Jack Lang - Diffusion et protection des biens culturels
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Interview de Jack Lang à l'Hôtel de Ville de Lyon
Clifford Armion : Je voulais revenir sur certaines de vos initiatives plus ou moins proches dans le domaine de la diffusion des savoirs, notamment sur la loi HADOPI que vous avez défendue en obtenant la création de la Haute Autorité pour la Diffusion des oeuvres et la Protection des Droits sur Internet. C'est une loi qui avait suscité énormément de débats. Quel est, un an après sa mise en application, votre bilan sur les résultats de cette loi ?
Jack Lang : Cette loi, si imparfaite qu'elle soit, était à mon avis une loi nécessaire pour marquer une volonté et établir un commencement de régulation. C'était en droite ligne des combats que j'ai toujours menés dans le domaine des industries de la culture ; la loi sur le prix unique du livre, les lois sur le cinéma et d'autres textes ou d'autres actions. Dans ce domaine, on doit arbitrer de manière aussi équitable que possible entre plusieurs libertés : la liberté des artistes et des créateurs qui ne vivent pas seulement d'amour et d'eau fraîche, la liberté des éditeurs, la liberté des internautes. C'est le rôle d'une démocratie et d'un parlement d'essayer d'établir un juste équilibre entre les libertés des uns et des autres. Simplement il manque, je l'ai dit dès le départ, un volet à ce texte, un volet qui assure deux choses : premièrement, une rémunération plus équitable des artistes, des créateurs, des éditeurs ; deuxièmement, un système qui faciliterait, par une baisse du coup d'accès, la démocratisation sur internet. Il y a une carte jeune qui je crois a été imaginée. Où en est-elle, Est-elle diffusée, je ne le sais pas au juste. J'espère simplement que ce projet n'est pas abandonné. Une telle loi n'a de sens que si elle est complétée par toute une série de dispositions assurant un accès plus aisé, notamment pour les jeunes, aux biens culturels sur internet.
C.A. : Quand on pense à l'accès des jeunes aux biens culturels, on pense aussi au contexte de la classe, au collège, au lycée et même à l'université, et au fait que les enseignants se retrouvent souvent confrontés à l'illégalité lorsqu'ils projettent des films. Est-ce qu'il n'y aurait pas quelque chose à faire du côté de l'Etat ou des autorités européennes pour rendre un espace de liberté dans des lieux où l'on ne vend pas le savoir mais où on le promeut et où l'on met en avant la création artistique ?
J.L. : C'était le cas de ce que j'ai pu tenter de faire comme ministre de l'éducation nationale. Nous avions mis au point un plan art et culture à l'école, de l'école maternelle à l'université, qui précisément avait pour ambition de faciliter l'apprentissage d'un art, l'accès aux musées, aux films, au théâtre et à beaucoup d'autres activités artistiques et intellectuelles. J'ai beaucoup regretté que mes immédiats successeurs aient pensé supprimer ce plan. C'est un appauvrissement artistique, intellectuel, mais aussi éducatif. On observe souvent que c'est par un chemin artistique ou créatif que des enfants, des adolescents, des étudiants, trouvent en eux le désir d'accéder à d'autres connaissances. Je pense que c'est une très grande erreur que d'avoir cassé ce plan pour les arts à l'école.
C.A. : Vous avez parlé de la défense de la culture française. Vous y avez évidemment pris part avec les lois pour la protection du cinéma et l'établissement des quotas pour la musique. Est-ce qu'il est nécessaire aujourd'hui de passer par ce cloisonnement, ce protectionnisme, pour mettre en valeur la culture française ? N'est-ce pas au risque de dénigrer les autres cultures et d'ostraciser d'une certaine manière la culture française ?
J.L. : Le mot protection n'est pas le mot juste. Il s'agit d'encourager et de stimuler. Il s'agit de ne pas laisser les créateurs français, ou les créateurs qui vivent en France, abandonner dans l'indifférence générale. Je le répète : les artistes et les créateurs ne vivent pas seulement d'amour et d'eau fraiche. Il est par conséquent normal que la puissance publique les soutienne, les aide, sous différentes formes : aide à la création, construction de lieux de spectacle ou de diffusion, soutien de leurs droits. S'il est une grande tradition française c'est celle du droit d'auteur qui a été inventé par Beaumarchais à la veille de la révolution française. La France s'est illustrée comme le pays des droits d'auteur et je voudrais qu'aujourd'hui la France retrouve son rôle de leader ou de fer de lance pour mieux soutenir les droits des auteurs, des éditeurs et des créateurs à travers une législation européenne ou à travers d'autres initiatives ; pour l'instant ça tarde !
Pour citer cette ressource :
Jack Lang, Clifford Armion, Jack Lang - Diffusion et protection des biens culturels, La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), septembre 2010. Consulté le 22/11/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/langues-et-langage/langues-et-langage-en-societe/acquisition-apprentissage-et-diffusion-des-savoirs/jack-lang-diffusion-et-protection-des-biens-culturels