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Paramètres pour la compréhension d’un texte écrit en langue étrangère

Par Ana Teresa González Hernández : Professeure - Université de Salamanque
Publié par Christine Bini le 08/08/2012
L’objectif de l’article que nous présentons est de proposer un cadre permettant d’appréhender la diversité des paramètres qui gouvernent l’accès à la compréhension d’un texte écrit dans une langue différente de la langue maternelle. Plusieurs types d’approches seront développés afin de hiérarchiser les différentes stratégies mises en œuvre par le lecteur non natif pour accéder à la compréhension d’un texte écrit en langue étrangère. Comme point de départ de notre démarche, nous optons pour une analyse qui met en valeur l’exploitation de la compétence textuelle du lecteur, en tant que recours méthodologique conduisant au repérage des traits discursifs qui permettent de rattacher tout texte à un type et à un genre déterminé. Le rôle que peut jouer la langue maternelle dans la capacité de compréhension et dans la structuration des connaissances en langue étrangère, ainsi que les apports du bagage culturel de notre lecteur-type seront autant d’axes d’analyse, qui contribueront à compléter notre parcours sur la construction de la compréhension d’un texte en langue étrangère.
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 Du 9 au 12 novembre 2011 le colloque, organisé par l'APEF, l'APFUE et la SHF et intitulé "L'Étranger" s'est tenu à l'université d'Algarve au Portugal. Il a été coordonné par Christian Lagarde, Professeur à l’Université de Perpignan – Via Domitia et Président de la SHF, Geneviève Champeau, Professeur émérite à l’Université Michel de Montaigne, Bordeaux 3 et Présidente d’Honneur de la SHF et par Ana Clara Santos, Professeur à l’Universidade do Algarve et Présidente de l’APEF, Organisatrice du Colloque “L’Étranger”.

Le Comité de lecture était composé de :
Geneviève Champeau, Elvire Diaz, Erich Fisbach, Marie-Madeleine Gladieu, Pierre-Paul Gregorio, Catherine Heymann, Christian Lagarde, Ilda Mendes dos Santos, Philippe Meunier, Amélie Piel, Philippe Rabaté, Begoña Riesgo, Pascale Thibaudeau et Sarah Voinier, membres du Comité de la SHF.

Suite à ce colloque, nous publions une sélection d'articles.

Voir l'introduction du colloque

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La communication entre locuteurs de plusieurs langues est un élément déterminant pour l’entente et l’avenir social, politique, économique, culturel d’une communauté plurilingue comme la Communauté européenne d’aujourd’hui. Dans une situation de communication multilingue entre des locuteurs de langues apparentées où chacun parle sa langue et comprend celle de l’autre, la compétence de réception joue un rôle primordial. Notre analyse, centrée sur l’enseignement/apprentissage de la compréhension écrite en langue étrangère, prend place au sein de ce vaste domaine de recherche axé sur l’intercompréhension plurilingue.

L’objectif de notre article est de réfléchir sur les principaux paramètres qui conditionnent et/ou facilitent l’accès au sens lors de l’activité de lecture d’un texte en langue étrangère. Les études scientifiques et didactiques qui ont abordé la question de la lecture-compréhension de textes écrits en langue étrangère partagent l’idée que la construction du sens par des apprenants débutants, dans le cadre d’un parcours d’apprentissage d’une langue seconde, met en jeu des stratégies variées et engage toutes sortes de compétences que l’enseignant se doit de prendre en compte.

Nous considérons que la compréhension de textes repose sur cinq ensembles de compétences qui sont simultanément requises au cours de l’activité de lecture : des compétences de décodage, des compétences linguistiques, des compétences textuelles, des compétences référentielles, des compétences stratégiques (régulation, contrôle et évaluation par le lecteur de son activité de lecture) (Cèbe, 2007 :1).

