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La Politique de Sécurité Démocratique, pilier et principal héritage de l’ère Uribe

Par Julie Pontvianne : Lectrice Université Jean Moulin Lyon 3 - Université Jean Moulin Lyon 3
Publié par Elodie Pietriga le 30/01/2017
Le but de cet article est d’analyser la ((Politique de Sécurité Démocratique)), véritable pierre angulaire des deux mandats du président Álvaro Uribe Vélez de 2002 à 2010 et d’en dresser un bilan synthétique afin de comprendre la transformation du conflit colombien et de ses rapports de force.

Le but de cet article est d’analyser la Politique de Sécurité Démocratique, véritable pierre angulaire des deux mandats du président Álvaro Uribe Vélez de 2002 à 2010 et d’en dresser un bilan synthétique afin de comprendre la transformation du conflit colombien et de ses rapports de force. Cette connaissance du bilan d’Álvaro Uribe Vélez en termes de sécurité et de la reconfiguration du conflit qui en découle est indispensable pour comprendre la signature historique des accords de paix entre le gouvernement et les FARC-EP (Forces Armées Révolutionnaires de Colombie - Armée du Peuple) de septembre et novembre 2016. Dans une première partie, nous aborderons la Politique de Défense et de Sécurité Démocratique ainsi que ses caractéristiques. Dans une seconde partie, nous expliquerons les changements opérés suite à la réélection d’Álvaro Uribe Vélez en 2006 avec la mise en place de la Politique de Consolidation de la Sécurité Démocratique. Enfin, dans une troisième partie, nous dresserons un bilan synthétique des politiques de sécurité mises en place en précisant si les objectifs définis initialement ont été atteints.

Contextes national et international de l’arrivée au pouvoir d’Álvaro Uribe Vélez en 2002

La campagne du candidat Álvaro Uribe Vélez pour l’élection présidentielle de 2002 s’inscrit dans un contexte national propice à une redéfinition de la politique de sécurité colombienne suite à l’échec de son prédécesseur, le président Andrés Pastrana qui avait essayé de négocier avec les FARC-EP pour conclure un accord de paix. Les nombreuses concessions sans contrepartie du président sortant faites aux FARC-EP dont une polémique zone démilitarisée avaient, en effet, considérablement renforcé les FARC-EP au lieu de créer les conditions favorables à la négociation de la paix. Dans un tel contexte, l’intransigeance et la fermeté du candidat conservateur Álvaro Uribe Vélez symbolisées par le slogan « main ferme, grand cœur » ( « mano firme, corazón grande ») prônant une résolution du conflit avec les FARC-EP par la voie militaire après plusieurs tentatives de négociations vaines réussit à séduire la majorité des citoyens colombiens, profondément lassés par plus de 50 ans de conflit interne. En 2002, le triomphe d’Álvaro Uribe Vélez (53% des voix) contre Horacio Serpa (31,8%) a été sans appel et il a marqué à la fois une nouvelle ère de la vie politique colombienne et un tournant dans les politiques de sécurité. Le rétablissement de la sécurité était le thème central de la campagne du candidat originaire d’Antioquia, elle est devenue la priorité absolue de l’agenda politique du président élu Álvaro Uribe Vélez.

Cette élection s’inscrit également dans un contexte international singulier : la lutte contre le terrorisme après les attentats du 11 septembre 2001. Dès son arrivée au pouvoir, Álvaro Uribe Vélez nie volontairement l’existence d’un conflit armé en Colombie et s’engage à mener une guerre impitoyable contre les guérillas. Il les qualifie désormais de « terroristes » ou de « narcoterroristes » afin de délégitimer leurs revendications politiques et surtout d’attirer l’aide financière des États-Unis. L’instrumentalisation du discours d’Álvaro Uribe Vélez ne rendra pas indifférent George W. Bush, dont le gouvernement a élaboré la doctrine de la guerre antiterroriste. Cette convergence idéologique et sémantique permettra une aide et une intervention sans précédent des États-Unis dans la politique de sécurité colombienne, notamment grâce au Plan Colombie. Dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, la Colombie a conforté sa position de meilleur allié des États-Unis en Amérique latine pendant l’ère Uribe.

I- La Politique de Défense et de Sécurité Démocratique : une politique de guerre déclarée contre les FARC-EP

Dès le début du mandat, l’impératif de sécurité contenu dans les promesses de campagne du candidat Álvaro Uribe Vélez est consacré dans le Plan National de Développement 2002-2006 en tant que premier des quatre objectifs devant guider l’action du gouvernement (Plan Nacional de Desarrollo, 2002, 6). Il se traduira ensuite par un document plus exhaustif de soixante-huit pages ambitieusement intitulé « Politique de Défense et de Sécurité Démocratique » (PDSD) définissant la politique de sécurité qui sera mise en place. À l’image de son intitulé ambitieux, cette politique aura vocation à perdurer dans le temps pour devenir une véritable politique d’État qui symbolisera les deux mandats du président Álvaro Uribe Vélez. La PDSD publiée conjointement par la Présidence de la République et le Ministère de la Défense nationale en 2003 est définie en ces termes :

« documento marco mediante el cual el Gobierno Nacional traza las líneas básicas de la Seguridad Democrática para proteger los derechos de los colombianos y fortalecer, con la solidaridad de la ciudadanía, el Estado de Derecho y la autoridad democrática, donde quiera que esté amenazada. » (PDSD 2003, 12).

