Régénération urbaine et événements festifs à Glasgow
Introduction
Le verdict est tombé le 9 novembre 2007 : Glasgow sera la ville organisatrice des Jeux du Commonwealth en 2014. Son projet l'a emporté sur celui de la capitale nigériane Abuja et sur celui de Halifax, qui s'était retirée de la compétition en cours de route. Glasgow n'avait encore jamais accueilli les Jeux du Commonwealth, contrairement à Edimbourg qui les a organisés à deux reprises, en 1970 et en 1986. Glasgow peut toutefois se prévaloir d'une solide expérience dans l'organisation d'événements festifs d'envergure internationale et c'est en partie ce qui a fait pencher la balance en sa faveur.
Glasgow est redevenue une ville d'importance dans le paysage urbain britannique. Sans être la capitale administrative de l'Ecosse ni le siège du parlement écossais, elle en est la capitale économique, le nœud de communications, le centre culturel ainsi que, de loin, la ville la plus peuplée. C'est aussi le deuxième centre commercial de Grande-Bretagne après l'ouest Londonien. La ville compte 580 690 habitants et elle se situe au cœur de la conurbation de la vallée de la Clyde (The Glasgow and Clyde Valley Conurbation) qui compte environ 1,75 millions d'habitants. Le rayonnement de Glasgow s'étend sur tout le centre ouest du pays, pour ne pas dire sur tout le pays.
La ville a opéré une vraie métamorphose au cours des 25 dernières années et affiche désormais une grande vitalité. Elle est devenue un centre de services, complètement tournée vers l'économie globale. Elle y est parvenue en axant sa régénération physique, économique et sociale sur le développement d'une économie de services, du tourisme, des arts et de la culture. Nous verrons que la tâche était immense. L'objectif de cet article est de montrer comment Glasgow prévoit d'intégrer les Jeux du Commonwealth dans sa stratégie globale de régénération, en faisant d'abord un état des lieux de la situation au début des années 1980 puis en retraçant les principales étapes de cette spectaculaire métamorphose.
1. Glasgow à la fin des années 1970 : une ville industrielle en sévère déclin
Glasgow fut longtemps la deuxième ville de l'empire britannique et « l'atelier du monde » (the world's workshop), jusqu'à ce que la chute de l'empire, les deux guerres mondiales et les mutations de l'économie mondiale en fassent une ville très sévèrement touchée par un déclin industriel vaste et rapide. Les besoins de l'économie de guerre avaient permis à Glasgow de conserver l'illusion de rester un centre industriel de toute première importance jusque dans les années 1950 et 1960. En réalité, le déclin de la ville avait débuté bien avant, et s'inscrivait dans un cadre plus large de toute une région en déclin, tel que l'affirme Michael Keating (1988, 170) dans son analyse de la santé de la ville à la fin des annés 1970 : « In the case of Glasgow, we have a declining conurbation within a declining region, recognised as such since the 1930s ».
The Second World War, like the First, stimulated demand for the heavy industries of the Clyde, a demand which persisted into the 1950s as continental competitors sought to rebuild their war-torn economies. In the long post-war expansion, Glasgow's unemployment remained at historically low levels, which is a sharp contrast to the 1930s experience. Only at the end of the 1950s did economic development again become a major priority and the question of Glasgow's industrial structure came under the spotlight. The debate over whether it was the specialisation in heavy industrial sectors or other factors which were at the root of the sluggish growth rates for the older industrial areas then resumed. (Keating, 1988, 16).
Le nombre d'emplois passe de 844 000 en 1952 à 686 000 en 1981 dans la conurbation glaswégienne (Lever & Moore, 1986, 2). Entre 1961 et 1991, l'emploi dans l'industrie chute de 387 000 à 121 000 (Gómez, 1998, 107-108). Ce sont les hommes peu qualifiés qui exercent des métiers manuels qui sont les plus touchés. Les pertes d'emplois considérables des années 1960 et 1970 se poursuivent pendant la décennie 1981 - 1991: la ville perd 11% de ses emplois (et 44% de ses emplois dans l'industrie). Globalement, la ville de Glasgow perd un quart de ses emplois dans la période entre 1952 et 1987 (Paddison, 1993, 344) pour atteindre un seuil historique de 358 000 emplois en 1996. Parallèlement, l'emploi dans les services augmente peu, sauf pour les femmes. Les secteurs traditionnels des services perdent du terrain alors que le secteur des services modernes augmente peu. Les créations d'emplois dans le secteur des services sont loin d'être suffisantes pour absorber la perte d'emplois du secteur industriel. En valeur relative pourtant, on assiste à un renversement spectaculaire de la nature des emplois en vingt ans. La part des emplois dans les services passe de 42% en 1961 à 52% en 1971 et 63% en 1981. En vingt ans, et malgré un contexte économique difficile, Glasgow est devenue un centre de services (Lever & Moore, 1986, 2-3).
