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Approches linguistiques du genre (gender)

Par Yannick Chevalier : Maître de conférences - Université Lyon 2
Publié par Clifford Armion le 03/12/2013

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Cette conférence s’inscrit dans un programme, financé par l’ARC 5 du Conseil Général Rhône-Alpes, intitulé « Les langues et le genre (grammaires, cultures, littératures) » mené par Yannick Chevalier (Université Lyon 2), Laure Gardelle (ENS de Lyon) et Dominique Lagorgette (Université de Savoie).

Le titre de ce programme repose sur une ambiguïté lexicale, celle du mot « genre » : faut-il entendre par là la notion linguistique (genre masculin ou genre féminin) héritée de la tradition grammaticale (laquelle utilise cette notion depuis l’Antiquité), ou bien le concept plus récent de « sexe social » qu’ont introduit les études de genre ? Pour lever les ambiguïtés, les locuteur.rice.s précisent souvent : « genre au sens grammatical » ou « genre au sens de gender ».

On pourrait croire qu’il s’agit là d’un jeu de mots, mais l’examen des dictionnaires et de l’histoire des langues montre que cette ambiguïté relève d’une polysémie attestée [1] comme en témoigne l’histoire de la langue. En effet, le mot français genre et le mot anglais gender possèdent un même étymon latin, genus, generis. Le terme, sous sa forme accusative generem, est emprunté au latin en ancien français au début du XIIe siècle, où il apparaît sous la forme gendre (sous l’influence du verbe gendrer, cf. français moderne engendrer). Par la suite, gendre est refait sur le latin generem et adopte la forme moderne genre. L’anglais gender n’est pas directement emprunté au latin, où la lettre -d- n’apparaît jamais, mais à l’ancien français.

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Figure 1 – Histoire du mot du point de vue morphologique

Une telle circulation du mot entre les différentes langues n’explique cependant pas l’ambiguïté actuelle associée aux sens du mot genre en français moderne. L’hypothèse que propose Michel Arrivé (2008 : 154) est la suivante : le latin genus, generis signifie « genre grammatical des substantifs latins », et cette acception est empruntée par l’ancien français à date très ancienne pour l’analyse de la langue française. Ce sens est aussi celui qu’on va trouver dans le mot anglais gender : mais il ne va pas désigner les mêmes phénomènes linguistiques. En effet, en anglais, les substantifs ne présentent pas les mêmes caractéristiques que les noms français (ou latins), et gender va désigner plutôt la propriété des pronoms he, she et it : le choix de ces pronoms dépend, non pas des mots qu’ils reprennent, mais du sexe de la personne ou de la chose désignée. Gender va donc être davantage en rapport avec le « sexe biologique » qu’avec le « genre grammatical du nom » [2]. D’où une évolution de sens en anglais qui va distinguer gender (représentation linguistique du sexe) et sex (caractéristique anatomique). C’est ce sens élaboré en anglais qui est emprunté par le français à la fin du XXe siècle.

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Figure 2 – Histoire du mot du point de vue sémantique

Cet enrichissement de sens que connaît le français genre aujourd’hui est étroitement corrélé à une nouvelle partition des champs disciplinaires : d’un côté, la grammaire, vieille discipline qui existe depuis le Ve siècle avant notre ère, et de l’autre les études de genre (Gender Studies), apparues au cours des années 1980 sur les campus d’Amérique du Nord. La situation pourrait donc être simple, avec pour chaque discipline un sens différent de genre. Or, il n’en est rien : Joan Scott, historienne, rappelle que le recours au mot gender dans les Gender Studies (qui étudient l’organisation sociale des relations entre les sexes) est un emprunt à la terminologie grammaticale, et elle précise : « le lien avec la grammaire est ici à la fois explicite et riche de perspectives encore inexplorées ». On peut penser aussi à Judith Butler qui, dans Gender Trouble (1990), procède à une redéfinition subversive des identités de sexe/genre en recourant à la notion linguistique de performativité. Force est alors de constater que les études de genre puisent largement dans l’outillage conceptuel des grammaires. A l’inverse, rares ont été les linguistes qui ont pris acte des bouleversements épistémologiques que provoque l’irruption des études de genre dans le champ académique.

Pour le dire autrement, deux orientations s’offrent à nous si nous voulons étudier le genre dans ses rapports avec le genre : soit envisager ce que les études de genre doivent à la grammaire, soit étudier ce que la grammaire doit aux études de genre.

