Master class de Marisa Paredes
Marisa Paredes est née à Madrid en 1946. C'est une actrice de théâtre (elle a commencé à l'âge de 16 ans) et de cinéma, souvent associée au cinéma de la sortie du franquisme et au cinéma de Pedro Almodóvar. Elle a reçu de nombreux prix prestigieux, dont le Prix National de Cinéma du Ministère espagnol de la Culture.
Ce texte est une retranscription en français de cette master class mais les éléments en espagnol (en italiques) ont été conservés; il a été, par endroits, modifié pour l'adapter au format écrit.
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Marisa, quel est ton premier souvenir de cinéma?
Je me souviens surtout de Charlie Chaplin. J'aime tous ses films ainsi que ceux de Buster Keaton. Et puis, parmi les films qui racontent une histoire romantique, je citerais Lo que el viento se llevó, Autant en emporte le vent. Cette femme, avec cette force vitale, cet instinct de survie, cette femme combative, romantique, m'a beaucoup touchée. Le thème de la guerre m'a touchée aussi. C'est un film magnifique!
Tu as quelque chose de Scarlett O'Hara?
Oui, bien sûr! Beaucoup de choses! [Rires]
Ta vie ressemble un peu à un conte. On pourrait commencer par : « Il était une fois Marisa Paredes ». Je le dis parce que j'ai lu dans le quotidien du Festival, un article très intéressant qui parlait de toi en disant « La chica de la Plaza Santa Ana ». Il s'agit d'une place dans le centre de Madrid, du Madrid castizo, du Madrid de toujours, éternel. Tu habitais au numéro 13, ce qui semble t'avoir porté chance. Quand es-tu retournée pour la dernière fois Plaza Santa Ana?
Il y a une semaine! [Rires] J'ai acheté un petit appartement à ma fille Place de l'Ange, juste à côté de la place Santa Ana. Je vais voir ma fille et ma petite fille de deux ans et trois mois.
Quel genre de grand-mère es-tu?
C'est l'amour total. J'avais des amies, Carmen Maura, par exemple, qui me disaient tu verras quand tu seras grand-mère... C'est encore mieux! C'est vraiment très émouvant, c'est la vie devant toi. Tu vois grandir un enfant, l'innocence, que l'on perd ensuite...
Dans Talons aiguilles, il y a une scène dans un théâtre. Est-ce que c'est le théâtre où tu allais quand tu étais jeune et que Pedro Almodóvar a fait rouvrir pour le tournage du film?
Almodóvar, c'est un homme très intelligent. Il adapte les rôles, naturellement, à l'actrice. C'est dans ce théâtre que je chante Piensa en mí. C'est un théâtre national où j'ai joué Beckett, Lorca peut-être, j'y ai joué beaucoup de pièces. Tenía mucho miedo. J'avais très peur avec la chanson car c'est difficile, je devais faire du play back.
Je vais vous raconter une anecdote. Dans le film, je porte une robe verte. C'était une idée de Pedro : on avait fait faire un prototipo et il a voulu faire faire un prototipo, un nuevo, avec un autre tissu. Et quand Pedro l'a vu il a dit : « Non, ça ne va pas, je n'aime pas ce tissu alors enlevez-le ¡y ponga de nuevo el prototipo! ». Et c'est ce que je porte dans la scène, le prototype! C'est comme ça avec Pedro! On improvise d'une manière très spéciale!
Quand il m'a dit qu'on irait au théâtre María Guerrero, du nom d'une grande actrice espagnole décédée, je me suis sentie tout de suite rassurée parce que c'était un escenario, un théâtre que je connaissais très bien. On a fait tous les plans avec le public et, une semaine après, on a fait le play back. Pedro savait très bien que cela me donnerait de la force et c'était vrai, je crois que je l'ai bien fait.
Tu n'as pas oublié les paroles de la chanson?
Non, pas du tout!
Tu pourrais la chanter?
[Rires] Ouh, la, la! Non, ce n'est pas possible! Mais quel escenario, le théâtre! On n'est pas au théâtre!
Ce quartier de la place Santa Ana, on l'appelle aussi el barrio de las Musas, le quartier des Muses. Au milieu il y a une statue de Pedro Calderón de la Barca, grand dramaturge classique, auteur, notamment, de La vie est un songe et de Lope de Vega, mais tu as dit que lorsque tu étais enfant, ta vie était un cauchemar. Peux-tu nous expliquer pourquoi?
Era un mal sueño. Parce que c'était la dictature, une dictature très féroce, le franquisme.
Pour mémoire, pour les plus jeunes, le franquisme, c'est 1939-1975, donc cela a duré.
¡Muy largo!
Je suis née en 1946, donc j'ai vécu très longtemps sous le franquisme. C'était très dur. Je me souviens de ma mère avec la cartilla, le ticket de rationnement, pour le pain. Me gustaría haber estudiado, mais ce n'était pas possible car nous n'avions pas d'argent pour payer le collège. Cela veut dire que j'ai quitté le système scolaire à 11 ans alors que j'adorais étudier. Era una pesadilla. C'était des années noires. Nous avions l'impression de que siempre había alguien siguiéndote. C'était aussi le silence. Personne ne voulait parler de la guerre civile, une guerre entre hermanos. Elle a duré longtemps! Trois ans! C'était un cauchemar mais finalement la démocratie est arrivée.
Mes parents avaient 15-20 ans à cette époque et ils adoraient aller au cinéma, mais ils m'ont raconté que des membres de la police de Franco passaient dans les salles avec des lampes de poches pour vérifier que personne ne s'embrassait dans la salle. Est-ce que tu as connu cela?
¡Sí, claro! Era un pecado. Nadie se besaba en una sala de cine, ni en la calle, ¡por supuesto! Todo estaba prohibido.
Mes parents me disaient aussi qu'ils sortaient juste avant la fin du film pour ne pas avoir à faire le salut franquiste, ce qui fait qu'ils ont raté beaucoup de fins de films!
¡Ya, ya, ya! Quelle horreur! Le théâtre c'était la liberté même pendant la dictature.
La mayoría de edad en aquella época era los 21 años. Yo tenía 16 años y me contrataron para un teatro, tenía que hacer una gira. Para viajar por el país hacía falta una autorización de mi padre y naturalmente fuimos a la policía, al comisario para que mi padre fi