Le mouvement au service de l’apprentissage du langage. Le cas spécifique du TDAH
Mens sana in corpore sano, l’expression tirée de la Satire X de Juvénal (IIe siècle après J.-C.), est largement utilisée dans les contextes éducatifs pour souligner que le mouvement est essentiel au bien-être mental et psychologique. Aujourd'hui, cette idée reçoit un nouvel élan grâce aux découvertes scientifiques. Les chercheurs s'intéressent désormais au mouvement dans toute son étendue, de la simple gesticulation à la pratique d'exercice physique intense, au service des apprentissages, notamment du langage.
En effet, les mouvements corporels de gesticulation jouent un rôle crucial dans les processus cognitifs et d'apprentissage. Certaines recherches ont montré que les actions simulées peuvent à la fois amorcer et faciliter la parole et la cognition (Pine, Reeves, Howlett et Fletcher, 2012). Les mouvements peuvent également améliorer la mémoire, comme l'ont démontré d’autres études sur des adultes et des enfants (Goldin-Meadow et Wagner, 2005 ; Pine, Knott et Fletcher, 2010). Dans ces études, les participants devaient mémoriser une liste de mots tout en effectuant des gestes cohérents, visuellement liés aux mots. Ils ont obtenu de meilleurs résultats que ceux dont les gestes n'étaient pas sollicités.
Non seulement les fonctions corporelles influencent la cognition, mais la pratique d'un exercice physique peut également l'améliorer. Un nombre croissant d'études mettent en évidence les bienfaits de l'exercice physique sur les fonctions cognitives (Neudecker, Mewes, Reimers et Woll, 2015). Le sport semble stimuler les fonctions exécutives telles que l'inhibition, la flexibilité, l'attention et la mémoire de travail (Christiansen, Beck et al., 2019). Il est également bénéfique pour améliorer les troubles émotionnels tels que l'anxiété, la dépression ou l'agressivité (Christiansen, Hirsch et al., 2019). Toutefois, les résultats doivent être interprétés avec prudence car les protocoles d'exercices manquent souvent de standardisation et peuvent être difficiles à reproduire.
Le trouble déficitaire de l'attention avec hyperactivité (TDAH) touche environ 5 % des enfants d'âge scolaire (American Psychiatric Association, 2017). Il se caractérise par une inattention associée ou non à une hyperactivité et à une impulsivité, entraînant des troubles fonctionnels dans plusieurs domaines de la vie de l'individu. Le tableau évolue au cours de la vie, les jeunes enfants présentant davantage de symptômes d'hyperactivité que les adultes (Christiansen, Beck et al., 2019). Les recherches indiquent que les personnes atteintes de TDAH sont plus susceptibles de connaître des taux plus élevés de redoublement scolaire, d'échec scolaire, d'abandon et d'expulsion, d'orientation vers des services d'éducation spécialisée et de relations problématiques avec leurs pairs et leurs enseignants (Frazier et al., 2007 ; Reinke, Stiles et Lee, 2023). Plusieurs études ont fait état d'associations entre l'échec scolaire et des vulnérabilités dans les processus exécutifs et langagiers, tels que le stockage de l'information, la mémoire de travail, les capacités de traitement phonologique, la conscience, la syntaxe, la fluidité et l'orthographe, conduisant à des troubles de la lecture et/ou de l'écriture (Soto et al., 2021 ; Caldani et al., 2022).
Pendant de nombreuses années, l'hyperactivité a été considérée comme responsable des troubles de l'apprentissage, la nécessité d’être calme étant jugée cruciale pour une attention optimale. Cependant, certains auteurs soutiennent que l'hyperactivité joue un rôle fonctionnel et sert à compenser l'hypoactivation de la mémoire de travail lors de l'exécution d'une tâche cognitive (Rapport et al., 2008). Des études expérimentales ont montré que chez les enfants atteints de TDAH, de meilleures performances cognitives étaient associées à une plus grande activité motrice globale, ce qui n'était pas le cas chez les témoins appariés (Sarver et al., 2025 ; Hartanto et al., 2016). Pour tester l'hypothèse selon laquelle le mouvement pourrait améliorer l’apprentissage des enfants diagnostiqués TDAH, notamment les compétences langagières, nous avons réalisé une expérience clinique (Moscoso et al., 2024). Notre expérience visait à tester comment différentes stratégies de mouvement influencent les capacités de mémorisation sémantique des enfants atteints de TDAH. Nous avons invité des enfants âgés de 6 à 10 ans suivis à l'Hôpital Pédiatrique Robert Debré à Paris, pour qui un diagnostic de TDAH avait été retenu et naïfs de tout traitement pharmacologique et non pharmacologique, à venir au laboratoire pour une expérience de recherche individuelle.