Dans le cadre de cette conférence, on s’attache plutôt à cette seconde orientation : « ce que la grammaire doit aux études de genre ». Une telle formulation gagnerait cependant à être mise au conditionnel : « ce que la grammaire devrait aux études de genre », tant les bouleversements épistémologiques et conceptuels qu’introduisent les études de genre dans les disciplines académiques ne se font pas, ou très peu, sentir dans le domaine de la grammaire ou de la linguistique [3] (de langue française, et s’élaborant en contexte européen).

Quelles peuvent être les réticences de la grammaire ou de la linguistique à profiter des apports scientifiques d’un champ d’étude connexe en plein essor ? L’hypothèse que l’on peut avancer tient à la définition même de ce qu’on entend par « grammaire » (mais ceci vaut pour « linguistique », ou « science du langage » dans une moindre mesure). La grammaire possède en effet un double statut à la fois de discipline scolaire et de discipline scientifique : (i) en tant que discipline scolaire, la grammaire est un discours normatif (qui inculque les règles au moment de l’apprentissage du code écrit) : l’objet de cette grammaire n’est pas ce qui est (ce qui se dit, ce qui s’écrit), mais ce qui doit être ; (ii) en tant que discipline scientifique, la grammaire est un discours descriptif (qui décrit les régularités des discours pour construire un système stable qu’on nomme la langue) : l’objet de cette grammaire n’est pas de normer, mais d’offrir un modèle. Or, et en cela elle se distingue de la linguistique, la grammaire a toujours déjà affaire à la langue : le système des régularités est déjà décrit par une longue tradition qui remonte aux grammairiens de l’Antiquité grecque et latine. Ainsi les travaux des grammairiens s’inspirent-ils des travaux des grammairiens qui les ont précédés [4].

Rapportée à la question des rapports sociaux de sexe, la grammaire pose que ceux-ci sont des inobservables grammaticaux, ce qui est tout à fait vrai. En tant que discipline scolaire, elle n’a donc pas à s’engager sur la question : pourtant, nous allons le voir, la pratique grammaticale dans les classes n’est pas sans implications politiques et idéologiques, implications que précisément les études de genre interrogent. En tant que discipline scientifique, en outre, tout se passe comme si les systèmes de régularité que décrit la grammaire dans les discours ne modifiaient pas la représentation théorique qu’elle donne de la langue : alors que les discours sociaux sur les rapports de genre (gender) se transforment, le modèle qu’est la langue semble au contraire immuable, et immuables aussi les protocoles descriptifs et concepts explicatifs, alors même que l’historiographie convoquée dans les études de genre renouvelle les méthodes et les procédures d’enquête.
– Les relations entre les rapports sociaux de sexe et le genre grammatical semblent reposer sur une évidence qui n’est jamais questionnée. Ce qui conduit à penser, comme le dit en une belle formule Edwige Khaznadar dans Le Féminin à la française. Académisme et langue française (2002 : 95), que « le discours grammatical français sur le genre [grammatical] est un discours fondamentalement idéologique ». Nous pouvons ajouter : le problème n’est pas que la grammaire soit un « discours fondamentalement idéologique » (quel discours ne l’est pas ?), mais que la grammaire doit prendre acte de ses biais idéologiques et en tenir compte dans ses travaux sur le genre grammatical. Ce sont quelques-uns de ces biais épistémologiques que nous allons examiner, en nous intéressant à deux questions [5] : I. quels sont les phénomènes que la grammaire nomme genre ? II. Que signifie la formule « Le masculin l’emporte (sur le féminin) » ?

1. Quels sont les phénomènes que la grammaire nomme genre ?

Commençons par rappeler que l’objet de la grammaire est assez instable, sous son apparente évidence : la langue. En effet, qu’appelle-t-on langue ? s’agit-il du système que grammairiens et linguistes construisent (un artefact qui subsume précisément toutes les régularités) ou bien des langues naturelles telles qu’elles sont observables, c’est-à-dire sous l’aspect des paroles et discours ? Il nous faut insister : le système de la langue n’est jamais qu’un modèle théorique construit à partir du travail d’observation et d’analyse de l’existant que sont les discours attestés. On peut donc considérer que les régularités systémiques que grammairiens et linguistes mettent en évidence sont des normes quantitatives, les tendances statistiquement dominantes à l’oeuvre dans les discours. Un glissement insensible s’opère lorsque la grammaire, de discipline descriptive, se fait discipline prescriptive : les normes quantitatives mises en évidence sont alors employées comme normes qualitatives, auxquelles les discours doivent se conformer. C’est ce glissement insensible qui opère lorsque les grammaires parlent du genre.

