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Relations et collaborations franco-italiennes dans l’Europe des Lumières

Par Pierre Musitelli : Maître de conférences - ENS d'Ulm
Publié par Damien Prévost le 24/02/2009
Une idée courante veut qu'au Siècle des lumières la France et l'Italie soient unies par un rapport de centre-périphérie, une relation dans laquelle, en raison du retard du développement de la société italienne, la France apparaît comme le moteur du développement des idées. D'un point de vue du dynamisme intellectuel, il est certain que la France possède une supériorité de prestige par rapport à son voisin transalpin, mais dans les faits les modalités du dialogue entre les milieux culturels sont plus nuancées.

Communication lue lors du colloque pluridisciplinaire « Centre et périphérie : re-définitions », organisé par le CIES et l'Université de la Sorbonne Nouvelle, les 13 et 14 septembre 2007 à Paris.

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Introduction

Une idée courante veut qu'au Siècle des lumières la France et l'Italie soient unies par un rapport de centre-périphérie, une relation dans laquelle, en raison du retard du développement de la société italienne, la France apparaît comme le moteur du développement des idées. D'un point de vue du dynamisme intellectuel, il est certain que la France possède une supériorité de prestige par rapport à son voisin transalpin, mais dans les faits les modalités du dialogue entre les milieux culturels sont plus nuancées. Le mouvement même de diffusion des idées, que l'on pourrait croire fondé sur la logique du rayonnement du centre vers la périphérie (et donc figurer par des vecteurs partant de Paris pour s'orienter vers l'Europe entière), n'obéit pas à cette seule règle géométrique. Il s'organise à une échelle beaucoup plus humaine et se fonde sur des impulsions plus fines et aléatoires, telles que le déplacement de certains individus à des moments donnés : émissaires, éditeurs, hommes de lettres et voyageurs mettent sur pied des systèmes d'échange d'informations fondés sur les correspondances épistolaires, les réseaux d'échange entre académies, les sociétés savantes ou encore la collaboration journalistique.

La circulation des savoirs et des connaissances entre la France et l'Italie au XVIIIème siècle n'est pas à sens unique : loin d'absorber sans discernement un savoir venu de l'étranger, la «périphérie» italienne se comporte en sujet actif et intellectuellement indépendant. Deux exemples viendront illustrer mon propos. J'évoquerai tout d'abord le parcours d'un homme de lettre toscan, Filippo Venuti, qui joua le rôle d'émissaire de l'encyclopédisme en Italie et s'efforça de mettre en contact deux mondes jusqu'alors peu enclins à communiquer : celui des lumières françaises de la première moitié du siècle (de Montesquieu aux premières années de l'Encyclopédie) et une société toscane qui sortait à peine de l'immobilisme du règne des Médicis pour entrer, sous la domination autrichienne, dans une période de réformes sociales et politiques fécondes. Puis je déplacerai mon point de vue dans la seconde moitié du siècle pour m'intéresser, à travers l'exemple de Cesare Beccaria dont le traité Des délits et des peines fut accueilli avec enthousiasme par les philosophes parisiens, à la question de l'influence des idées italiennes sur la France et l'Europe des lumières, un aspect souvent négligé, l'influence italienne étant souvent restreinte au domaine des idées esthétique et de l'art. Mais il existe une Italie des lumières qui entra activement en contact avec les hauts lieux de l'effervescence intellectuelle parisienne et les marqua profondément de son empreinte.

Filippo Venuti (1706-1768)

