Vous êtes ici : Accueil / Civilisation / Domaine américain / Le rêve américain / Rêve américain, Rêve d’Amérique : une introduction

Rêve américain, Rêve d’Amérique : une introduction

Par Morgane Jourdren : Maître de conférences - Université d'Angers
Publié par Clifford Armion le 08/03/2010

Activer le mode zen

« J'avoue que dans l'Amérique, j'ai vu plus que l'Amérique ». Cette célèbre formule d'Alexis de Tocqueville ne résume-t-elle pas à elle seule l'histoire d'une terre qui, dès l'aube de l'Humanité, a habité les esprits, enflammé les imaginations et délié tant la plume que les langues ? Comment définir le rêve américain ? Comment l'Amérique, au sens métaphorique du terme, se manifeste-t-elle en terre américaine et à Hollywood en particulier ?

Introduction

Ils voient une terre très fertile en beaux bois et en prairies. Les prés, splendides et constamment en fleurs, y forment un jardin. Les fleurs sentent très bon, comme il convient à un endroit qu'habitent les saints, un lieu où les arbres et les fleurs font les délices de ceux qui les regardent, et où les fruits et les parfums sont d'une richesse inestimable. Ni ronces, ni chardons, ni orties n'y poussent à profusion; il n'y a pas d'arbre ni d'herbe qui n'exhale une odeur suave. Les arbres sont continuellement chargés de fruits, et les fleurs toujours en plein épanouissement, sans tenir compte de la saison qui ne change pas; c'est toujours l'été, et le temps reste doux. Les fruits sont toujours mûrs sur l'arbre. Les fleurs produisent sans cesse leur semence; les bois sont toujours remplis de gibier, et toutes les rivières d'excellents poissons. Il y a des rivières où coule le lait. Cette abondance règne partout : les roselières exsudent le miel grâce à la rosée qui descend du ciel. Il n'y a pas de montagne qui ne soit d'or, pas de grosse pierre qui ne vaille un trésor. Le soleil ne cesse d'y briller de tout son éclat, aucun vent, aucun souffle ne vient remuer le moindre cheveu, aucun nuage dans le ciel ne masque la lumière du soleil.

(Benedeit, 1984, 125-126)

Telle est la description paradisiaque de cette Terra Repromissionis qu'est censé avoir découvert, après sept ans de navigation, Saint Brendan, moine irlandais du VIème siècle, et dont le Navigatio Brendani, datant du XIème siècle, relate les aventures maritimes avec force détails. S'agit-il d'un périple réel fortement romancé et investi par l'imagination populaire ou d'une légende pure et simple ?  Nul ne le sait.

Le récit, dit-on, inspirera néanmoins quelques siècles plus tard, un certain Christophe Colomb, qui n'aura de cesse de chercher ce 'Paradis Terrestre' dont on a perdu trace, et qui finalement, par hasard, en 1492, alors qu'il cherche à l'Ouest une route vers les Indes, du haut de la vigie, verra surgir des flots une terre que l'on baptisera du nom d' 'Amérique' ((C'est le géographe allemand Martin Waldseemüller qui, en 1507, attribue aux terres situées au sud de l'actuelle Amérique du Nord, le nom du navigateur Italien Amerigo Vespucci (1451-1512) qui en 1499 navigua le long de l'embouchure de l'Amazone. Le nom de l'explorateur s'est ensuite étendu à tout le continent. Brewer's Dictionary of Phrase and Fable, 2002, 34.))

 Une Amérique qui, si elle n'en porte pas encore le nom, préexiste à sa découverte et à sa localisation sur les vieilles mappemondes, tant elle hante l'imaginaire occidental. Là-bas, quelque part à l'Ouest, au-delà des mers, est censée se trouver une terre inconnue. El Dorado, Paradis Terrestre, Pays de Cocagne, tous l'imaginent depuis l'Antiquité à leur façon et lui prêtent tous les attraits qui font défaut à ce bas-monde.