La notion est présente dès les premières grammaires, en grec et en latin, pour décrire un certain nombre de phénomènes. Le grammairien va constater que lorsque les sujets parlants emploient un mot comme « couteau » ou « fourchette », ces substantifs sont accompagnés de déterminants dont la forme (la morphologie) varie :

ce couteau
cette fourchette
DETERMINANT – SUBSTANTIF
Figure 3 – La variation morphologique des déterminants

De même selon que seront employés l’un ou l’autre des substantifs, la forme des adjectifs varie :

Ce beau couteau
Cette belle fourchette
DETERMINANT –   ADJECTIF – – SUBSTANTIF  
Figure 4 – La variation morphologique des adjectifs

De même pour certaines formes verbales :

Ce couteau  est posé  sur la table.
Cette fourchette est posée sur la table.
SUJET NOYAU VERBAL COMPLEMENT
Figure 5 – La variation morphologique des verbes

De même encore dans les pronoms de reprise :

[Ce couteau] est beau,  il est neuf.
[Cette fourchette] est belle,  elle est neuve.
PROPOSITION 1 – – PROPOSITION 2 –  
Figure 6 – Variation morphologique des pronoms
(antécédent du pronom entre crochets, pronom en italique)

La régularité quantitative de ce phénomène dans les discours peut donner lieu à deux grands types d’analyse :

  • le genre est un phénomène d’accord : il se manifeste sous la forme d’une harmonisation morphologique des signes entre eux, c’est un outil de cohésion. Une telle analyse relève de la syntaxe.
  • le genre est une propriété des substantifs : en effet, c’est le choix opéré par les sujets parlants de tel ou tel substantif qui détermine l’accord des autres éléments linguistiques. En effet, les substantifs semblent ne connaître aucune variation morphologique, à la différence des autres catégories, déterminant, adjectif, verbe, pronom. Sur cette base, on peut poser que le genre est une propriété morphologique du substantif dont la réalisation est contextuelle (elle se manifeste dans les signes associés au substantif).

Au terme de cette première observation, grammairiens et linguistes déduisent que le genre grammatical est un phénomène qui est propre à la catégorie des substantifs. Le terme de genre sera donc donné d’une part au principe de catégorisation des substantifs (il est un principe qui structure le lexique nominal : il est donc employé au singulier), et d’autre part il sert à désigner les catégories ainsi définies (il est ce qui résulte de la catégorisation ; il est donc employé au pluriel, où l’on parlera des deux genres du français, des trois genres du latin, etc.) :

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Figure 7 – Le genre comme système de catégorisation des substantifs

Ce système de catégorisation de l’ensemble des substantifs ne souffre aucune exception : tous les substantifs du français se rangent, soit dans la catégorie A, soit dans la catégorie B. L’observation des discours montre que « couteau » sera toujours rangé dans la même catégorie A, et que « fourchette » sera toujours rangée dans la même catégorie B. Mais grammairiens et linguistes peuvent adjoindre deux phénomènes connexes à cette première observation :

(i) Premier phénomène connexe :

Certains substantifs semblent ne pas relever d’une seule et même catégorie mais des deux catégories : ainsi de « moule », ou « voile » que les sujets parlants peuvent employer avec « le » ou avec « la ». Les grammairiens constatent alors que la variation en genre est corrélée à une variation sémantique : le moule signifie « modèle creux communiquant sa forme à une matière fondue », la moule désigne une « espèce de mollusque », le voile signifie « fragment d’étoffe dissimulant un objet », la voile une « toile offerte au vent pour propulser un navire » [6]. Qu’en conclut-on ? que les propriétés morphologiques du substantif possèdent un rendement linguistique de nature sémantique [7].

Le schéma initial peut donc être complété ainsi, avec un autre mode de catégorisation des substantifs : d’une part, les substantifs qui n’appartiennent qu’à l’un des deux genres, d’autre part, les substantifs qui appartiennent à l’un ou l’autre des deux genres.
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Figure 8 – Non-variation et variation apparentes en genre des substantifs

(ii) Deuxième phénomène connexe :

Certains substantifs semblent présenter des variations morphologiques qui présentent des analogies fortes avec la variation morphologique d’autres catégories linguistiques : sur le modèle des adjectifs du type « intelligent/intelligente », grammairiens et linguistes constatent que certains substantifs comme « avocat/avocate » semblent fonctionner de la même manière. Se pose alors la question de savoir si l’on a affaire, dans ces cas-là, à une variation sémantique (est-ce que le principe de rendement linguistique opère ?) : et en effet, il y a bien corrélation entre la variation morphologique et la variation sémantique. Avocat désigne une « personne de sexe mâle exerçant un métier juridique consistant à assurer la défense devant un tribunal d’une personne inculpée », avocate une « personne de sexe femelle exerçant un métier juridique consistant à assurer la défense devant un tribunal d’une personne inculpée ».