Elle identifie six menaces contre lesquelles l’État s’apprête à lutter, présente cinq objectifs stratégiques et six lignes d’action pour atteindre les objectifs fixés. Or, dans le cadre de n’importe quelle politique de sécurité, l’identification, l’ordre et la dénomination des menaces sont stratégiques dans la mesure où elles reflètent les priorités de l’État et de son action future. Le terrorisme, le commerce des drogues illicites, les finances illicites (blanchiment d’argent, contrebande et vol d’hydrocarbure), le trafic d’armes, de munitions et d’explosifs, l’enlèvement, l’extorsion et les homicides sont les six menaces identifiées dans la PDSD. Force est de constater que le contenu même de ce document s’inscrit parfaitement dans le contexte international de la lutte contre le terrorisme puisque les groupes armés illégaux (FARC-EP, Armée de Libération Nationale et Autodéfenses Unies de Colombie), principales menaces à la sécurité nationale colombienne, ne sont pas cités comme des menaces à part entière. Au contraire, ils ont été soigneusement inclus dans la rubrique sur la menace du terrorisme considéré comme une méthode utilisée par les organisations armées illégales pour déstabiliser la démocratie colombienne. (PDSD, 2003, 24). Au-delà de l’identification des menaces à la sécurité nationale colombienne, ce document fixe également cinq objectifs stratégiques qu’il convient de citer : la consolidation du contrôle du territoire national, la protection de la population, l’élimination du commerce des drogues, le maintien d’une capacité dissuasive et un dernier objectif concernant l’efficacité, la transparence et l’obligation de rendre des comptes. La PDSD repose donc sur un constat simple : l’existence même des menaces et leur expansion provient de l’absence de l’État dans de nombreuses parties du territoire national. Or, l’État est le seul à jouir du monopole de la violence légitime, il doit par conséquent restaurer ce monopole sur l’ensemble du territoire dans les plus brefs délais. C’est pourquoi l’objectif principal de la PDSD sera de renforcer et de garantir l’État de droit sur tout le territoire. (PDSD, 2003, 12).

La PDSD pose les bases de la politique de sécurité nationale offensive et répressive qui sera mise en œuvre par Álvaro Uribe Vélez et elle donne également quelques indications sur ses principales caractéristiques. Envisager de rétablir la sécurité de manière offensive grâce à la voie armée et considérer les acteurs du conflit colombien comme « terroristes» marquent un tournant stratégique. L’ère Uribe commence et son pari pour que la Colombie ne devienne pas un « État failli » repose sur sa Politique de Sécurité Démocratique. Mais le pilier sécuritaire n’est que la première étape d’un cercle vertueux qu’Álvaro Uribe Vélez a lui-même défini comme la théorie « des trois œufs » (teoría de los tres huevitos) faisant référence aux trois axes qui structureront sa présidence. La sécurité démocratique n’est pas considérée comme une finalité mais comme un point de départ et le moyen d’encourager le développement économique qui permettra ensuite la mise en place de politiques sociales. Dans cette perspective, pour Álvaro Uribe Vélez, la sécurité des Colombiens ne relève pas uniquement du ministère de la Défense mais des institutions de l’État dans leur ensemble.

Les caractéristiques de la PSD

Les quatre caractéristiques qui seront énoncées s’appliquent aussi bien à la PDSD qu’à la Politique de Consolidation de la Sécurité Démocratique (PCSD) qui sera appliquée pendant le second mandat d’Álvaro Uribe Vélez (2006-2010). La PDSD et la PCSD constituent les deux volets de la même politique d’État : la Politique de Sécurité Démocratique (PSD), pilier des deux mandats d’Álvaro Uribe Vélez. La PCSD correspondra principalement à la poursuite de la PDSD même si quelques inflexions seront à signaler dans une deuxième partie.

a- Militarisation de la politique de sécurité :