Par-delà la diversité des paradigmes théoriques, notre intention est d’observer comment procèdent des sujets lecteurs, dans des situations de lecture les moins expérimentales possibles et, à partir de ces observations, d’une part d’aider au mieux les apprenants à construire et à s’approprier le sens des messages et, d’autre part, de fournir des critères d’analyse opérationnels conduisant à favoriser les stratégies qui mènent à l’autonomie de l’apprenant : «l’enseignement axé sur la compréhension, encourage l’autonomie de l’apprenant et envisage la langue comme action et interaction dans un contexte socioculturel » (De Man-DeVriendt, 2000 : 14). Du point de vue de l’enseignement/apprentissage d’une langue étrangère la compréhension est la première motivation de l’apprenant :

D’une manière globale, l’unique compétence visée par l’enseignement d’une langue étrangère, est la capacité à communiquer. Ce que l’élève désire, ce dont il a besoin, immédiatement et pour son avenir d’adulte, c’est être capable de communiquer avec un natif de la langue qu’il apprend, c’est-à-dire le comprendre et se faire comprendre par lui. Le savoir sur la langue, qui semble rester une priorité de l’enseignement actuel, n’a aucune valeur en soi s’il ne tend pas vers la capacité à communiquer. S’il ne sert à rien, il n’est qu’une pure accumulation de savoir stérile (Porcher, 2004 : 31-32).

Gaonac’hetFayol (2003 : 12) définissent l’activité de compréhension comme « une activité complexe qui s’envisage dans une activité de résolution de problèmes au cours de laquelle le lecteur construit progressivement une représentation ». En tant qu’activité cognitive, la compréhension d’un texte écrit en langue étrangère résulte d’une interaction complexe entre l’influence de la langue maternelle du lecteur, la maîtrise plus ou moins partielle ou floue qu’il possède des règles grammaticales de la langue étrangère, du niveau d’acquisition de son lexique, mais aussi, des facteurs extralinguistiques tels que son bagage socioculturel ou la motivation de ce même lecteur à comprendre un texte écrit dans une langue différente de la langue maternelle.

Dans ce qui suit, nous nous proposons de présenter une série de réflexions, issues de notre expérience professionnelle, sur les différentes voies d’accès à la compréhension d’un texte écrit en langue étrangère, le français dans le cas de nos apprenants hispanophones. Le point de départ de notre démarche part d’une constatation : le décalage dans les processus d’acquisition entre l’enseignement/apprentissage de compétences qui donnent aux formes une primauté sur les significations, au lieu d’accorder dans le processus d’acquisition plus d’importance au sens qu’aux formes qui le véhiculent. On dirait que tout le poids de l’enseignement/apprentissage d’une langue étrangère semble se consacrer à l’acquisition des différents éléments de la compétence linguistique à tous les niveaux (phonétique, grammatical, lexical, pragmatique, stylistique) dans le but d’arriver à maîtriser la production orale et écrite, laissant un peu de côté tous les problèmes associés à la réception, notamment à la compréhension écrite. En effet, pendant de nombreuses années, la compréhension à rarement fait l’objet de l’enseignement, les établissements n’accordant guère de place à une pédagogie explicite de cette compétence. En raison de l’importance consacrée à l’oral dans la didactique des langues étrangères, la compréhension a été toujours considérée comme sous-jacente à la démarche d’acquisition du code linguistique, ce qui a entraîné comme conséquence immédiate l’absence d’études approfondies proposant des stratégies d’apprentissage susceptibles d’aider les apprenants à développer des compétences d’approche au sens d’un texte écrit en langue étrangère. Autour des années 60, on commence à reconnaître l’importance, dans l’apprentissage des langues, de l’accès à la signification ce qui replace la compréhension au centre du processus d’apprentissage. Le développement de la psychologie cognitive durant les années 70 fait que l’on commence à considérer les facteurs cognitifs dans l’enseignement/apprentissage des langues ce qui favorise l’émergence en didactique des langues d’une approche axée sur la compréhension. Les travaux, entre autres, de S. Moirand (1979, 1990) et plus tard ceux de F. Cicurel (1991) ont contribué à cette réhabilitation de la lecture et de l’écrit. De nos jours, le Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues (CECR) accorde un rôle prépondérant à la compréhension de l’écrit, tout en signalant l’importance dans l’apprentissage d’une langue étrangère des stratégies de réception (Conseil de l’Europe, 2001 : 57-59) :

Lecture ou compréhension de l’écrit
Dans les activités de réception visuelle (lecture, ou compréhension de l’écrit), l’utilisateur, en tant que lecteur, reçoit et traite des textes écrits produits par un ou plusieurs scripteurs. Parmi les activités de lecture on trouve, par exemple :
– lire pour s’orienter
– lire pour information, par exemple en utilisant des ouvrages de référence
– lire et suivre des instructions
– lire pour le plaisir, etc.