Hésiode, poète grec, évoque au VIIIème siècle avant notre ère déjà, « les Îles des Bienheureux, au bord de l'Océan aux tourbillons profonds », où « trois fois l'an la terre féconde donne une récolte abondante et douce comme le miel » (1995, 93-94).

Plutarque, bien plus tard, au Ier siècle après Jésus Christ, pour être plus précis, évoque, à son tour, des terres paradisiaques qui portent, elles aussi, le nom d' Îles des Bienheureux tandis que Ptolémée fait apparaître sur ses cartes une région qu'il nomme les Iles fortunées. Tous voient en cette Terra Incognita une terre mythique, auréolée de magie, et tous la situent déjà à l'Ouest.

Plus tard, lorsque l'on pourra enfin la représenter sur une carte, l'Amérique continuera de susciter les rêves les plus fous et d'enflammer l'esprit de ces populations d'immigrants issues de la vieille Europe qui ont foi en l'individu, qui croient en la persévérance, qui adhèrent aux valeurs du travail et aux valeurs familiales, sous l'œil béni de Dieu. Comment définir le Rêve américain ? Quels aspects revêt-il ? Quelles images lui sont associées dans la tête de tous ceux qui gardent le regard tourné vers l'horizon ?

Un horizon qui, parfois, s'assombrit lourdement et suscite toutes les interrogations. Aux prises avec un monde qu'il ne comprend pas, l'homme, semble-t-il, ne se laisse pas pour autant gagner par le désespoir et continue, au fond de lui-même, de rêver des Rêves d'Amérique. Mais de quelle Amérique s'agit-il et comment se manifeste-t-elle ? Les moments d'épiphanies qui parsèment l'existence, ce besoin d'absolu et cette nostalgie d'un monde de l'innocence qui habite l'Humanité en sont-ils l'illustration ? Ou l'Amérique est-elle, en fin de compte, cette Terra Incognita que tout individu porte potentiellement en lui et qu'il se doit de trouver pour continuer à avancer vers l'avenir, un pied dans la réalité et un pied dans le Rêve ? George Bernard Shaw, dans l'act I de Back to Methuselah, invite, à sa manière, au rêve et à la réflexion :

The serpent says these words to Eve :
You see things and you say "Why" ?
But I dream things that never were ;
and I say "Why not" ?
(1949, 7)

1. Rêve Américain

Le Rêve Américain est protéiforme et se décline dans de très nombreuses versions au gré des soubresauts de l'Histoire.

Pour les Pères Pèlerins, des Puritains venus se réfugier de l'autre côté de l'Atlantique, l'Amérique sera la terre sacrée où ils pourront accomplir l'œuvre de Dieu sur terre et construire la Cité sur la Colline, cette fameuse Cité qu'évoque, dans un sermon désormais classique, John Winthrop : « For wee must consider that wee shall be as a citty upon a hill. The eies of all people are uppon us » (1838, 47).

Pour les Pères Fondateurs ((Le terme « Pères Fondateurs » ou « Founding Fathers » définit une convention de 55 membres comprenant, entre autres, George Washington, Benjamin Franklin et James Madison, réunis à Philadelphie en mai 1787 pour rédiger un document qui deviendra la constitution des Etats-Unis.)) de la nation américaine qui couchent par écrit les attentes et les espoirs qui les habitent dans La Déclaration d'Indépendance de 1776, La Constitution de 1787 et le Bill of Rights de 1791, comme pour les Utopistes du XVIIIème et du XIXème siècles, Fouriéristes, Owenistes ou Socialistes Utopiques, le Nouveau Monde sera le berceau d'une nouvelle société inspirée des principes mêmes des Lumières. Liberté et droit au bonheur ! Deux maîtres-mots qui reviendront sans cesse dans le libellé des actes fondateurs de la nouvelle république et dans les textes qui accompagnent l'avènement de ces micro-sociétés qui voient le jour outre-Atlantique, ne serait-ce que de façon éphémère.