Dans le cas des substantifs moule ou voile, la variation apparente en genre ne s’accompagne d’aucune modification morphologique : on dira donc que la variation en genre est contextuellement réalisée (c’est la forme du déterminant, par exemple, qui indique le genre du substantif). Dans le cas des substantifs avocat et avocate, la variation en genre est manifestée morphologiquement : on dira donc que la variation en genre est intrinsèquement réalisée.

Le cas présenté par ces substantifs présentant une variation en genre intrinsèquement réalisée est très singulier, par rapport aux autres constats repérés jusqu’à présent, car la variation sémantique est une opposition sémantique très simple : l’opposition entre « sexe mâle » et « sexe femelle ». Ce cas est vraiment particulier car : (i) les substantifs qui varient (contextuellement ou intrinsèquement) selon le genre sont rares rapportés à l’entier du lexique ; (ii) les substantifs présentant un rendement linguistique ET une opposition sémantique simple sont encore plus rares.
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Figure 9 – Variations contextuellement réalisées et variations intrinsèquement réalisées

La chose qui devrait étonner grammairiens et linguistes consiste en ceci : c’est à partir de ce dernier cas très particulier qu’ont été nommées les catégories de genre : « genre masculin » pour la catégorie A et « genre féminin » pour la catégorie B. Pour le dire autrement, pour caractériser le phénomène global du genre, on s’appuie sur une opposition sémantique simple caractéristique des genres de certains substantifs. Cette extension des étiquettes « masculin » et « féminin » mérite d’être décrite :

  • d’abord les cas très particuliers du type avocat/avocate : un substantif présente une variation morphologique intrinsèquement réalisée corrélée à une variation sémantique simple /mâle vs. femelle/ : les étiquettes « masculin » et « féminin » sont motivées et transparentes;
  • ensuite les cas un peu particuliers du type voile/voile ou moule/moule : un substantif présente une variation morphologique contextuellement réalisée corrélée à une variation sémantique complexe : les étiquettes « masculin » et « féminin » ne sont plus motivées et transparentes.
  • Enfin les cas standards du type « couteau » ou « fourchette » : ces substantifs ne présentent pas de variation morphologique intrinsèquement ou contextuellement réalisée : les étiquettes « masculin » et « féminin » ne sont plus motivées et transparentes.

Cette extension doit nous étonner à deux titres au moins :

  • le choix d’un étiquetage sémantique pour rendre compte de phénomènes d’ordre morphologique et syntaxique non nécessairement corrélés à des phénomènes sémantiques;
  • le choix d’un étiquetage sémantique simple non pertinent pour une large part du fond lexical.

Un constat supplémentaire doit être fait qui va dans le sens d’une caractérisation supplémentaire des cas particuliers : grammairiens et linguistes constatent que ces substantifs avec variation morphologique intrinsèque et opposition sémantique simple /mâle vs. femelle/, dans les discours, entretiennent une corrélation supplémentaire avec un pronom interrogatif : « qui ». Tous les autres substantifs entretiennent une corrélation avec le pronom interrogatif « que ». Ainsi, à la question « qui prends-tu en photo ? », les réponses des sujets parlants piochent dans le fond lexical les seuls substantifs présentant le trait sémantique /animé humain/ ; à la question « que prends-tu en photo ? », les réponses des sujets parlants piochent dans le fond lexical les seuls substantifs présentant le trait sémantique /non animé ou animé non humain/. Se dessine alors un autre mode de catégorisation possible, fondé morphologiquement (la reprise en qui/que) et présentant une corrélation sémantique simple.

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Figure 10 – Une autre catégorisation des substantifs : la propriété morphologique qui/que et l’opposition sémantique /humain vs. non-humain/

La mise en évidence de cette autre corrélation permet de voir à partir de quelle catégorie s’opère la généralisation des étiquettes « masculin » et « féminin » : au centre des catégories de genre, il y a une catégorie qui ne dit pas son nom, mais qui organise puissamment la description du système linguistique et qui est la catégorie de l’/humain/.

Que peut-on en conclure ? que les grammairiens et les linguistes, dans le travail de description et de construction du système théorique qu’est la langue, font le choix d’un point de vue : celui de donner de la langue une représentation faite depuis la catégorie de l’/humain/. Ce choix épistémologique est lourd de conséquence, mais il n’est pas rédhibitoire : il convient simplement d’en prendre acte, et de garder à l’esprit que la grammaire ou la linguistique, comme tout discours scientifique, est un savoir situé. Et que d’autres points de vue, d’autres positionnements dans le travail de construction du système de la langue, sont possibles, qui par exemple s’appuieraient sur d’autres critères, comme le critère quantitatif.

