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Introduction à la Langue des Signes Française : la place des personnes sourdes et de leur langue en France

Par Aliyah Morgenstern : Professeure - Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3
Publié par Clifford Armion le 20/04/2015

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Si les personnes sourdes ont bien représenté à travers l'histoire en France une figure culturelle de choix pour les philosophes, leur statut et celui de leur langue dans la société ont subi de nombreux renversements. Cet article qui est un extrait remanié d'un chapitre de la thèse de doctorat soutenue en 1995 par Aliyah Morgenstern, "L'enfant apprenti-énonciateur : l'auto-désignation chez l'enfant en français, en anglais et en Langue des signes Française" présente l’évolution de la place des personnes sourdes et de leur langue dans la société française.

Après le succès de la magnifique pièce Les Enfants du silence ((Cette pièce française est une adaptation de Children of a Lesser God qui a eu beaucoup de succès aux États-Unis sur la scène et à l'écran. L'adaptation française donne cependant une place beaucoup plus importante à la langue des signes. En effet non seulement une grande partie du dialogue se déroule en L.S.F., mais une interprète est présente dans un coin de la scène et traduit en L.S.F. les tirades en français.)), mise en scène par Jean Dalric, et le Molière en 1993 de sa principale interprète Emmanuelle Laborit, les médias français se sont penchés sur la communauté des personnes sourdes ((Les Sourds ont longtemps été appelés "sourds-muets" (ils le sont parfois encore aujourd'hui) mais un sourd peut parler. De plus l'appellation "muet" fait croire qu'ils n'ont aucun langage alors qu'ils ont la langue des signes.)), oubliée ou plutôt refoulée, et sur leur langue : la Langue des Signes. Articles, émissions ("La marche du siècle", "Envoyé spécial", "Les chemins de la connaissance"), interviews se sont succédés. Mais il ne faut pas oublier que si la Langue des Signes commence à être moins méconnue du grand public en France, cela est aussi dû à un immense travail mené de front par la communauté sourde et par certains scientifiques entendants, afin de réaffirmer l'identité et la culture sourdes ainsi que la Langue des Signes Française (L.S.F.) ((Nous adopterons le sigle L.S.F. pour référer à la Langue des Signes Française.))

Nous commencerons par un panorama de la place des Sourds ((Le S majuscule réfère au termo ethno-linguistique qui a été adopté par la communauté sourde pour désigner les personnes sourdes ayant en commun une identité culturelle, historique et une langue (Carol A. Padden et Tom (Tom L.) Humphries, Inside Deaf Culture, Cambridge, MA, Harvard University Press, 2005).)) et de la Langue des Signes dans l'histoire des idées en France, jusqu'au XIXème siècle. Nous verrons ensuite comment à partir du XXème siècle, « la figure du Sourd » cessera d'intéresser autant les philosophes et les religieux. Les personnes sourdes deviennent un objet d'expérimentation et de recherche en sciences humaines, et la Langue des Signes sera dénigrée par certains, reconnue par d'autres, ce qui a de nos jours un impact important sur l'éducation des enfants sourds. Ce n'est qu'à partir des années soixante, et surtout des années quatre-vingt, grâce au travail de linguistes, sociologues, psychanalystes et surtout grâce à la revendication culturelle des Sourds eux-mêmes, que leur identité et leur subjectivité propres sont moins occultées.

Nous ferons ensuite une synthèse des travaux (encore peu nombreux) sur l'acquisition de la Langue des Signes par les enfants, en différenciant ceux dont l'objectif est de montrer l'importance de la Langue des Signes sans laquelle l'enfant sourd rencontre d'énormes difficultés pour s'approprier le langage, et ceux qui décrivent des processus d'acquisition.

1. Les personnes sourdes et la Langue des Signes dans l'histoire des idées (jusqu'à la fin du XIXème siècle) 

Si les personnes sourdes ont bien représenté à travers l'histoire en France une figure culturelle de choix pour les philosophes, leur statut et celui de leur langue dans la société ont subi de nombreux renversements. Benoît Virole ((Se reporter à VIROLE, Benoît. 1989. La Surdi-mutité de l'histoire des idées à la psychanalyse. Thèse de Doctorat. Université Paris VII, pour une excellente reconstitution de la figure du sourd et muet dans l'histoire des idées.)) explique que "ces êtres privés de langage verbal" ont été exclus "à l'extérieur des limites de l'humanité", d'après des documents datant de l'Antiquité et du Moyen-Âge. Par contre, on trouve des témoignages de l'existence de langues gestuelles chez Platon (le Cratyle : Socrate décrit les sourds-muets d'Athènes qui parlent entre eux par gestes) comme par la suite chez Saint Augustin ou Montaigne. Si les personnes sourdes restent sujet de railleries dans les farces et les fabliaux du Moyen-Âge, leurs "gestes" sont reconnus comme leur moyen d'expression naturelle.

Depuis le Vème siècle, ce sont les religieux qui ont été les plus ouverts aux personnes sourdes. Dans l'évangile, les sourds sont comparés aux juifs qui n'entendent pas la parole de Dieu. Il fallait donc leur donner un accès aux écritures pour les convertir. L'Église les autorise à demander le baptême en signes. De plus le modèle de l'abbaye de Cluny où est adoptée la règle du silence et où les paroles sont remplacées par des gestes, circule dans des abbayes bénédictines à travers l'Europe occidentale. On a recensé 1300 signes bénédictins et la syntaxe des énoncés ressemble à celle de la L.S.F. même si elle est beaucoup moins riche. Les premiers dictionnaires de signes écrits que l'on ait retrouvés datent du Xème siècle ((De SAINT-LOUP, Aude. 1990. "Les sourds-muets au Moyen-Âge. Mille ans de signes oubliés", in Alexis Karacostas et Lysiane Couturier (éds.), Le pouvoir des signes : sourds et citoyens. Paris : I.N.J.S.)) On y trouve des descriptions de signes en termes précis : pour "Dieu", on indique qu'il faut former un triangle avec les pouces et les index, les autres doigts devant rester repliés (la trinité), pour qualifier ce qui est beau ou a bon goût, on glisse la main de la joue au menton (cela pourrait être le même signe que celui qui signifie GENTIL dans la L.S.F. contemporaine).

