il l’estime nécessaire, ou si une telle démarche est par essence législative et constitue en réalité, dans les cas où une date limite d’exécution est explicitée par le texte législatif lui-même (ce qui était le cas des trois dispositions citées plus haut), une réécriture de la loi.

Plusieurs épisodes polémiques survenus au cours des huit ans de présidence de Barack Obama ont également rappelé la capacité de l’exécutif de s’affranchir des règles légales et constitutionnelles relatives à la protection de la vie privée des Américains. Ainsi, les révélations du célèbre lanceur d’alerte Edward Snowden ont permis de (re)mettre en évidence la capacité de la NSA de surveiller les communications personnelles de tous les Américains de manière totalement illégale puisque toute surveillance des communications privées d’un citoyen Américain est censée être précédée de l’attribution d’un mandat par une Cour spéciale. Le Trésor public américain a également été accusé d’utiliser les procédures d’exemption d’impôts réservées aux organisations à but non lucratif pour favoriser les organismes réputés proches politiquement du président et des Démocrates et, au contraire, désavantager les organisations conservatrices.

A l’heure d’établir le bilan de la présidence Obama, il semble donc difficile pour ne pas dire impossible d’affirmer que l’utilisation du pouvoir exécutif par le 44ème président des États-Unis a été plus modeste ou moins offensive que celle de son prédécesseur.

3. Le renforcement de la présidence n’a pas d’étiquette partisane

Si l’on s’est essentiellement concentré, dans le cadre de cet article, sur la pratique du pouvoir exécutif par Barack Obama, il est essentiel de rappeler, comme on l’a fait pour Richard Nixon, que le 44ème président des États-Unis ne fut en aucun cas une exception en matière de renforcement institutionnel de la présidence américaine.

Loin d’être une anomalie, la présidence Obama a au contraire représenté, en termes d’utilisation et d’accroissement du pouvoir présidentiel, la continuation d’un processus de renforcement des prérogatives de l’exécutif entamé en réalité dès les premières heures de l’institution présidentielle et qui a connu un tournant décisif dans les années 1930 avec l’arrivée au pouvoir de Franklin Roosevelt. Et il n’y a aucune raison de penser que ce processus cessera ou sera même ralenti suite au récent départ de la Maison-Blanche de Barack Obama. Si l’on se gardera bien de porter un jugement définitif sur une présidence Trump qui vient à peine de commencer, les premières semaines d’exercice du pouvoir par le nouveau président américain ne semblent pas, et c’est le moins que l’on puisse dire, présager d’une modestie institutionnelle retrouvée.

En réalité, le renforcement constant de la présidence a cessé depuis longtemps d’être une question institutionnelle, puisque le changement a été constaté et pérennisé par de nombreuses administrations successives et qu’il semble difficile, tant que les États-Unis continueront à être la première puissance économique, militaire et diplomatique du monde, d’imaginer un retour en arrière vers une présidence américaine plus modeste institutionnellement qu’elle ne l’est aujourd’hui. Le « leader du monde libre » pourrait difficilement jouer les seconds rôles dans son propre pays.

En revanche, l’idée même de présidence impériale reste une question politique de premier ordre puisque aujourd’hui encore, la sphère médiatico-politique et même la société américaine dans son ensemble ocillent régulièrement, au gré des alternances partisanes, entre volonté de voir le président agir et rejet d’une personnalisation du pouvoir qui, par bien des aspects, va à l’encontre de l’histoire politique du pays.

Depuis des décennies, et à de rares exceptions près (comme la période qui a immédiatement suivi les attentats du 11 septembre, au cours de laquelle l’unité nationale autour de la personne du président Bush a empêché toute critique à son encontre), la réaction des deux grands partis américains vis-à-vis de l’accroissement du pouvoir présidentiel a peu ou prou été la même : présenté comme nécessaire pour le bien du peuple américain par le parti du président, dénoncé comme une violation sans précédent de la Constitution et de la nature démocratique du régime par le parti d’opposition. Des positions évidemment interchangeables selon que le président fut démocrate ou républicain.

Ainsi, les Démocrates se sont montrés on ne peut plus critiques à l’égard de George W. Bush, voyant dans sa définition très large des prérogatives de l’exécutif une remise en cause de l’équilibre institutionnel et de la notion même de séparation des pouvoirs. La puissance de l’exécutif semblait en revanche leur poser beaucoup moins de problèmes durant la mandature de Barack Obama. Les Républicains ont quant à eux fait preuve d’une réciprocité certaine, défendant bec et ongles l’approche expansionniste de George W. Bush au nom de l’impératif de sécurité nationale, puis s’inquiétant de la même utilisation offensive du pouvoir exécutif par Barack Obama au point pour certains d’entre eux d’envisager, vers la fin de sa présidence, une enquête parlementaire censée déboucher sur une destitution du président.