La PDSD a orchestré une récupération militaire progressive du territoire grâce à la déclaration d’une lutte sans merci contre les « organisations terroristes ». À la demande du pouvoir exécutif, les forces armées se sont lancées à l’offensive d’une guerre interne dont l’ennemi principal à abattre militairement était les FARC-EP. Le temps des négociations passées paraissait déjà loin tant l’imposition d’une militarisation de la politique de sécurité a été rapide, effaçant les frontières entre sécurité intérieure et défense nationale et renforçant la militarisation de la police et la « policiarisation » des militaires. Néanmoins, l’option de la négociation figure paradoxalement dans la PDSD (2003, 23) et il faut mentionner qu’un début de négociation a été entrepris avec l’Armée de Libération Nationale (ELN) mais elle s’est vite soldée par un échec. La militarisation de la politique de sécurité a d’abord été facilitée par la professionnalisation de l’Armée aussi connue comme « révolution stratégique » (Patiño Villa, 2010, 230) qui avait commencé sous le mandat du président Pastrana. Par ailleurs, le processus de modernisation et de professionnalisation de l’Armée s’est renforcé au cours des deux mandats d’Álvaro Uribe Vélez pour permettre d’atteindre l’objectif de récupération militaire du territoire face aux groupes insurgés. La Colombie est l’un des pays d’Amérique latine qui dépense le plus pour sa sécurité (avec le Brésil) et cette tendance s’est accentuée pendant la présidence d’Álvaro Uribe Vélez avec une augmentation du PIB consacré à la Défense. Entre 2002 et 2010, les effectifs de policiers et de militaires sont passés de 313 406 à 441 828 (Ríos Serra, 2015, 49). La militarisation de la sécurité colombienne s’est également développée grâce à l’aide des États-Unis dans le cadre du Plan Colombie. À l’origine, ce plan négocié par les anciens présidents Andrés Pastrana et Bill Clinton était, entre autres, un plan de lutte contre le narcotrafic destiné à soutenir les efforts de paix engagés par le président colombien mais, dans les faits, il s’est traduit par des actions contre-insurrectionnelles et anti-drogue. Le narcotrafic n’est en effet pas simplement considéré comme un facteur externe du conflit colombien, il est stratégiquement identifié comme la source principale du financement des organisations armées illégales de Colombie. (PDSD, 2003, 26). Le Plan Colombie a entraîné la poursuite de la professionnalisation de l’Armée colombienne grâce à une aide financière, technique, logistique et opérationnelle. En 2001, la Colombie était le troisième pays du monde récepteur de l’aide militaire américaine après Israël et l’Égypte. (Marchessin, 2001, 175). De plus, pour contribuer à l’effort de guerre et renforcer le budget des forces armées, un impôt spécial pour la sécurité démocratique a été créé grâce au décret 1838 de 2002. Cet impôt est justifié ainsi : « es deber de las personas naturales y jurídicas contribuir al financiamiento de los gastos e inversiones que permitan preservar la seguridad democrática. » Fort de ce renforcement militaire en hommes, en armements et en ressources financières, le gouvernement a pu mettre en œuvre des opérations militaires d’envergure comme l’opération Orión (à Medellín en 2002), le plan Liberté I, II ou encore l’emblématique « Plan patriote » qui débuta en 2003. Ce dernier constitue sans doute la plus grande opération contre-insurrectionnelle des dernières décennies avec un effectif de plus de 17 000 militaires concentrés dans le Sud-Est du pays pour détruire la colonne vertébrale des FARC-EP (la présence historique des FARC-EP se concentre dans le Sud de la Colombie).

b- La négociation avec les paramilitaires :

Cette concentration de l’action militaire contre les guérillas, avec les FARC-EP comme cible principale, s’est accompagnée d’une négociation inédite avec les paramilitaires pour encourager leur démobilisation. Jaime Zuluaga Nieto a parfaitement résumé cette position du gouvernement qui a cherché a simplifié le terrain stratégique de la guerre interne dans la formule suivante : « corazón blando con los paramilitares y mano firme con las guerrillas » (Zuluaga Nieto, 2013, 11). Contrairement aux FARC-EP traités de narcoterroristes par le gouvernement, ce qui a automatiquement rendu impossible toute négociation, les paramilitaires sont reconnus comme étant des acteurs politiques ayant le droit de s’asseoir à la table des négociations. Cette tentative de désarmement et de pacification des territoires du Nord du pays contrôlés principalement par les paramilitaires contraste fortement avec la stratégie d’attaque militaire frontale contre les FARC-EP dans le Sud et le centre du pays (et, dans une moindre mesure, contre l’ELN). C’est pourquoi, en plus d’une simplification stratégique du conflit armé, la Politique de Sécurité Démocratique a permis une « périphérisation » territoriale du conflit. Le 15 juillet 2003, le gouvernement et les Autodéfenses Unies de Colombie (AUC) ont signé l’accord de « Santafé de Ralito » dont le prérequis était un cessez-le-feu unilatéral. L’accord prévoyait également la démobilisation progressive de tous les combattants paramilitaires (estimés à 32 000 combattants par le gouvernement dans la Politique de Consolidation de la Sécurité Démocratique de 2007, page 17) et la disparition complète de l’organisation en tant que groupe armé illégal d’ici la fin 2005. Parallèlement au processus de négociation, la loi 975 de 2005 dite loi de « Justice et Paix » fut adoptée afin de fournir un cadre légal au processus de démobilisation et de poser les bases de la justice transitionnelle colombienne. Or, la première version de cette loi que la Cour Interaméricaine des Droits de l’homme et les organisations de défense des Droits de l’homme (Amnesty International et Human Rights Watch) ont vite qualifié de loi garantissant l’impunité a été déclarée inconstitutionnelle par la Cour Constitutionnelle colombienne dans la décision C-370 du 18 mai 2006. Le droit des victimes fut renforcé et une deuxième version de la loi entra en vigueur, initiant une période de démobilisation paramilitaire dont nous aborderons les résultats dans la troisième partie.

