Comprendre les alliances pour les élections de février 2013
Les élections de février 2013 opposeront traditionnellement le centre-gauche au centre-droit mais laisseront également la place à un troisième homme, Mario Monti. Ce Président du Conseil "technique" a donc fini, lui aussi, par "descendre en politique". Libéral convaincu, il décide de ne s'allier avec aucune des grandes forces politiques de l'échiquier italien mais de se placer au milieu. Monti, troisième homme? Sûrement. Mais que dire de Beppe Grillo? Du juge Ingroia?
Pour faciliter la compréhension, de brèves notices sur les différents partis ont été créées. Il suffit de cliquer sur les liens insérés dans le texte pour y avoir accès
Pour les sondages, les chiffres fournis sont en date du 22 janvier 2013. Pour plus de précisions : http://www.termometropolitico.it/sondaggi
AVERTISSEMENT
Le contexte pré-électoral italien est assez complexe en ce début février 2013. Cet article ne propose pas une analyse précise des tractations actuelles (notamment entre Mario Monti et Pier Luigi Bersani) mais essaye plutôt d’expliquer au lecteur comment se sont constituées les listes et coalitions en vue des élections législatives et sénatoriales prévues à la fin du mois. Par ailleurs, nous invitons nos lecteurs à consulter la presse italienne pour une analyse précise des programmes politiques de chacune des listes tant l’actualité italienne - intense depuis quelques semaines - la rend souvent floue ou précaire.
Vers une candidature de Mario Monti
Alors qu’il exerçait les fonctions de Président du Conseil, Mario Monti s’est plusieurs fois exprimé sur une possible candidature de manière contradictoire. Tout d’abord il a déclaré qu’il ne serait pas candidat[1] (le « non » en politique signifiant très souvent « plus tard ») et a affirmé au même moment qu’il se tenait à disposition de l’Italie pour un deuxième gouvernement[2] si les partis le lui demandait et a fini par considérer qu’aucun scénario n’était à exclure[3].
Le retour de Silvio Berlusconi aura tout précipité : Mario Monti démissionne prématurément et la scène politique italienne attend alors la décision du Professore. Le centre-gauche aimerait voir figurer sur ses listes un nom avec autant de crédit, le centre-droit a une position bien plus ambiguë puisque Sivlio Berlusconi déclare concomitamment que la politique de Mario Monti est un échec et met en péril l’Italie[4] mais que ce dernier est - bien sûr - invité à figurer sur les listes du centre-droit (voire convié à prendre la tête des modérés[5]) pour les mêmes raisons, au fond, que le centre gauche. Au centre, c’est un peu différent : il est aussi bien sollicité par certaines personnes (que l’on commence à nommer « montiani »[6]) pour fonder sa propre liste que par l’Union du Centre pour former une alliance voire pour figurer sur sa liste.
Quelles sont les possibilités de Mario Monti ?
Le centre-droit
Bâtir une alliance avec Silvio Berlusconi ou figurer sur une liste du Peuple de la Liberté semble exclu : les divergences tant idéologiques que personnelles sont grandes entre Silvio Berlusconi et Mario Monti. Qui plus est, début janvier 2013, la coalition de centre droit (Peuple de la Liberté-Ligue du Nord) qui semble émerger n’est créditée que de 20-25%[7] des voix et ne semble pas en mesure de remporter les élections.
Le centre-gauche
Les sondages sont très favorables au centre-gauche : c’est la coalition qui peut gagner. Cependant, il est difficile pour Mario Monti d’intégrer la liste du Parti Démocrate car sa présence peut poser un problème de leadership : en effet, Pier Luigi Bersani vient de remporter les primaires de la gauche et, par conséquent, Mario Monti ne peut être tête de liste. Il pourrait tout au plus devenir ministre d’un gouvernement de centre-gauche si cette alliance gagne les élections. Son avenir en tant que chef n’est donc pas à gauche. Qui plus est, Mario Monti est clairement un libéral et une présence à gauche apparaît assez incohérente.