Dans l’expérience, la tâche consistait à apprendre une histoire concernant un séjour au parc, et l’enfant devait restituer le plus de mots/actions dont il se souvenait. Cela se faisait immédiatement (trois répétitions) et à cinq minutes d'intervalle, pour vérifier les compétences de mémoire de travail, l'évolution de l'apprentissage et la mémoire à court terme. Les conditions de passation concernant le mouvement variaient sur trois modalités, chaque enfant étant randomisé à un de trois groupes possibles :
- le premier groupe devait rester assis sans bouger et inhiber tout mouvement pendant l’écoute de l’histoire
- le deuxième groupe pouvait bouger librement, à condition de rester assis, pendant l’écoute de l’histoire
- le dernier groupe était debout pendant l’écoute de l’histoire ; le chercheur apprenait en même temps aux enfants des mouvements congruents avec l’histoire (par exemple, « faire du vélo » en mimant l'action et en invitant l'enfant à faire de même).
Nos résultats sont préliminaires, basés sur un échantillon de seulement 30 enfants TDAH et sans groupe contrôle ((Dans cette expérience, le groupe contrôle (ou groupe témoin) serait constitué d’enfants du même âge, profil cognitif et genre que le groupe TDAH. Ils participeraient aux mêmes expériences que ces derniers. La comparaison des résultats entre les deux groupes permettrait de déterminer si les bénéfices observés sont spécifiques aux enfants présentant un TDAH ou non.)), mais ils sont très clairs. La répétition de l’histoire à trois reprises a permis à tous les enfants TDAH de progresser et de restituer progressivement plus de mots. Cependant, les enfants n'ont pas tous appris de la même manière : le troisième groupe, qui suivait des mouvements congruents, en même temps qu’il apprenait l’histoire a obtenu les meilleurs résultats de manière statistiquement significative, surtout en comparaison avec le premier groupe, qui devait rester assis sans bouger. Cela, indépendamment de leurs habiletés cognitives, également testées et comparées dans le cadre de l’étude. Nous émettons quelques hypothèses : la reproduction des mouvements impliquait de regarder le chercheur pour effectuer les mêmes gestes, ce qui entraînait une fixation oculaire et une mobilisation attentionnelle accrues, bénéfique pour les enfants atteints de TDAH, pour lesquels l'attention est un problème. D’autre part, l’apprentissage de mots associé à l'apprentissage de mouvements active également la mémoire kinesthésique, avec un effet synergique possible. La mémoire kinesthésique, sensible à la répétition, a été utilisée avec succès dans les processus d'apprentissage. Au niveau structurel, ce type d'apprentissage montre en partie l'activation des neurones miroirs, impliquant des réponses imitatives des actions motrices (Langevin, 2015 ; Bonini et al., 2022).
Ces résultats remettent en question les principes d'apprentissage traditionnels mis en œuvre dans les écoles, qui insistent sur les avantages de rester immobile pendant le processus d'apprentissage. À l'exception des cours de sport, bouger en classe est souvent considéré comme un manque de savoir-vivre et une source de plaintes. Si le mouvement joue un rôle important dans la cognition et présente des avantages spécifiques, en particulier chez les enfants souffrant de TDAH, il devrait être envisagé de l'inclure dans le cadre scolaire.
Notes
Bibliographie
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Pour citer cette ressource :
Ana Moscoso, Maria Pia Bucci, Le mouvement au service de l’apprentissage du langage. Le cas spécifique du TDAH, La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), octobre 2024. Consulté le 21/12/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/langues-et-langage/langues-et-langage-en-societe/acquisition-apprentissage-et-diffusion-des-savoirs/le-mouvement-au-service-de-l-apprentissage-du-langage-le-cas-specifique-du-tdah