A l'âge classique, les personnes sourdes sont devenues une figure symbolique. Descartes se réfère à elles pour montrer la différence entre l'animal et l'homme. En effet, ce dernier, même privé "de la langue et des organes de la voix", est capable d'inventer des signes pour se faire "entendre" (Descartes, 1649). Pour la philosophie cartésienne et empiriste, cette langue est à la fois naturelle et universelle, elle témoigne des origines du langage unique d'avant Babel. Au siècle suivant, Diderot dans sa Lettre sur les Sourds et Muets à l'usage de ceux qui parlent et entendent (1751) présente la langue des personnes sourdes comme une "aérienne écriture hiéroglyphique". Ce parallèle a été souvent repris :

Semblable au Hiéroglyphe qui figure par un bras armé la guerre, le signe gestuel est un symbole figuratif qui représente la totalité d'un objet ou d'une action par la figuration visuelle d'une seule de leur qualité. Il en effectue une stylisation abstraite. (Virole, 1989)

On a également comparé la Langue des Signes aux idéogrammes chinois ((Voir YAU (1992))) qui eux aussi figurent la chose signifiée. C'est en dégageant le trait le plus caractéristique de l'objet que la personne sourde le désigne ; par exemple MAISON se signe avec les deux mains en forme de toit traditionnel. On compare donc la personne sourde au premier homme : 

Les noms des êtres créés furent leurs vrais noms dans la langue d'Adam qui les formait d'après sa sensation, c'est à dire en raison de l'aspect le plus saillant sous lequel les choses lui apparurent. (Nodier, 1834)

Pour les philosophes de l'âge classique, comme les personnes sourdes ne sont pas "corrompues" par les effets de la culture transmise par une parole qu'il n'entend pas, elles retrouvent une expressivité gestuelle originelle qui s'apparente à la figurabilité des écritures anciennes. Cette gestualité n'est pas conçue comme une simple reproduction mimétique de la réalité mais comme une langue résultant d'un travail de la pensée qui vient s'inscrire dans l'espace ((Benoît Virole associe cette image à la conception de Freud (1925) du "Wunderblock", cette tablette de scribe: la pensée psychique.)). Les personnes sourdes ne sont pas présentées comme des cas pathologiques, mais comme des figures représentant l’être humain à part entière qui permettent aux philosophes de se questionner sur "les origines de la langue, la formation des idées et l'expression de la pensée" ((Robert Higgins in Les chemins de la connaissance, France Culture, 25 novembre 1993.)). Cependant, certains enfants sourds (en particulier les enfants issus de familles nobles) commencent à être oralisés grâce à l'influence de Jacob-Rodrigues Pereire. Jean-René Presneau (("Le son 'à la lettre'. L'éducation des enfants sourds avant l'abbé de l'Épée", in Alexis Karacostas et Lysiane Couturier (éds.), Le pouvoir des signes : sourds et citoyens. Paris : I.N.J.S.)) décrit sa méthode :

La production des mots était construite autour d'une connaissance juste du mécanisme du larynx, et de l'importance des sensations tactiles : il faisait toucher le cou comme Amman ((Médecin d'origine suisse installé en Hollande ayant développé une méthode pour oraliser les personnes sourdes (fin du XVIIème siècle).)), par son élève pendant l'émission vocale et utilisait un guide-langue. Il accompagnait cette émission d'un signe manuel, mais ce signe avait une double face : une face sonore et une face écrite. De plus les signes (environ quatre-vingt) exprimaient non seulement des sons simples, mais aussi des diphtongues (particulières à la langue française ; par exemple pour le mot vaisseau, on ne produisait pas huit signes manuels, mais seulement quatre : v-ai-ss-eau. Ce qui aux yeux de Pereire, comme à ceux de ses élèves, permettait de respecter les règles de la langue française, tant du point de vue graphique que phonique : d'un modèle passif de production des syllabes (par imitation), Pereire était passé à un modèle actif, dynamique. (Presneau, 1990)

Une fois que l'apprentissage avait fait ses preuves, Pereire envoyait ses élèves dans les salons causer avec des philosophes très admiratifs tels que Rousseau. Ces enfants n'avaient aucun contact avec la communauté linguistique sourde et leur éducation était très individualisée.

C'est en 1760 que l'abbé de l'Épée ((Se référer à la description de l'abbé de l'Épée donnée par Alexis Karacostas dans l'émission Les chemins de la connaissance, France Culture, lundi 22 novembre 1993.)) janséniste et disciple de Condillac, fonde à Paris la première véritable école pour personnes sourdes où l'accent est mis au contraire sur la communication gestuelle, dans la vie quotidienne autant que dans l'enseignement, ce qui explique la place qu'il occupe pour la communauté sourde internationale. C'est à la suite de sa rencontre avec deux sœurs jumelles sourdes qui signaient entre elles qu'il s'est intéressé à ce groupe et à la Langue des Signes. Mais il avait toujours été passionné par le langage, la grammaire, et le problème de la transmission des connaissances. Son école va fonctionner dans une dimension collective, contrairement au préceptorat réservé à une élite, qui sera reprise après sa mort à la suite de la Révolution française. Il s'agissait de donner à tous les enfants, quel que soit leur milieu social, le maximum de chances, afin d'accéder au savoir et bien entendu puisqu'il était abbé, au salut. Les Sourds étaient considérés comme des automates ou comme des monstres car ils ne pouvaient accéder à aucun des actes de la vie civile ou religieuse. L'abbé de l'Épée veut donner aux enfants un double statut civil et religieux en leur apprenant qu'ils sont des personnes. Pour cela, il construit sa pédagogie en se servant de la Langue des Signes. Il a été le premier à favoriser et à observer la communication gestuelle des enfants car pour lui, tout ce qui ne passait pas par les oreilles, devait passer par les yeux. Il a fait en sorte que la Langue des Signes coexiste avec le français sans que l'une des langues ne soit exclue. On peut dire qu'il s'agit de la première expérience de pédagogie "bilingue". Ce qu'il appelle "l'amusement", le jeu, est au centre de son enseignement :