A la fin des années 1750, en France, l'Encyclopédie connaît des heures difficiles. Dès février 1752, un mois après la publication du tome II, le Conseil du roi interdit l'ouvrage, contre lequel l'Église catholique et le très conservateur pape Clément XIII, fervent opposant des philosophes, ont intensifié leurs attaques. En 1759, l'ouvrage est mis à l'index et voit ses lettres de privilège révoquées par arrêt du Conseil. La publication française se poursuivra tant bien que mal et les volumes circuleront clandestinement. Or, dès 1758, en Toscane, dans la ville de Lucques - où la tradition de l'industrie et du commerce des livres s'était établie depuis le XVIème siècle - un aristocrate prend l'initiative, avec le soutien d'un petit groupe d'ecclésiastiques courageux ouverts aux idées nouvelles, de publier intégralement le texte de l'Encyclopédie en Français et avec ajout de notes. Comment en est-on arrivé là, dans un grand-duché de Toscane qui vingt ans plus tôt languissait sous le joug des Jésuites et des derniers Médicis ? Leparcours de Filippo Venuti((Voir également P. Musitelli, Filippo Venuti, ami de Montesquieu et collaborateur de l'édition lucquoise de l'Encyclopédie, dans Dix-huitième siècle, n° 38, Ed. La Découverte, 2006: 429-448.)), qui participa à l'entreprise lucquoise, illustre l'engagement actif d'un certain nombre d'intellectuels italiens, aux côtés des lumières françaises, dans le processus de diffusion des idées.

Né à Cortone en 1706, Venuti fit ses études à l'Université de Pise, qui, en opposition au formalisme scolastique, était fidèle à la tradition galiléenne et faisait bon accueil aux idées modernes venues de France, d'Angleterre et de Hollande. Cette université contribua d'ailleurs à former, sous l'impulsion de son recteur Gaspare Cerati, la nouvelle élite dirigeante toscane et les figures emblématiques du réformisme de la seconde moitié du siècle. Cadet de famille voué à l'état ecclésiastique, Venuti fut nommé en 1738 administrateur de l'abbaye de Clairac en France, riche possession romaine sur les rives du Lot. Il prit ainsi pied au cœur d'une région chère à Montesquieu puisque les Secondat y avaient acquis d'importantes propriétés foncières. Il entra rapidement en contact avec l'écrivain, qui se prit d'affection pour l'abbé italien et se fit un plaisir de hâter son élection à la florissante académie de Bordeaux, société jeune, animée par des parlementaires prestigieux et dont le rayonnement européen est accru par la présence en ses rangs de l'auteur des Lettres persanes. Venuti, le soir de son élection, leur manifestait en ces termes sa gratitude: «[...] il est manifeste que lorsqu'il s'agit d'encourager les lettres, vous ne vous laissez pas fléchir par votre sentiment national, mais vous appelez libéralement des personnes venues de l'étranger pour partager avec elles le fruit et le perfectionnement de vos recherches. [...] car on ne devrait établir aucune distinction entre ceux qui sont choisis par Minerve, ni fomenter aucun désaccord entre les peuples ; il faudrait, en associant les travaux des savants, instituer une sainte société, un nœud indissoluble c'est-à-dire, pour utiliser un mot des antiquaires, Urbium Omonoia, l'unité des cités.» Ce projet intellectuel, qui dénote un profond attachement aux principes de la République des lettres, allait servir de programme de travail à Venuti pour le reste de sa carrière.

A peine associé, l'abbé multiplia les communications sur des sujets d'érudition tout en maintenant ses échanges épistolaires avec les sociétés érudites de Florence et Cortone. Nommé bibliothécaire de l'académie de Bordeaux grâce au soutien de Montesquieu, Venuti se trouva bientôt libéré de ses charges ecclésiastiques et put fréquenter à loisir ce milieu raffiné de province où tout encourageait son indépendance et stimulait sa curiosité intellectuelle. Lorsqu'il fut rappelé en Toscane, en 1750, Venuti y trouva un climat très différent de celui qu'il avait connu : le dernier des Médicis, Jean Gaston, qui avait contribué à asseoir la toute-puissance de la Compagnie de Jésus en Toscane, était mort sans héritier en 1737. Par la suite, après un marchandage entre grandes puissances, ce territoire italien était devenu une province autrichienne gouvernée par un conseil de Régence. La nouvelle administration s'était engagée dans une politique de réformes économiques, religieuses, juridiques visant à moderniser le grand-duché. Sur le plan culturel, le temps où le pouvoir se défiait du monde savant était révolu : désormais, il sollicitait le concours des cercles universitaires et académiques pour appuyer sa politique de réformes. De fait, les intérêts des milieux lettrés se portèrent de plus en plus vers des questions liées au gouvernement de la cité et à l'intérêt public.