Dans les années 1950 et 1960, les nombreux problèmes auxquels la ville est confrontée sont abordés sous l'angle physique. Le nombre d'habitants est très important (1 089 555 habitants en 1951; 1 055 017 en 1961) et se conjugue à un parc de logements à forte dominate sociale de très mauvaise qualité et sur-occupé, dans des proportions bien supérieures aux autres villes industrielles du nord de l'Angleterre notamment. Il est tout à fait habituel pour des familles ouvrières de s'entasser dans des appartements d'une ou deux pièces, très humides et sans toilettes.
The Cullingworth Committee's report on Scotland's Older Housing, published in 1967, found, for example, that one in three persons lives in a house considered either substandard or unfit for human habitation. It placed the blame squarely on central government: For, though local authorities by no means come through our examination unscathed, the problem, especially in Glasgow, is of such huge dimensions as to place it beyond the ressources of any single authority, even though it be the biggest authority in the country. (Harvie, 2000, 133)
Ceci amène les autorités à créer quatre villes nouvelles (Cumbernauld, East Kilbride, Livingstone et Glenrothes) et quatre grands ensembles de logements, sociaux pour la plupart, en périphérie de Glasgow (Drumchapel, Pollok, Easterhouse et Castlemilk) et à y déplacer plusieurs dizaines de milliers d'habitants (overspill), sans toutefois prendre en compte les besoins des populations qui vont vivre leur déplacement comme un véritable déracinement :
Low rents were frequently gained by sacrificing amenities on housing estates: Billy Connolly's description of Glasgow's Easterhouse as a desert wi' windaes is all too true of estates the size of Perth with one pub, a post office, and a street of battered shops. (Harvie, 2000, 127)
Les conditions de logement dans les taudis du centre étaient certes souvent inhumaines mais il existait un réel tissu social qui ne pourra se reconstituer en périphérie.
Parallèlement, les logements insalubres du centre sont démolis et souvent remplacés par des logements sociaux sous forme de tours, comme dans le cas des Gorbals (quartier en face du centre-ville, sur la rive opposée de la Clyde). C'est à cette période que Glasgow inaugure les plus hautes tours de logements d'Europe (31 étages) en 1967 : ce sont les Red Road Flats. (photo Google Earth ci-dessus et http://en.wikipedia.org/wiki/Image:Red_Road_flats_1.jpg)
Au bout du compte, la ville se vide, puisqu'il n'y a plus que 897 485 habitants en 1971 et 774 068 habitants en 1981. Pourtant, cette politique de déplacement de population est un échec. Les ensembles de logements en périphérie de la ville se dégradent et les populations ne s'y adaptent pas. Le déclin industriel pousse des dizaines de milliers d'ouvriers au chômage qui finissent par quitter la région tant les perspectives de retrouver un emploi sont maigres. Les usines qui quittent la région ne se relocalisent pas dans les villes nouvelles. Au cours des années 1970, 25 000 personnes quittent la ville chaque année, pour la plupart des ouvriers qualifiés et des professions libérales.
Dans les années 1970, considérant l'échec du traitement spatial des problèmes, ce sont les problématiques sociales qui prennent le dessus.
In its proposals and priorities, the West Central Scotland Plan set the tone for the new authorities which came into existence soon after. The themes were: the regeneration of the city, with an end to overspill and a concentration of resources on the inner core; a limitation of comprehensive redevelopment in favour of piecemeal change, rehabilitation and conservation; policies to tackle urban deprivation; and policies to tackle economic decline and unemployment. (Keating, 1988, p. 29)
Un rapport de Lord Esher, publié en 1971, met en avant la nécessité de procéder à la réhabilitation et à l'amélioration des logements existants. Les problèmes déjà posés par les ensembles bâtis en périphérie au cours des décennies précédentes sont aussi pris en considération.