La structure du jeu repose sur la constitution du signe par l'alternance du montré et du caché, le jeu découvre la relation de l'affirmation et de la négation. Le plaisir pris à la représentation est le plaisir pris à disposer de l'image, du signe, du substitut. La convention du jeu implique d'autre part une connivence, une société particulière : l'institution de l'abbé renverse l'exclusion sociale des sourds et muets en une petite société qui repose sur la dénégation des hypothèses de la grande société. Son secret est celui de "l'intelligence" des sourds et muets. Pour être silencieuse, la structure du discours n'en est pas moins présente et efficace. (Markovits, 1990)

L'abbé de l'Épée n'a pas bien sûr inventé comme certains le croient, la Langue des Signes, cette langue était celle des enfants qu'il avait eu l'idée de réunir au sein d'une institution. Comme l'un de ses objectifs était de permettre aux enfants d'accéder au français et surtout à l'écrit, il a voulu mettre certains mots français en signes, notamment les prépositions, afin de construire des phrases dont la syntaxe n'était plus celle de la Langue des Signes, mais celle du français. Certains de ces signes sont encore utilisés par ceux qui emploient ce que l'on appelle "le français signé", c'est à dire le français transposé en signes, qu'il ne faut pas confondre avec la Langue des Signes française. Cependant, l'abbé de l'Épée a été le premier à véritablement observer les signes des enfants sourds et à s'en servir comme outil pédagogique qui allié à l'écriture permettait à ces enfants d'avoir accès à la culture et à la religion. On retrouve ici l'association moyenâgeuse : langue gestuelle-religion. Paradoxalement, alors qu'elle a vivement combattu les religieux, la révolution française a joué un grand rôle dans la reconnaissance des Sourds et les représentations culturelles de la surdité. Un député va prononcer des paroles symboliques devant le lit de mort de l'abbé de l'Épée (1789) : "Mourrez en paix, la patrie adopte vos enfants" ((KARACOSTAS, Alexis. 1990. "De l'ombre à la lumière: les sourds et la Révolution française", in Alexis Karacostas et Lysiane Couturier (éds.), Le pouvoir des signes : sourds et citoyens. Paris : I.N.J.S)). Plusieurs institutions nationales furent créées, ce qui a contribué à l'affirmation de l'identité spécifique des personnes sourdes. Le problème de leur instruction devient une affaire nationale.

 Au XIXème siècle, l'influence du Darwinisme et celle d'un discours positiviste sur le langage, alliée à la montée des méthodes pédagogiques oralistes, vont mener jusqu'à l'interdiction de la L.S.F. En effet toutes les spéculations sur le langage et ses origines ne sont plus à l'ordre du jour puisque la recherche scientifique est basée sur les données de l'observation. Par ailleurs, la personne sourde devient un témoin de l'origine animale de l'homme car la gestualité est déclarée du registre des animaux inférieurs, alors que : 

L'homme ne s'est pas borné à l'usage de cris inarticulés de gestes et de signes expressifs, il a inventé le langage articulé si tant est qu'on puisse appliquer le mot d'invention à un progrès accompli grâce à d'innombrables perfectionnements à peine raisonnés. (Darwin, 1864)

On retrouve cette assimilation de la gestualité à "l'animalité" dans la pensée positiviste qui veut prouver scientifiquement le primat de l'essence phonique et articulée de la parole - qui elle est spécifique aux hommes. Si au XVIIIème siècle on s'est penché sur les personnes sourdes pour vanter les mérites de la langue qui leur est propre - la Langue des Signes - au XIXème siècle, on relègue celle-ci au rang d'expression animale. Mais les personnes sourdes retrouvent le statut d'humains grâce à leur capacité à assimiler et à comprendre la parole, même sans l'entendre :  

S'ils parviennent à s'exprimer, ils le doivent non seulement à la raison qu'ils partagent avec les autres hommes, mais tout spécialement aussi à l'aptitude du langage, c'est à dire à la connivence étroite qui s'établit entre leurs pensées et leurs organes vocaux ainsi qu'à l'exigence de coopération de l'une avec les autres, ces deux potentialités impliquant par essence la nature humaine, même si elle est partiellement mutilée. (Humboldt, 1839)

Ces arguments joueront un grand rôle puisqu'on va mettre l'accent sur la démutisation des personnes sourdes qui sera en liaison avec l'essor de la phonétique expérimentale et de la phonologie. Celles-ci seront attachées non à la production parfaite de la forme articulatoire du son, mais à la distinction entre les éléments afin qu'ils gardent leur fonction pertinente dans l'acte de parole.

On estime qu'il faut absolument utiliser rapidement les organes de la parole pour qu'ils ne s'atrophient pas. Les pédagogues oralistes des sourds réhabilitent la figure emblématique de Pereire.

Le langage gestuel se situe alors du côté de la pathologie dans les traités de médecine ((Il en est de même aujourd'hui.)) car on s'aperçoit que les gestes et les mimiques sont conservés comme forme de communication après des lésions des centres corticaux du langage. L'aphasiologie a donc aidé à établir une hiérarchie dans laquelle le langage gestuel est au plus bas de l'échelle. Cela sera confirmé par l'anthropologie qui montrera comment les singes supérieurs et les "sauvages" communiquent par gestes.

La psychologie associationniste s'attache, quant à elle, à montrer que le langage gestuel ne peut pas suppléer à la parole, car la pensée des personnes sourdes est empreinte du manque de l'image auditive des mots. Elle le voit donc aussi comme un "mutilé du langage".

Ce mouvement qui associe philosophes, linguistes, médecins et psychologues conduira à la décision du Congrès de Milan (1880) réunissant des professeurs d'enfants sourds, d'interdire la Langue des Signes, de renvoyer les professeurs sourds des institutions spécialisées, et de faire de l'éducation des personnes sourdes par la parole une obligation morale. On a déclaré que la Langue des Signes empêchait les Sourds d'apprendre le français ce qui était un obstacle à leur intégration dans la société. Cette interdiction de pratiquer la Langue des Signes n'a pas été faite sous forme de loi ou de véritable décret officiel, mais elle a été appliquée de façon efficace et systématique dans tous les établissements français. Les derniers professeurs sourds de l'Institut des jeunes sourds de Paris ont été progressivement éliminé comme partout ailleurs. Cet état de fait a duré jusqu'en 1976 ((Une circulaire a alors levé l'interdiction de la pratique de la langue des signes qui n'est plus censé être sanctionnée dans l'enseignement.)).