Le scénario semble à nouveau s’être inversé au cours des premières semaines de la présidence Trump, certains élus démocrates comme Maxine Waters, Sheila Jackson Lee et même le chef de la minorité démocrate à la Chambre des représentants Nancy Pelosi profitant des liens supposés de la campagne Trump avec la Russie et du récent renvoi par le président du directeur du FBI James Comey au moment même où ce dernier enquêtait sur ce lien éventuel entre Trump et Moscou pour évoquer (déjà!) une possible destitution. ((S’il est impossible de dire aujourd’hui si une telle procédure de destitution aboutira ou même si elle sera officiellement lancée, on notera qu’un procureur indépendant a été nommé par l’Administration Trump elle-même afin de mener l’enquête sur les liens éventuels entre Trump et la Russie, et que le désormais ancien directeur du FBI James Comey a accepté de venir témoigner publiquement devant la Commission du renseignement du Sénat.))

Cette attitude ambivalente voire contradictoire n’est pas limitée à la sphère politique et touche également les médias, qui oscillent entre approbation et dénonciation de l’accroissement du pouvoir exécutif en fonction de la correspondance (ou de l’absence de correspondance) entre leurs préférences partisanes et la couleur politique du locataire de la Maison-Blanche. L’exemple le plus criant dans ce domaine, même s’il n’est pas isolé, reste la chaîne conservatrice Fox News, dont la position éditoriale sur la pertinence d’un pouvoir exécutif fort prend un virage à 180 degrés à chaque fois que le locataire de la Maison-Blanche change de couleur politique.

Les Américains eux-mêmes devront un jour faire face à leurs contradictions en la matière. À la fois suspicieux presque génétiquement d’un exécutif trop puissant et de plus en plus exigeants vis-à-vis de leur président dont ils attendent qu’il résolve leurs problèmes quotidiens, les citoyens dans leur ensemble contribuent grandement à cette schizophrénie institutionnelle qui veut que tous les quatre ans, le pays élit un homme à qui il demande d’être une sorte d’empereur démocrate, à la fois sauveur omnipotent et modèle de modestie institutionnelle.

La contradiction semble plus évidente encore lorsque l’on s’intéresse au succès rencontré par les différents présidents américains dans l’exercice de leurs fonctions et à la trace que chacun d’entre eux a laissé dans l’Histoire. Il suffit en effet de regarder la liste de ceux qui sont quasi unanimement reconnus comme les plus grands présidents de l’histoire du pays pour réaliser que les chefs de l’État les plus efficaces et les plus révérés sont souvent ceux-là mêmes qui n’ont pas hésité à étendre les prérogatives présidentielles jusqu’à la limite (voire au-delà) de ce que la Constitution autorise : George Washington, Andrew Jackson, Abraham Lincoln, Theodore Roosevelt, Woodrow Wilson, Franklin Roosevelt et Ronald Reagan peuvent sans doute être à la fois présentés comme les chefs de l’État américain ayant eu les présidences les plus réussies et ceux qui ont le plus contribué à étendre les prérogatives et la puissance de leur institution.

A l’inverse, les présidents qui sont arrivés à la Maison-Blanche avec une volonté manifeste et transformée en réalité politique de rendre leur institution plus modeste, comme Gerald Ford ou Jimmy Carter, sont invariablement présentés comme des présidents ayant échoué.

Les circonstances dans lesquelles ces différentes présidences se sont déroulées doivent évidemment être prises en compte puisqu’elles conditionnent en grande partie le rapport qu’entretient le président avec le pouvoir exécutif : Lincoln n’aurait pas été Lincoln sans la Guerre de Sécession, et Roosevelt n’aurait probablement pas pu bénéficier de quatre mandats successifs pour imprimer sa marque sur l’institution présidentielle si deux catastrophes aussi importantes que la Crise de 1929 et la Deuxième guerre mondiale ne s’étaient pas succédées. A l’inverse, la modestie institutionnelle de Ford et Carter peut sans doute être en grande partie imputée à leur statut de premiers présidents post-Watergate.

Mais les circonstances n’effacent pas le constat : ceux que l’Histoire décrit aujourd’hui encore comme de grands présidents sont souvent ceux-là même qui, lorsqu’ils exerçaient la fonction, étaient volontiers présentés comme des proto dictateurs.

Pourtant, la thématique de l’accroissement des pouvoirs du président débouche encore trop souvent, dans la sphère publique américaine, sur cette opposition entre présidents respectueux des limites constitutionnelles et dictateurs en puissance, dont le simplisme renverrait presque à une opposition enfantine et caricaturale entre « gentils » et « méchants ». Tôt ou tard, c’est l’ensemble de la société américaine, de la population aux hommes politiques en passant par les médias et la sphère académique, qui devra se poser la question essentielle de l’incompatibilité entre le culte d’une Constitution conçue pour limiter le champ d’action du président et l’impératif populaire imposé à ce dernier d’être le premier garant de la prospérité et de la sécurité de ses concitoyens.

