Arts plastiques et architecture
1. La Sécession viennoise
1.1. Avant-garde et « Art nouveau »
Le courant Art Nouveau, appelé Modern Style en Angleterre et Jugendstil dans les pays germaniques, se développa en Autriche et tout particulièrement à Vienne à partir de 1897. Le 3 avril 1897, un groupe d'artistes viennois de diverses tendances, architectes, peintres et graveurs, fondèrent la Wiener Secession. Comme le revendiquait sa devise, « Der Zeit ihre Kunst, Der Kunst ihre Freiheit » (« à chaque époque son art, à l'art sa liberté »), ce mouvement voulait rompre avec l'art académique des salons officiels viennois mais ne se fondait pas sur un programme esthétique précis. Leur objectif était plus large : il s'agissait pour eux d'élaborer un « art total », qui touchât tous les domaines de l'existence, ce qui explique l'importance accordée par ce mouvement aux arts appliqués. La Sécession revendiquait également un échange international des idées, et tenta de faciliter les contacts entre artistes étrangers.
Pour mettre en œuvre cette nouvelle vision de l'art, la Sécession viennoise s'appuyait sur trois organes essentiels :
Le Palais des Expositions, construit en 1898 par Josef Olbrich, permettait aux artistes autrichiens de se faire connaître, mais constituait surtout une ouverture sur l'art international. Chaque année, plusieurs expositions mêlaient les productions autrichiennes aux œuvres d'artistes étrangers de tendances très diverses : les impressionnistes (Cézanne, Manet), Gauguin, Van Gogh, Munch, alternaient avec les maîtres graveurs japonais ou encore les naturalistes ou les symbolistes (Much, Puvis de Chavanne, Khnopff).
La revue Ver Sacrum, qui parut de 1897 à 1903, joua un rôle très important dans la diffusion des idées de la Sécession. Elle permit également la collaboration entre l'art pictural et la poésie en associant au projet des écrivains tels que Rainer Maria Rilke et Hugo von Hofmannsthal, ou encore le critique culturel Hermann Bahr.
Enfin la création en 1903 des Wiener Werkstätte (les ateliers viennois), fondés par les artistes et les architectes issus de la Sécession, devait ouvrir la voie à l'esthétisme de masse. Outre les meubles et aménagements complets, ces ateliers produisaient des bijoux, de l'argenterie, de la céramique, de la verrerie, mais aussi des objets quotidiens, des cartes postales, des affiches, et finit même par réaliser des vêtements.
1.2. Les principaux représentants du mouvement
1.2.1. Peinture et arts graphiques
Gustav Klimt (1862-1918)
Élu président de la Sécession de 1897 à 1905, Gustav Klimt est le représentant incontournable de ce mouvement.
Le parcours artistique de Klimt illustre particulièrement bien les mutations de l'époque : il débute en effet comme décorateur dans l'atelier du peintre officiel Hans Makart, et réalise de nombreuses fresques (notamment au Kunsthistorisches Museum de Vienne) dans un style néo-classique académique. Inspiré par les estampes japonaises et le symbolisme, Klimt finit par rompre en 1882 avec l'académisme. En 1893, son originalité a l'occasion de s'affirmer en opposition aux attentes officielles : les trois peintures allégoriques La Philosophie, la Médecine et la Jurisprudence, chargées de décorer les plafonds de l'université, provoquent le scandale. Certaines caractéristiques de l'art de Klimt y sont déjà nettement perceptibles, notamment la juxtaposition du naturalisme et de stylisation.
En 1897, il est l'un des fondateurs de la Sécession et de Ver Sacrum dont il illustre la plupart des numéros. La frise picturale de 24 mètres de long qu'il réalise en 1902 pour une salle du Palais des Expositions - elle-même conçue par l'architecte Josef Hofmann et devant abriter une statue de Beethoven réalisée par Max Klinger (on retrouve ici l'importance de la collaboration étroite des divers domaines artistiques) - marque le début de sa maturité artistique. Klimt ose pour la première fois le style bi-dimensionnel, sans effets de relief et consacrant la forme pure, mais sans renoncer pour autant au figuratif. C'est cet équilibre étonnant du figuratif et de l'abstrait qui caractérise alors son art. Dans ses productions artistiques, les représentations symboliques, mêlant Eros et Thanatos (Le Baiser, Les Trois âges de la Femme, La Vie et la Mort), alternent alors avec des portraits où la véracité psychologique des visages se détache sur une mosaïque d'ornements (Adèle Bloch-Bauer, Emilie Flöge).