L’utilisateur de la langue peut lire afin de comprendre : – l’information globale
– une information particulière
– une information détaillée

– l’implicite du discours, etc.

Une échelle est proposée pour illustrer la compréhension générale de l’écrit et des sous-échelles pour illustrer :
– comprendre la correspondance
– lire pour s’orienter

– lire pour s’informer et discuter – lire des instructions.

 

Les stratégies de réception recouvrent l’identification du contexte et de la connaissance du monde qui lui est attachée et la mise en oeuvre du processus de ce que l’on considère être le schéma approprié. Ces deux actions, à leur tour, déclenchent des attentes quant à l’organisation et au contenu de ce qui va venir (Cadrage). Pendant les opérations d’activité réceptive, des indices identifiés dans le contexte général (linguistique et non linguistique) et les attentes relatives à ce contexte provoquées parle schéma pertinent sont utilisés pour construire une représentation du sens exprimé et une hypothèse sur l’intention communicative sous-jacente. On comble les lacunes visibles et potentielles du message grâce au jeu d’approximations successives afin de donner substance à la représentation du sens, et on parvient ainsi à la signification du message et de ses constituants (Déduction). Les lacunes comblées par déduction peuvent avoir pour cause des insuffisances linguistiques, des conditions de réception difficiles, le manque de connaissance du sujet ou encore parce que le locuteur/scripteur suppose que l’on est au courant ou qu’il/elle fait usage de sous-entendus et d’euphémismes. La viabilité du modèle courant obtenu par cette procédure est vérifiée par la confrontation avec les indices cotextuels et contextuels relevés pour voir s’ils « vont avec » le schéma mis en œuvre – la façon d’interpréter la situation (Vérification d’hypothèses). Si cette confrontation se révèle négative, on retourne à la première étape (Cadrage) pour trouver un schéma alternatif qui expliquerait mieux les indices relevés (Révision d’hypothèses).

 

Les difficultés que nous avons rencontrées chez quelques-uns de nos apprenants, adultes et grands débutants, au moment d’accéder au sens d’un texte écrit en langue étrangère, nous ont poussées à proposer quelques pistes ou suggestions méthodologiques, en fonction de trois variables :

  •   Le projet de lecture.
  •   La figure de l’apprenant-lecteur.
  •  Les spécificités du texte.

Étant donné que nos apprenants ont une maîtrise imparfaite des procédures de décodage, tous nos efforts se sont centrés sur le but de délimiter où se situent les sources de difficultés rencontrées par nos apprenants, et, de ce fait, déterminer sur quels points précis doit porter notre intervention pédagogique. Dans ce qui suit, nous présentons les lignes maîtresses de notre démarche.

L’objectif pédagogique de l’enseignement de la compréhension écrite vise, d’un côté, à expliciter les stratégies que doit mettre en place l’enseignant pour favoriser la réception du message écrit en langue étrangère, et de l’autre, à améliorer les compétences qui nous paraissent être les plus fragiles chez les apprenants-lecteurs en L2. Nous ne pouvons pas oublier que l’enseignant constitue l’élément central de la communication en classe, car c’est lui qui gère sa dynamique et son organisation. Son intervention a pour objectif d’aider les apprenants à apprendre à comprendre un texte écrit en langue étrangère. L’enseignant, en tant que médiateur, devient le facilitateur de l’accès au sens ; il est aussi chargé de préserver les conditions de réception originale. Son guidage, indispensable pour assurer la compréhension des significations référentielles et connotatives d’un texte écrit en L2, consiste à orienter l’apprenant vers un choix compatible avec le contexte donné. On pourrait synthétiser son intervention dans l’explicitation des procédures d’enseignement de la compréhension à travers trois questions fondamentales :

  • Comment doit procéder l’enseignant pour développer la capacité de « faire du sens » avec l’écrit ?
  •  Quelles techniques devra-t-il mettre en œuvre dans le cadre de la réception de l’écrit ?
  •   Quelles habitudes de lecture devra-t-il travailler et instaurer chez l’apprenant ?

