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Federico Fellini, «Il Casanova di Federico Fellini» (1976)

Par Irène Jacob, Nathalie De Biasi
Publié par Alison Carton-Kozak le 06/02/2020

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A l'occasion de la projection le 19 octobre 2019 du ((Casanova di Federico Fellini)) au cinéma UGC Ciné Cité Confluence dans le cadre du Festival Lumière et de l’hommage consacré à Donald Sutherland qui tient le rôle principal du film, l'actrice Irène Jacob a présenté le film au public. Ce texte est une retranscription de cette présentation, qui a été par endroits modifiée pour l'adapter au format écrit.

https://www.youtube.com/embed/rI_lUHOCcbc

 

Synopsis :
Venise, la nuit du carnaval. Masqué en Pierrot, Casanova (Donald Sutherland) se rend à un de ses innombrables rendez-vous galants. Ayant eu vent de ses prouesses sexuelles, l’ambassadeur de France assistera, caché, aux ébats de Casanova et de son amante. Quoique félicité par le diplomate, Casanova est ensuite arrêté par l’Inquisition. Accusé d’écrits hérétiques, de conduite immorale et de pratiques cabalistiques, il est jeté dans la prison des Piombi. Son génie lui permet de réussir une évasion extraordinaire, point de départ d’un périple européen…
Lire l'intégralité de la page consacrée au film sur le site du Festival Lumière

 

 

L’histoire du Casanova de Fellini est une histoire très similaire à celle du Don Quichotte.

Tout d’abord, Casanova est le grand héros par excellence pour les Italiens : c’est un aventurier libertin, un grand amoureux et séducteur, mais aussi un homme de lettres, homme de sciences ésotériques, et dont les mémoires sont un ouvrage historique précieux, celui d’un observateur du XVIIIe, qui se trouvait à cheval entre l’Ancien Régime et la Révolution.

Lorsque les producteurs italiens engagent Fellini pour réaliser un Casanova, celui-ci accepte et se met à lire les mémoires mais il n’aime pas du tout. Le texte ne l’intéresse pas et il n’a aucune sympathie pour le personnage ; il éprouve même de l’antipathie pour lui, tout en disant qu’il l’attire fortement aussi.

Beaucoup de noms sont proposés par les producteurs pour interpréter ce rôle : Vittorio Gassman, Marcello Mastroianni, Ugo Tognazzi, Alberto Sordi, Alain Cuny – tous ces acteurs sont contactés pour peut-être jouer Casanova. Dans un supplément du DVD((Il s'agit de l'édition Blu-ray éditée par Carlotta, qui permet la ressortie du film en salles cet hiver.)), chacun d’entre eux propose à Federico Fellini leur interprétation du personnage. Aucun, cependant, n’a été retenu. Le projet stagne, jusqu’au moment où Fellini se rend compte que les producteurs et lui n’ont pas du tout la même vision de ce que devrait être ce film. Ceux-ci voudraient le voir réaliser un hommage au héros national, mais Fellini ne veut pas en faire un héros. À ce moment de sa vie, qui est peut-être aussi celui d’une crise personnelle qu’il traversait, il voit dans le personnage de Casanova quelque chose qu’il a envie de raconter, mais ce ne sera certainement pas un panégyrique.

Il reprend les droits d’adaptation et décide de faire une autre production à partenariat américain. C’est alors qu’il envisage des acteurs américains pour le rôle. De grands noms sont de nouveau appelés : Robert De Niro, Robert Redford, Marlon Brando… Puis, un jour, Fellini prend l’ascenseur avec Donald Sutherland et c’est le coup de foudre : voici l’acteur qu’il me faut. Fellini décrit Sutherland comme ayant un charme certain, d’une part, mais surtout il a les yeux clairs et liquides, comme s’il y avait des spermatozoïdes qui se promenaient dedans. Il fallait effectivement que ce personnage dégage un pouvoir de séduction et un attrait sexuel évidents : un rôle secondaire masculin du film dit « Ah, si j’étais une femme, je serais dans votre lit ». Fellini et Sutherland décident de faire le film ensemble.

En regardant ce film étonnant, on se demande, en tant qu’acteur ou actrice, ce que Sutherland a bien pu recevoir comme indications de jeu. En le visionnant par extraits, on pourrait croire qu’il s’agit d’une captation de théâtre plutôt que d’un film de cinéma : il s’agit d’une succession de tableaux avec un côté extrême et extraordinaire dans la mise en scène, qui ne nous permet pas de l’appréhender autrement que comme une grande mise en scène, une vie mise en scène. C’est, d’autre part, la représentation d’une vie complètement folle : du carnaval de Venise au cachot le plus sombre ; on entre dans la bouche d’une baleine comme on entrerait dans le ventre de sa mère ; il y a une partie de jambes en l’air observée par l’œil d’un poisson ; on boit la tasse en récitant le poète Tasse ; une géante vit avec deux nains ; … Dans cet univers-là, qu’a-t-on dit à Sutherland ?