La personne sourde cesse donc d'être envisagée comme une figure philosophique en même temps que la Langue des Signes est dévaluée. La culture ne pouvait plus accepter le langage gestuel comme une langue à part entière. Il est marginalisé, comparé aux formes de communication primitive et animale d'autant plus qu'une connaissance plus approfondie du langage oral commence à se faire jour. On ne parle plus du sourd au générique mais des sourds. Mais ce passage au pluriel reste davantage la marque d'une catégorisation correspondant aux classifications des surdités (légère, moyenne, profonde, prélinguale, prénatale...) qu'une reconnaissance de la singularité de chaque individu.

Ce bref historique montre que l'on a souvent confondu gestualité-mimique et Langue des Signes, mais aussi que cette dernière, en tant que forme particulière de symbolisation, remet en question de nombreux postulats dans différents domaines des sciences. Nous allons nous attacher plus particulièrement à la place accordée par les sciences humaines à la Langue des Signes.

2. La Langue des Signes dans les sciences humaines (à partir du XXème siècle)

2.1 La communication gestuelle n'est pas du langage 

Nous avons vu comment au XVIIème siècle les philosophes construisaient des théories assez idéalistes et considéraient que la Langue des Signes pouvait témoigner des origines du langage. Or pour Benoît Virole (opus cité) : 

Il y a donc bien un lien, qui n'est pas uniquement de proximité temporelle entre l'interdiction d'inscrire des questions concernant l'origine du langage à l'ordre du jour de la société linguistique de Paris (1866) et celle d'interdire les signes gestuels dans les écoles de sourds (1880).

Ce n'est pas tant une langue que l'on a voulu interdire aux enfants sourds, mais plutôt ce lien iconique développé par Christian Cuxac dans ses travaux ((Voir notamment in Faits de langues-L'iconicité, P.U.F., 1992.)), entre le signe et la chose signifiée qui ne pouvait pas entrer dans le cadre d'une linguistique saussurienne mettant l'accent sur "l'arbitraire du signe". Il n'y a pas de place pour ce langage de substitution dont les gestes au silence mystérieux mettent en danger une conception fondée sur la substance phonique du langage. Le langage des personnes sourdes est donc assimilé à une mimique primitive ou à un code substitutif de l'écriture alphabétique.

Pour Saussure, le langage gestuel des Sourds fait partie des systèmes symboliques auxquels il compare la langue, mais il le considère comme un alphabet et le place au niveau de "l'écriture", des "rites symboliques", des "formes de politesse", des "signaux militaires" (Saussure, 1915a). Il fait donc une confusion entre la Langue des Signes et l'alphabet dactylologique. Cet alphabet est constitué de signes dont les configurations gestuelles de la main représentent les lettres de l'alphabet. Les personnes sourdes l'utilisent pour épeler les mots qui n'ont pas d'équivalent en L.S.F. (comme les néologismes, les noms-propres peu utilisés), ou dans certains signes reprenant la lettre dactylologique initiale du mot en français écrit. Vendryes (1923) explique que "le langage gestuel des sourds-muets est calqué sur le langage auditif" et qu'il permet de "lire ce qu'écrivent les hommes qui parlent." Pour Benveniste ((BENVENISTE, Émile. 1966. "Coup d'œil sur le développement de la linguistique", in Émile Benveniste Problèmes de linguistique générale, volume 1. Paris : Gallimard, p.28.)), le langage est un fait physique, 

(Le langage) emprunte le truchement de l'appareil vocal pour se produire, de l'appareil auditif pour être perçu. (Beneviste, 1996)

Les gestes des personnes sourdes sont considérés comme un code traduisant l'écriture alphabétique :

(...) la faculté symbolique chez l'homme atteint sa réalisation suprême dans le langage, qui est l'expression symbolique par excellence ; tous les autres systèmes de communications, graphiques, gestuels, visuels, etc. en sont dérivés et le supposent. (Beneviste, 1996)

Lacan (1955-56) décrit également les "signes visuels donnés au moyen des doigts, selon l'alphabet sourd-muet" qui permet aux personnes sourdes de recevoir un discours. Il faudra attendre Françoise Dolto pour que la psychanalyse prenne en compte "l'individu pour lui-même sans le résumer à sa déficience auditive" ((D. Donstetter, La Psychanalyse et les sourds. Éléments d'une problématique. D.E.A. de psychanalyse. Université Paris X. Juin 1993.)) et préconise des cures en Langue des Signes. La L.S.F. ne peut pas être réduite à ces signes qui ne forment qu'une petite partie du lexique ((Il existe d'ailleurs des langues des signes "non alphabétisée" comme la langue des signes égyptienne du Caire qui n'ont donc pas de dactylologie (Virole, op. cit.) de même que les langues gestuelles des sourds isolés (Yau, op. cit.).)). Pourtant, les linguistes ne sont pas les seuls à penser ainsi encore aujourd'hui. Beaucoup croient que l'alphabet dactylologique distribué par certains sourds dans la rue et dans les cafés contre une pièce de monnaie, est leur unique code de communication et l'assimilent au braille qui permet aux aveugles de lire.

Du côté de la psychologie, on a compris que la Langue des Signes ne se réduit pas à un alphabet manuel. Piaget porte d'ailleurs "un vif intérêt" au "langage par gestes" (1966, b). Celui-ci serait directement issu du premier niveau de la "fonction sémiotique". En effet pour Piaget, le premier niveau est celui des symboles, "des signifiants motivés par une ressemblance ou une analogie", alors que le deuxième niveau est celui du "langage articulé". L'enfant sourd devient alors un objet d'expérimentation car :  

L'existence d'une pensée structurée chez les enfants sourds permet une validation naturelle de l'hypothèse Piagétienne de l'étayage des opérations cognitives sur les acquis sensorimoteurs et l'organisation préverbale des actions. (Virole, op. cit.)

