Regard européen et « printemps arabe ». Le risque d’un déni de révolutions (le cas italien)
Ce texte est la réélaboration d’un cours donné à l’ENS de Lyon le 2 mai 2012, dans le cadre du séminaire « Ecrire les modernités arabes », organisé par Frédéric Abécassis, Éric Dayre et Gilles Ladkany. Il s’agit donc d’une réflexion en construction plus que d’une formulation aboutie.
Lire les grilles de lecture : un printemps sans révolutions ?
C’est l’expression même de « printemps arabe » qui nous invite à un détour vers la scène culturelle européenne, préalable – puisque une clé de lecture n’est jamais un outil anodin – à toute approche au contexte arabe qui se veuille plus consciente, d’abord de soi-même et de ses grilles interprétatives.
« Printemps arabe » n’est pas une traduction en langue européenne d’une autodéfinition arabe, choisie par des acteurs des récentes mobilisations, mais un énoncé emprunté à l’historiographie européenne et calé ensuite, par force d’analogie ainsi instituée, sur les révolutions[1] qui ont touché le monde arabe à partir de décembre 2010, avec le soulèvement de la rue tunisienne et ensuite égyptienne, yéménite, bahreïnie, libyenne, syrienne, en sonnant dans quelques cas le glas de régimes considérés jusque là comme indéboulonnables, en entraînant dans d’autres le début d’une phase de mobilisation sans précédent dans les pays concernés.
La formule de « printemps arabe » dérive d’une autre formule, celle de « printemps des peuples », employée pour indiquer les révolutions qui agitèrent, en 1848, l’Europe de la Restauration, en marquant pour quelques pays (comme la France), un essor des sentiments républicains ; pour d’autres (comme l’Italie), une étape capitale dans le parcours vers l’unité territoriale et la sortie d’une domination d’Empires ressentis comme étrangers.
On pourrait donc se demander si cette expression de « printemps arabe » ne serait pas plus adaptée à sceller une analogie avec l’époque des décolonisations qui a vu, au cours des années cinquante et soixante du XXe siècle, la sortie des pays arabes d’une domination étrangère (celle des Empires coloniaux européens). Or, force est de constater qu’à ce moment-là la lecture européenne dominante opposait aux impérialismes – plus qu’un « printemps des peuples colonisés » – une série de
« révolutions »[2], en s’appropriant ce même terme qu’on a tant de réticence à employer aujourd’hui.
En effet, si dans les champs académiques français et italien, le terme « révolution », quoique débattu, semble avoir passé l’examen critique de nombre de chercheurs, qui l’affichent dans leurs publications récentes[3], chez les non-spécialistes la réserve semble être bien plus importante.
Alors que, chez les acteurs arabes, le terme thawrât (« révolutions ») a remplacé depuis des mois les premières interprétations qualifiant les mouvements en cours de muzâharât (« manifestations »), ihtijâjât (« protestations ») ou intifâdât (« révoltes »), en contexte européen c’est le « printemps arabe » qui occupe le devant de la scène.
Démonstration intéressante de ce décalage, les définitions proposées sur Wikipedia[4] pour le même phénomène, sonnent...
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Regard européen et « printemps arabe ». Le risque d’un déni de révolutions (le cas italien).
Pour citer cette ressource :
Elena Chiti, Regard européen et printemps arabe . Le risque d’un déni de révolutions (le cas italien), La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), juin 2012. Consulté le 07/11/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/arabe/civilisation/orient-occident/regard-europeen-et-printemps-arabe-le-risque-d-un-deni-de-revolutions-le-cas-italien