Si elle semble au premier abord se concentrer essentiellement sur la présidence, cette réflexion s’étend en réalité aux autres institutions fédérales. Puisque la dynamique des pouvoirs aux États-Unis repose sur un système de vases communicants où chaque pouvoir a les moyens constitutionnels de défendre ses prérogatives institutionnelles, l’accroissement du pouvoir présidentiel est au moins en partie la conséquence d’un abandon de poste de la part du Congrès. Comme le rappelle non sans une certaine ironie le politologue américain Andrew Rudalevige, la décision la plus forte prise par le Congrès au moment de la seconde Guerre en Irak en 2003 a sans doute été de rebaptiser les « French Fries » de la cantine du Congrès en « Freedom Fries » afin de dénoncer le refus français de participer à la coalition internationale bâtie par les États-Unis ((Andrew Rudalevige, The New Imperial Presidency, Renewing Presidential Power after Watergate, The University of Michigan Press, Ann Arbor, 2005, page 3.)). Une telle timidité du pouvoir législatif au moment de décider une intervention militaire contraste fortement avec ce que prévoit le texte constitutionnel. La Constitution américaine précise en effet de manière on ne peut plus explicite que le Congrès est seul habilité à déclarer la guerre, le président ne pouvant tenir son rôle de commandant en chef des forces armées qu’une fois que le législatif a décidé le lancement des hostilités.

Au-delà de la seule thématique des pouvoirs de guerre, l’inaction du Congrès au cours des dernières années (voire des dernières décennies) a donné à l’exécutif un argument rêvé pour justifier l’accroissement du pouvoir présidentiel : puisque le Congrès n’agit pas, alors le président doit le faire. Cette situation est d’autant plus favorable à l’exécutif que l’architecture de l’institution présidentielle la rend infiniment moins susceptible que le législatif aux blocages intra-institutionnels.

Par définition, la présidence n’est jamais paralysée par les luttes partisanes intra institutionnelles auxquelles le Congrès doit si souvent faire face, le président et le vice-président ayant toujours appartenu au même parti depuis 1865 là où le Congrès est par définition toujours divisé entre Démocrates et Républicains. De plus, puisque la Constitution décrit explicitement le président comme le chef unique et incontestable de l’exécutif, les luttes de pouvoir au plus haut niveau de l’exécutif sont beaucoup moins prégnantes. Enfin, la centralisation de la communication et du processus de décision offre à l’institution présidentielle une plus grande cohérence communicationnelle et un risque de cacophonie moins important.

Pour autant, les difficultés rencontrées par l’Administration Obama dans le cadre de son rapport de force avec la Cour suprême démontrent, si besoin était, que les deux autres pouvoirs fédéraux que sont le Congrès et le judiciaire fédéral ont à n’en pas douter les moyens institutionnels et constitutionnels de contenir, s’ils le souhaitent, l’impérialisme présidentiel et de rappeler à l’exécutif qu’il s’inscrit dans un système de freins et contrepoids qui ne lui autorise pas tout. Aux États-Unis plus qu’ailleurs, le président ne peut être plus grand que ce que lui autorisent les contre-pouvoirs. Lorsque le Congrès se plaint, comme il le fait si souvent, de l’accroissement du pouvoir présidentiel, il dénonce en réalité un problème qu’il a largement contribué à créer et qu’il a les moyens institutionnels de régler.

Conclusion

Si la relative résignation des deux autres pouvoirs fédéraux lui permet donc d’accroitre son champ d’action, l’avantage principal de la présidence réside peut-être en réalité dans le fait qu’elle n’opère pas sur le même plan que les membres du Congrès et les médias.

Là où les législateurs raisonnent avant tout en termes partisans, l’opposition entre Républicains et Démocrates rythmant la vie de l’institution, la présidence est unie du point de vue partisan et se concentre sur l’aspect institutionnel et sur les capacités d’action qui sont accordées à l’homme qui incarne la fonction. A titre d’exemple, on citera la réaction des deux partis au Congrès lors des deux dernières réformes du filibuster, cette technique d’obstruction parlementaire propre au Sénat qui permet d’empêcher tout vote tant qu’un sénateur garde la parole et qu’une majorité qualifiée de soixante sénateurs sur cent ne s’est pas constituée pour l’interrompre et procéder au vote.