There was no room for new building in the periphery - indeed, selective demolition was suggested to make room there for open space and community facilities. Comprehensive redevelopment was increasingly recognised as socially and environmentally damaging and, if pursued, could alter the character of older areas like Partickhill, Hillhead, East Pollokshields and Dennistoun, while increasing the proportion of houses in the public sector to socially undesirable levels. The emphasis in the inner areas should therefore be shifted to the rehabilitation of older property. This was a major challenge to the Glasgow orthodoxy of the post-war years, suggesting that the peripheral schemes and large-scale municipal development had been a failure, and it was not well received by sections of the Labour leadership who had been associated with these past policies. (Keating, 1988, p. 27)
From the late 1970s, it had been recognised that the social strategy would have to deal not just with the problems of the declining inner city but also with those of the peripheral estates, where the mistaken decisions of the 1950s and 1960s were bringing their toll of problems. Here, trends in the regional economy and the incidental effects of public policy decisions were combining to produce a major urban crisis in the 1980s. (Keating, 1988, 155)
Puis, dans les années 1980, c'est la problématique économique qui apparaît sur le devant de la scène. Un livre blanc affirmait ainsi en 1977 : « The decline in the economic fortunes of the inner areas often lies at the heart of the problem » (Cité dans Lawless, 1989, chap 1).
Glasgow, avec ses spécificités, ne faisait pas figure d'exception dans le domaine de la politique urbaine en Grande-Bretagne. Les changements d'orientation survenaient au fur et à mesure de la prise de conscience par les autorités politiques des échecs des diverses politiques successivement mises en place et de la couleur politique des gouvernants. La politique urbaine spécifique aux centres (inner-urban policy) date de 1977 et trouve ses fondements dans un nombre d'expérimentations qui datent de la fin des années 1960 et du début des années 1970. (Lawless, 1989, 18-20). Deux dates sont à marquer d'une pierre blanche en politique urbaine en Grande-Bretagne. La première est 1976, quand le FMI impose au gouvernement travailliste de James Callaghan des réductions des dépenses publiques. La seconde est 1979, avec l'arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher et son crédo libéral de réduction des dépenses publiques, de libération de l'entreprise, d'éradication de l'inflation et de limitation des dépenses et du champ d'intervention des collectivités locales. L'idéologie conservatrice basée sur l'individualisme, moins d'Etat et une utilisation sélective des aides sociales marque une vraie rupture avec les politiques précédentes et provoque des dégâts importants dans les villes industrielles en déclin comme Glasgow. (Lawless, 1989, 20)
During the 1980s, there have been substantial reductions in public spending in the cities, both in urban initiatives themselves, and in more conventional local services, such as housing, education, transport and environmental programmes, for which the old industrial cities have particularly urgent needs. (Dennison & Middleton, 1987, 57)
On lira par example le document écrit par Robert McLiam Wilson et illustré par le photographe Donovan Wylie, intitulé Les dépossédés (The Dispossessed) et publié en 1992, qui raconte de façon saisissante la pauvreté urbaine ordinaire au début des années 1990 à Londres, Glasgow et Belfast.
Glasgow s'incrit donc dans cette évolution de la politique urbaine britannique, en ayant toutefois la particularité d'être représentative des problèmes auxquels tous les centres urbains industriels britanniques étaient confrontés dans des proportions bien plus sévères: « [...] and clearly Glasgow represents merely an exaggerated version of British industrial and economic decline. » (Keating, 1988, 187). « In Scotland, it was recognised that the scale and severity of Glasgow's problems were somewhat exceptional and demanded special attention. » (Donnison & Middleton, 1987, 37) Le logement très dégradé, la violence, les gangs, l'alcool et un chômage élevé donnent une image épouvantable de la ville à la fin des années 1970 bien peu propice à attirer des investisseurs et de nouvelles populations. Ainsi, en 1976,
It was revealed that Glasgow had 57,000 sub-standard houses, and that 44,000 people were on the council's waiting list. A report claimed Glasgow could become a city almost solely occupied by poor or elderly people - and would have 30,000 empty council houses by 1981. (Kenna and Sutherland, 30)
Cleeves Road, Priesthill, was described as a no-go area. John Mann, chairman of the area's community association said: Gangs are going about like a pack of wolves there. Only a madman would walk up Cleeves Road at night. (Kenna and Sutherland, 31)
2. D'une capitale industrielle à une capitale économique et culturelle : la régénération par les arts et la culture
C'est dans ce contexte d'étapes successives de la politique urbaine britannique que la ville s'est engagée, au début des années 1980, dans une métamorphose de grande ampleur en plaçant les arts et la culture au cœur de sa politique de régénération urbaine, économique et sociale. Ils sont progressivement devenus le vecteur privilégié de la municipalité pour relancer l'activité économique et procéder à la reconversion des friches industrielles en zones industrielles, commerciales et résidentielles. En tant que ville industrielle sinistrée, elle fut une des premières à s'engager dans cette voie et à en identifier clairement le potentiel. Cette orientation s'inscrivait dans un cadre encore plus large dont l'objectif était de reconstruire une image claire et positive de la ville et de lui rendre l'attractivité qu'elle avait perdue depuis bien longtemps, préalable nécessaire pour attirer des investisseurs et de nouvelles populations. Il s'agissait de trouver un moyen d'extraire la ville de la spirale de déclin dans laquelle elle se trouvait. La culture et les arts devaient donc faire renaître la ville post-industrielle déchue de son statut de capitale industrielle, la faire accéder au rang de capitale culturelle au rayonnement international et lui faire franchir le cap de la reconversion vers une économie de services.