Livrons-nous à cet exercice :

(i) constatons tout d’abord que les phénomènes les plus réguliers sont les substantifs à genre fixe. Une description possible consisterait alors à classer les substantifs en deux catégories, nommées A et B, ou bien « catégorie en le » et « catégorie en la » (si l’on reprend l’opposition morphologique des déterminants). Très concrètement, en serait modifié le travail lexicographique : dans un dictionnaire, on trouverait comme entrée : COUTEAU (le), FOURCHETTE (la). Une telle présentation permettrait de faire l’économie de « n. m. » ou « n. f. », qui offre une description faussée (puisque l’étiquette est sémantique, et non morphosyntaxique).

(ii) le traitement lexicographique des substantifs à genre variable contextuellement et avec variation sémantique complexe ne poserait pas problème non plus : il y aurait deux entrées pour VOILE (le) et VOILE (la), ou bien, si l’on souhaite signifier l’unité historique de ces deux emplois (un seul étymon latin : le substantif neutre velum), une seule entrée VOILE, distinguée par la suite en deux sous-entrées VOILE (le) et VOILE (la), ce qui mettrait en évidence l’histoire polysémique du terme. Dans les cas du type MOULE, il suffirait de prévoir deux entrées distinctes : MOULE (le) (issu de l’étymon latin masculin modulus, modulum) et MOULE (la) (issu de l’étymon latin masculin musculus, musculum).

(iii) enfin, les substantifs à genre variable, avec variation morphologique intrinsèque et variation sémantique simple, pourraient avoir leur propre protocole lexicographique : une entrée synthétique AVOCAT.E (le.la) ou analytique AVOCAT/AVOCATE

Ce changement de point de vue entraînerait sans doute des modifications de perspective sur la langue, au centre de laquelle ne situerait plus la catégorie de l’/humain/. La grammaire et la linguistique renonceraient alors, comme le firent d’autres sciences avant elles, à un anthropocentrisme d’autant plus agissant qu’il opère à l’insu des grammairiens et des linguistes. Et surtout, les grammairiens renonceraient à faire un usage genré (gendered) du genre grammatical [8].

Quels gains y aurait-il à opérer cette translation de point de vue ? L’intérêt le plus manifeste consisterait, sans nul doute, à rendre compte de manière plus rigoureuse des discours, et à proposer une description plus objective de la langue :

  • le lexique serait d’emblée désexualisé, puisque ses régularités ne seraient plus appréhendées à partir des catégories sémantiques du « masculin » et du « féminin » ; seraient prises en compte dans la description du système les normes quantitatives (principe général : les substantifs ne relèvent que d’un seul et même genre ; cas particuliers : certains substantifs possèdent une variation apparente de genre ; cas très particuliers : certains substantifs possèdent une variation intrinsèquement réalisée de genre).
  • la syntaxe pourrait enfin faire l’économie d’énoncés aussi scandaleux que la fameuse formule « le masculin l’emporte sur le féminin ».

2. Que signifie la formule « Le masculin l’emporte (sur le féminin) » ?

Il vaut de s’attarder sur ce point, car il semble qu’une grande part des stigmates sociaux qui pèsent sur les grammairiens et les linguistes trouve son origine dans le souvenir souvent douloureux de cette première fois où l’énoncé de la règle grammaticale est assénée aux sujets parlants : « le masculin l’emporte sur le féminin ». Il faudrait compiler tous les récits vécus par les sujets parlants (et écrivants), lorsque la grammaire scolaire tient un tel discours : l’on a l’impression de sortir alors de l’étude de la langue, et que c’est tout un ordre social qui semble s’énoncer. Cela n’est pas tout à fait faux.

Quels sont les phénomènes langagiers qu’entend décrire cette fâcheuse formule ? Ils sont de deux ordres au moins :

  • des phénomènes d’accord : Le couteau et la fourchette sont posés sur la table. Pierre et Marie sont des avocats assermentés.
  • des emplois lexicaux : Les avocats sont convoqués à 9:00 (l’énoncé valant aussi bien pour Pierre que pour Marie).

Or, il convient de distinguer très nettement ces deux types d’observables, car ils présentent des différences importantes.

(i) Premier type d’observable :

Il s’agit là d’observer lequel des substantifs coordonnés présents dans l’énoncé va imposer son genre à l’autre : l’approche normative impose l’accord avec le substantif de genre dit « masculin ». Mais s’agit-il là d’une norme quantitative, une régularité attestée dans les discours ? Tout dépend de ce que l’on observe, ou pour le dire autrement, tout dépend des corpus que se donnent les grammairiens et les linguistes.