On suppose qu'il existe chez les personnes sourdes des processus cognitifs et une pensée différente issus d'une fonction sémiotique qui n'aurait pas été restructurée par l'accès au langage articulé. Il s'agit donc d'une infériorité cognitive des personnes sourdes. Oléron, psychologue à l'institut National des Jeunes Sourds, mena de nombreuses expérimentations qui sont résumées dans son livre La Psychologie de l'enfant sourd (Colin, 1978). Les résultats n'ont pas été véritablement probants en ce qui concerne les théories piagétiennes mais montrent une infériorité des Sourds vis à vis des entendants. Or, les consignes ayant été données grâce à des schémas structurés sur une logique verbale, ces résultats ont été largement critiqués et les mêmes tests ont été réalisés en Langue des Signes. (Virole 1986, avec l'aide de Christian Cuxac pour la traduction en L.S.F.). Aucune différence sensible n'a été constatée avec une population d'enfants entendants du même âge.

L'idée que la pensée existe sans le langage verbal n'a pas pu être validée par des expérimentations avec les enfants sourds de l'institut St Jacques tout simplement parce qu'ils ne pouvaient être de "bons" sujets pour ces expérimentations. En effet, ces enfants sourds n'étaient pas sans langage puisqu'ils employaient la Langue des Signes.

2.2 La Langue des Signes est une langue comme les autres 

C'est aux États-Unis que parallèlement à ces expérimentations du psychologue français, seront publiés les premiers travaux montrant que la Langue des Signes est bien une langue. Il faudra attendre les années 80 pour que cela commence à être reconnu en France.

Une équipe de linguistes américains dirigée par Stockoe partit à la recherche des constituants ultimes du langage gestuel en suivant la démarche phonologique de Jakobson. Ils ont pu dégager des paires minimales issues de la permutation de "phonèmes" gestuels. Ils se sont aperçus par exemple qu'en modifiant uniquement la configuration de la main, on changeait le sens du signe : par exemple en L.S.F. GENTIL se dit en faisant glisser la main de la joue au menton et FILLE en faisant le même geste simplement avec l'index, les autres doigts étant repliés. Ces unités minimales ont été catégorisées en trois classes appelées "paramètres de formation" :

  • la configuration que prend la main pour réaliser le signe (il y en a 84 en L.S.F.)
  • l'emplacement du signe dans l'espace (en général devant le signeur dans l'espace compris entre la taille et le front)
  • le mouvement que réalise la main (il faut prendre en compte le trajet du signe, sa direction, mais aussi sa vitesse). Deux autres paramètres au moins ont été rajoutés :
  • l'orientation de la main (Nord, Sud, Est, Ouest)
  • l'expression du visage (ou mimique) : seule l'expression du visage change entre le signe DOMMAGE et le signe GAGNER.

En décomposant ainsi le signe en unités distinctives minimales, Stockoe peut montrer qu'il est doublement articulé. Au niveau de la première articulation on a des signes qui correspondent aux morphèmes (aux monèmes pour Martinet) ayant à la fois une forme et un sens. Au niveau de la deuxième articulation, des unités minimales correspondant aux phonèmes, les plus petites unités qui ne possèdent pas de sens ((Je rapporte ici le raisonnement de Stockoe, mais si on peut dire que la langue des signes est en effet doublement articulée, il faut prendre en compte le fait que certaines de ces "unités minimales" telles que la configuration de la main ont en fait un sens.)) mais une forme distinctive et donc une valeur pertinente d'opposition. Le fait qu'il y ait plusieurs supports pour les unités minimales en Langue des Signes alors que dans les langues orales les phonèmes sont "uniquement" des sons, ne pose pas problème puisque les différents paramètres de formation sont comparés aux consonnes, aux voyelles et aux tons.

Ce modèle a eu bien sûr, au bout d'une vingtaine d'années, un retentissement sur les pratiques médicales et éducatives en France. Les partisans de la Langue des Signes avaient enfin des arguments théoriques pour légitimer leur point de vue :  

Loin d'être un ramassis de gesticulations, il apparait que les langues des signes obéissent à toute une organisation précise et qu'elles partagent avec toutes autres langues, le trait fondamental de la double articulation. (Bouvet, 1982)

Mais l'éducation bilingue pour les enfants sourds que prône Danielle Bouvet dans son livre La parole de l'enfant sourd, et qu'Alfred Binet avait déjà suggérée en 1909 dans un article qui critiquait avec virulence l'oralisme à outrance, n'est pas encore très répandue, en particulier au sein de l'éducation nationale.

Le bouleversement a été beaucoup plus rapide aux États-Unis car Noam Chomsky, figure dominante de la linguistique américaine des années 60, s'est rendu compte de l'intérêt d'une Langue des Signes dont la structure serait isomorphe à celle des langues orales, pour la validation de la théorie générative et la connaissance de la structure profonde du langage. Comme l'espèce humaine est douée génétiquement d'une capacité spécifique qui est la faculté de langage, les langues orales et les langues des signes mettent en jeu le même type d'opérations mentales. Il faut donc aller au-delà des différences morphologiques qui dépendent uniquement des modalités auditive et visuelle, pour trouver les propriétés cognitives du langage humain. 

On comprend comment la Langue des Signes a pu être mieux accueillie aux États-Unis qu'en France dans les milieux pédagogiques. Son existence venait en effet confirmer la théorisation générative qui était le modèle dominant en linguistique et qui a même servi de cadre scientifique aux sciences humaines en général. De nouveaux champs d'études en psycholinguistique et en neurolinguistique se sont ouverts.