Les trois événements fondateurs de cette nouvelle politique sont l'ouverture de la Burrell Collection en 1983, la réhabilitation de Merchant City, un quartier d'entrepôts du centre-ville transformé en logements et centre commercial et le lancement de la campagne promotionnelle « Glasgow's Miles Better » en 1982. Puis Glasgow a été l'hôte du Garden Festival en 1988, European City of Culture en 1990 et UK City of Architecture and Design en 1999 (pour ne citer que les événements les plus significatifs, au milieu d'une pléthore de festivals et autres manifestations annuels ou plus ponctuels organisés depuis cette période). Glasgow lance aussi périodiquement des campagnes promotionnelles plus ou moins agressives pour vendre son image et relayer les événements en cours ou à venir. Les plus significatives sont : « There's a lot Glasgowing on » (1990), « Glasgow's Alive » (1991), « Glasgow, The Friendly City » (1997), « Glasgow: Scotland with Style » (2004). Chacune de ces manifestations a été pour la ville l'occasion de se doter d'infrastructures à usage culturel et touristique (salles de spectacles, de conférences, hôtels) dans le but avoué de devenir une destination dans le domaine du tourisme de loisir ou d'affaire. Les deux premiers de ces trois événements ont été des étapes fondamentales dans la métamorphose de la ville et il faut assurément penser que cette démarche a été un franc succès tant la ville est citée partout en Europe comme un modèle de régénération réussie et un exemple dont il faut s'inspirer. A l'heure où Liverpool est la deuxième ville britannique à porter le titre de Ville Européenne de la Culture (accès au site Liverpool08), Glasgow, le seul autre exemple britannique en la matière, fait figure de ville pionnière et de modèle. Une délégation de l'OCDE en visite à Glasgow en janvier 2006 a ainsi félicité la ville pour parvenir à attirer des entreprises majeures de la finance, pour avoir développé une industrie touristique florissante basée sur l'hébergement de conventions et l'organisation de manifestations culturelles et pour être en mesure de proposer une offre commerciale importante. L'OCDE classe Glasgow dans le premier quart des villes similaires au regard des efforts employés à transformer une ville post-industrielle en une ville adaptée à l'économie moderne (GCC, 2006, 18).
Le tourisme culturel et d'affaire, à travers l'organisation d'événements culturels d'ampleur nationale et internationale, a nécessité - et a été le prétexte à - la construction ou la rénovation de salles de spectacles de rang international. Ainsi, le centre de conférences (Scottish Exhibition and Conference Centre - SECC) a été inauguré en 1985. Il se situe sur d'anciens docks réhabilités à quelques encablures du centre-ville. Il attire de nombreuses conférences et participe de l'activité touristique globale de la ville. Le Garden Festival a permis la reconversion de Prince's Dock (en face du SECC) dont les bassins avaient été en partie comblés pour l'occasion. Après quelques années d'abandon, la reconversion du lieu a été achevée. Il s'y trouve désormais un cinéma Imax, le Science Centre et la Glasgow Millenium Tower et le Media Center qui abrite les bureaux de BBC Scotland.