c- L’implication et la participation des citoyens colombiens dans la politique de sécurité

Une troisième caractéristique des politiques de sécurité mises en place par Álvaro Uribe Vélez a été l’implication et la participation active des citoyens colombiens considérés non seulement comme des destinataires de la PSD mais surtout comme des acteurs devant participer au rétablissement de la sécurité. Cet appel à la coopération des citoyens apparaît de façon explicite à de nombreuses reprises dans le document de 2003 présentant la PDSD et il se base sur le principe de solidarité.

« La seguridad no se alcanza sólo con los esfuerzos de la Fuerza Pública. Esta va a ser un esfuerzo de todo el Estado, de todos los colombianos. Una estructura estatal fuerte apoyada en la solidaridad ciudadana garantizará el imperio de la ley y el respeto de los derechos y libertades.» (PDSD, 2003, 7).

D’ailleurs, la solidarité et la coopération de tous les citoyens pour défendre les valeurs démocratiques représente l’un des trois piliers de la PDSD (PDSD, 2003, 13) et également la cinquième ligne d’action détaillée pour atteindre les objectifs fixés. Au sein de l’action « Coopérer pour la sécurité de tous », le gouvernement offre une description de ce qu’il entend par sécurité de la solidarité :

« El gobierno promoverá la cooperación voluntaria y patriótica de los ciudadanos, en cumplimiento de sus deberes constitucionales y en aplicación del principio de solidaridad que exige el moderno Estado de Derecho, con el fin de que cada ciudadano contribuya a la prevención del terrorismo y la delincuencia proporcionando información relacionada con las organizaciones armadas ilegales.» (PDSD, 2003, 60-61).

Soldats paysans, réseaux d’informateurs, programme de récompense, conseils communautaires : sous l’ère Uribe la sécurité est devenue un devoir de tous les citoyens.

La coordination entre civils et militaires est assurée au niveau national, dans quatorze zones prioritaires, par un organisme interministériel : le Centre de Coordination de l’Action Intégrale (CCAI) créé en 2004. Le lien fort et direct qui s’est tissé entre Álvaro Uribe Vélez et une majorité de citoyens colombiens permet certainement d’expliquer en partie son triomphe électoral lors de sa réélection en 2006 et sa qualification en tant que président « néopopuliste » par certains chercheurs colombiens comme Luis Guillermo Patiño Aristizábal (2011, 129). Toutefois, l’implication de civils dans un conflit armé est risquée et largement discutable. Nous en présenterons sa part d’ombre quand nous aborderons le bilan des politiques dans la troisième partie.

d- Une communication politique parfaitement maîtrisée

La dernière caractéristique de la Politique de Sécurité Démocratique est une communication politique parfaitement maîtrisée de la part d’Álvaro Uribe Vélez qui lui a permis d’obtenir un fort soutien populaire tout au long de sa présidence. D’ailleurs, la sixième ligne d’action de la PDSD de 2003 s’intitule : « Comunicar las políticas y acciones del Estado » et précise que :

« El Gobierno Nacional divulgará al público de manera permanente la información sobre los propósitos y resultados de la Política de Defensa y Seguridad Democrática, para fomentar la confianza, la cooperación y la solidaridad ciudadana. » (PDSD, 2003, 64).

La Sécurité Démocratique est non seulement devenue le pilier des deux mandats d’Álvaro Uribe Vélez mais aussi un des piliers de sa stratégie de communication. En effet, elle s’est imposée comme le refrain favori du président véhiculant un slogan patriotique et nationaliste ayant vocation à rassembler l’État, ses institutions, ses citoyens et les médias autour d’un projet commun transcendant les intérêts de chacun :

« No importaba el tema o el evento, el discurso siempre era el mismo : la seguridad democrática, que se traduce en la lucha contra el terrorismo, es el camino para generar la confianza de los inversionistas, lo que a su vez traerá paz, prosperidad y cohesión social para los colombianos. » (Bonilla, Rincón, Uribe, 2013, 130).