Après un voyage à Paris en 1909, il remplace les fonds or de ses œuvres par des motifs extrême-orientaux ou slaves et abandonne progressivement la stylisation au profit du naturel. Le paysage, abordé généralement de manière pointilliste, occupe également une place de plus en plus importante dans ses créations. Il meurt brutalement en 1918, laissant plusieurs peintures inachevées et de nombreux dessins qui ne sont pas la part la moins intéressante de son œuvre.
Koloman Moser (1868-1918)
Koloman Moser a étudié à l'école des Beaux-Arts à Vienne et fut l'élève d'Otto Wagner. Graphiste de talent, il illustra lui aussi la revue Ver Sacrum. Il s'épanouit également dans le domaine des arts décoratifs, abandonnant peu à peu les lignes sinueuses pour des motifs abstraits géométriques, qui devinrent typiques de l'art graphique viennois. En peinture, ses productions sont proches du mouvement fauve contemporain, notamment dans l'utilisation qu'il fait des couleurs vives.
1.2.2. Architecture
Otto Wagner (1841-1918)
Comme le fit Klimt dans le domaine de la peinture, Otto Wagner réalise la transition entre l'historicisme et la modernité dans le domaine de l'architecture. Après une première phase de constructions très classiques, fortement influencées par l'étude approfondie de Friedrich Schinkel, Otto Wagner s'oriente vers la fin du XIXe siècle vers des projets plus « sécessionnistes », intégrant à ses façades de grandes surfaces ornementales (on peut penser à la Majolikahaus à Vienne). Mais même les réalisations de cette période ne remettent pas en cause son attitude formelle constructive. Cet idéal de fonctionnalité le fait revenir à des constructions plus sobres. Le bâtiment de la Caisse d'Épargne de Vienne, alliant esthétique et fonctionnalité, classicisme et innovation (Wagner associe notamment au marbre de tout nouveaux matériaux tels que l'aluminium et le béton armé), est un modèle du genre. On trouve parmi les élèves d'Otto Wagner deux autres des fondateurs de la Sécession : Josef Olbrich et Josef Hoffmann.
Josef Hoffmann (1870-1956)
Élève d'Otto Wagner, co-fondateur de la Sécession, Josef Hoffmann est également l'un des initiateurs, avec Koloman Moser, des Wiener Werstätte. Il inaugure en 1906 sa première œuvre importante, le Sanatorium de Purkersdorf. Mais son véritable chef d'œuvre, il le réalise, entre 1905 et 1911, hors des frontières autrichiennes. En effet, l'un des plus riches exemples de l'Art nouveau viennois, le Palais Stoclet, se trouve à Bruxelles. La simplicité raffinée de cette villa repose sur la précision de ses formes, dont le jeu d'angles, marqués de bronze, annonce le cubisme. Cette sobriété et l'importance accordée aux modèles géométriques permettent de considérer l'œuvre de
Hoffmann, représentant d'une nouvelle génération d'artistes, comme une charnière entre l'Art Nouveau et l'Art Déco.
2. Critique et dépassement
2.1. Adolf Loos (1870-1933)
Adolf Loos a été un virulent adversaire de la Sécession viennoise : il adhère certes aux idéaux de fonctionnalité d'Otto Wagner mais rejette catégoriquement le recours à l'ornementation et dénie toute légitimité aux arts appliqués. En l908, il expose ses positions dans un article intitulé Ornament und Verbrechen (Ornement et Crime), où il associe l'ornementation d'objets quotidiens aux cultures « barbares » et considère qu'un développement culturel avancé ne peut se manifester que par la fonctionnalité et l'absence d'ornements inutiles dans la vie courante. Art et architecture sont pour lui deux choses totalement distinctes : si l'œuvre d'art doit être révolutionnaire et dérangeante, la maison par contre se doit d'être confortable, et par là même conservatrice. Ses intérieurs qui, plutôt que d'imposer une modernité, prennent en compte le mobilier de ses commanditaires, sont de ce fait emprunts d'un certain classicisme. Les façades quant à elles se caractérisent par leur sobriété, leur exigence formelle évidente, ainsi que par l'importance toute particulière accordée aux matériaux employés.