Glasgow a indéniablement opéré une vraie métamorphose grâce notamment à l'organisation de ces événements festifs d'ampleur nationale et internationale. L'image qu'elle donne à voir aux visiteurs a radicalement changé et elle a définitivement tourné le dos à son passé industriel. Tout au plus en a-t-elle conservé le meilleur au niveau architectural avec la réhabilitation des immeubles victoriens ou la conversion de certains entrepôts désaffectés du centre-ville en logements, centres commerciaux ou salles de spectacles. L'imposante Finnieston Crane, déplacée aux portes du centre-ville, sur le site du SECC rappelle aussi son passé d'excellence dans le domaine des chantiers navals. Le People's Palace, situé dans Glasgow Green, le parc où bien souvent les ouvriers se rassemblaient pour manifester, propose quant à lui une exposition permanente sur l'histoire sociale (et donc ouvrière) de la ville. Mais tout ceci fait penser aux vestiges d'un lointain passé.
Glasgow est ainsi (re)devenue une capitale économique et culturelle de dimension internationale, sans pour autant être en mesure de présenter une copie parfaite en termes économiques et sociaux, loin s'en faut. Des poches de pauvreté perdurent. Les franges les moins qualifiées de la population peinent à retrouver un emploi. Les conditions de vie des catégories de population les moins favorisées progressent très lentement. Dans certains quartiers de la ville, l'espérance de vie régresse. Les quartiers en périphérie ne bénéficient pas de la même prodigalité que le centre-ville qui a été nettoyé, aseptisé et formaté pour les besoins de l'économie globale. Les quartiers réhabilités du centre-ville et des rives de la Clyde sont touchés par la gentrification, malgré la volonté de mixité sociale affichée par les autorités locales. Les services constituent désormais la majeure partie de son activité économique (89% des emplois en 2005, soit 362 900 emplois) mais n'offrent pas toujours des emplois stables, qualifiés et bien rémunérés. L'activité industrielle est devenue presque anecdotique (6% des emplois en 2005, soit 23 500 emplois). Les activités principales sont les banques, les assurances et les services aux entreprises. Glasgow a beaucoup fait pour attirer les sièges sociaux des grandes entreprises. La bonne santé du tourisme de loisir ou d'affaire est la clé de la réussite économique de nombreux secteurs d'activité de la ville. Mais c'est un secteur dans lequel la concurrence internationale est importante. Glasgow connaît une croissance supérieure à toutes les villes importantes du Royaume-Uni. Sur la période 2000-2005, Glasgow se classe troisième d'un groupe de 35 villes européennes comparables. Le nombre d'emplois dans la ville a augmenté de 24.4% entre 1996 et 2005, ce qui est bien supérieur à la moyenne écossaise (14.1%) et à la moyenne britannique (14.5%) (GCC, 2007, 8-9, 21). Combien de temps cela peut-il durer ? Glasgow n'est pas à l'abri d'un phénomène de saturation et l'offre pourrait bien finir par dépasser la demande.
Glasgow is a victim of its own propaganda. It believed it was a world-class city with a world-class economy. But in over a quarter of a century and after perhaps three billion pounds of public subsidy, not one world-beating company has emerged from the second city. [...] The culprits in Glasgow's long decline are threefold. The dispirited middle classes who fled the city. The Pol Pot planners whose social engineering halved the city's population. And one-party city governmentintroverted, sectional, arrogant, parochial and incapable of appealing outside its own narrow constituency. (Kerevan, Sunday Herald, 12 March 2000)
La municipalité a investi des sommes considérables dans l'aménagement du centre-ville qui apparaît désormais comme la vitrine d'une reconversion réussie. Afin de poursuivre ce mouvement de régénération, c'est la rivière Clyde qui est aujourd'hui le centre de toutes les attentions. Elle est au cœur de tous les projets de réaménagement urbain d'envergure et le porte-étendard des ambitions et des réussites de la ville, à travers un projet d'aménagement - The Clyde Corridor - extrêmement coûteux.