Dès son arrivée au pouvoir, Álvaro Uribe Vélez a révolutionné la communication politique colombienne en adoptant là aussi une stratégie offensive mais cette fois avec les mots et les médias. En ce sens, il s’est démarqué de ses prédécesseurs et des partis traditionnels colombiens. En bon pédagogue, il a d’abord expliqué inlassablement son programme phare à la population : la PDSD avec un langage simple et efficace. Il a ensuite défini un ennemi clair qu’il n’a cessé de stigmatiser en le rendant coupable des maux de tous les Colombiens : les FARC-EP, ce qui a eu pour effet de contribuer à créer une logique ami-ennemi dans la sphère politique et publique et, à long terme, de polariser la société colombienne. De plus, il a choisi d’être l’émetteur de sa propre communication en se livrant à un véritable exercice de contact direct et constant avec les citoyens. C’est pourquoi, il a préféré communiquer « en direct » en présidant 276 conseils communautaires (retransmis à la radio et à la télévision) se transformant en présentateur vedette du samedi, orchestrant sa propre émission, et résolvant immédiatement les problèmes de ses concitoyens. Cristina de la Torre précise : « Uribe es maestro de la imagen y protagonista casi exclusivo de su democracia de opinión. » (2005, 101). En plus de la tenue des conseils communautaires symbolisant le génie d’Álvaro Uribe Vélez d’arriver à communiquer et à gouverner en même temps, il a privilégié la radio pour s’adresser à la patrie, ce qui lui a valu d’être qualifié de « radiopresidente ». (Bonilla, Rincón, Uribe, 2013, 123). Ainsi, durant ses deux mandats, le leadership d’Álvaro Uribe Vélez ayant construit une relation de confiance et de proximité avec ses administrés s’est imposé au détriment du rôle d’information et de neutralité des médias. Il est indéniable qu’un président jouissant d’une cote de popularité de plus de 60% pendant ses deux mandats dominait l’art de communiquer, ce qui a évidemment servi les intérêts de son gouvernement tout en renforçant l’adhésion de la population à sa politique de sécurité.

Au terme de son premier mandat, Álvaro Uribe Vélez bénéficiait d’un bilan positif en termes de sécurité et d’une confiance telle de la majorité des citoyens qu’il réussit facilement à se faire réélire. Au soir du 28 mai 2006, Álvaro Uribe Vélez a obtenu la plus grande victoire de l’histoire électorale colombienne avec 62,35% des voix. Cette date marque un tournant dans l’histoire politique de la Colombie car, au-delà de l’obtention d’un score inédit, c’est la première fois qu’un président est réélu pour un deuxième mandat consécutif. Le stratège Álvaro Uribe Vélez avait bien sûr pris le soin de modifier la Constitution dès 2003 malgré les critiques de ses détracteurs afin de pouvoir briguer un second mandat. Cette réforme constitutionnelle avait finalement été entérinée par la Cour Constitutionnelle en octobre 2005. Fort de cette légitimité renouvelée et d’une cote de popularité sans précédent, Álvaro Uribe Vélez apparaît comme un leader qui a toute les cartes en mains pour continuer son programme phare : la Politique de Sécurité Démocratique.

II- La Politique de Consolidation de la Sécurité Démocratique : entre ajustement de la PDSD et dérives sécuritaires

1- Analyse de la Politique de Consolidation et de la Sécurité Démocratique

Dès 2007, le Ministre de la Défense Juan Manuel Santos publia le deuxième document qui a complété l’architecture sécuritaire de l’administration Uribe : la Politique de Consolidation et de la Sécurité démocratique (PCSD). Selon les mots du Ministre de la Défense, la raison d’être de la PCSD est :

« un ajuste para adaptarse al nuevo escenario estratégico y para pasar además, del objetivo inicial del control territorial por la Fuerza Pública al de la recuperación social del territorio mediante la acción integral del Estado. » (PCSD, 2007, 10).

Cette politique marque la continuité idéologique et pragmatique de ce qui avait été initié pendant le premier mandat et elle signe le deuxième acte de la Politique de Sécurité Démocratique. En ce sens, il n’est pas étonnant de constater que les deux premiers objectifs contenus initialement dans la PDSD figurent également dans la PCSD : la consolidation du contrôle du territoire par l’État et la protection de la population. Néanmoins, il faut souligner que le troisième objectif relatif au narcotrafic est revu à la baisse. Il ne s’agit plus d’éliminer le commerce des drogues illicites en Colombie mais de parvenir à : « elevar drásticamente los costos de desarrollar la actividad del narcotráfico en Colombia. » (PDCD, 2007, 39). De même, l’accent est mis sur la légitimité des forces armées : « mantener una Fuerza Pública legítima, moderna y eficaz que cuente con la confianza y el apoyo de la población » ce qui diffère du quatrième objectif contenu dans la politique de sécurité de 2003 : « mantenimiento de una capacidad disuasiva. » Enfin un nouvel objectif apparaît dans la PCSD de 2007 : « mantener la tendencia decreciente de todos los indicadores de criminalidad en los centros urbanos del país. »