L’histoire de la langue française montre que cette règle/régularité est finalement relativement récente : en ancien et en moyen français, au XVIe siècle et au XVIIe siècle, le système d’accord ne semble pas tout à fait fixé, puisque sont attestés des « phénomènes d’accord avec le plus proche » : Le couteau et la fourchette sont posées sur la table. Le critère qui l’emporte dans le choix du genre qui préside à l’accord semble être celui de la distance : c’est la proximité qui règle le phénomène d’accord. A l’heure actuelle, il semble que les discours attestés se conforment à un autre principe, qui est l’accord au masculin.

Nous avons là un très bel exemple des effets d’une politique linguistique à long terme, puisque le changement de norme quantitatif résulte d’une intervention avérée des grammairiens.

C’est au XVIIe siècle que les grammairiens et « remarqueurs » de la langue recommandent de réformer les habitudes discursives et d’imposer l’accord avec le masculin. Ce changement n’est pas sans faire difficulté aux sujets parlants de l’époque, et l’on ne citera ici qu’un exemple, celui du Père Bouhours, dont on ne retient souvent que la formule « Quand les deux genres se rencontrent, il faut que le plus noble l’emporte ». Il semble plus intéressant de rapporter ce que Bouhours dit de la question dans ses Remarques sur la langue française (1675) [9] :

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Le témoignage de Bouhours est intéressant, puisqu’il expose très honnêtement le dilemme que pose cet accord : il souhaiterait donner raison à Malherbe, et donner « une règle certaine pour la perfection de notre langue » – c’est là le côté normatif et prescriptif du grammairien – et pourtant il confie ses réticences, qu’il justifie ainsi : « l’adjectif se trouve joint au même genre que le substantif qui le touche » (il convoque le principe de la distance et de la proximité), et surtout parce que « ordinairement on parle ainsi, qui est la raison décisive » – c’est là le côté descriptif du grammairien.

On ne trouve plus aucune de ces réticences ou de ces doutes sous la plume de Beauzée, qui dans sa Grammaire générale (1767 : 627), écrit :

Si un adjectif se rapporte à plusieurs noms appellatifs de différents genres, il se met au pluriel, et il s’accorde en genre avec celui des noms qui est du genre le plus noble. Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin, à cause de la supériorité du mâle sur la femelle ; le masculin et le féminin sont plus nobles que le neutre, à cause de la supériorité des êtres animés sur ceux qui ne le sont pas.

Dans le contexte de cette citation, sauf erreur, aucune réticence ne s’exprime, ce qui semble indiquer qu’au coeur du XVIIIe siècle, la norme quantitative qui peut être observée par les grammairiens est bien celle de l’accord au masculin [10].

Ce qui peut nous étonner, c’est la faiblesse des explications que fournissent ces grammairiens pour expliquer le phénomène de l’accord au masculin : c’est le genre « le plus noble », c’est la « supériorité du mâle sur la femelle », autant d’énoncés qui ne relèvent pas, à proprement parler, du domaine grammatical : les « raisons » invoquées sont plutôt empruntées à d’autres considérations, celle des rapports sociaux (la noblesse d’un genre sur l’autre, c’est-à-dire d’un groupe humain sur un autre), ou celle de la biologie (mâle et femelle renvoient plutôt à des caractérisations prêtées aux corps). Une enquête reste à faire pour voir si, dans l’entour de ces formules que l’on trouve dans les grammaires, on peut trouver des justifications ou des explications plus strictement linguistiques…

On peut faire l’hypothèse que ce phénomène d’accord au masculin qui s’impose progressivement au cours de l’histoire de la langue résulte d’une analogie avec le fonctionnement à l’oeuvre dans l’autre phénomène des emplois lexicaux du type Les avocats sont convoqués à 9:00.

(ii) Deuxième type d’observable

Ce qu’observent les grammairiens dans des énoncés du type Les avocats sont convoqués à 9:00. est assez différent de ce qui précède. En effet, ici, la question de savoir comment accorder ne se pose pas, puisqu’il n’y a qu’un seul substantif. Ce n’est donc plus un problème syntaxique. Ce qu’on observe, c’est le recours par les sujets parlants à la forme du masculin pour désigner des individus, lesquels peuvent être de sexe mâle ou de sexe femelle. Un accord semble régler le mode de référenciation : accord non plus selon le genre grammatical, mais selon le sexe du référent. Là aussi, le masculin semble l’emporter sur le féminin. Le phénomène est observé par tous les grammairiens, mais sans qu’une explication soit fournie, sinon les pseudo-raisons sociologiques ou biologisantes que nous avons déjà rencontrées.