3. Les Jeux du Commonwealth de 2014 : quelle continuité dans la stratégie d'aménagement urbain de Glasgow ?
C'est dans ce contexte d'organisation d'événements festifs d'ampleur au service de la promotion et de la prospérité de la ville que Glasgow accueillera les Jeux du Commonwealth en 2014. Les années passent mais l'esprit reste le même, malgré les réserves d'un certain nombre d'artistes ou d'universitaires qui critiquent ouvertement l'instrumentalisation des événements festifs au service de l'économie et la marchandisation de la ville et qui mettent un sérieux bémol au bilan économique et social de cette politique de régénération urbaine. Ces Jeux du Commonwealth ont pour vocation de donner un souffle nouveau à l'économie de la ville et promouvoir une image la plus positive possible dans le monde entier, à en croire Jack McConnell, le Premier Ministre écossais - travailliste - en poste lors de l'annonce du programme sportif des Jeux en janvier 2007 :
Today's announcement is about more than confirming the sports that will be in the Games - it is about looking into the future and imagining what those Games will look like. In those eleven days, sport would transform a city, inspire a country and enthral millions of people. Glasgow 2014 will be an event like no other, one that the whole world will want to be part of. (Cité sur www.glasgow2014.com/Our-Bid/The-story-so-far/)
Cette emphase du discours politique trouve un écho dans l'introduction aux deux pages de la Glasgow Economic Review de juin 2006 consacrées aux Jeux du Commonwealth. Cette introduction résume à elle-seule la philosophie des autorités locales en ce qui concerne l'organisation d'événements de cette nature :
Bringing the 2014 Commonwealth Games to Glasgow would change our City. Hosting the world's second largest multi-sport event would make sure that the reinvention of Glasgow not only continues, but steps up a gear. It would bring jobs and investment. It would see regeneration and renewal in some of the communities that need it most. And it would showcase everything that our wonderful City has to offer to a global audience of billions. (GCC, 2006, 10)
Glasgow avait commandé une étude pour analyser les éventuelles retombées économiques des Jeux du Commonwealth (Evaluation Report to the Bid Assessment Group). Les conclusions sont les suivantes :
We believe that Glasgow is well positioned to generate benefits as the Commonwealth Games proposals fit well with the long-term strategic regeneration framework for Glasgow as a whole and the specific sites proposed for development. There is also a strong civic support and partnership working between stakeholders (Cité dans GCC, 2006, 10).
L'étude prévoit la création de 1 200 emplois en Ecosse, dont 1 000 à Glasgow, une augmentation de 4% du nombre de visiteurs dans la ville pour un gain de 30 millions de livres dans les trois années qui suivent. (GCC, 2006, 10-11). Enfin, l'étude souligne la contribution des Jeux du Commonwealth à l'amélioration de la qualité de la vie, de la motivation de la main d'œuvre et de l'image renvoyée aux investisseurs étrangers ainsi que dans le bouillonnement de la ville, tout en reconnaissant que tout cela reste inquantifiable (!) (GCC, 2006, 11), le tout relayé par une intense communication des autorités qui ont acquis une expérience importante dans ce domaine :
All our efforts to improve lives can be crystallised in this one single event. Glasgow is a City on the move, full of people with a spring in their step. Bringing the Friendly Games to the Friendly City would make sure that Glasgow can indeed flourish. (GCC, 2006, 11).
Le site du village des athlètes est déterminé : il se situera à Dalmarnock, dans le East Est de Glasgow, à environ 3 kilomètres du centre-ville. C'est une partie de la ville particulièrement célèbre pour son industrie lourde qui a subi de plein fouet la désindustrialisation des années 1960 et 1970 et qui était tristement réputée pour l'insalubrité d'une grande partie de ses logements (voir une photo prise en février 2007 d'un tenement ouvrier typique de Glasgow : http://en.wikipedia.org/wiki/Image:Dalmarnock%2C_Glasgow.jpg). Cette partie de la ville a alors fait l'objet de destruction massive de logements si bien qu'elle s'est littéralement vidée entre 1951 et 1981, passant de 145 000 habitants à 41 000. Dalmarnock se situe dans la zone du GEAR (Glasgow Eastern Area Renewal), un programme de régénération urbaine novateur mis en place en 1976 et qui constituait à l'époque le programme de rénovation urbaine le plus important de Grande-Bretagne. Son originalité était de tenter de répondre aux problèmes complexes de la désindustrialisation et de son cortège de problématiques connexes par un ensemble de solutions variées et concertées. (Voir Donnison & Middleton).