Loos fut cependant contraint parfois d'adapter ses exigences aux attentes du public, et les critiques de ses adversaires ne se firent pas attendre lorsqu'il orna de colonnes doriques un grand magasin construit dans un quartier exposé de Vienne. Mais Loos reste l'un des pionniers de l'architecture fonctionnaliste, et son style présente, même s'il s'en est lui-même violemment défendu, des analogies certaines avec celui du Bauhaus. Son article Ornement et crime sera également publié par Le Corbusier dans sa revue L'esprit nouveau.
2.2. Évolution de l'art pictural
Egon Schiele (1890-1918)
Le jeune Egon Schiele était un grand admirateur de Klimt. Leur rencontre en 1907 au cours de laquelle Schiele présenta une série de dessins au maître de l'avant-garde viennoise, marque le début d'une amitié profonde et d'une admiration réciproque. L'influence de Klimt ressort assez clairement de certaines œuvres de Schiele à cette époque, proches de l'esthétique Jugendstil. Mais l'élève développe rapidement un style plus personnel, au trait énergique, parfois violent. On retrouve dans son œuvre la problématique d'Eros et Thanatos, chère à Klimt, mais représentée de manière bien plus nerveuse, torturée et dérangeante. Schiele peint ses modèles dans des poses insolites, souvent chargées d'érotisme, mais comme désarticulées (il a notamment étudié les attitudes de déments dans des asiles psychiatriques ainsi que la gestique des marionnettes), et aime à représenter la chair dans des couleurs verdâtres, qui suggèrent la décomposition. Le contraste entre l'Art Nouveau et cet esthétisme bien plus sombre est particulièrement saisissant si l'on compare Le Baiser de Klimt à la parodie qu'en propose Schiele dans Cardinal et nonne.
L'influence de la Sécession disparaît complètement dans ses peintures de paysages : paysages d'automne aux arbres grêles et dénudés, villages toujours déserts, comme inhabités, qui correspondent à une période de grande solitude dans la vie de Schiele. Cette solitude prend fin en 1915, lorsqu'il épouse Édith Harms, et son style s'en ressent. Des œuvres telles que La mère avec deux enfants, Étreinte ou La famille semblent exprimer un certain épanouissement. Mais cette dernière phase créative sera de courte durée. En octobre 1918, Edith et Egon Schiele succombent à quelques jours d'intervalle à la grippe espagnole.
L'œuvre de Schiele se libère ainsi progressivement de toute ornementation, pour refléter directement la crise existentielle et le malaise de sa génération. Cette exploration minutieuse d'un langage corporel reflétant en réalité le psychisme, Schiele la pratique également sur lui-même. Il est l'un des artistes ayant réalisé le plus d'autoportraits, essayant tour à tour des rôles divers : le saint, Saint Sébastien, le masturbateur, l'ermite, le dandy, le prisonnier, ou encore la mort. Ce long voyage à travers l'égo rend également compte de l'évolution de son œuvre, des débuts proches du Jugendstil à l'expressionnisme des années 1911 à 1915, puis à l'apaisement des dernières années.
Oskar Kokoschka (1886-1980)
Oskar Kokoschka étudie de 1904 à 1909 à l'École des arts décoratifs de Vienne, où il rencontre Schiele et a Klimt pour professeur. Mais il rejette rapidement le Jugendstil pour s'orienter vers l'expressionnisme. Il est renvoyé de l'École des arts décoratifs après le scandale provoqué par l'exposition, en 1908 à la première Wiener Kunstschau, de son poème illustré « Die Träumenden Knaben ». Mais cette exposition le fait connaître à Karl Kraus et Adolf Loos qui l'encouragent et le soutiennent dès lors dans son travail. Kokoschka peint à cette période les portraits de ces artistes dont il se sent proche : Kraus, Loos, Peter Altenberg, le psychiatre August Forel. Cette série de portraits frappe par sa forte intensité psychologique : il explore la psyché qui se cache derrière la représentation physique. Kokoschka quitte alors Vienne pour s'installer à Berlin, qui lui semble plus proche de ses conceptions artistiques, et collabore à la revue expressionniste Der Sturm. Il revient cependant à Vienne en 1911 et y rencontre Alma Mahler, veuve de Gustav Mahler, qui lui inspire une véritable passion et pour laquelle il réalise en 1914 La Fiancée du vent. A cette époque, sa technique évolue vite, accumulant les couches de couleurs et les coups de pinceaux de plus en plus larges. Le reste de sa carrière picturale se déroula hors d'Autriche et consacra l'expressionniste qu'il fut depuis ses débuts.