Le centre
C’est au centre que les possibilités semblent les plus concrètes mais que faut-il faire ? Une liste commune, une alliance ou une liste seule ?
Le centre est assez hétérogène, on y trouve l’Union du Centre de Pier Ferdinando Casini, parti démocrate-chrétien, et Futur et Liberté pour l’Italie de Gianfranco Fini. Futur et Liberté pour l’Italie est une forme de réincarnation d’Alliance Nationale : il est le produit de la scission en 2010 du Peuple de la Liberté [8] des ex d’Alliance Nationale (qui avaient fondé avec Forza Italia de Silvio Berlusconi ce nouveau parti). Mais, il s’agit d’une réincarnation incomplète car une grande partie de son électorat, à l’instar d’une part de ses ex-membres, ne l’a pas suivi : là où Alliance Nationale représentait 10-12% des voix, Futur et Liberté pour l’Italie n’est crédité que de 3-5%.
Quel type de liste ?
Proposer une liste seule le mène vers deux dangers : celui de perdre (le plus évident) et celui de ne pas être présent au Sénat à cause du seuil de représentativité de 8 %[9]. À la Chambre, 4% suffisent, ce qui lui assurerait une représentation nationale.
Une liste coalisée est plus confortable : le seuil de représentativité des listes coalisées à la Chambre est de 2% et celui de la coalition, de 10%. Avec l’Union du Centre, Monti est à peu près certain d’être présent à la Chambre. Une liste coalisée au Sénat ne résout pas vraiment les problèmes car le seuil de représentativité de 20% représente une marche importante pour une coalition du centre.
Une liste unique semble complexe car Pier Ferdinando Casini (Union du Centre) devra s’effacer[10] au profit de Mario Monti…
Mario Monti au centre : la liste « Scelta Civica »
C’est donc une solution intermédiaire qui sera retenue : Mario Monti se présentera avec une liste propre au sein d’une alliance à la Chambre avec Futur et Liberté pour l’Italie et l’Union du Centre. La coalition devrait sans problème dépasser les 10% et chacun de ses membres les 2% (en cas de problème, la règle du « meilleur perdant » s’appliquera pour Futur et Liberté pour l’Italie). Au Sénat, les choses seront différentes car les listes Union du Centre/Scelta Civica/Futur et Liberté pour l’Italie fusionnent au profit d’une liste unique. Le seuil de représentativité de 20% pour une coalition est ainsi ramené à 10% pour liste seule.
Pour la constitution des listes, Mario Monti veut un droit de regard sur les personnalités proposées car les listes sont bloquées, il n’y a pas de préférences[11] : les premiers sur les listes seront des élus avec lesquels il devra composer et, par ailleurs, il ne souhaite pas voir figurer des noms de responsables politiques ayant eu affaire avec la justice.
L’alliance du centre-droit
Le retour de Silvio Berlusconi n’était pas une évidence : C’est Angelino Alfano, son ancien ministre de la justice et fidèle lieutenant qui dirigeait – de fait – le Peuple de la Liberté depuis que l’ancien Président du Conseil avait annoncé son abandon de la politique. Le retour de Silvio Berlusconi a beaucoup déplu dans les rangs de son parti mais c’est bien lui qui a gagné le bras de fer : comment empêcher le fondateur et premier argentier du parti de se présenter à sa tête sachant, qu’en outre, il dirige une bonne partie des médias qui peuvent lui donner une visibilité médiatique autrement impossible ?