Venuti, nommé prévôt de Livourne, principal port du grand-duché et donc lieu actif lieu d'échanges et de circulation des idées par sa vocation commerciale, se trouva immergé dans ce climat de rénovation et de modernisation, et devint un protagoniste important de la vie culturelle toscane. En 1751, il décida de tenir salon chez lui et se tint informé de l'actualité littéraire et scientifique grâce à un dense réseau de correspondants qui s'étendait de part et d'autre des Alpes (il était membre de plus de vingt académies, de Rome à Londres en passant par Paris et Marseille). Puis il se lança dans le journalisme. De 1754 à 1757, il dirigea un nouveau mensuel, le Magazzino toscano d'istruzione e di piacere, qui illustre le passage progressif de l'érudition traditionnelle, tournée vers l'étude du passé (inscriptions, monnaies), à une approche enprise sur les questions d'actualité, comme la vie de la cité et le bien public. Il s'engagea ainsi en faveur de la vaccination contre la variole, une maladie qui décimait les populations des villes portuaires, et mena également un travail de collecte et de coordination visant à rassembler et organiser tous les mois dans son périodique des contributions venues de l'Europe entière - exposés originaux de médecine, de botanique, d'agriculture, traductions d'œuvres récentes, récits de voyage. Lorsque le Magazzino cessa de paraître, son succès avait déjà encouragé le prévôt à participer à une autre entreprise de vulgarisation du savoir, plus ambitieuse et plus hardie en raison de son contenu philosophique et de son retentissement politique : la réédition à Lucques du texte intégral de l'Encyclopédie, à laquelle il participa pendant près de quatre ans.

Venuti sut bâtir un réseau diversifié de relations personnelles pour instaurer un dialogue fécond entre mondes savants français et italiens. Sa pratique illustre bien la nature du travail intellectuel telle qu'elle prit forme au cœur du XVIIIème siècle dans le cadre de la République des lettres, cette aire géographique sans frontières où la culture se trouvait comme affranchie de toute appartenance nationale et s'enorgueillissait de son cosmopolitisme. Venuti œuvra toujours dans une perspective multipolaire de création de réseaux, en particulier dans le cadre de ses correspondances épistolaires académiques et journalistiques. A la lumière de son expérience, les notions de polycentrisme et de circulation apparaissent cruciales pour appréhender de façon plus fidèle et dialectique la réalité des échanges culturels entre France et Italie à cette époque.

Milan à l'époque de Beccaria et des frères Verri

Une autre expérience met à mal l'idée d'une simple influence des lumières françaises sur le monde des lettres en Italie. Elle prit place dans la seconde moitié du siècle, faisant ainsi directement suite à l'expérience de Venuti.

Des mutations virent le jour dans l'Italie des années 1760. Alors que Rome, où se murissait lentement le mouvement néoclassique, restait la capitale des arts et attirait les voyageurs et les peintres de l'Europe entière, se développait à Naples et à Milan une volonté de réforme sans rupture brutale avec le passé et l'Église. Comme en Toscane, les académies et les journaux servirent de cadre à cette effervescence intellectuelle.

A Milan, la bataille pour la modernisation des institutions fut menée par un petit groupe d'intellectuels issus de la noblesse et nourris de lettres françaises((Voir F. Venturi, Settecento riformatore. Da Muratori a Beccaria, Einaudi, Torino 1969.)). Les figures éminentes en étaient les frères Pietro et Alessandro Verri, ainsi que Cesare Beccaria, auteur à 25 ans du traité Des délits et des peines((On peut consulter la très complète édition établie par Franco Venturi : Cesare Beccaria, Dei delitti e delle pene, Einaudi tascabili, Torino 1995.)), en 1764. C'est grâce à cet ouvrage, dont la renommée franchit rapidement la frontière lombarde, que l'existence de l'École de Milan, comme la nomma Voltaire, et des discussions qui avaient lieu en son sein, furent portées à la connaissance de l'Europe.

Les principes de l'opuscule de Beccaria étaient simples et novateurs pour l'époque. L'auteur y faisait une séparation nette entre le délit et le péché, demandant que soient substituées à la peine de mort et à la torture des peines plus humaines et plus utiles (tel que le travail forcé). Persuadé que la tolérance, et non la répression, diminue le nombre des délits et que la douceur des peines est la meilleure cure préventive, Beccaria plaidait pour une justice non arbitraire qui considérât les citoyens comme des individus libres et égaux face à la loi.