Ces nouveaux objectifs ou leur actualisation s’adaptent à la nouvelle configuration du conflit colombien suite aux actions menées de 2002 à 2006. En effet, face à l’offensive des forces armées contre les guérillas qui se sont vues obligées de reprendre leur vieille tactique de « guerre de guérillas » et à la démobilisation en cours de plus de 30 0000 paramilitaires, les menaces ont évolué en marquant un infléchissement favorable pour le gouvernement. De plus, des premiers résultats encourageants en termes de réduction des indicateurs de criminalité ont été atteints. (PCSD, 2007, 45). C’est pourquoi, la stratégie de sécurité doit elle aussi évoluer pour tenir compte des avancées observées, des transformations des menaces et surtout des futurs défis de l’État. Dans un tel contexte, où rappelons-le, les forces armées sont parvenues à reprendre le contrôle sur l’ensemble du territoire (en 2002, 159 des 1099 municipalités que compte la Colombie étaient dépourvues de poste de police, en 2006 la totalité en possédait), la priorité n’est plus la récupération militaire du territoire mais son contrôle et sa consolidation sociale. C’est pourquoi, la doctrine de l’action intégrale a été au cœur de la stratégie contre-insurrectionnelle pendant le second mandat d’Álvaro Uribe Vélez. De plus, l’accent a été mis sur la sécurité urbaine dont la responsabilité a été logiquement et exclusivement confiée à la Police Nationale. (PCSD, 2007, 26). La stratégie de consolidation sociale du territoire national est parfaitement illustrée dans le schéma ci-dessous qui figure à la page 33 de la PCSD. Après une première phase de contrôle du territoire menée grâce à l’offensive militaire, vient l’étape de stabilisation avec l’introduction de la police laissant progressivement place à la dernière étape du processus : celle de la consolidation du territoire dans laquelle les acteurs sociaux et politiques jouent un rôle décisif. La reprise militaire du territoire n’est donc pas suffisante, il faut l’accompagner par un processus civico-militaire et une coordination interministérielle :

« de esta manera, la estrategia de consolidación del control territorial se concentrará en alinear los esfuerzos militar y policial, con el esfuerzo antinarcóticos y los esfuerzos en el área social, de justicia, desarrollo económico y fortalecimiento institucional del Estado. » (PCSD, 2007, 32).

Dans cette nouvelle politique de sécurité, l’État colombien intègre les dimensions politiques du conflit pour rétablir l’autorité de l’État sur le long terme, pour redonner confiance à des citoyens vivant sur des territoires où l’autorité de l’État ne s’exerçait pas auparavant et surtout elle permet d’éviter une nouvelle mainmise des territoires reconquis par les groupes insurgés. Les militaires restent en première ligne dans la doctrine de l’action intégrale. Cependant, contrairement à la PDSD, leur implication diffère selon l’étape de consolidation du territoire.
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Source : Politique de Consolidation de la Sécurité Démocratique, 2007, Page 33.

D’après le gouvernement, l’étape de consolidation se veut irréversible. Or, mesurer cette irréversibilité ainsi que les risques de la reprise d’un territoire implique de nous intéresser à l’évolution de la nouvelle donne stratégique et des groupes armés illégaux pendant la deuxième étape de la Politique de Sécurité Démocratique.

2- Évolution des groupes armés illégaux pendant l’application de la PCSD (2007-2010)

Suite à la mise en application de la PCSD, le scénario stratégique ne cesse d’évoluer. D’une part, les guérillas d’abord très affaiblies par la continuité de l’offensive du gouvernement (qui dispose à nouveau d’une supériorité logistique et tactique) vont réussir à faire preuve de pragmatisme pour s’adapter à ce nouveau rapport de force. D’autre part, le processus de démobilisation des paramilitaires et le début de l’application de la loi polémique « Justice et Paix » montrent leurs limites et on assiste à un réarmement paramilitaire.

L’année 2008 marque le point d’orgue de la Politique de Sécurité Démocratique suite à des succès militaires sans précédent : mort de trois membres du Secrétariat des FARC-EP (Raúl Reyes dans le cadre de l’opération Fénix, Iván Ríos et le chef historique des FARC-EP Manuel Marulanda), opération Jaque (ayant permis la libération d’Ingrid Betancourt et de quatorze autres otages), extradition de quatorze chefs paramilitaires et baisse du trafic de drogue grâce à la combinaison d’éradication aérienne et manuelle des cultures illicites. Les FARC-EP sont affaiblies, elles se replient dans leurs zones d’influence historique et elles se voient contraintes de revenir à la « guerra de guerrilllas » alors que leurs objectifs étaient d’évoluer vers la guerre de mouvement et d’accroître leur présence dans les centres urbains. Ces succès contre les FARC-EP et les paramilitaires (dans le cadre de la démobilisation) relayés par une communication efficace du gouvernement qui adopte cette année-là un discours triomphaliste vont créer une euphorie au sein de la population colombienne :

« Los impactantes resultados de 2008 generaron una gran euforia en el Gobierno y en la opinión pública y llevaron a pensar a muchos sectores que los paramilitares eran asunto del pasado y que las guerrillas estaban en su momento final. » (Corporación Nuevo Arco Iris, 2009, 1).