Dès 2013, le leader de la majorité démocrate au Sénat Harry Reid avait fait abolir le filibuster pour les confirmations des nominations des membres de l’administration présidentielle et des juges fédéraux hors juges de la Cour suprême, dans une manœuvre qui a souvent été décrite comme « l’option nucléaire ». Toutes ces nominations, faites alors par le président Obama, pouvaient désormais être confirmées par une simple majorité absolue, rendant toute obstruction républicaine presque inopérante. Les sénateurs républicains critiquèrent alors très largement la manoeuvre, le sénateur Lamar Alexander allant jusqu’à la décrire comme « le changement le plus dangereux et le plus important des règles du Sénat depuis leur rédaction par Thomas Jefferson. » ((http://www.motherjones.com/politics/2013/11/senate-republican-filibuster-nuclear-option-freakout))

Pourtant, lorsque les rôles furent inversés quatre ans plus tard, avec un Sénat dominé par les Républicains et une Maison-Blanche habitée par Donald Trump, ce fut au tour des Républicains de supprimer le filibuster pour le dernier type de nominations pour lesquelles il était encore en place, celles des juges de la Cour suprême. Devant la volonté des Démocrates de bloquer la confirmation de la nomination du juge Neil Gorsuch, le nouveau leader du Sénat, le Républicain Mitch McConnell, n’hésitait pas à réutiliser l’option nucléaire tant décriée par les Républicains quatre ans plus tôt lorsqu’elle était utilisée par les Démocrates. Les rôles et les réactions s’inversèrent totalement, les Républicains mettant en avant la nécessité d’avancer et d’éviter une obstruction parlementaire, alors que les Démocrates défendaient dorénavant les droits de la minorité sénatoriale.

A l’inverse, il est rare pour ne pas dire impossible d’entendre un ancien président critiquer l’utilisation du pouvoir exécutif par son successeur ou même, une fois en fonctions, par ses prédécesseurs, et ce quelle que soit l’étiquette partisane de ces derniers.

C’est en ce sens que le titre de cet article évoque un renforcement transpartisan de l’institution présidentielle. Il ne s’agit évidemment pas d’affirmer que la politique et l’idéologie partisane n’ont pas leur place au plus haut sommet de l’État américain, ni d’oublier que, contrairement au chef de l’État français, le président américain est également chef de parti, mais de remarquer qu’au cours du dernier siècle, l’accroissement du pouvoir exécutif s’est fait de manière relativement constante et, surtout, indépendamment de l’étiquette politique de celui qui occupait la fonction. Depuis la première élection de Franklin Roosevelt en 1932 et en incluant Donald Trump, sept Démocrates et sept Républicains ont occupé la Maison-Blanche sans que le renforcement de l’institution présidentielle n’ait été inversé ou même sérieusement freiné. A plusieurs reprises, des Républicains ont transmis à des Démocrates une institution plus forte que celle qu’ils avaient trouvée en arrivant, et vice versa.

Il suffit pour s’en convaincre de comparer les deux prédécesseurs immédiats de Donald Trump à la Maison-Blanche. D’un point de vue partisan et idéologique, il semble difficile de trouver deux hommes politiques plus diamétralement opposés que George W. Bush et Barack Obama. Pourtant, peu de choses les ont séparés du point de vue de leur vision du pouvoir exécutif et leur volonté d’utiliser les ressources institutionnelles dont ils disposaient pour faire avancer leur agenda politique.

Si les différents présidents américains envisagent donc le renforcement pérenne de leur institution en dehors d’un cadre partisan ou idéologique, le Congrès et les médias continuent quant à eux à procéder à une lecture purement politique de la situation : si le renforcement institutionnel de l’exécutif est une bonne chose quand votre parti (pour les législateurs) ou le parti que vous soutenez (pour les médias) est au pouvoir car il permet d’agir, il devient en revanche un danger pour la démocratie lorsqu’il permet à vos adversaires politiques d’avancer leurs pions. Il y a fort à parier que le maintien de ces deux grilles de lecture, partisane d’un côté et institutionnelle de l’autre, continuera à bénéficier à la présidence, puisque cette dernière maintiendra une position cohérente et stable de renforcement du pouvoir exécutif et bénéficiera en permanence, pour des raisons partisanes cette fois-ci, du soutien des autres acteurs institutionnels (membres du Congrès) et extra-institutionnels (les médias) qui partagent leurs idées. La présidence impériale est une présidence pragmatique.

 

Pour citer cette ressource :

Hamed Jendoubi, "La présidence Obama ou la confirmation d’un renforcement institutionnel transpartisan de l’exécutif américain", La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), mai 2017. Consulté le 19/03/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/anglais/civilisation/domaine-americain/la-presidence-americaine/la-presidence-obama-ou-la-confirmation-d-un-renforcement-institutionnel-transpartisan-de-l-executif-americain