La Ligue du Nord n’en voulait pas. La Ligue du Nord a changé : Umberto Bossi a quitté la tête du parti à cause des scandales financiers qui ont secoué son parti[12]. C’est Roberto Maroni qui a pris sa suite mais c'est Giulio Tremonti qui prend la tête de la liste aux élections. Après la chute de Silvio Berlusconi, la Ligue du Nord est passée dans l’opposition au gouvernement Monti, n’a pas – comme les autres partis l’ont fait – voté la confiance et a repris son discours sécessionniste. La Ligue du Nord était disposée à une alliance avec le Peuple de la Liberté mais sans Silvio Berlusconi jugé trop impliqué dans de nombreuses affaires judiciaires en cours et discrédité. Silvio Berlusconi a mis dans les mains de la Ligue du Nord le choix suivant : « ou vous vous alliez avec moi ou je ne vous soutiens pas dans les élections anticipées en Lombardie ». En effet, sans le soutien du Peuple de la Liberté, la Ligue du Nord n’a aucune chance de décrocher la Présidence de Région en Lombardie. La Ligue du Nord a abdiqué et Silvio Berlusconi a déclaré récemment que le Président de la République n’était pas tenu de nommer comme Président du Conseil la tête de liste de la coalition vainqueur. Cette déclaration semblant être la concession à laquelle Silvio Berlusconi avait consenti pour forger cette alliance : il est chef de coalition mais n’est pas le « candidato Premier ».
La coalition de centre-droit est constituée de nombreuses listes[13] aux idéologies parfois divergentes (de la droite nationale, en passant par les listes contre les taxes, aux mouvements autonomistes du sud). Ce nombre important de partis s’explique par la nécessité d’arriver en tête pour obtenir le bonus de majorité. La règle du seuil de représentativité à 2% à la Chambre et 4% au Sénat exclura tout naturellement les listes les plus « confidentielles ». D’un autre côté, la règle du meilleur perdant incite chacune de ses listes à faire partie de la coalition.[14]
L’alliance du centre-gauche : "Italia Bene Comune"
À gauche on trouve moins de listes coalisées[15] (Parti Démocrate, Gauche Écologie et Liberté avec Nichi Vendoca pour le plus notable). Le Parti Démocrate est, lui même, le fruit d’une grande maturation : les tendances de gauche (des ex-PCI aux ex-DC) ont mis de nombreuses années à fusionner[16]. À la manière d’autres pays, ce qui semble être une entité homogène – un parti – est un agrégat de tendances et de lignes mis en lumière par les élections primaires (Bersani le modéré, Renzi le réformateur).
La liste "Rivoluzione civile"
Le magistrat Antonio Ingroia, ex-collaborateur du grand juge anti-mafia Paolo Borsellino, prend la tête d’un coalition composée entre autres d’Italie des Valeurs (guidée par Antonio Di Pietro, lui aussi ancien juge), du Parti de Refondation Communiste, et du Mouvement Orange du nom de « Révolution civile ». Son manifeste « Io ci sto » propose une action alternative au berlusconisme et aux politiques libérales ainsi qu’une société propre et libérée de la mafia[17]. Cette coalition est créditée de 5-7% des voix.
Il Movimento 5 Stelle
Le parti de Beppe Grillo, M5S, se présente seul aux élections de 2013. Il est crédité d’environ 10% voire 15% dans certaines régions comme en Sicile.
Conclusion
169 listes ont été officiellement validées par le ministère de l’Intérieur italien. Évidemment, il est illusoire d’imaginer pouvoir toutes les présenter mais l’évocation des seules listes ou coalitions les plus importantes suffit à comprendre la complexité du débat qui dépasse le clivage gauche/droite que nous connaissons en France. La France est habituée depuis une trentaine d’années à entrevoir difficilement le score du Front National qui a tendance à influer sur les résultats des autres partis ; plus récemment, c’est le Parti de gauche qui a ajouté au trouble des instituts de sondages. Il faut avoir à l’esprit que le système majoritaire français limite nettement ces influences. En Italie, il n’en est rien : le système proportionnel avec bonus de majorité donne une majorité des sièges nationale à la coalition arrivant en tête quel que soit son résultat pour la Chambre et une majorité régionale pour chaque région administrative pour le Sénat. La multiplicité des listes et coalitions rend l’ordre du classement des listes plus aléatoire. Qui plus est, il faut avoir à l’esprit que les deux Chambres ont les mêmes pouvoirs le gouvernement doit donc avoir la majorité des voix dans les deux Chambres, à la différence de la France ou l’Assemblée Nationale a le dernier mot. Dès lors, les discussions entre Bersani et Monti[18] sont plus lisibles dans ce contexte : il est probable que le centre-gauche ait besoin d’un allié au Sénat…
Les Italiens sont donc une nouvelle fois appelés aux urnes prématurément : les efforts du Président de la République pour éviter ce scénario ont été, en partie, vains. En partie seulement car des élections anticipées dans le contexte actuel n’ont rien à voir avec ce qu’elles auraient été suite à la démission de Silvio Berlusconi en 2011. Giorgio Napolitano avait demandé une nouvelle loi électorale, ce ne sera pas le cas. Quoique « descendu en politique » – pour reprendre un terme berlusconien – Mario Monti semble vouloir se placer tout de même au-dessus des partis en n’excluant pas un soutient au centre-gauche auquel il n’appartient pas pour les élections. La politique, c’est choisir, n’en déplaise à Mario Monti : il faut être lisible et visible. Cette démarche de consensus – fort louable – peut lui être préjudiciable à terme.