Pour répondre à ces questions, l’enseignant doit poser des objectifs. Seuls des objectifs de lecture bien définis par l’enseignant pourront déterminer le succès de la démarche méthodologique d’accès au sens. Pour s’assurer de la viabilité de son projet, l’enseignant devra mobiliser une série de stratégies :

  • Des stratégies de planification pour déterminer des buts, des moyens pour les atteindre et le parcours pédagogique pour effectuer la tâche.
  • Des stratégies de pilotage ou de gestion, pour vérifier si le processus de compréhension de l’apprenant progresse en fonction des tâches en cours.
  •  Des stratégies d’évaluation pour mesurer et valider le degré de réussite de la méthode de compréhension mise en place.

L’enseignant fera une planification structurée des activités: décrire les objectifs, fixer soigneusement les stratégies et expliciter les tâches à accomplir. La diversité des procédures d’entraînement encourage les apprenants à participer activement à la construction du sens du texte, l’utilisation de différentes stratégies pour comprendre a pour but de leur faire prendre conscience du processus d’accès au sens du texte et d’atteindre un bon niveau de compréhension. L’enseignant aura atteint son objectif si au terme de l’entraînement l’apprenant a intégré de manière routinière un protocole d’accès au sens, ce qui lui permettra de faire face à toutes les situations de lecture d’un texte en langue étrangère.

Pour faciliter l’accès au sens d’un texte écrit en langue étrangère l’enseignant doit mobiliser toute une série de stratégies de pilotage qui seront fondamentales à l’heure de guider la recherche du sens de l’apprenant. Nous avons structuré ces stratégies en fonction de trois paramètres :

  • L’activation des connaissances et des aptitudes préalables que l’apprenant- lecteur peut mettre en jeu dans le processus de compréhension.
  • Les entraînements spécifiques concernant le texte.
  • La révision et validation des hypothèses.

1. L'activation des connaissances et des aptitudes préalables de l'apprenant-lecteur

Pour réussir son objectif de faire acquérir aux apprenants des compétences de compréhension écrite en langue étrangère, l’enseignant a à sa portée différents instruments d’aide pour favoriser l’accès au sens d’un texte écrit dans une langue qui lui est inconnue. Parmi les outils auxquels il peut avoir recours pour développer chez l’apprenant-lecteur la compétence de réception, nous devons considérer, en premier lieu, l’influence exercée par la langue maternelle.

L’apprenant sait lire dans sa langue maternelle : il est donc inutile de lui proposer des pratiques de déchiffrage comme s’il n’avait jamais appris à lire ; il est par contre utile de lui faire prendre conscience de ses propres stratégies de compréhension en langue maternelle et de voir s’il peut ou non les transférer en langue étrangère (Moirand, 1979 :23).

En effet, les apports de la langue maternelle de l’apprenant constituent un appui primordial, facilement exploitable pendant les premières phases d’approche du texte. Malgré les réticences de quelques méthodologies d’enseignement/apprentissage des langues étrangères (1) – qui préconisaient d’éviter le recours à la langue maternelle, parce qu’elles la considéraient comme une source d’obstacles qu’il fallait contourner –, il est évident que l’acquisition d’une langue étrangère est marquée par le substrat ou le patrimoine langagier de la langue maternelle.

La langue maternelle reprend le rôle qui aurait toujours dû être le sien. En effet, si elle a été pendant un certain temps considérée comme un fardeau générateur de difficultés et d’erreurs, elle doit maintenant apparaître comme un stimulateur d’hypothèses, c’est-à-dire comme un appui décisif bien que non exclusif à l’activité cognitive de l’apprenant (Dabène, 1994 :184).