Cependant, une explication proprement linguistique nous est fournie par les travaux de Michel Le Guern sur Les Deux Logiques du langage (2003) : Le Guern distingue en effet d’une part la logique « intensionnelle » de la langue (c’est-à-dire les régularités à l’oeuvre dans les relations que les mots entretiennent entre eux), et d’autre part la logique « extensionnelle » de la parole ou des discours (c’est-à-dire les régularités à l’oeuvre dans les relations que les mots entretiennent avec les objets du monde). Le rapport entre « intension » et « extension » peut être figuré de la manière suivante :
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Figure 11 – Les deux logiques du langage

Le principe sous-jacent est le suivant : « plus l’intension est grande, plus l’extension est petite » OU BIEN « plus l’extension est grande, plus l’intension est petite ». Pour illustrer cela, prenons l’exemple des mots anémomètre et machin. Dans le cas d’anémomètre, le contenu sémantique (= son intension) est riche : « appareil servant à mesurer la vitesse du vent et, en général, la vitesse d’écoulement d’un fluide gazeux » (définition du Petit Robert, éd. 2013) ; l’extension de ce terme est dès lors pauvre : les référents qui peuvent être nommés ainsi sont peu nombreux. A l’inverse, machin, dont l’extension est très grande (les sujets parlants peuvent nommer machins énormément de référents : des animés, comme dans Passe-moi ce machin, s’il-te-plaît, ou des animés humains, comme dans J’ai rencontré Machin l’autre jour en ville), a un contenu sémantique intensionnel pauvre : « objet, personne dont on ignore le nom, dont le nom échappe ou qu’on ne prend pas la peine de nommer correctement » (définition du Petit Robert, éd. 2013).
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Figure 12 – Plus l’intension est grande, plus l’extension est petite. Plus l’extension est grande, plus l’intension est petite.

Ce que constatent les grammairiens et les linguistiques, c’est que le terme avocats a une extension plus grande que celle du terme avocates : l’énoncé Les avocats sont convoqués à 9:00 est à destination aussi bien des avocats que des avocates. A l’inverse, l’énoncé Les avocates sont convoquées à 9:00 ne concernent que les avocates.

Dès lors, il faut examiner l’intension de ces termes : le contenu sémantique de avocates doit être plus riche que celui de avocats. Soient les définitions que nous avons déjà rencontrées :

Avocat : « personne de sexe mâle exerçant un métier juridique consistant à assurer la défense devant un tribunal d’une personne inculpée »
Avocate : « personne de sexe femelle exerçant un métier juridique consistant à assurer la défense devant un tribunal d’une personne inculpée »

Il semble à première vue que les deux termes possèdent une intension aussi riche, à la seule réserve de l’alternance sémantique /de sexe mâle vs. de sexe femelle/. Rien n’explique la différence dans le fonctionnement extensionnel. Si l’on y regarde de plus près, on constate cependant que :

  • le contenu sémantique /de sexe femelle/ est bien présent dans l’énoncé Les avocates sont convoquées à 9:00, puisque les référents sont nécessairement de sexe féminin.
  • à l’inverse, le contenu sémantique /de sexe mâle/ est comme neutralisé (c’est le cas de le dire !) dans l’énoncé Les avocats sont convoqués à 9:00, puisque les référents sont aussi bien de sexe masculin que de sexe féminin.

Il faut donc en conclure, en toute rigueur, que avocat possède deux définitions différentes :

Avocat 1 : « personne de sexe mâle exerçant un métier juridique consistant à assurer la défense devant un tribunal d’une personne inculpée »
Avocat 2 : « toute personne exerçant un métier juridique consistant à assurer la défense devant un tribunal d’une personne inculpée »

Les grammaires parlent, pour avocat 1 d’emploi spécifique (ce sont les énoncés où les référents sont uniquement de sexe masculin), et pour avocat 2 d’emploi générique (ce sont les énoncés où les référents sont de sexe masculin et de sexe féminin).

Cette explication qui, sauf erreur, n’a jamais été explicitement avancée par les grammaires, nous semble fournir le soubassement linguistiquement et épistémologiquement acceptable à la formule « le masculin l’emporte sur le féminin ». Cependant, remarquons une chose : dans ces emplois, s’agit-il encore de « masculin » ? en effet, le contenu sémantique /de sexe mâle/ disparaissait dans ce type d’emploi. Comme aucune indication morphologique ne permet de distinguer entre l’emploi générique d’avocat 1 et l’emploi spécifique d’avocat 2, les deux emplois sont confondus. C’est si, et seulement si l’on confond emploi générique et emploi spécifique, que l’on peut dire (mais le peut-on sans rougir ?) que le « masculin » l’emporte sur le féminin, et à ces conditions seulement. Mieux vaudrait dire : Le générique l’emporte sur le spécifique.