Sutherland raconte qu’à son arrivée en Italie, on a fait faire trois masques de son visage en plâtre. Fellini a ensuite joué avec ces empreintes pour voir ce qu’il pourrait faire du personnage. Il a finalement demandé à Sutherland de se rajouter un faux nez, de raser ses sourcils, de se faire des faux sourcils, de se raser aussi les cheveux pour avoir un front très haut ; il lui a même un peu limé les dents. Toute cette transformation physique n’était pas évidente, du propre aveu de Sutherland, mais il se rendait compte que le personnage allait exister par le maquillage, et par le montage.

On ne lui a donné aucun scénario, parce que c’était la manière de travailler de Fellini. Marcello Mastroianni raconte que Fellini l’apprécie parce qu’il ne lui demande jamais rien et se laisse diriger. Sutherland au contraire posait beaucoup de question au début du tournage – « qu’est-ce qu’on va faire aujourd’hui ? », ce à quoi Fellini lui répondait toujours « tu verras bien ». Les scènes se tournaient ainsi : il se positionnait dans le décor – dans le fleuve, par exemple – puis Fellini lui disait « voilà, lève la main, regarde à droite, dit ça ». Sutherland découvrait tout sur le moment. Si on pouvait voir les bandes-sons originales du tournage aujourd’hui – elles ont malheureusement été détruites – on entendrait Fellini donner toutes les indications de jeu et les répliques aux acteurs en temps réel. Pour quelques scènes qui ont beaucoup de dialogues (le film a été tourné en anglais), ils avaient peut-être un texte en amont, mais pour les autres scènes où les répliques n’étaient que d’un mot ou deux, c’était Fellini qui disait : « Dis ça ! Dis ça ! », tout était interprété avec cette surprise-là.

Sutherland admet avoir eu du mal à se donner si librement au début, puis, lorsqu’il s’est rendu compte que les moments où il était le meilleur, c’était quand il lâchait prise, il a décidé de courir douze kilomètres, de son hôtel à Cinecittà, chaque jour, pour pouvoir arriver bien épuisé au tournage, et il acceptait alors de ne plus rien demander.

Le film est tourné en 1976 à Cinecittà. Toutes les scènes sont tournées en studio. Aucune n’est tirée du livre de Casanova. Elles ont toutes été complètement inventées. C’est pour cela que Fellini a appelé son film « Le Casanova de Fellini ». Il avait besoin de s’approprier cette figure italienne mythique et d’en faire son personnage à lui.

Avant de démarrer le tournage, Fellini a le trac ; il se demande s’il a raison de faire ce film alors qu’il éprouve tellement de malaise vis-à-vis de ce personnage. Il consulte un de ses amis qui est voyant, très connu à l’époque, et très respecté dans son savoir. Cela se passe à Naples : je vais faire ce film, comment je dois faire ? Est-ce que ça va bien se passer ? Qu’est-ce qu’il faut que je fasse ? La séance de spiritisme débouche sur une lettre écrite par la personne à qui l’on s’adresse. Fellini est déçu de la lettre, autant que par les œuvres : Casanova lui dit : « Libre à toi de faire le film. Fais-le comme tu veux. Je suis content que tu le fasses. » C’est donc un feu vert, mais il dit aussi : « Fais attention pour les scènes d’amour : pas trop debout, parce que je suis un peu vieux. » Il y a pourtant des scènes très acrobatiques dans le film ; Fellini n’a pas suivi cette requête. Mais cette anecdote, cette démarche d’aller demander à l’esprit de Casanova la permission de faire ce film, traduit la charge émotionnelle que Fellini a mis dans ce projet. On la ressent très fortement à chaque tableau. C’est par exemple, l’intensité de l’un des derniers tableaux, émouvant tout à coup, où Casanova rencontre une poupée de cire qui suscite en lui un grand trouble amoureux. Fellini disait de cette scène que c’était une manière de soulever la question : « Tout cela n’est-il qu’un rêve, ou est-ce la réalité ? » Une question récurrente de son cinéma, où l’on ne sait plus exactement où on est.

Présent au festival Lumière 2019, Donald Sutherland dit que de toute sa filmographie présentée au festival, Le Casanova de Fellini est son préféré.

 

Retranscription établie par Nathalie De Biasi.

Pour citer cette ressource :

Irène Jacob, Nathalie De Biasi, "Federico Fellini, «Il Casanova di Federico Fellini» (1976)", La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), février 2020. Consulté le 29/03/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/italien/arts/cinema/federico-fellini-il-casanova-di-federico-fellini-1976