«L'employé» de Guillermo Saccomanno
L’Employé, Guillermo Saccomanno, Paris, Asphalte éditions, 2012, 170 pages.
Traduit de l’espagnol (Argentine) par Michèle Guillemont.
Préface inédite de Rodrigo Fresán, d’où est extrait le titre de cet article.
L’Employé : « Un tango bleu et triste chanté par un ordinateur devenu fou »
Une métropole occidentale en plein chaos : attentats quotidiens, explosions de violence et chiens errants clonés. Entre l’entreprise à laquelle il appartient depuis des années et son appartement où l’attend chaque soir sa répugnante épouse, les jours se suivent et se ressemblent dans la vie de l’employé. Tout n’est plus qu’automatisme, répétition infinie des gestes routiniers, aliénation à l’ordinaire. Et ses enfants ? Combien sont-ils ? Comment s’appellent-ils ? L’employé ne s’en souvient plus. Au milieu de cette meute de prédateurs ne voyant en lui qu’une vulgaire vache à lait, seul « Petit Vieux », le plus jeune, le plus faible, le seul qui lui ressemble, inspire un semblant de pitié à l’employé, peut-être le seul sentiment qu’il soit encore capable d’éprouver. Alors l’employé se réfugie dans le travail. Au bureau, il possède sa propre table, ses stylos, un simulacre d’espace vital. Et surtout des responsabilités : n’est-ce pas lui qui possède l’insigne privilège de remplir les chèques de l’inaccessible patron ? Désincarné jusque dans son absence de nom, il est ce qu’on pourrait appeler un employé – ou un petit soldat – modèle : travailleur, consciencieux, et surtout bien docile.
Un soir de zèle, alors qu’il s’impose des heures supplémentaires, l’homme se lie avec la petite secrétaire à la prémolaire manquante. Dès lors, sa vie prend un sens nouveau : l’amour bouscule son apathie, il se sent désormais capable d’affronter ses peurs, refuser l’humiliation à laquelle il a toujours été soumis. Mais la route est bien longue pour recouvrer sa dignité dans ce monde broyeur d’humanité, un décor de science-fiction qui ressemble étrangement à nos villes modernes.
La langue de l’Employé est crue, brutale, et Guillermo Saccomanno ne s’embarrasse pas de détour. Dans la ville où a lieu cette histoire, les vivants enjambent chaque matin des cadavres encore tièdes pour se rendre au travail, comme des zombies guidés par leurs instincts animaux : se nourrir, copuler, obéir au plus fort, survivre sans la moindre exigence. Ce roman moderne et incisif questionne avec intelligence les penchants les plus vils de la nature humaine : le ressentiment, l’abattement, la jalousie, la délation… Peut-on s’affranchir des rouages dans lesquels nous avons tout fait pour nous insérer ? Aurons-nous le courage d’aller contre le vent ? Renoncer à la normalité pour avoir le droit d’exister.
L'auteur
Photo : Carolina Marucci
Guillermo Saccomanno est né à Buenos Aires. Il a d'abord travaillé dans la publicité avant de devenir auteur de bandes dessinées. Il arrive plus tard à la littérature, avec des oeuvres comme 77. L'Employé a remporté en 2010 le prix Biblioteca Breve, organisé par la prestigieuse maison d'édition Seix Barral et décerné par un jury d'écrivains.
La préface
La préface de Rodrigo Fresán à lire en ligne
Bonus musical
En bonus, pour prolonger la lecture : une playlist de titres musicaux sélectionnés par l’auteur, sur le rabat de fin (Miles Davis, Erik Satie, J.S. Bach…)
Voir et écouter sur le site des Editions Asphalte
Pour citer cette ressource :
Margot Nguyen Béraud, "«L'employé» de Guillermo Saccomanno", La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), janvier 2014. Consulté le 05/11/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/espagnol/litterature/litterature-latino-americaine/bibliotheque/l-employe