Le raisonnement des générativistes était tout à fait séduisant. De nombreuses recherches en linguistique et en neurologie en ont découlé aux États-Unis. En effet, le but de Stockoe était de montrer que l'oralité n'était pas un primat du langage : "language is not mouth stuff - it's brain stuff." – explique-t-il dans ses interviews et ses articles. L'équipe d'Ursula Bellugi mena des recherches afin de s'assurer que malgré le caractère spatial des langues des signes, le siège du langage chez les personnes sourdes était bien l'hémisphère gauche du cerveau. Les Sourds qui avaient des lésions dans l'hémisphère gauche pouvaient pointer, secouer la tête, hausser les épaules et émettre d'autres gestes, mais ils avaient perdu leur capacité à signer (selon la localisation de la lésion, ils avaient perdu soit la majeure partie de leur lexique, soit une organisation grammaticale cohérente). Par contre, les Sourds avec des lésions dans l'hémisphère droit continuaient de signer, mais n'avaient plus une bonne organisation dans l'espace. Ainsi, on demanda à l'un des sujets de décrire une pièce : pour lui tous les meubles avaient été sur sa droite, le côté gauche était ignoré. Pourtant il signait parfaitement, aussi bien les signes sur sa droite que sur sa gauche. Bellugi explique qu'il avait perdu le sens de l'espace topographique, tout en continuant à maîtriser l'espace linguistique. Ces études montrent donc que le langage, qu'il soit visuel ou oral est sous le contrôle de l'hémisphère gauche.

Cependant, le modèle phonologique de Stockoe, s'il permet de montrer que la Langue des Signes est bien une langue, élimine complètement sa spécificité centrale : l'iconicité. En effet le caractère figuratif de la Langue des Signes, le fait que le signifiant et le signifié partagent un lien d'analogie, devient complètement secondaire. Les psycholinguistes américains ont déployé beaucoup d'énergie pour montrer que l'iconicité ne jouait aucun rôle, et qu'elle n'était qu'un reste des origines de la Langue des Signes. Celle-ci aurait évolué vers l'arbitraire et c'est pour cela qu'elle est reconnue.

2.3 La Langue des Signes : pas tout à fait la même, pas tout à fait une autre…

Si les personnes sourdes dont la langue maternelle est la Langue des Signes ne connaissent pas l'étymologie de tous les signes (c'est-à dire la clé de leur rapport analogique avec leur signifié), et si les enfants sourds n'ont effectivement pas besoin de cette iconicité pour apprendre à parler, il est cependant difficile de ne pas en tenir compte tant elle est présente dans la langue. Il suffit de voir les personnes sourdes créer des néologismes et surtout d'assister à leurs "jeux de signes", ou encore d'étudier les langues gestuelles des Sourds isolés (Yau 1992) pour se rendre compte de l'importance de ce processus qui est au centre du fonctionnement de la langue. Par ailleurs, l'évolution de la L.S.F. ne vient pas confirmer le point de vue de Frishberg (1975) selon lequel les langues des signes tendraient vers l'arbitraire. Le travail passionnant de Christian Cuxac en témoigne : 

Loin d'être un "faute de mieux" ou une donnée à caractère trivial des langues des signes, nous pensons que l'iconicité a plutôt à voir avec un principe organisateur. (Cuxac, 1991)

La Langue des Signes vient donc perturber la conception que les linguistes pouvaient avoir du langage. Il y a encore 30 ans, la linguistique structurale présentait les langues comme satisfaisant obligatoirement aux critères d'oralité, de linéarité et de double articulation. Or quand on analyse la Langue des Signes qui n'est ni orale, ni linéaire, mais qui actualise cependant toutes les fonctions pragmatiques, métalinguistiques, narratives du langage, qui permet aussi bien de construire des références que de thématiser des propos, de mentir que de faire de la poésie, on se voit obligé de changer la définition que l'on pouvait avoir des langues. Ainsi la Langue des Signes a-t-elle les mêmes fonctions que les langues orales, mais ses structures sont très différentes puisqu'elles sont fondées sur l'utilisation de l'espace et sur la simultanéité.

Christian Cuxac ((Dans l'émission Les chemins de la connaissance, "La langue des signes", France Culture, 23 novembre 1993.)) explique que la L.S.F. fonctionne par diversification de paramètres qui ne sont pas exactement comparables à des phonèmes puisqu'ils peuvent avoir un sens et même jouer le rôle d'opérateurs énonciatifs.

  • La configuration (forme de la main) est souvent associée à l'un des participants de l'action (objet ou personne) : main plate = un objet plat par exemple une voiture ; index vers le haut = objet vertical par exemple un homme. Une même configuration (auriculaire et pouce tendus, autres doigts repliés) permet de regrouper une tête de vache, un escargot, un avion, un combiné téléphonique, car les objets sont vus sous l'angle de leurs saillances latérales. Les noms ont donc très souvent une source métonymique : on nomme le tout par la partie la plus saillante visuellement.
  • La localisation du signe est également symbolique : les signes placés au niveau de la partie supérieure du visage sont liés au raisonnement, à l'intelligence, à l'imaginaire, au rêve.
  • Le mouvement qu'exécutent les mains est le plus souvent associé à l'action et permet d'indiquer l'aspect du verbe. Pour indiquer la répétition de l'action, le geste est répété. Si le procès n'a pas encore commencé, le mouvement est embryonnaire etc...
  • La mimique faciale permet de modaliser les énoncés (modalisation radicale ou épistémique) : prise en charge des énoncés, point de vue sur le contenu des énoncés. Elle permet de donner à voir les affects, l'état d'esprit de l'agent du procès qui peut coïncider ou pas avec l'énonciateur.
  • Le regard permet de différencier une activité de discours d'une activité de récit : quand le locuteur est dans le discours, il regarde son allocutaire, quand il est dans une activité de récit, son regard ne se pose plus sur l'autre. 

De plus, depuis que la communication gestuelle est reconnue comme langue à part entière, il s'est produit un véritable bouleversement qui conduit à une invention et à une créativité permanente au niveau des fonctionnements métaphorique et comique notamment. Cela montre bien que l'iconicité de la Langue des Signes ne la cantonne pas à la désignation des choses concrètes, mais joue sur le plan symbolique. On peut par ailleurs remarquer que malgré le caractère paradoxalement "oral" de la Langue des Signes (elle ne s'écrit pas), elle a survécu pendant des siècles et peut-être des millénaires malgré les persécutions et les interdictions. Sa fonction ne peut donc être réduite à la simple communication et l'engagement des personnes sourdes à affirmer leur identité culturelle à travers leur langue le souligne. 