Toutefois, cette euphorie va s’estomper assez vite dans la mesure, où, dès 2009, les FARC-EP vont rebondir en définissant une nouvelle stratégie intitulée « Plan Renaître » (Plan Renacer) qui sera caractérisée par leur réactivation militaire (recours aux tireurs embusqués et aux mines offensives) et par la reprise de plusieurs territoires. À cet égard, la création du front 81 des FARC-EP dans le département symbolique du Guaviare (où avait eu lieu l’opération Jaque) illustre parfaitement la reprise d’initiatives des FARC-EP même si le Ministère de la Défense ripostera aussitôt par la stratégie du « Saut Stratégique » (Salto Estratégico) qui avait vocation à repousser les FARC-EP près des zones frontalières. Parallèlement à ces mutations sur le terrain de la confrontation entre les FARC-EP et le gouvernement, on assiste à un réarmement paramilitaire suite, en partie, à la rupture des négociations entre les chefs paramilitaires et le gouvernement en décembre 2006. Après un débat national concernant la dénomination de ces nouvelles organisations criminelles, elles finissent par être nommées BACRIM (Bandas Criminales) par le gouvernement et identifiées comme une menace relevant de la sécurité urbaine dans la PCSD de 2007 :

« subsiste también otra amenaza que afecta la seguridad y la tranquilidad de los habitantes de las zonas urbanas del país, que es la existencia de bandas de criminalidad común que incurren en delitos que van desde el hurto común, hurto a residencias, y asalto a entidades bancarias, hasta extorsión, secuestro y homicidio ». (PCSD, 2007, 26).

Cet échec de la démobilisation paramilitaire a aussi contribué à la politisation des menaces dans la mesure où elle a permis de révéler l’existence de collusions entre paramilitaires et hommes politiques, dont de nombreux proches d’Álvaro Uribe Vélez comme l’ancien directeur du Département Administratif de Sécurité (DAS) Jorge Noguera et son cousin, l’ancien sénateur Mario Uribe Escobar, tous deux contraints de démissionner. Ce scandale de la « parapolitique » n’est qu’un des scandales qui viendra ternir l’image et le bien-fondé de la Politique de Sécurité Démocratique à partir de 2006.

3- Dérives et scandales sécuritaires

Pendant le deuxième mandat d’Álvaro Uribe Vélez, la Politique de Sécurité Démocratique et la responsabilité du président ont été entachées par plusieurs scandales et dérives sécuritaires. Le scandale des « chuzadas » et des « faux positifs » ont éclaté sans réduire pour autant la cote de popularité dont jouissait Álvaro Uribe Vélez (ce phénomène a été qualifié d’effet « teflón »). En 2007, l’affaire des écoutes (« chuzadas ») éclaboussa encore le DAS. Des personnalités politiques dont des opposants politiques, des dirigeants sociaux, des défenseurs des droits de l’homme et des magistrats avaient été victimes d’écoutes illégales réalisées par le DAS probablement à la demande du gouvernement. Ce premier scandale illustrait les abus autoritaires d’Álvaro Uribe Vélez et l’impact de sa présidence sur le déséquilibre des pouvoirs. Par la suite, le scandale désormais tristement célèbre des « faux positifs » a fait vaciller les piliers mêmes de la Politique de Sécurité Démocratique : le respect des droits de l’homme et la légitimité des forces armées. Cette pratique fait référence à l’assassinat de civils innocents et non armés par les forces armées afin de les déguiser ensuite comme des guérilléros tués « légitimement » au cours des combats et gonfler ainsi les statistiques de la lutte contre le terrorisme. Elle a été dénoncée au niveau national et international par les ONG colombiennes et par l’ONU qui considère que ce phénomène pourrait atteindre plus de 1500 cas d’exécutions extrajudiciaires (ONU, 2011, 8). D’ailleurs, Philip Alston, rapporteur spécial de l’ONU sur les exécutions extrajudiciaires en Colombie, a clairement mis en cause la responsabilité du président dénonçant les effets pervers de sa Politique de Sécurité Démocratique. (2010, 2). L’appât des récompenses et la pression exercée sur les forces armées pour obtenir de bons résultats ont eu raison de l’État de droit.

