Federico Fellini, «Otto e mezzo», 1963
Pourquoi voir ou revoir 8 1/2 ?
Parce que Fellini.
Parce que Marcello Mastroianni.
Parce que le cinéma.
Parce que le cinéma italien des années 60-70.
Parce que ce sont les derniers grands soubresauts du noir et blanc cinémascope, qui est ici une splendeur.
Mais aussi parce qu'un grand film n'est grand que par de multiples visions. Il grandit à chacune. Et 8 1/2 est un très grand film.
Les plus jeunes, s'il ne sont pas cinéphiles y découvriront quelque chose qu'ils n'ont jamais vu, et ne verront probablement jamais plus, dans le cinéma occidental tout au moins. Ce quelque chose, c'est le cinéma en tant qu'Art à part entière. Un Art singulier, unique, doté d'un budget qu'aucun producteur n'accordera plus à une oeuvre de ce genre.
Ce qu'accomplit ici Fellini sur l'écran, il n'aurait pu l'écrire ou le peindre. Presque tous les films peuvent se "lire". On les imagine aisément romans, bandes dessinées, pièces de théâtre, musicals de Broadway (ce qu'ils furent bien souvent avant d'être adaptés). 8 1/2 ne saurait être autre chose qu'un film, où l'image, le montage, la musique deviennent un langage propre, inimitable qui véhicule quelque chose que les mots ne sauraient exprimer. Finalement assez peu de cinéastes ont réussi à faire totalement cela: Welles, Murnau, Tarkovski, quelques autres.
Les plus jeunes, toujours eux, mais aussi ceux qui ne connaissent pas encore le film, y trouveront un authentique acte de création, qui fait confiance à l'intelligence du spectateur. Il y verront un film pour adultes, mais que les enfants peuvent aussi voir.
Montrez-moi un film pour adultes à grand budget produit aujourd'hui. Chiche ! 95% de la production habituelle, et également actuelle, cela va sans dire, répond aux mêmes schémas. Cinq minutes après le début, n'importe qui peut dire qui va mourir, qui va survivre, qui va aimer qui, etc. Il s'agit de résoudre une enquête, d'accomplir une vengeance, de sauver la terre, de tuer le monstre, de séduire la belle, toujours.
Ici rien de tel. Il s'agit de faire un film. Littéralement ! Fellini nous prend d'emblée par la main et nous emmène dans sa tête, puis nous lâche dans ce pays que nous ne connaissons pas. Nous sommes ailleurs, enfin ! Déroutés, distraits, étonnés sans cesse.
La scène onirique qui ouvre le film renvoie TOUT le cinéma hollywoodien contemporain à son esbrouffe et à sa pauvreté de création. De Jumanji à Inception, l'on a essayé de nous faire prendre pour du rêve ou de la fantaisie ce qui n'est qu'une pâle copie de jeu vidéo à grand spectacle ou une foire à effets spéciaux, généralement très laide.
Chez Fellini, nous reconnaissons tout de suite l'univers du rêve, sa logique, sans effet numérique, sans musique tonitruante. Ce rêve est VRAI !
Le film nous surprend constamment. Les scènes s'enchaînent, les souvenirs, les rêves, la "réalité" se mélangent sans arrêt. Tourbillon. Opéra. Commedia dell'Arte. Hypnotique. Cinéma total.
C'est drôle, c'est féroce, c'est grotesque, c'est sincère. C'est vivant, profondément. L'on y fume jusque dans les chambres d'hôpital, dans les hammams. L'on y aime. L'on y dresse les femmes du harem à coups de fouet. L'on y regarde danser des folles sur des plages. L'on y voit des clowns sur des bases de lancement de fusée. Et un enfant, évidemment, clôture ce maelstrom, seul en piste, dans un cercle de lumière.
Rideau !
Chapeau l'artiste !
Ciao Federico ! Tu me manques terriblement.
Pour citer cette ressource :
Lionel Gerin, Federico Fellini, Otto e mezzo, 1963, La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), mars 2014. Consulté le 07/11/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/italien/arts/cinema/federico-fellini-otto-e-mezzo-1963