Le village sera construit de toutes pièces sur un site de 35 hectares dont 25 appartiennent au Glasgow City Council et à la Glasgow Housing Association. Les 10 hectares restants sont la propriété de particuliers et leur rachat par la municipalité est en cours de négociation. Cette dernière n'exclut pas d'user de son droit de préemption comme le lui autorise les lois d'urbanisme. Le budget pour la construction du village est de 229 millions de livres sterling. La construction sera prise en charge par un partenariat public-privé (Glasgow 2014b, 2007, 131-132) et il sera situé à l'endroit où avait été érigé dans les années 1960 un ensemble comprenant 4 tours de 22 étages et des constructions plus basses (H-block maisonnettes). Deux tours ont été démolies en 2002, une autre en juillet 2007 et la dernière en septembre 2007. (Photo Google Earth ci-dessus - Le cliché date de 2005 et montre deux tours encore debout). Le village, qui épousera la forme de l'un des méandres de la Clyde (Cuningar Loop), pourra accueillir 8 000 athlètes et officiels, avec des installations leur permettant de se préparer et s'entraîner sur place pour les compétitions. Il est prévu que ces logements soient tranformés après les Jeux en logements pour 6 000 à 6 500 futurs résidents. Ils seront revendus ou affectés au logement social. Il s'agit du plus important projet de construction de logements de la ville qui vient compléter l'ambitieux programme de régénération économique et de désenclavement de l'est de la ville (Clyde Gateaway http://www.glasgow.gov.uk/en/Residents/Environment/Rivers/RiverClyde/Projects/ClydeGateaway). La construction d'un tronçon d'autoroute (M 74) et d'une route (East End Regeneration Route) en sont deux projets phares.
Le choix de Dalmarnock s'intègre aussi parfaitement au projet à long terme de régénération global de la ville défini par les autorités locales qui met très clairement l'accent sur l'aménagement des rives de la Clyde. Ainsi, la Clyde a été désignée par le Scottish Executive comme zone prioritaire de régénération urbaine sous l'appellation Clyde Corridor, qui comprend le centre ville, et les deux parties respectivement en aval, le Clyde Waterfront (http://www.clydewaterfront.com/), et, en amont, le Clyde Gateaway.
Le Clyde Waterfront Plan est un vaste programme de régénération qui concentre 1,67 milliards de livres d'investissements et qui prévoit le développement de front de 32 projets majeurs sur une surface de 300 hectares dans les 15 années à venir. C'est en tout cas cette partie de la ville qui regroupe la majeure partie des infrastructures culturelles de tourisme et de loisirs. Il s'y construit aussi un nombre important de logements. On peut citer parmi les infrastructures phares le Scottish Exhibition and Conference Center dont l'ouverture remonte à 1985, le Glasgow Science Center, un cinéma Imax, le Clyde Auditorium (surnommé The Armadillo) et le Media Centre où BBC Scotland a récemment établi ses bureaux. Un musée des transports est en projet à Glasgow Harbour (http://www.glasgowharbour.com/). Il ne s'agit là que d'un échantillon des projets que la municipalité met en œuvre dans le but d'attirer touristes et investisseurs mais il souligne la volonté de la ville de faire de la Clyde le porte-drapeau et l'axe majeur de sa régénération en même temps qu'un produit de promotion efficace de sa politique événementielle globale, dans la droite ligne de la politique de régénération urbaine menée depuis le milieu des années 1980 et depuis la désignation de la ville comme Ville Européenne de la Culture.
Les Jeux du Commonwealth à Glasgow s'intègrent d'autant plus à la logique de la politique de régénération de la ville que 70% des lieux où se dérouleront les épreuves sont déjà construits et opérationnels et que le financement de 20% supplémentaires est acquis (Glasgow 2014a, 2007, 17). Les 10% restants sont inclus dans le budget des Jeux. Certains lieux existants seront rénovés, améliorés ou aménagés de façon à être adpatés aux exigences des Jeux. Du point de vue de la municipalité, c'est aussi une façon de leur donner une seconde jeunesse, de bâtir le futur sur l'héritage du passé. Les lieux sont regroupés en trois clusters (East Cluster, qui englobe le village ; West Cluster; South Cluster; Glasgow 2014b, 2007, 77). Trois sites vont être construits pour l'occasion : le Cultural and Entertainment Arena (12 500 places), adjacent à l'existant SECC, sur un site qui a déjà fait depuis longtemps l'objet de programmes de rénovation d'importance ; l'aménagement de Cathkin Braes, dans un parc à 15 minutes au sud du village des Jeux pour accueillir l'épreuve de VTT ; le National Indoor Sports Arena and Velodrome pour les épreuves de vélo sur piste et le badminton (Glasgow 2014b, 2007, 78-83) Ce dernier sera adjacent au village des Jeux, complétant ainsi la requalification de la friche industrielle.