L'Amérique, bénie des Dieux, se veut le lieu de tous les possibles, loin des féodalités, des persécutions et des affrontements de la vieille Europe. L'individu y est censé n'être plus tributaire de ses origines, mais jugé et récompensé à l'aune de ses capacités et de son labeur dans une société bâtie sur la reconnaissance de l'individu et du travail. Comme l'explique James Truslow Adams :

It has been a dream of being able to grow to fullest development as man and woman, unhampered by the barriers which had slowly been erected in older civilizations, unrepressed by social orders which had developed for the benefit of classes rather than for the simple human being of any and every class. (1932, 405)

Egalité des chances, liberté d'initiative, telles sont donc les deux traits essentiels censés distinguer l'Amérique de la vieille Europe. Les images abondent, au cours des deux derniers siècles d'existence de l'Amérique, qui viennent incarner tour à tour ce Rêve Américain et témoigner de sa réalité : images de chercheurs d'or devenus milliardaires, de fermiers qui ont redoublé d'efforts pour faire d'un désert un petit coin de paradis, de pauvres hères partis de rien qui se retrouvent à la tête de fortunes colossales, d'entrepreneurs au sens américain du terme, qui ont bâti de véritables empires ou, dans une version moins flamboyante mais tout aussi efficace, de braves pères de famille qui ont acquis à force de sacrifices une petite maison dans une banlieue peuplée d'arbres et réussissent à envoyer leur progéniture au College. A chaque époque, une version différente, accompagnée d'images qui l'incarnent et l'illustrent d'une façon on ne peut plus simple et pédagogique. Ainsi le Rêve Américain revêt divers aspects, comme en attestent les définitions de divers dictionnaires :

Ideals of freedom, equality, and opportunity traditionally stressed as available to individuals in the United States. (The Random House College Dictionary, 1988, 43)

The Ideal of a democratic and prosperous society, regarded as the aim of the American people. (The New Shorter Oxford English Dictionary on Historical Principles, 1993, 66)

The American dream is the belief that everyone in the US has the chance to be successful, rich and happy if they work hard. (Cambridge International Dictionary of English, 1995, 41)

An American social ideal that stresses egalitarianism and especially material prosperity. (Merriam Webster's Collegiate Dictionary, 1996, 37)

The Concept that the American social, economic and political system makes success possible for every American. (Brewer's Dictionary of Phrase and Fable, 2002, 34)

Rêve de richesses et de bien être matériel, Rêve de bonheur, avec pour corollaire tout un ensemble d'images d'Epinal, telles qu'elles peuplent l'imaginaire des candidats à l'immigration et celui de l'Amérique profonde : images de 'réussite sociale', de bonheur familial et de petites communautés solidaires et fraternelles. Rêve également de liberté politique et religieuse, et qui habite tous ceux qui, à l'instar des Pères Pèlerins, cherchent à échapper aux persécutions dont ils sont l'objet en Europe, Rêve enfin d'une terre vierge de toute influence, où l'Humanité est censée être à même de construire la Cité sur la Colline ou, dans une version plus laïque, échappe au cours de l'Histoire et bâtit une communauté idéale. Rêve des Puritains dans le premier cas, Rêve des Utopistes du XIXème siècle dans le second.

Si toutes ces versions du Rêve Américain peuvent être historiquement datées, il n'en reste pas moins vrai qu'elles se superposent et s'entremêlent les unes aux autres, avec toutes les images et les représentations qui leur sont associées. Comme le souligne Anne-Marie Bidaud :

Plus que d'interactions - terme qui suggèrerait une relation de symétrie, un statut d'égalité entre plusieurs composantes - il conviendrait de parler de surimpressions, tant les images du Rêve américain se télescopent avec le Rêve lui-même, au point de s'y substituer. (1994,24)

Toutes constituent la trame d'un discours que l'Amérique n'a jamais cessé de se tenir et de tenir sur elle-même. Ce Rêve d'une terre de tous les possibles, d'une terre idyllique, ancré dans l'inconscient collectif, donnera naissance à bien des rêves, à un Rêve d'Humanité, un rêve de Fraternité et d'Innocence retrouvée. Un rêve libertaire, dans tous les sens du terme. Un Rêve empreint de nostalgie, un Rêve de fluidité et de mobilité des esprits et des corps, un Rêve d'Amérique.