La «Gazette littéraire de l'Europe», qui suivait depuis quelques années la vie intellectuelle italienne, publia deux recensions de l'ouvrage en février puis en août 1765, avant même sa traduction en français. Elle y vit, étonnée, une reprise «des principales maximes du Contrat social, appliquées par l'auteur à son sujet». La renommée de l'ouvrage fut immédiate. Melchior Grimm lui consacra deux lettres élogieuses de sa correspondance littéraire. Il fut salué par Voltaire et admiré par tous les encyclopédistes. D'Alembert écrivit à un proche de Beccaria, le 9 juillet 1765 : «Que de philosophie, que [de] vérité, que de logique, de précision et en même temps de sentiments et d'humanité dans son ouvrage ! [...] Un de mes amis, philosophe et bon écrivain, a été si transporté qu'il s'est mis sur-le-champ à en faire une traduction française qui paraîtra incessamment. [...]».

Cette traduction - qui modifiait très librement la structure de l'ouvrage - assura la fortune européenne de ce livre qui devint en quelques années un classique de la pensée juridique. Il convient cependant d'étudier précisément la manière dont la composition et la diffusion des Délits et des peines s'inscrivirent au centre d'un jeu complexe d'influences réciproques entre la France et l'Italie.

Au fondement de la pensée de Beccaria se trouvaient des idées venues de France, qu'il s'agît de la légalité des peines, empruntée à l'Esprit des lois, ou encore de l'égalitarisme du Contrat social. Réélaborées par le penseur milanais, ces idées aboutissaient à la formulation de propositions concrètes visant à réformer la pensée pénale dans le sens d'une humanisation des lois et des châtiments. Le traité Des délits et des peines jetait ainsi courageusement les bases de l'organisation moderne d'une justice indépendante de l'Église et de la classe dirigeante aristocratique.

Remanié par son traducteur français, l'abbé Morellet, le texte fut dans un second temps diffusé en France puis dans toute l'Europe. Ce procédé, qui illustre en quelque sorte la puissance d'assimilation du modèle culturel français, n'en souligne pas moins la difficulté - pour les philosophes milanais - de se dégager de l'encombrante tutelle intellectuelle de leurs voisins. Entre le texte écrit par Beccaria et sa traduction française, il y eut en effet une opération de filtrage : Morellet transforma le pamphlet de Beccaria en un traité bien plus structuré destiné à devenir le fer de lance d'une réforme de la législation française, dans le cadre de la bataille menée par les philosophes parisiens contre les Parlements et la tradition corporatiste des magistrats - ces organes du pouvoir hérités du passé, qui s'appuyaient encore sur l'ancien droit pénal réprimant au même titre que les crimes les atteintes à la religion. L'œuvre se chargeait, dans sa traduction française, d'une forme de revendication politique beaucoup plus radicale, et suscita des débats bien plus vifs. Car les contextes politiques, entre la France et l'Italie, étaient fort différents. Alors qu'en Lombardie les penseurs étaient conviés à entrer au gouvernement pour participer aux réformes politiques mises en œuvre par la nouvelle administration autrichienne (Verri et Beccaria s'engageant par exemple dans la carrière des fonctionnaires d'État), en France, le climat entre ces milieux n'était pas à l'apaisement. L'entreprise encyclopédiste, presque arrivée à son terme en1765, ne constituait pas, loin s'en faut, une revanche triomphale sur les persécutions subies. La vie intellectuelle et la pensée réformiste ne pouvait que se déployer à l'écart d'une sphère politique noyautée par le pouvoir central et les traditions héritées de l'ancien régime. La réalité du pouvoir de Louis XV et de son successeur ne laissait aux philosophes que de maigres espoirs de changements, la royauté s'éloignant chaque jour un peu plus de la voie de la monarchie éclairée. Le Traité des délits et des peines apparaissait donc dans ce contexte comme un véritable appel d'air. Il était désormais de bon ton de faire référence à Milan pour évoquer les possibles voies de sortie de la société d'ancien régime.