Bibliographie indicative
Clair, Jean (dir.), Vienne 1880-1938, L'apocalypse joyeuse, Éditions du Centre Pompidou, Paris, 1986.
Fischer, Wolfgang Georg, Egon Schiele, Taschen Verlag, Cologne, 1998.
Friedel Gottfired, Gustav Klimt, Raschen Verlag, Cologne, 1997.
Latour, Marielle, « Klimt, Schiele et Kokoschka - Peintres d'avant-garde », in : Critique 339-340, « Vienne début d'un siècle », août-septembre 1975.
Libis, Jean, « Aspects de Klimt », in Vienne 1900 - Naissance du siècle - Mythe et réalités, Presses de la faculté de Droit et de Science Politique de Dijon, 1986.
Pollak, Michel, Vienne 1900, Gallimard, Paris, 1984.
Schorske, Carl E., Vienne. Fin de siècle, Paris, Le Seuil, 1983.
Sembach, Klaus-Jürgen, L'Art Nouveau, Taschen Verlag, Cologne, 1996.
Document d'accompagnement : Comparaison du Baiser de Klimt et de Cardinal et Nonne de Schiele
Analyse comparative des tableaux du Baiser de Klimt et de Cardinal et Nonne de Schiele qui partagent un même motif central, celui de l'étreinte amoureuse, pour en donner deux interprétations très différentes, quasiment opposées.
Der Kuss (Le Baiser), 1907/1908
Huile sur toile, 180 x 180 cm
Vienne, Österreichische Galerie
Site du Belvedere (Vienne)
Kardinal und Nonne (Liebkosung) [Cardinal et Nonne (Caresse)], 1912
Huile sur toile, 69,8 x 80,1 cm
Vienne, Collection Rudolf Leopold
Lien Schiele: http://www.leopoldmuseum.org/(le tableau étant strictement protégé par des droits d'auteur, seule une reproduction sur carte postale est disponible dans la rubrique Leopoldmuseum shop)
Contexte
L'étreinte amoureuse est un thème répandu dans les productions artistiques du tournant du siècle (cf. Rodin : Le Baiser (1888-1898), Munch : Le Baiser (1897), Klimt : Frise Beethoven (1902), L'accomplissement (1909), Kokoschka : La fiancée du vent (1914), Schiele : Etreinte (1917)). La manière originale dont Le Baiser de Klimt et Cardinal et Nonne de Schiele déclinent ce thème nous permet de mieux comprendre les conceptions artistiques divergentes des deux peintres. Il est évident que Cardinal et Nonne est une référence au Baiser de Klimt, mais le jeu de parallèles qui lie les deux œuvres ne fait que souligner davantage encore leurs différences.
Ces deux œuvres voient le jour dans des contextes très différents, relativement à la vie de leurs auteurs respectifs. En 1908, Klimt est un peintre reconnu, en pleine maturité artistique, qui explore depuis 1902 (réalisation de la frise Beethoven) les multiples possibilités du style bi-dimensionnel, mêlant l'abstrait et la forme pure au figuratif. Le Baiser s'inscrit dans la série de toiles sur fond or, caractéristique des productions de Klimt à cette période (cf. L'Espoir (1907-1908), Portrait d'Adèle Bloch-Bauer (1907)).
Lorsqu'il réalise Cardinal et Nonne en 1912, Schiele se trouve dans une période de sa vie beaucoup plus tourmentée : en 1912 en effet, il est successivement arrêté pour détournement de mineure et transféré en prison - jusqu'à ce que la plainte s'avère infondée - puis condamné à trois jours de prison pour « diffusion de dessins immoraux ». Cette expérience ne fait qu'accentuer sa révolte contre l'ordre établi et il exprime son mépris de la société dans un certain nombre d'œuvres provocantes, dont Cardinal et Nonne.