Le niveau de compétence de lecture en langue maternelle détermine les comportements et les attitudes de l’apprenant-lecteur en langue étrangère. Les stratégies que l’apprenant- lecteur met en place lors de la lecture en langue maternelle, peuvent servir au moment de guider le processus de compréhension en langue étrangère, c’est pourquoi il est utile de lui faire prendre conscience de ses propres stratégies de compréhension en langue maternelle car, s’il exploite au maximum toutes ses compétences, il diminuera l’impact des séquences qu’il considère opaques, ce qui lui permettra d’augmenter d’autant plus ses possibilités de déclencher des inférences sur le sens des zones opaques du texte en langue étrangère. Dans ce sens-la, il faut considérer, également, le degré de proximité entre la langue maternelle et la langue cible ; dans le cas des langues voisines, comme c’est le cas de l’espagnol et du français, le lecteur est capable de procéder à davantage d’inférences sémantiques qui facilitent la construction du sens d’un texte en L2 voisine non maîtrisée.

En plus de l’influence de la langue maternelle, tous les spécialistes en communication plurilingue insistent sur le fait que dans la phase d’approche du texte écrit en langue étrangère l’apprenant-lecteur ne part pas de zéro, mais qu’il possède un certain bagage socioculturel qui est déterminant au moment de sa confrontation au texte en L2. En effet, il existe un rapport directement proportionnel entre le degré d’expertise du lecteur et son habileté pour construire le sens d’un texte écrit dans une langue qu’il ne manie pas. Dans ce sens, on ne peut pas négliger les connaissances extralinguistiques de l’apprenant- lecteur, la perception du monde qu’il a et son expérience vécue. L’enseignant peut utiliser ces données et exploiter certaines formes de communication écrite que l’apprenant- lecteur reconnaîtra aisément grâce à ses connaissances antérieures : textes journalistiques, publicité, dépliants touristiques, modes d’emploi, textes de sa spécialité. Donner à lire un texte de didactique dans une langue inconnue devient plus facile pour un didacticien que pour quelqu’un qui n’est pas spécialiste en la matière.

À partir des apports de sa langue maternelle, de son bagage socioculturel et de ses connaissances antérieures qui, comme nous venons de signaler, ont une grande incidence sur la compréhension d’un texte en langue étrangère, l’apprenant-lecteur, élabore des schémas (Cornaire : 1991, 25-26). En fonction du domaine de référence, on distingue des schémas de contenu qui englobent des connaissances sur le monde, les croyances, des événements concernant le sujet du texte ; des schémas formels où pendant l’activité de lecture l’apprenant procède au décodage des informations formelles procédant du texte : son organisation, sa structure, sa typologie ; des schémas linguistiques qui se rapportent aux connaissances grammaticales et lexicales en langue étrangère. De l’entrecroisement de ses aptitudes perceptives, de sa sensibilité textuelle et de l’activation des savoirs qu’il possède et qu’il a emmagasinés dans sa mémoire naît la figure d’un nouveau lecteur qui participe activement à la construction du sens du texte. La lecture-compréhension se transforme ainsi en une activité dynamique qui va au-delà du simple recueil d’informations pour devenir « la construction de sens par un lecteur actif s’appuyant sur les indices du texte jugés les plus significatifs » (Gaonac’h 1987 : 159).

2. Les entraînements spécifiques concernant le texte

La reconstruction du sens d’un texte écrit demande la mise en place d’une série de compétences (2) ; quand l’acte de lecture se fait en langue étrangère, le lecteur se trouve dans l’impossibilité de mobiliser toutes les compétences qu’il mobilise en langue maternelle. Les connaissances linguistiques de la langue française de nos apprenants- lecteurs, adultes et grands débutants, sont très limitées, cela explique qu’un pourcentage important des stratégies déployées par l’enseignant se regroupe autour de la compétence textuelle :

La compétence textuelle se met en place à partir des expériences du sujet liées à sa fréquentation des textes. Elle présente des dimensions à la fois individuelles, sociales et culturelles et peut être décomposée en un ensemble de savoirs, de savoir-faire et de représentations (Souchon, 2000 : 6).

Concernant l’approche textuelle, le premier objectif sera la prise de conscience de la structure des différents types de textes, car nous estimons que l’ensemble des expériences textuelles vécues par le lecteur peut servir d’appui et jouer un rôle déterminant au cours des premières lectures en langue étrangère. L’une des premières stratégies du lecteur confronté à la compréhension d’un texte en langue étrangère est de le rattacher à un type et à un genre textuel.