2. Rêve d'Amérique

Mais 'L'Amérique' existe-t-elle ? Du moins, existe-t-elle dans l'univers de ces dissidents qui entendent sortir l'Amérique de son rêve Hollywoodien ? Car le monde tel qu'il apparaît dans l'œuvre des cinéastes et écrivains contestataires n'est déjà plus le monde tel que le conçoivent le XVIIIème et le XIXème siècles, où l'on croit encore au Progrès et à la possibilité pour l'Homme de s'affranchir de ses chaînes, où, des Encyclopédistes aux Utopistes, l'on imagine de nouvelles formes d'organisation de la société. Les uns célèbrent les vertus de la terre et appellent à un retour à de petites communautés rurales, les autres, au contraire, voient dans la machine le salut de l'Humanité ; d'autres encore imaginent le jour où les opprimés se révolteront contre leurs oppresseurs et changeront la face du monde. Ainsi les versions abondent, qui déclinent, chacune à leur manière, le Rêve d'une société ou de microsociétés, plus justes, plus fraternelles, où l'Homme est censé retrouver comme un parfum de plénitude. Mais, pour différentes qu'elles soient, ces versions du Bonheur retrouvé reposent toutes, néanmoins, sur une conception de l'Histoire comme progrès et de l'Homme comme être doué de raison, à même de prendre en main son destin. En d'autres termes, le discours des Lumières comme le discours du XIXème siècle attestent d'une certaine foi en la politique, au sens noble et originel du terme, et en la capacité de l'Homme à reconstruire une Cité plus harmonieuse.

La vision du monde que présuppose le discours politique du XVIIIème et du XIXème siècles n'a néanmoins plus guère cours, semble-t-il, dans l'univers des écrivains et cinéastes en marge. Le monde qui filtre entre les lignes et qui apparaît à l'écran ne repose plus, à l'évidence, sur les mêmes postulats et les discours constitués, quels qu'ils soient, y dévoilent rapidement leurs limites, tant ils sonnent faux, vains et grotesques dans un univers déjà fortement empreint de ce sentiment d'absurde qui préexiste à l'œuvre de Beckett et de Ionesco et qui est déjà présent outre-Atlantique chez Dos Passos ou dans certains burlesques américains du début du siècle où le sentiment d'absurde découle du spectacle d'un monde fou, voire inquiétant, qui défie les lois physiques et celles de la raison.

Etrange monde que celui-ci, où les repères n'en sont plus et qui paraît régi par des forces aléatoires. Etrange monde que celui-ci, où les objets se déchaînent et paraissent doués d'une volonté qui leur est propre, tandis que les corps, au contraire, se réifient. Comme si plus rien n'allait et que le Grand Horloger était absent.

Pourtant, « Siffloter au vent, les mains dans les poches », malgré le sentiment que l'on éprouve d'un monde indéchiffrable, voilà bien tout l'esprit de l'Américain qui repart sur la grande route, vers l'horizon. Comme si, au-delà du constat de l'absurdité du monde et de l'existence, il existait encore un espace où l'individu pouvait exister et résister. Exister en tant qu'être humain libre de ses choix et résister à la tentation du désespoir pour faire vivre ce qu'il reste d'humain dans un monde inhumain et faire pousser, malgré tout, ces quelques graines d'humanité dans ce champ trop vaste, qui s'étend à perte de vue.