Remarquons pour finir, que cette explication risque d’être bientôt caduque : l’observation des discours montre en effet que de nouveaux énoncés apparaissent, aux graphies étranges du type « Les avocat.e.s sont convoqué.e.s à 9:00 ». Emergent donc des formes ostensiblement génériques, qui nous invitent à faire retour sur les catégories d’analyse que nous fournit la tradition grammaticale. Certes, face à ces graphies étranges, nous sommes un peu comme le Père Bouhours qui était partagé entre l’envie d’appliquer les règles de Malherbe, et la tentation de parler comme celles et ceux qui l’entouraient. Et comme le Père Bouhours, qui écrit en 1675 ses Doutes sur la langue française, l’évolution du français dans ses usages du genre grammatical nous invite, à notre tour, à réfléchir ensemble et à formuler nos Doutes sur la grammaire française.

Notes

[1] Le passage qui suit synthétise le développement de Michel Arrivé (2008), Le Linguiste et l’inconscient, Paris, PUF, coll. Formes sémiotiques, p. 152-155.

[2] Cette hypothèse doit encore être étayée et discutée : ce sera l’une des questions que soulèvera le programme « Les langues et le genre » lors des journées d’étude.

[3] Nous restreignons ici l’investigation aux seules grammaires francophones qui portent sur la langue française.

[4] A l’inverse, la linguistique, comme science, a émergé dans le moment historique où il s’est agi de décrire d’autres langues que les langues européennes : travaux des américanistes pour décrire les langues amérindiennes, pour lesquelles les catégories grammaticales héritées ne sont pas opérationnelles

[5] Il va de soi que ce ne sont là que deux exemples parmi bien d’autres qu’il convient d’examiner : c’est l’ambition du programme ARC 5 « Les langues et le genre ».

[6] On trouvera une liste de ces homonymes distingués par le genre dans Michel Arrivé, Françoise Gadet et Michel Galmiche (1986), La Grammaire d’aujourd’hui, Paris, Flammarion, p. 293-294.

[7] La notion de « rendement linguistique » obéit à un principe d’économie : à une forme fixe (un signifiant apparent) correspondent deux contenus sémantiques (deux signifiés).

[8] Beauzée, dans sa Grammaire générale (1767 : 518), envisage la possibilité d’un autre point de vue, mais pour expliquer pourquoi il y renonce : « Je conviens volontiers que ce système [qui s’organiserait autour d’une catégorisation autre que celle du genre] auroit plus de justesse, plus de variété que le système reçu [celui avec la catégorisation par le genre] ; et que peut-être il plairoit davantage aux philosophes. Mais le Langage est pour tout le monde ; et il y a plus de peuple que de philosophes. D’ailleurs nous parlons comme nous avons entendu parler ; et cette imitation nous fait remonter jusqu’à l’origine du monde et du Langage, où l’on quintessençoit moins qu’aujourd’hui : si l’on s’attacha à quelques caractères naturels, on prit simplement les plus sensibles ; et la distinction des sexes fut la plus frappante. » Il semblerait que notre époque « quintessence » davantage encore que celle de Beauzée, puisque les études de genre ont maintenant démontré le caractère non naturel et puissamment construit des rapports sociaux de sexe ; il est peut-être temps de ne plus être abusé par le caractère frappant de la « différence des sexes », et de reprendre à nouveaux frais l’examen du genre grammatical. Le texte de Beauzée est disponible en ligne : http://books.google.fr/books?id=8ULP5q8CBxoC

[9] Le texte est disponible en ligne à l’adresse suivante : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k84316s/f136.image

[10] Cependant Condillac, dans le volume qu’il consacre à la grammaire dans son Cours d’étude (1775), note : « l’adjectif se met toujours au féminin, lorsque, de plusieurs substantifs, celui qui le précède immédiatement est de ce genre. On dit : il a les pieds et la tête nue, et non pas nus ; il parle avec un goût et une noblesse charmante, et non pas charmans. » C’est la preuve que l’accord reste très fluctuant, et que l’accord au masculin ne l’a pas totalement emporté. Comment expliquer que Beauzée taise ce fait observable ? Formulons une hypothèse : à partir du XVIIIe siècle, les grammairiens s’occupent davantage de raffiner le modèle théorique de la langue (on parle en effet d’une « grammaire philosophique »), et renoncent progressivement à décrire les discours (l’entreprise de description des faits linguistiques ne renaît vraiment qu’avec l’essor des linguistiques qui s’occupent de langues non indo-européennes).

 

Pour citer cette ressource :

Yannick Chevalier, Approches linguistiques du genre (gender), La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), décembre 2013. Consulté le 27/12/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/langues-et-langage/langues-et-langage-comment-ca-marche/approches-linguistiques-du-genre-gender