Des types de textes sont inscrits et circulent dans le métalangage naturel sous forme de noms de genres [...] Bien qu’hétéroclites quand on les considère en bloc, les genres demeurent cependant, à des degrés divers, présents à la conscience de certains locuteurs, qu’ils en soient ou non directement producteurs ou consommateurs. Ils sont donc utilisables dans l’enseignement/apprentissage : vagues modèles de textes, ils sont actifs en ce qu’ils peuvent être ancrés dans la compétence communicative des locuteurs (Beacco, 1991 :23)

Le choix pertinent des textes écrits qui seront le support de l’enseignement constitue une étape cruciale du processus de compréhension. La sélection des textes de la part de l’enseignant pour l’élaboration d’un corpus textuel est une phase essentielle, car tout le processus de lecture dépend de la qualité et de la diversité du choix des textes. Dans les étapes initiales, on présentera à l’apprenant des textes courts, de types et de genres facilement repérables, tels que des recettes de cuisine, des modes d’emploi, des faits divers; on passera ensuite à la lecture de textes à caractère explicatif, descriptif, narratif, et on laissera pour une phase ultérieure des textes plus longs et de typologie plus complexe, comme, par exemple, les textes argumentatifs. Après l’identification des caractéristiques typologiques du texte, les apprenants-lecteurs peuvent s’appuyer sur d’autres données textuelles telles que les marques discursives de cohérence, cohésion et connexion qui font progresser un texte.

El texto, en cuanto que unidad significante, es un todo coherente y el lector va integrando unas unidades en otras a partir de tres procedimientos: coherencia, cohesión y conexión, operaciones que aparecen en casi todos los modelos textuales como normas de textualidad que mantienen la progresión y continuidad temáticas (López et Séré,2001 : 29).

Dans notre démarche nous avons structuré notre approche textuelle en deux grandes étapes. Suivant les critères établis par C. Peyroutet (2001, 40), nous avons prévu deux circuits de lecture :

  •   Un circuit court : Il s’agit d’une étape d’approche du texte durant laquelle l’apprenant fait le repérage de l’essentiel de l’information contenue dans le texte. Il est important d’inculquer à l’apprenant l’idée que dans un texte écrit on part des signifiants et que, comme le signale S. Moirand (1979,24), tout texte écrit a une fonction iconique qu’on se doit de prendre en compte. Dans cette étape on doit attirer l’attention de l’apprenant sur tous les éléments du péritexte, car il s’agit de signes pertinents pour guider la découverte du sens ; c’est là qu’il va trouver l’essentiel de l’information, à travers les éléments typographiques : Titre, surtitre, sous-titre, intertitres, photos, légendes, tableaux, etc. C’est également au long de cette première approche du texte que notre apprenant-lecteur formule des hypothèses sur le(s) type(s) et le(s) genre(s) textuel(s).
  •   Un circuit long : Après un premier contact avec le texte, annoncé par le circuit court de lecture, l’apprenant est en disposition pour accéder à la totalité du sens du texte, une fois qu’il a été mis en situation et a pu établir le cadre de référence. Dans cette étape de confrontation au corps du texte, le guidage de l’enseignant est essentiel ; pour éviter les blocages, il doit insister sur la nécessité de faire une lecture globale du texte. Les apprenants, pour leur part, doivent prendre conscience que l’on peut lire un texte même si l’on ne connaît pas le sens de tous les mots qui le composent, que pour comprendre ce que l’auteur veut transmettre il peut opérer des inférences à partir des connaissances dont il dispose et surtout avec les informations déjà délivrées dans le texte lors du parcours du circuit court de lecture. Les allers et retours à travers le texte, l’utilisation de l’axe syntagmatique et paradigmatique, le remplissage des termes opaques par des termes sémantiquement vides sont autant de procédés d’interprétation qui conduisent l’apprenant à la construction progressive du sens du texte en langue étrangère.