L'aspect environnemental et durable est mis à l'honneur. Le regroupement des sites en trois clusters doit limiter les déplacements. Le village est situé de manière à ne pas être à plus de 20 minutes de transport de chacun des lieux de compétition ; un effort tout particulier est mis sur les transports en commun dont l'utilisation sera gratuite pour toutes les personnes accréditées et les personnes munies d'un ticket pour assister à une compétition. L'objectif du comité d'organisation est de disposer d'un réseau de transport suffisamment performant pour rendre le recours aux voitures des particuliers inutile. De manière générale, il est prévu d'investir 1,25 milliards de livres dans l'extension, la rénovation ou l'amélioration des différents réseaux de transports d'ici 2014, à la fois dans la ville pour les déplacements de proximité et hors de la ville pour y faciliter l'accès. Les projets les plus significatifs concernent la construction d'un nouvelle tronçon d'autoroute (M 74, évoqué plus haut) qui doit faciliter l'accès à et la desserte de l'est de la ville et une ligne de chemin de fer pour faciliter la desserte de l'aéroport qui sera ainsi à 20 minutes du centre de Glasgow.
Le village doit être construit selon les standards environnementaux les plus élevés et privilégier la qualité de vie :
In line with the principles set out in Glasgow's City Plan, it will be specifically designed to create a new suburb maximising the re-use of previously developed but derelict land for residential development and amenity use. The development on such a brown-field location will adhere to the principles of sustainable development at all stages. This will be reflected in such aspects as the adoption of sustainable construction methods and building materials, the use of alternative and recycled energy and the construction of sustainable urban drainage systems. (Glasgow 2014b, 2007, 126).
Le bugdet de fonctionnement des Jeux est pour le moment établi à 288 millions de livres sterling, supporté à 80% par le gouvernement écossais (Scottish Executive) et à 20% par la municipalité de Glasgow. Le coût pour le contribuable écossais sera en réalité bien supérieur car il faut y ajouter les dépenses pour les infrastructures sportives et le réseau de transport. Ce sont plus de 2 milliards de livres qui seront investis d'ici 2014.
Dans un article publié sur le site des cafés géographiques (http://www.cafe-geo.net/article.php3?id_article=1081), Manuel Appert pose la problématique concernant l'organisation des Jeux Olympiques à Londres en 2012 de la façon suivante : s'agit-il d'un 100 mètres ou d'une course de fond ? Il semble bien que cette problématique est aussi pertinente dans le cas de Glasgow. Tout est prêt pour que la construction et l'aménagement des infrastructures sportives débute. Il en est de même pour la construction du village des Jeux et l'amélioration du réseau de transport. Ce sprint s'intègre néanmoins dans une course de fond dont l'objectif est de rééquilibrer la dynamique spatiale et économique de la ville en faveur de sa partie est, en amont de la Clyde.
Après avoir vidé le centre-ville de sa population ouvrière et modeste et après l'avoir relogée dans des cités sans confort en périphérie de la ville, les autorités de la ville cherchent maintenant à réinstaller la population dans le centre-ville et sur les rives de la Clyde. Les programmes immobiliers ne s'adressent toutefois pas à la catégorie de population qui avait été déplacée quelques décennies auparavant. Ce sont les cadres et les jeunes couples à fort pouvoir d'achat qui sont visés. Ils ont un emploi bien rémunéré dans le secteur tertiaire ou les médias et la communication et ils contribuent à donner une autre image de la ville aux visiteurs. Le renouvellement de l'habitat vise largement à l'accession à la propriété. La municipalité se félicite que la demande de logements sociaux baisse. Ce n'est pas étonnant dans la mesure où les populations susceptibles d'avoir besoin de ce type de logement n'ont pas (plus) les moyens de vivre à Glasgow. La ville reste confrontée au manque d'emplois pérennes à proposer aux populations les moins qualifiées qui paraissent bien peu susceptibles de profiter de tous ces changements. La question se pose donc de savoir à qui va profiter cette course de fond.
Références
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Pour aller plus loin
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Pour citer cette ressource :
Fabien Jeannier, Régénération urbaine et événements festifs à Glasgow, La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), septembre 2008. Consulté le 21/11/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/anglais/civilisation/domaine-britannique/irlande-et-ecosse/regeneration-urbaine-et-evenements-festifs-a-glasgow