De l'image idéalisée des personnes sourdes et de leur langue qu'avaient les philosophes des lumières, en passant par la dévalorisation de la Langue des Signes au XIXème siècle et à sa reconnaissance très récente, le chemin est assez tourmenté. Mais peut-être serait-il plus intéressant de ne pas oublier les idées des époques passées ni de rejeter l'une ou l'autre des théories contemporaines. Cela permettrait d'accepter les différentes dimensions de la Langue des Signes pour mieux comprendre sa richesse.

Il doit être cependant possible d'accepter et de reconnaître à la Langue des Signes son statut de langue, sans pour autant dénier certaines de ses propriétés structurales fondamentales qui la différencient des autres.

Ainsi en tant que linguistes, il nous faut être très attentifs. Nous devons pouvoir faire des études comparatives, sans pour autant vouloir figer la Langue des Signes autour d'une norme. Laissons sa place à notre émerveillement devant cette voix des mains et du corps. 

3. L'acquisition de la Langue des Signes

3.1 L'importance pédagogique

Une grande partie des travaux (encore rares) sur l'acquisition de la Langue des Signes par les enfants ont été faits dans un but pédagogique et presque politique. Il fallait montrer qu'il était important de promouvoir la Langue des Signes comme "langue naturelle" pour l'enfant sourd (le terme de langue "maternelle" est le plus souvent jugé inapproprié car la plupart des mères d'enfants sourds ne sont pas sourdes et ne possèdent pas encore la Langue des Signes à la naissance de leur enfant). L'apprentissage de la parole par l'enfant sourd sévère et profond étant considéré comme une véritable prouesse (selon les statistiques regroupées par le C.E.B.E.S., seuls 4% des personnes sourdes profondes n'apprenant pas la Langue des Signes parviennent à une réelle compétence linguistique), on considère qu'il est primordial pour l'enfant sourd d'apprendre la Langue des Signes. Au lieu de chercher à compenser la déficience auditive par diverses méthodes telles que la méthode verbotonale ou le Cued speech, Rojo-Torres (1991) développe un autre point de vue :

Au lieu de considérer les enfants sourds surtout sous l'angle de leur déficit ou de leur incapacité, nous avons préféré prendre en compte leurs potentialités intellectuelles et linguistiques notamment, ainsi que leurs possibilités de les actualiser. Nous nous situons donc, dans une perspective de prévention du handicap cognitif (au sens large) et non seulement linguistique que peut entraîner - si l'on n'y prend garde - la déficience auditive. (Rojo-Torres, 1991)

L'enfant sourd est considéré comme un enfant qui a toutes les capacités pour se développer normalement si on lui en donne les moyens, et si l'on respecte le cheminement que tout enfant doit parcourir pour construire ses connaissances.

Certains auteurs différencient nettement les enfants sourds de parents sourds et ceux qui ont des parents entendants. Dès leur naissance, ces derniers sont environnés d'un bain de langage verbal auquel ils n'ont pas accès. Si les parents choisissent la Langue des Signes pour communiquer avec leur enfant sourd, presque tous les énoncés signés s'adresseront à lui. Les parents signent pour l'enfant, ils n'ont pas forcément une aisance suffisante pour utiliser la Langue des Signes entre eux quand ils ne veulent pas s'adresser à l'enfant. Pour ces auteurs, il s'agit donc d'un accès au langage extrêmement réducteur.

À ceci, on pourrait répondre qu'en ce qui concerne l'accès à la parole, cette situation est amplifiée puisque l'apprentissage est surtout entre les mains des médecins et des orthophonistes. Les parents extrêmement motivés vont participer pleinement mais là aussi, la parole sera adressée spécifiquement à l'enfant dans des conditions particulières (il faut se mettre face à l'enfant pour qu'il voie les lèvres, utiliser le cued speech pour certains, articuler etc.). De plus, la communication ne passe pas uniquement par le langage (et l'oral en particulier). Les enfants en apprennent les bases grâce à d'autres modes, d'autres registres, l'affectivité, le jeu, comme le montrent les travaux de Bruner (1975,1982, 1987). Ce dernier explique par exemple le lien entre jeu et langage à travers la mise en place de la dénomination dans des jeux rituels (routines) entre une mère et son enfant âgé de 9 à 12 mois où l'activité référentielle est permanente et répétée. De plus, la plupart des enfants sourds en France passent plusieurs jours par semaine dans des institutions où ils rencontrent d'autres personnes sourdes (adultes et enfants) et où ils les voient communiquer entre elles.

Que les enfants sourds aient des parents sourds ou entendants, on ne peut d'ailleurs pas parler "d'apprentissage" de la Langue des Signes mais d'acquisition comme pour les langues orales. En observant les enfants évoluer au C.E.B.E.S. (Centre d’Éducation Bilingue pour Enfants Sourds, 75011 Paris) dans un milieu bilingue, il nous a paru évident qu'ils acquièrent la Langue des Signes en communiquant avec des éducateurs sourds tels que Daniel ABBOU, surtout si cette communication est prolongée à la maison par les parents.

Le plus important est d'être attentif aux besoins de l'enfant et à son choix entre les modalités visuelle et auditive. Il est intéressant de se pencher sur le cas des enfants sourds isolés qui vivent dans une société où il est rare qu'ils soient pris en charge très tôt par des institutions pour personnes sourdes ou par des médecins. On ne leur impose donc pas de passer par un apprentissage d'une langue orale pour communiquer. Yau (1992) rapporte le cas d'un enfant sourd chinois de Pékin : Li Jing. Comme les enfants sont scolarisés très tard en Chine, à partir de 8, 9 ans, Li Jing n'a été en contact avec aucune sorte de système gestuel. Les membres de son entourage n'avaient pas eu recours à l'une des langues des signes chinoises mais utilisaient les créations gestuelles de l'enfant. Celui-ci avait élaboré un véritable système comprenant au moins 150 signes presque tous créés par lui. Ils ont été recensés par Yau (1992) en 2 heures seulement en présence des parents. Le lexique de l'enfant était donc sans doute plus important. Ces signes ont continué à être utilisés dans le milieu familial après la scolarisation de l'enfant car les parents ne se sont pas vraiment mis à la Langue des Signes chinoise.