Notre expérience professionnelle nous signale que l’entrée dans le corps du texte est une phase délicate pour l’apprenant-lecteur. C’est pour cela que le rôle de pilotage de l’enseignant doit présider le mode d’exploration du texte. Tous les efforts de l’enseignant doivent se concentrer sur le développement chez les apprenants de leurs capacités de compréhension globale du sens d’un texte, alors qu’ils sont encore incapables d’en comprendre chaque mot et chaque détail. Il est important d’introduire depuis le début de l’apprentissage d’une langue étrangère une technique « d’approche globale (3) » des textes écrits qui cherche à pallier la méconnaissance du code linguistique. Apprendre à appréhender globalement le sens du texte suppose sensibiliser l’apprenant à une nouvelle attitude face au texte, où la lecture linéaire, doit céder le passage à une lecture décloisonnée, globale, où la lecture mot à mot, phrase à phrase doit être remplacée par une tactique d’approche textuelle. Dans cette nouvelle perspective, l’apprenant centrera son attention, au niveau de la macrostructure, sur la structuration de chaque texte pour parvenir à en dégager la thématique, la disposition des idées principales et organisation des grandes séquences. À travers le repérage des règles de cohérence textuelle (Charolles, 1978, 7-41) et de la progression thématique, l’apprenant parviendra à reconstruire l’essentiel du sens du texte. Le but de cette démarche textuelle est de contribuer à la réduction des blocages de l’apprenant et à la diminution progressive de la marge d’opacité du texte. Au niveau de la microstructure, l’apprenant peut construire les différents réseaux sémantiques ou isotopies, à partir du repérage des mots-clés qui parcourent le texte. Du point de vue de l’organisation lexicale, le relevé des termes formellement proches (dérivés) et sémantiquement apparentés (paronymes, hyperonymes, etc.) aideront à réfléchir sur les fonctions de ces éléments dans la recherche du sens du texte. Une démarche centrée sur les éléments lexicaux et grammaticaux du texte écrit en langue étrangère vise à éviter le piège du mot à mot. En effet, l’enseignant doit insister sur l’idée qu’un élément ne vaut pas pour lui-même, mais que son importance découle de son appartenance à un réseau syntacticosémantique. La mise en relation des différents constituants linguistiques contribue à la reconstruction du sens du texte en L2. D’autre part, l’activation des mécanismes d’inférence, dont nous avons parlé ci-dessus, conduit l’apprenant à proposer des hypothèses qui devront être soumises à tout un processus de validation.

 

3. La révision et la validation des hypothèses

Comme nous l’avons signalé ci-dessus, le circuit court de lecture a pour fonction d’établir un cadre de référence et de sensibiliser l’apprenant-lecteur à la « perception des signes visuellement prégnants » (Moirand : 1979, 24), fournis par les données typographiques (titres, sous-titres, intertitres, chapeaux, légendes, etc.). Ces éléments suscitent un horizon d’attente, activent un schéma de représentation qui conduit l’apprenant-lecteur à la formulation d’hypothèses, à caractère provisoire. Lors du circuit long de lecture, l’apprenant-lecteur devra confirmer les hypothèses de sens avancées dans l’étape d’approche externe.

Les différentes études sur le domaine de l’intercompréhension plurilingue insistent sur l’importance de découvrir dans le texte des indices porteurs de sens. Portine (1983 :47) définit les indices comme « l’ensemble des éléments à extraire du texte et la façon dont ils se combinent entre eux pour donner une image globale de la signification». Toute construction de sens repose sur une ou des impressions référentielles, qui se complètent, se confirment, s'annulent ou se remodèlent au fil de la lecture.

Le « sens » d’un texte serait perçu au travers de son organisation linguistique et les articulateurs, les mots-clés, les relations anaphoriques sont alors autant de repères pour le lecteur, repères qui surgissent du contexte linguistique mais qui viendront éclairer le savoir antérieur du lecteur et ses connaissances extralinguistiques. Après une première perception, très globale, réalisant un balayage de l’aire du texte, le lecteur mobiliserait donc d’une part les données de son expérience du monde, de son vécu quotidien et d’autre part sa connaissance des modèles syntacticosémantiques de la langue. Ainsi pourra-t-il inférer l’organisation du sens du texte à partir d’hypothèses issues de points de repérage et des liens qu’ils entretiennent entre eux (Moirand : 1979, 23).