Cette graine d'humanité qu'ils cultivent symbolise l'espérance qui demeure, au sens où l'entend François Chirpaz :

La force propre de l'espérance ne s'épuise pas dans la simple attente d'un temps meilleur de la vie. (...) Ce qui arrive est part inévitable de la vie, ce ne saurait pourtant être le tout de la vie. En ce sens, l'espérance qui est disponibilité et ouverture sur le non-connu de la destinée humaine, est tout entière tendue vers le passage à une réconciliation, en une tension qui comporte sa part de démesure. Constituant l'horizon de la pensée, comme celui de l'existence. Car « Si tu n'espères pas, tu ne rencontreras pas l'inespéré qui est scellé et impénétrable » comme le dit Héraclite. (1998, 123)

Si nombre d'écrivains et de réalisateurs hollywoodiens tournent résolument le dos aux lendemains qui chantent, ils n'en affirment pas moins une certaine foi en l'individu et en sa capacité à maintenir en vie l'espoir d'un peu d'humanité. L'Américain fait toujours preuve, en fin de compte, d'une certaine résilience.

Dans l'exercice de la vie, le sens du tragique est une sagesse de ce temps ordinaire de la vie. Cette sagesse n'a pas comme souci primordial d'abolir toute inquiétude mais d'inciter l'existence à ne pas céder à la fascination devant sa propre fragilité. Elle n'ignore pas que l'homme est un être fragile, mais elle sait que cette fragilité peut susciter des ressources inespérées pour imprimer du sens à la vie. Et, pour ce faire, elle en appelle à la compassion, à l'humour et à l'espérance (Chirpaz, 1998, 122)

Les héros hollywoodiens sont ainsi animés par un même esprit de révolte qui ne s'apparente en rien à une manifestation violente et brève d'opposition, mais à un refus délibéré d'accepter passivement le sort qui leur est réservé. Ils se « révoltent » et se rejoignent ainsi autour d'un thème central et fondamental : le lien essentiel, presque animal, qui unit tous les hommes sur terre, au-delà des différences qu'ils perçoivent, et qui les pousse à réaffirmer l'idée d'une humanité commune. S'ils se révoltent, c'est moins pour tenter de changer le monde que pour affirmer leur volonté de ne jamais être, totalement, écrasé, pour trouver leur dignité d'homme. La grandeur de ces personnages tient à leur authenticité, à leur sincérité qui les amènent aussi à évoquer les émotions simples qu'ils éprouvent. Leur bonté, leur humilité, leur poursuite d'un idéal, si modeste soit-il, qui leur permet de donner un sens à l'existence, est à l'image de leur héroïsme au quotidien. Néanmoins, il faut donner à l'héroïsme la place qui lui revient, c'est à dire, nous dit Camus : « la place secondaire qui doit être la sienne, juste après, et jamais avant l'existence généreuse du bonheur » (1948, 129).

Le Bonheur, tel que l'envisage Camus, n'a plus grand-chose à voir avec cet état de plénitude auquel est promis l'individu dans les utopies du XIXème siècle. Il ne s'agit  plus d'un état  plus ou moins permanent, mais bien de l'idée qu'au-delà de l'absurde, il existe une forme de bonheur à laquelle l'être humain se doit d'aspirer, faute de quoi il n'est plus rien. Véritable pari auquel nous engage Camus et qui ressemble à celui auquel nous engage Pascal, à cette différence que chez Pascal, il s'agit d'un pari sur l'existence de Dieu. Il appartient à l'Homme de  faire usage de sa liberté pour croire ou non, pour agir ou non. Et c'est dans cet élan vers le haut qu'il trouve sa dignité d'Homme.

On a parfois ce sentiment à regarder les personnages des films hollywoodiens que l'individu, à défaut de vivre en totale adéquation avec le monde, recouvre une forme de liberté par rapport aux lois de la société et par rapport à sa condition d'être humain. L'espace d'un instant, sur l'écran blanc, prennent corps ces images mythiques qui peuplent l'imaginaire occidental. Rêve d'innocence, rêve d'Amérique. Des images qui, quels que soient les mots qui les habillent, nous renvoient toutes à un 'ailleurs' où l'Homme semble s'être affranchi du carcan des conventions et du poids du Destin. Les images disparaissent en laissant comme une lueur, comme un parfum d'un monde irréel où les contradictions de l'existence se seraient évanouies. Images de quiétude, de communion avec la Nature, avec l'autre, ou au contraire images plus rythmées, plus vives où les individus virevoltent, où les corps fluides transcendent les lois de l'apesanteur.

