Disparition de Hachem Foda, professeur de littérature arabe classique
C'est avec une très grande tristesse que nous venons d'apprendre le décès de notre collègue Hachem Foda. La cérémonie d'inhumation aura lieu dans la stricte intimité familiale et un registre de condoléances sera ouvert à l'accueil de l'Inalco pour celles et ceux qui souhaitent lui rendre un dernier hommage.
Spécialiste de littérature arabe classique, Maître de Conférences dans le Département d’Études Arabes de notre établissement depuis 2012-2013, puis Professeur depuis 2018-2019, Hachem Foda est l'un des rares chercheurs en France à s'être occupé de ce qu'il est convenu d'appeler la littérature médiévale d’adab, dont un des joyaux est la poésie pré-islamique et classique. Formé au collège des Jésuites puis à l’Université du Caire où il obtient en 1975 une maîtrise de Lettres Modernes, Hachem Foda arrive en France en 1979 et soutient brillamment en 1980 une thèse de sémiotique textuelle sur le « Statut de l’événement dans le texte littéraire ». Dans son jury, un professeur de littérature arabe classique, Jamal Eddine BenCheikh, directeur du Département d’Arabe de Paris 8. Il engage immédiatement le brillant jeune chercheur pour des vacations sur la rhétorique arabe à Paris 8, dans un département où se retrouvent également de très jeunes chercheurs venus d’horizons divers, bien déterminés à dépoussiérer des études arabes quelque peu engluées depuis de longues décades.
Forgé par une longue fréquentation des séminaires de Derrida et par la lecture assidue des travaux de Blanchot et de Genette, à la croisée du courant critique philosophico-spéculatif et de l’école critique formaliste, le regard de Hachem Foda sait interroger les textes là où ceux-ci laissent entendre leurs enjeux. Cet adab qui ne se laisse pas aisément circonscrire dans nos champs disciplinaires modernes et qui hésite entre le badinage et la 'science', entre le théologique et le profane, entre le rhétorique et l'éthique, cet adab est une pièce maîtresse pour comprendre la vision du monde classique, et pour comprendre surtout les valeurs et les représentations communes sur lesquelles vivent les peuples arabes aujourd'hui. Or cet ensemble de textes dont la langue et les archaïsmes font nombre, qui nous arrive sans contexte, a été progressivement délaissé par la recherche en France, victime de la vision positiviste du siècle dernier ou figé dans une interprétation - souvent mal entendue - qui vient de la tradition arabe, ravi actuellement par les courants fondamentalistes. Depuis les travaux de Blachère et Vadet, dans les années cinquante et soixante du siècle dernier, peu de travaux significatifs ont paru en France dans ce champ. Peu de visions nouvelles, peu de grands textes explorés ou relus, voire peu de travaux publiés tout court. Quel rapport entre « littérature » et adab ? Quelle est la fonction et le statut du poète et du adīb ? Quels liens secrets et multiples nouent les arcanes du monde arabe moderne à la poésie préislamique, à la poésie tout court, et plus généralement à la littérature d'adab?
C'est sans doute pour répondre à des questions de cet ordre, fermement décidé à éroder les surfaces, que Hachem Foda, article après article, texte après texte, construit une vision nouvelle dans ce champ, dans un parcours qui s'étend sur près d’une quarantaine d'années, vision que viennent couronner de travaux importants, encore inédits, ces dernières années.
Et c'est, d'emblée, dans une activité de formation d'une grande exigence que cette réflexion s'est élaborée. Assistant, au début de sa carrière, au Département de Lettres modernes de l'Université du Caire de 1974 à 1977, puis Teaching Assistant au Département de Langues et Littératures Romanes à l’Université de Ann Arbor, Michigan (Etats-Unis), en 1977-1978, participant à l'aventure du Collège International de philosophie de 1983 à 1985, puis maître de conférences à l'Université Paris 8 avant d'arriver dans notre établissement, Hachem Foda déploie dans l'enseignement une activité intense et très soutenue, s'occupant du plus difficile. Se tenant fermement dans des lieux qui sont fuis très vite, car demandant une préparation intense, ainsi aux cours de préparation à l'agrégation, il a su faire de ces cours, qu'il assure depuis une trentaine d'années, un lieu de réflexion sur la littérature classique où se sont formés bien des chercheurs. Sa connaissance inégalable d’une poésie préislamique et classique que peu savent déchiffrer et à laquelle il sait rendre vie, l'interrogation nouvelle à laquelle il soumet les textes, n’ont pas manqué d'attirer vers lui les meilleurs étudiants désirant se former dans ce domaine, et ont constitué un grand atout pour notre établissement. En témoigne le séminaire doctoral de relecture de l’héritage classique qu’il co-dirige et qui constitue un espace d’échange entre chercheurs et doctorants très fécond. S’y rencontrent, à côté d’autres étudiants, de jeunes chercheurs qu’il a formés et dirigés et qui compteront. Pionnier, il a frayé un chemin. D’autres s’y engageront.
Simple et discret bien que grand savant, Hachem Foda avait une présence très attachante qui rayonnait et forçait le respect de tous. Surpris par la maladie qui lui était venue trop tôt, il tenait à mourir debout. Il s’est battu longuement, n’acceptant jamais de capituler devant la maladie, bien déterminé à poursuivre ses activités de recherche et d’enseignement jusqu’à la dernière seconde, refusant de manquer un seul cours. Sa rigueur, son intégrité sont des leçons de vie. Il avait encore beaucoup de choses à dire. Plusieurs projets de publication étaient en cours. Son parcours aura été un parcours de météore, arrêté en plein vol. Il manquera beaucoup à notre établissement. Il manquera beaucoup à sa famille à qui nous présentons nos plus vives condoléances.