L’enseignant joue un rôle essentiel dans cette étape de découverte des indices, il doit encourager l’apprenant-lecteur devant les blocages, le soutenir dans le processus de prélèvement d’indices qui structurent le sens du texte. À partir des indices répertoriés, l’apprenant construit l’inventaire des éléments pertinents du texte, procède à la formulation d’un réseau d’hypothèses interprétatives, fondées sur la contextualisation et les approximations successives, qu’il faudra ensuite confirmer ou infirmer. Grâce à cette dynamique interprétative, l’apprenant construit une représentation de l’intention communicative sous-jacente et du sens exprimé par le texte. À mesure que l’apprenant valide ses hypothèses formelles, thématiques, il efface les incertitudes que le texte présentait au début et parvient à dévoiler progressivement la signification du message et de ses constituants. La mobilisation des différentes compétences en compréhension mises en place par l’apprenant, convenablement guidé par l’enseignant, doit aboutir au développement progressif des stratégies permettant à l’apprenant de travailler en autonomie.

4. Conclusion

La lecture d’un texte en langue étrangère est un processus complexe et dynamique qui varie en fonction de différents paramètres tels que la figure du lecteur, le texte, les objectifs et les tâches de lecture, les stratégies de lectures mises en place, la situation du contexte d’expérimentation. Comme nous avons essayé de le démontrer, les prérequis des apprenants jouent un rôle déterminant dans l’approche du texte en langue étrangère. Dans un premier volet, nous avons voulu insister sur la nécessité d’appuyer l’enseignement/apprentissage sur les apports de la langue maternelle et des connaissances antérieures, convaincues comme nous le sommes du taux d’incidence de ces facteurs dans la compréhension correcte d’un texte écrit dans une langue non maîtrisée. Dans un deuxième temps, nous avons insisté sur l’idée que, parmi les procédures de décodage déployées par nos apprenants lors de la lecture, la structure textuelle occupe une place fondamentale. La voie d’approche du sens du texte que nous avons empruntée, naît de l’interaction entre ses caractéristiques textuelles, d’une part, et les connaissances et aptitudes de l’apprenant, de l’autre. À partir d’une démarche méthodologique en deux étapes et pertinemment guidé par la figure du médiateur- enseignant, notre apprenant mobilise une série de stratégies d’accès au sens du texte, qui en dévoilent petit à petit les zones d’ombres et font avancer l’apprenant dans le cheminement d’une participation active, au moyen d’une procédure de compréhension qui demande la mobilisation de processus mentaux qui conduisent, à la fin du parcours, à un apprentissage autonome.

Notes

(1) Pour une étude approfondie des différentes approches méthodologiques en didactique du français langue étrangère et seconde v. Rivenc (2003), Comblain&Rondal (2001), Defays (2003) entre autres.

(2) D’après Chauveau (1994), le savoir-lire est une compétence élaborée (une stratégie) de (re)construction de sens prenant appui sur une série de sept compétences restreintes : la compétence verbo-prédictive : savoir compléter un énoncé " à trous ", la compétence grammaticale : avoir une conscience des structures de la langue (par exemple : le mot, la phrase), la compétence idéographique : avoir un « capital mots ». la compétence grapho-phonique : pouvoir faire l'analyse et la synthèse d'un groupe de phonèmes ou de graphèmes, la compétence fonctionnelle : savoir distinguer des supports et des types d'écrits différents et savoir adapter son comportement de questionneur en fonction du texte et de la situation, la compétence culturelle : avoir des connaissances sur le sujet à lire, la compétence tactique : s'efforcer d'intégrer des informations très diversifiées.

(3) Pour une étude approfondie de l’approche globale des textes écrits v. le no 23 de la revue Études de linguistique appliquée. (1976)

Bibliographie

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Pour citer cette ressource :

Ana Teresa González Hernández, "Paramètres pour la compréhension d’un texte écrit en langue étrangère", La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), août 2012. Consulté le 19/03/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/espagnol/langue/didactique/enseignement-de-lespagnol/parametres-pour-la-comprehension-d-un-texte-ecrit-en-langue-etrangere