Fate de David W. Griffith (1911) s'ouvre sur ces mots symboliques 'WHERE LOVE RULES' :

We see Mae Marsh playing with her pet puppy, in a small shack in the midst of a wood somewhere in the West. We also see her grandfather (...) and her small sister, asleep in a corner. A while later, her grandfather brings her home a small kitten, and there follows a short series of close-ups of the kitten and the puppy in a small basket. Griffith could never resist, it seems, resorting to animals when the scene demanded a sense of contentment and happiness. (Slide, 1970, 126)

Des éclaircies qui laissent apparaître un monde tendre et humain. Ces films sont aussi habités de rêves de liberté et de plénitude, rêves d'un ailleurs qui permettent à l'homme, à la fois, de croire encore à ce qu'il pourrait y avoir de l'autre côté de la colline et de s'affranchir du réel, rêves fous mais nécessaires que porte en lui-même l'être humain, alors qu'il avance vers son destin, les pieds sur terre, et la tête dans les nuages.

Le corps qui virevolte traduit bien le bonheur des personnages comme dans cette scène de The Sound of Music où Maria s'élance dans les bras de son compagnon retrouvé et futur mari, le baron Georg Ritter von Trapp. En eux, tout s'anime et leur regard laisse transparaître leur joie. Le gros plan sur le visage souriant de la jeune femme, ses petits mouvements de tête, la spontanéité avec laquelle elle entraîne son compagnon, ses pieds virevoltant, participent, à la fois, de sa vitalité enfantine et de son allure aérienne. C'est cette même innocence, cette même allégresse des corps qui est mise en images lorsque les sept enfants les rejoignent. Les mouvements chorégraphiques qu'ils exécutent les libèrent des contradictions de ce bas-monde.

La danse, célébration et langage du corps, participe de la recherche de l'absolu de ces personnages qui recréent un monde où les contraintes ne sont plus de mises et où, l'espace d'un instant, tout leur est permis. En tant que spectateur, on ne peut que sourire à ces moments de bonheur, d'enfance et d'insouciance qui trouvent, en chacun de nous, un écho doux-amer. La danse qui emmène entre ciel et terre témoigne d'une félicité enfin trouvée :

Qu'est-ce-que cette fièvre, capable de saisir et d'agiter jusqu'à la frénésie toute créature, sinon la manifestation, souvent explosive, de l'Instinct de Vie, qui n'aspire qu'à rejeter toute la dualité du temporel, pour retrouver d'un bond l'unité première où corps et âmes, créateur et création, visible et invisible se retrouvent et se soudent, hors du temps, en une unique extase. La danse clame et célèbre, l'identification à l'impérissable. (Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, 2002, 337)

Lorsque Maria se donne corps et âme à une chorégraphie céleste, la musique participe également de ce vertige métaphysique :

Le recours à la musique, avec ses timbres, ses tonalités, ses rythmes, ses instruments divers, est un des moyens de s'associer à la plénitude de la vie cosmique. (...) la musique joue un rôle médiateur pour élargir les communications jusqu'aux limites du divin. (Id, 655)

Ce monde de l'apesanteur et de la danse est aussi celui du bonheur et du sourire qui entraîne naturellement les personnages dans le monde du rêve, le monde des rêves. Par leurs gestes simples mais inhabituels, par leurs numéros d'équilibriste, ils donnent corps de temps à autre à un ailleurs, à un monde qui échappe aux contingences et aux contraintes de l'existence ici-bas, un monde qui nous entraîne dans une rêverie diurne et qui nous fait imaginer un encore possible.

L'espace d'un instant, l'individu retrouve ainsi les vestiges d'un monde d'avant la Chute, un monde où les principes masculins et féminins ne font plus qu'un, un monde où les contradictions n'existent pas, un monde empreint de poésie, de danse et de musique, un monde où des parcelles de divin se manifestent dans la nature et dans l'homme.