Ceci montre donc que des enfants sourds peuvent avoir spontanément recours à la modalité visuelle. Même en l'absence d'un modèle gestuel, ils explorent par eux-mêmes les possibilités de communication visuelle qui leur sont naturelles.

Toutes ces études ont permis d'aller dans le sens d'une éducation bilingue pour l'enfant sourd bien que l'oralisme soit encore prépondérant. Il faut d'ailleurs bien comprendre la différence entre oralisme exclusif et "éducation orale". L'oralisme exclusif est une politique qui vise à dire que la Langue des Signes est à éradiquer. Seule la communication orale est acceptée. Mais "l'éducation orale" permet aux orthophonistes qui ont pour objectif de "faire parler" les personnes sourdes, d'utiliser la parole pour constituer un mode de communication qui s'appuie sur un accès au langage par la Langue des Signes. Il existe peu de centres bilingues en France, et l'intégration d'enfants sourds à l'école publique est encore très rare. Mais un mouvement de défense de la Langue des Signes lancé dans les années soixante-dix par des Sourds signeurs et certains chercheurs entendants, ainsi que le rôle important joué par la psychanalyse, a entraîné l'abandon d'un "oralisme forcené" (Donstetter, 1995). Françoise Dolto notamment s'est vivement intéressée à l'enfant sourd. Pour elle il serait "inhumain" de ne pas recourir à la Langue des Signes :

seul accès que peut avoir l'enfant sourd à la symbolisation utilisable dans ses relations, à partir de sa relation privilégiée à sa mère, à son père, et à ses familiers". (1981, p.264)

3.2 Description

Les études décrivant l'acquisition de la Langue des Signes dans le cadre de l'acquisition du langage en général, ont surtout été faites aux États-Unis (le Linguistics Research Laboratory, Université Gallaudet ; équipe du Salk Institute dirigée par U. Bellugi) et au Canada (Équipe de L. Petitto), mais également en Italie (Equipe de V. Volterra).

Il y a eu quelques controverses car certains travaux essayaient de prouver que les premiers signes des enfants sourds étaient produits avant les premiers mots des enfants entendants. Ils attribuaient cette avance à plusieurs facteurs : 

  • la nature iconique  de la Langue des Signes (Brown 1979)
  • la possibilité pour les parents de prendre les mains des enfants et de corriger les configurations (Bonvillian et al. 1983a) 
  • la différence de maturation entre le cortex visuel et le cortex auditif ; la plus grande rapidité motrice des bras et des mains par rapport à l'appareil vocal (Folven & Bonvillian 1991 ; Meier & Newport 1990).

Mais cette constatation serait peut-être due au fait que les adultes sourds parviennent mieux à repérer les premiers signes émis par leurs enfants malgré les erreurs de production, alors que les adultes entendants auraient plus de mal à assimiler les suites sonores émises par leurs enfants à des mots.

La théorie selon laquelle Langue des Signes et langue orale se développent de la même façon chez l'enfant va dans le sens des générativistes qui mettent les modalités visuelle et auditive au même niveau. Les études de Laura Petitto et son équipe (1984, 1986, 1987a, 1988, 1990, 1991, 1993) sur des enfants entendants (parlant américain et français canadien), des enfants sourds (parlant la langue des signe américaine ou québécoise) et des enfants entendants bilingues (une Langue des Signes, une langue orale), montrent que les enfants sourds acquièrent les langues des signes de la même façon que les enfants entendants acquièrent les langues orales: babillage syllabique ou manuel vers 7-10 mois, premiers mots/signes entre 12 et 18 mois, deux mots/signes entre 18 et 22 mois, développements morphologiques et syntaxiques entre 22 et 36 mois (et au-delà). Le langage se complexifie de la même manière que ce soit au niveau sémantique, pragmatique ou syntaxique. De plus, les enfants bilingues apprennent les deux langues simultanément et franchissent les grandes "étapes" de l'acquisition dans les deux langues au même moment (babillage, premiers mots, premières combinaisons etc.). Les enfants qui ont accès à deux modalités n'ont pas de préférence pour la parole. Tous les enfants utilisent les mêmes stratégies. Au bout d'un an, l'enfant sourd fait des holophrases à un signe isolé. Puis il commence à combiner deux signes. Petit à petit, il va découvrir comment modifier ses signes afin d'exprimer des significations spécifiques : en changeant la direction du signe, il peut indiquer qui fait l'action, grâce au regard, il montre à qui il s'adresse...

Pour Laura Petitto, quelle que soit la modalité (visuelle ou auditive) de "l'input", l'enfant est doté d'un mécanisme particulier qui le sensibilise à certains aspects des structures langagières. On peut comparer ce mécanisme à celui de la reconnaissance des visages (Gross 1992). S'il existe un substrat neuronal particulier au langage, il est alors "amodal" puisque les enfants bilingues ne sont pas plus attirés par les langues orales que par les langues des signes. Le plus important pour l'acquisition du langage n'est pas la modalité de la langue, mais le fait qu'elle se présente avec une structure linguistique particulière. 

Ces travaux très approfondis ont donc été dans le sens de la reconnaissance de la Langue des Signes. Leur seul défaut serait de trop vouloir assimiler les langues signées aux langues orales et donc de négliger, ou même d'écarter leurs différences qui souligneraient la diversité des langues. Leurs auteurs essaient d'aller dans le sens d'une recherche des universaux du langage, fondée sur les structures linguistiques innées chez l'enfant sans vouloir d'abord approfondir ce qui fait la spécificité de chaque langue et de chaque enfant. Des analyses très détaillées de corpus longitudinaux restent encore à faire et permettraient d'aborder des problèmes d'acquisition de tous ordres (lexical, syntaxique...) que la nature très particulière de la Langue des Signes rendrait passionnants.

Notes

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Pour citer cette ressource :

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