Le Parti Démocrate semble, aujourd’hui, presque assuré de remporter les élections à la Chambre mais le souvenir des élections de 2006 est là : L’Union menée par Romano Prodi, annoncée archi-gagnante, est rattrapée semaine après semaine par la Maison des Libertés de Silvio Berlusconi. L’Union finit à 49,8 % et bénéficie du bonus de majorité tandis que la Maison des Libertés finit à 49,7%...
Bien malin celui qui peut prédire l’issue des élections du mois de février.
Notes
[1] Article en ligne de La Stampa
[2] Article en ligne du Corriere della Sera
[3] Article en ligne de l'Uffigton Post
[4] Écouter le Rai Giornale Radio , lire article sur le site "cinquegiorni.it"
[5] Dans le lexique berlusconien, les « modérés » sont représentés par le Peuple de la Liberté et la Ligue du Nord. Lire article sur le site "Rai News 24". Lire article en ligne du Messaggero.
[6] Luca Cordero di Montezemolo est un des premiers à réclamer une candidature de Mario Monti. Lire article en ligne de La Stampa.
[7] Aller sur le site de sondages "Il termometro politico"
[8] Lire le début de l'article de la Clé des langues intitulé "Comprendre l'arrivée au pouvoir et la démission de Mario Monti".
[9] Début janvier, Mario Monti n’est crédité que de 10-12% environ par les instituts de sondage. Aller sur le site de sondages "Il termometro politico".
[10] Gianfranco Fini et Futur et Liberté pour l’Italie sont relativement minoritaires et ne peuvent pas imposer leur tête de liste.
[11] Lire l'article de la Clé des langues intitulé "Comprendre les lois électorales italiennes"
[12] En 2011, des enquêtes ont mit en évidence des détournements de l’argent du parti au profit de proches d’Umberto Bossi (son fils et sa femme en tête). Trouver article. Lire le dossier en ligne de La Repubblica.
[13] PDL, LN, Lista 3L, Grande Sud, MpA, Intesa popolare, Fratelli d’Italia-Centrodestra Nazionale, La Destra, Pensionati, Liberi Da Equitalia, I Popolari d’Italia, Basta tasse, Lista del Popolo, Rinascimento di centro sont alliées de manière parfois différentes au Sénat et à la Chambre.
[14] Lire l'article de la Clé des langues intitulé "Comprendre les lois électorales italiennes"
[15] PD, SEL, PSI, Centro Democratico pour la Chambre
[16] Le Parti Démocrate a été fondé en 2007.
[17] Lire le manifeste "Io ci sto"
[18] Lire l'article en ligne de La Repubblica.
Pour citer cette ressource :
Damien Prévost, Comprendre les alliances pour les élections de février 2013, La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), février 2013. Consulté le 21/11/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/italien/civilisation/xxe-xxie/politique-italienne/comprendre-les-alliances-pour-les-elections-de-fevrier-2013