L'ouvrage de Beccaria, à travers son assimilation difficile et polémique, vint redynamiser en France le débat philosophique, suscitant des discussions animées sur la nécessaire réforme de la société et sur les instruments capables de la mener à bien ; une discussion dans laquelle s'engageront, outre D'Alembert et Diderot, Voltaire, Grimm ou encore Catherine II de Russie qui déclarait dès 1766, qu'il «serait à souhaiter qu'on suivit les maximes de Mr. Beccaria» et mit tout en œuvre pour le faire venir à Saint-Pétersbourg. Peu de temps auparavant, l'auteur milanais et son compagnon de voyage Alessandro Verri avaient reçu dans les salons parisiens de D'Holbach et Diderot un accueil triomphal((La correspondance de frères Verri consacrée au voyage à Paris a fait l'objet d'une édition critique : Pietro e Alessandro Verri, Viaggio a Parigi e Londra (1766-1767), édité par Gianmarco Gaspari, Adelphi, Milano 1980.)).

Conclusion

Les relations entre la France et l'Italie au XVIIIème siècle ne doivent se penser en termes de rapport centre-périphérie. Une telle approche conduirait à réactiver certains clichés sur la péninsule qui déjà circulaient à Paris au Siècle des lumières : cette Italie, assimilée à Rome, où l'Église règne d'une main de fer sur des esprits superstitieux. Alessandro Verri écrivait à son frère,le 25 octobre 1766 : «Les Français parlent avec vénération des arts italiens. Ici, notre nation et notre littérature sont fort prisées. On connaît les chaînes dont souffre l'Italie, mais aussi sa valeur. On croit que l'Inquisition est toute puissante chez nous et on nous plaint ; en attendant, ils ont la Bastille, eux, et ils n'ont pas le droit de diffuser l'Encyclopédie, qui est séquestrée ; ils sont très sévères quant à l'importation des livres, alors que nous, nous n'avons rien de tout cela». Au fond, l'idée de centre et périphérie ne relèverait-elle pas d'une manière française de penser ces relations ? Ce qui retenait l'attention des voyageurs transalpins en Italie (aussi prestigieux soient-ils, de Montesquieu au président de Brosses), ce n'était pas la terre fertile des idées nouvelles mais le berceau des traditions anciennes, des plaisirs artistiques, des paysages et de la religion, sorte de modèle idéal et figé dans le passé. Pourtant, dans cette province méridionale de l'Europe, il existe des centres où s'activent des esprits qui vont chercher en France (à travers le voyage ou en bâtissant des réseaux d'échange) ce que les Français en Italie ne leur apportent pas : la reconnaissance de l'esprit, la discussion éclairée, le débat européen. Parallèlement à cette autre Italie, objet de contemplation, catalogue d'antiquités, c'est l'Italie des lumières qui naît grâce au travail de Venuti, Verri, Beccaria, et qui se constitue activement en tant qu'interlocuteur de premier plan, voire en tant que modèle. On ne saurait ignorer par exemple que les travaux de Beccaria contribuèrent à un réel avancement des réformes pénales en Italie, au point que fut proclamée en 1786, fait sans précédent en Europe, l'abolition définitive de la peine de mort en Toscane. Deux siècles avant que la France ne le fasse à son tour. Penser en termes de centralité et de périphérie les liens qui unissent la France et l'Italie me semble, pour finir, contraire aux deux idées-forces qui constituent le fondement des relations intellectuelles entre les hommes de lettres au Siècle des lumières : celle du dialogue et celle du cosmopolitisme. Il est en ce sens préférable de revenir à la notion de République des lettres, pour sortir de la vision «nationale» que l'on peut avoir de la diffusion des connaissances, et pour valoriser l'idée, alors prééminente, d'un progrès humain universel.

 

Pour citer cette ressource :

Pierre Musitelli, "Relations et collaborations franco-italiennes dans l’Europe des Lumières", La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), février 2009. Consulté le 19/03/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/italien/civilisation/xvie-xixe/les-lumieres/relations-et-collaborations-franco-italiennes-dans-l-europe-des-lumieres