L'ivresse, à la fois salutaire et éperdue, qui submerge les personnages est à l'image de leur 'bonheur', à l'image de leur équilibre instable. Mais toute la famille, qui fuit l'Autriche annexée à l'Allemagne Nazi, finit par trouver refuge aux Etats-Unis, où elle achète en 1941 une ferme dans le Vermont. Quel meilleur exemple, à la fois, de rêve américain et de rêve d'Amérique ?

Conclusion

Lieu mythique par excellence, 'l'Amérique' est, à la fois, utopie et lieu de tous les possibles. C'est cette Amérique qui habite l'inconscient collectif américain et que déclinent, sous toutes ses formes, la littérature, les médias et surtout, l'« usine à Rêves » qu'est Hollywood, selon l'expression d'André Malraux.

L'Amérique bénie des Dieux, terre d'accueil, terre de liberté, de réussite, d'abondance et de plénitude est un lieu où les hommes de tous horizons sont censés bâtir la nouvelle Cité et trouver en eux assez de grandeur d'âme, de courage, de volonté, de fraternité pour être à même de recommencer l'Histoire.

C'est, néanmoins, une version plus concrète, plus matérialiste de cette Amérique mythique, qui se voit privilégiée tant au cinéma que dans les autres médias. L'Amérique du Rêve, telle qu'elle apparaît à l'écran, se résume ainsi, le plus souvent, à l'Amérique du Rêve Américain, celle des histoires de réussites spectaculaires, des rags to riches stories et de citoyens heureux de vivre en famille au sein d'une community où règnent fraternité et esprit d'entraide.

Rêve Américain et rêve d'Amérique ont su, à Hollywood, conquérir le spectateur pour lequel l'important reste de poursuivre son chemin, et d'avancer avec pour baluchon son énergie, ses espoirs et ses rêves, avec l'envie de garder, comme tous ces personnages qui défilent sur l'écran blanc, un pied dans la réalité et un pied dans l'imaginaire, le regard tourné vers l'horizon, vers cette Amérique qui peuple leurs rêves.

Bibliographie

ADAMS, James Truslow. 1932. The Epic of America. London : Routledge and Sons.

BENEDEIT. 1984 (premier quart du XIIèmesiècle). Le Voyage de Saint-Brendan. Paris : Union générale d'éditions 10/18.

BIDAUD, Anne-Marie. 1994. Hollywood et le Rêve Américain. Paris : Masson.

CAMUS, Albert. 1948. La Peste. Paris : Gallimard.

CHEVALIER, Jean et GHEERBRANT, Alain. 2002. Dictionnaire des Symboles. Paris : Robert Laffont/ Jupiter.

CHIRPAZ, François. 1998. Le Tragique. Paris : PUF.

HESIODE. 1995 (fin du VIIIe siècle av. J.-C.). Les Travaux et les Jours. Paris : Arléa.

SHAW, George Bernard. 1949 (1921). Selected Plays with Prefaces, vol. 2. New York: Dodd, Mead & Company.

SLIDE, Anthony. 1970. Early American Cinema. New York : Barnes & Co.

WINTHROP, John. 1838 (1630). A Model of Christian Charity. Boston : Collections of the Massachusetts Historical Society.

Dictionnaires

Brewer's Dictionary of Phrase and Fable.  2002, Millennium Edition, revised by Adrian Room. London : Cassell and Co.

Cambridge International Dictionary of English. 1995. Cambridge : Cambridge University Press.

Merriam Webster's Collegiate Dictionary. 1996, Tenth Edition. Springfield, Massachusetts : Merriam-Webster Inc.

The New Shorter Oxford English Dictionary on Historical Principles. 1993. Oxford : Clarendon Press.

The Random House College Dictionary. 1988, Eleventh Edition, revised by Jess Stein. New York : Random House Inc.

 

Pour citer cette ressource :

Morgane Jourdren, "Rêve américain, Rêve d’Amérique : une introduction", La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), mars 2010. Consulté le 19/04/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/anglais/civilisation/domaine-americain/le-reve-americain/reve-americain-reve-d-amerique-une-introduction