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«Paris, Texas» (Wim Wenders - 1984)

Par Lionel Gerin : Professeur d'anglais et cinéphile - Lycée Ampère de Lyon
Publié par Marion Coste le 01/10/2015
Lionel Gerin, professeur d'anglais au lycée Ampère de Lyon et cinéphile averti, nous donne ici son point de vue sur Paris, Texas, le dixième long métrage de Wim Wenders.

https://video.ens-lyon.fr/eduscol-cdl/2015/ANG_2015_Paris_Texas.mp4

Cela commence comme un western. Un désert écrasé de soleil. Un rapace. Un homme seul marche, assoiffé, et bientôt s'écroule. Cela continue comme un road-movie. Deux hommes au volant, du Texas jusqu'à Los Angeles. Cela se poursuit comme un mélo. Des êtres déchirés, un secret de famille. Nous ne sommes pourtant ni chez John Ford, ni chez Monte Hellman, ni chez Douglas Sirk. Le plus miraculeux est que ce collage improbable de genres fonctionne à merveille.

Nous sommes chez Wim Wenders et nous avons affaire à un très grand film.

Wenders, réalisateur allemand, grand admirateur du cinéma américain, en est alors à son dixième long métrage. Il confie le scénario à Sam Shepard, romancier-scénariste-dramaturge-acteur, qui adapte l'un de ses propres livres.

De quoi s'agit-il?

Un homme surgi de nulle part, retrouve son frère qui a recueilli son fils. Avec ce dernier, il va tenter de retrouver sa femme.

Que s'est-il passé, dans ce passé qui ne passe pas? Pourquoi est-il parti? D'où vient-il? Toutes ces questions trouveront réponses. Le film est quête/enquête, mais il est bien plus que cela. C'est, je l'ai déjà dit, un hommage, un voyage à travers différents genres du cinéma américain, mais ces genres sont travaillés, interrogés, revisités. Le tout est mâtiné d'une touche européenne. C'est d'ailleurs à Trelingua (trois langues) que le film commence. Et n'oublions pas le titre: Paris,Texas, mariage de deux espaces, de deux cultures, de deux imaginaires.

Il est sans cesse question des origines (lieux de naissance, paternité, filiation). Scène hilarante, émouvante de Travis qui cherche à ressembler à un père ("un padre", car on parle aussi espagnol et même français dans le film).

Il est question de trajets, d'itinéraires. Travis, le personnage central, est bien celui qui traverse, celui qui "travel" dans l'espace mais aussi dans le langage, celui qui naît du silence et va vers le récit. Le voyage-road-movie s'effectue d'ailleurs dans les deux sens, retour vers le passé, retour vers l'histoire, vers ce qui ne peut s'oublier et qui nous enfante.

L'enfant est, ici encore, le père de l'homme. Cet enfant c'est Hunter, "en chasse", à la recherche de sa mère. Hunter qui a deux pères, deux mères, qui ne sait plus trop.

La mère, c'est Jane. Nous la découvrons à travers un film en super 8 projeté chez Walt et Anne, le frère de Travis et son épouse française. La scène est émotion feutrée, éclat du bonheur passé, paradis perdu. Une émotion, nous suggère Wenders, qui ne peut naître que du cinéma, celui des origines, muet, celui qui n'a pas besoin de mots pour émouvoir.

Après un périple initiatique pour le père et le fils, ils vont retrouver Jane. La scène de la rencontre est un très grand moment de cinéma, un immense numéro d'acteurs, comme on a très rarement l'occasion d'en voir. Tout fait sens dans ce moment magique, suspendu. Nous sommes dans un lieu clos, un peep-show aux vitres sans tain. Jane ne peut voir que son propre reflet. Travis, quant à lui, peut la voir, mais ne supporte pas cette vision qui rouvre les plaies du passé. Il lui tourne le dos pour pouvoir commencer son récit. Chacun est donc confronté à lui-même et à ses démons. Ce récit que nous écoutons, fascinés, émus aux larmes, éclaire (sans éclaircir tout à fait)le trajet de cet homme qui revient d'un endroit sans langue ("a place without a language"). Jane, tout comme nous, s'accroche à une voix, qu'elle finit par reconnaître. Un moment simplement inoubliable. Pouvoir du conte, toute puissance du verbe.

Travis, cow-boy moderne, demeure "lonesome", dans une fin mutique. De mutisme, de parole, de langue, de silence il est sans cesse question.

Paris-Texas remporta la palme d'or à Cannes en 1984.

La musique de Ry Cooder fait partie des bandes-son mémorables. Les acteurs sont grands, tout simplement. On rit beaucoup. On pleure beaucoup. Si l'on ne fait aucun des deux, je recommanderais de consulter au plus vite.

On peut sortir de ce film comme Travis du désert inaugural. Il nous faut dans ce cas quelque temps pour réaccéder au langage.

 

Pour citer cette ressource :

Lionel Gerin, "«Paris, Texas» (Wim Wenders - 1984)", La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), septembre 2015. Consulté le 19/03/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/anglais/arts/cinema/paris-texas-wim-wenders-1984-