Quelques pistes d'étude
Une composition parallèle
C'est là que réside le parallèle évident entre les deux œuvres : les personnages sont placés au centre de la toile, nimbés d'un halo qui s'évase vers le bas et se détache d'un fond de couleur plus sombre. Le halo est légèrement décalé sur la gauche, ce qui crée comme un abîme sur le côté droit du tableau, aux pieds du personnage féminin.
Des couleurs et des motifs contrastés entre les deux oeuvres
Le Baiser fait partie de la phase de création de Klimt appelée phase « dorée ». L'emploi de l'or a à la fois une dimension ésotérique, dans la mesure où il évoque des associations magiques ou religieuses, et une dimension matérielle qui fait de l'œuvre un objet précieux. L'aura dorée qui entoure les personnages est comme un écrin qui les réunit et les isole du monde extérieur. Ce monde extérieur n'est d'ailleurs représenté que par le fragment de prairie en fleur, extrêmement stylisé. La scène n'a pas de lieu précis. Elle se situe hors du temps et de l'espace. Il s'agit d'une représentation du couple tout à fait en accord avec les principes de l'Art Nouveau, qui cherche l'essence esthétique dans le lien global avec la nature et le cosmos (ce qui explique l'attirance de ce mouvement artistique pour les symboles) : la nimbe d'or se prolonge en motifs végétaux qui viennent se mêler à la prairie en fleur. Les vêtements des personnages participent du même projet : si l'on ne craint pas les clichés, l'ornementation peut être considérée comme une représentation des caractéristiques biologiques et psychologiques de l'homme (formes dures et rectangulaires) et de la femme (formes douces et sinueuses), mais dans tous les cas, cette ornementation abolit toute référence sociale.
Schiele, élève et ami de Klimt, revoit l'œuvre du maître dans un style beaucoup plus tourmenté. Plus d'ornementation ici, les couleurs sont données « toutes crues ». L'or fait place au rouge de la passion associé au noir des ténèbres, du secret, du péché. Ces deux couleurs font aussi référence aux attributs sociaux des personnages : le rouge de la robe de cardinal vient s'associer au noir de l'habit de nonne. En soulignant ainsi l'appartenance des amants au corps religieux, Schiele provoque ouvertement le pouvoir clérical. En plaçant cette étreinte dans cette réalité sociale, il lui donne également une toute autre dimension : il s'agit d'une étreinte interdite, qui brave la crainte de Dieu. Le rayon de lumière qui entoure les amants n'est plus un écrin qui les isole du monde ; au contraire ce demi-jour expose le couple enlacé et coupable au regard du spectateur.
Des positions et expressions différentes
Le couple du Baiser est isolé dans sa bulle d'or et replié sur lui-même : l'homme détourne la tête et la femme ferme les yeux, comme entièrement absorbée par ce moment. Cela crée très nettement un effet de distanciation par rapport au spectateur. Le couple semble figé dans l'instant et ne plus rien percevoir d'autre. Cette immobilité le met à l'abri de l'épreuve du temps et de la décadence. Si les amants du Baiser peuvent êtres perçus comme l'incarnation du bonheur érotique sans nuage, c'est parce qu'il se place au-dessus de toute réalité, qu'elle soit sociale ou temporelle. La peinture peut alors faire l'objet des projections les plus variées, ce qui explique sa grande popularité.
Si la position à genoux de la femme du Baiser évoque l'abandon total à la volupté, cette même position reprise dans le tableau de Schiele prend un caractère bien plus subversif. Cette position associée aux mains jointes des personnages évoque clairement la prière, et revêt un aspect sacrilège puisqu'il s'agit dans le même temps de représenter les caresses des amants. La position crispée des personnages, le regard furtif que la nonne adresse au spectateur (faisant de celui-ci un voyeur), créent une véritable tension. Contrairement à Klimt, Schiele ne met pas en scène un amour idéalisé, mais peint l'amour comme sombre désir, comme passion ardente et inéluctable.
Références bibliographiques
Fischer, Wolfgang Georg, Egon Schiele, Taschen Verlag, Cologne, 1998.
Friedel Gottfired, Gustav Klimt, Taschen Verlag, Cologne, 1997.
Analyse picturale du tableau de Klimt (composition, lignes directrices, couleurs...) : peintre-analyse.com
Pour citer cette ressource :
Elisabeth Malick, Arts plastiques et architecture, La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), avril 2007. Consulté le 26/12/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/allemand/arts/peinture-et-sculpture/arts-plastiques-et-architecture