III- Un bilan en demi-teinte de huit ans d’uribisme

Dans une troisième partie, nous allons dresser le bilan en demi-teinte de la Politique de Sécurité Démocratique, fer de lance des deux mandats du président Uribe. Le politologue Pedro Medellín souligne à juste titre que : « el gobierno Uribe ha tenido en la Seguridad Democrática su principal fortaleza pero también su mayor debilidad ». (2010, 105). En effet, malgré des succès indéniables en termes d’amélioration des indicateurs de sécurité, il faut mettre en exergue les limites et les échecs de cette politique.

1- Succès statistiques et ferveur populaire concernant la Politique de Sécurité Démocratique

Huit ans d’uribisme et la conviction que l’élimination des menaces ne pouvait se résoudre que par la voie militaire ont profondément changé l’État colombien en donnant un nouveau visage à la guerre interne. La Politique de Sécurité Démocratique a marqué un tournant sécuritaire car elle a réussi à affaiblir la principale menace « terroriste » : les FARC-EP alors qu’elles étaient dans une période d’apogée militaire et stratégique lors de l’arrivée au pouvoir d’Álvaro Uribe Vélez en 2002. La PSD a asséné des coups indéniables à ses effectifs (la plus vieille guérilla d’Amérique latine est passée de 18 000 hommes armés en 2002 à 7 000 en 2008), à sa stratégie et à ses dirigeants historiques. Pour la première fois, la faiblesse de leur capacité militaire s’alignait sur la faiblesse de leur crédibilité politique et le gouvernement avait repris l’initiative offensive. Sophie Daviaud précise que : « A. Uribe peut se targuer d’avoir mis fin au mythe de l’invincibilité de l’organisation. » (2011, 89). Par ailleurs, la PSD a permis une amélioration indéniable de la sécurité si on se réfère aux indicateurs de la sécurité qui sont tous à la baisse au terme du deuxième mandat du président Uribe (à l’exception de la sécurité urbaine) : présence de la force publique dans toutes les communes de Colombie, diminution du taux d’homicides, du nombre d’enlèvements avec demande de rançon, baisse remarquable des attaques à la personne, rétablissement de la sécurité sur les principaux axes routiers entre autres. (Atehortúa Cruz, Rojas Rivera, 2012, 83). Il faut également mentionner la baisse de la production de cocaïne dans ce bilan statistique positif. En outre, une réussite majeure de la Politique de Sécurité Démocratique est la perception favorable et le soutien manifesté par la majorité des citoyens à cette politique transversale. La popularité record du président Uribe et sa facile réélection en 2006 en sont la preuve.

Malgré ces avancées indéniables qui ont eu des répercussions immédiates sur la vie quotidienne des Colombiens, la Politique de Sécurité Démocratique n’a pas réussi à mettre un terme au conflit armé ni à incarner une politique d’État respectueuse des droits de l’homme et de l’État de droit.

2- Fragilisation de l’État de droit colombien

L’obsession sécuritaire d’Álvaro Uribe Vélez a entraîné un déséquilibre et une concentration dangereuse des pouvoirs entre les mains du président. Mais, pour ce dernier, la fin justifiait les moyens. Ainsi, à peine arrivé au pouvoir, il déclara l’état d’exception et proposa un statut antiterroriste pour combattre les groupes insurgés finalement rejeté par la Cour Constitutionnelle. Et ce ne fut que le début d’un bras de fer intense entre le président et la justice colombienne qui a joué un rôle décisif pour freiner ses pulsions autoritaires. Ce conflit entre pouvoir exécutif et judiciaire s’est à nouveau matérialisé lors du rejet de la première version de la loi « Justice et Paix » proposée par le pouvoir exécutif, puis lors des manigances et tractations politiques pour rendre possible la deuxième élection d’Álvaro Uribe Vélez (scandale de la « Yidispolitica ») et sa troisième tentative de réélection (jugée impossible par une décision de la Cour du 26 février 2010). Même les médias, qualifiés en général de quatrième pouvoir, se sont parfois attirés les foudres d’un président revendiquant une relation directe avec le peuple et ayant adopté une conception messianique du pouvoir :

« En la política es mejor entenderse directamente con la opinión pública que hacerlo con quienes pretenden ser los voceros de la opinión, porque muchas veces quienes pretenden ser voceros de la opinión no la interpretan. » (Bonilla, Rincón, Uribe, 2013, 128).

Les mandats paternalistes et autoritaires d’Álvaro Uribe Vélez ont donc contribué à fragiliser l’État de droit et à « désinstitutionnaliser » la politique colombienne. Cette situation sera parfaitement résumée dans la formule de Jaime Zuluaga Nieto : « con las PSD y PCSD se buscó ganar seguridad a costa de la democracia. » (2013, 16).

3- Un bilan critique concernant les droits de l’homme

Au-delà de la fragilisation d’un État de droit en construction, la Politique de Sécurité Démocratique est un échec cinglant à l’aune du respect des droits de l’homme. Leur violation massive exercée par les acteurs armés illégaux et par les agents de l’État constitue l’un des échecs les plus flagrants de la PSD. Selon une publication du Centre de Recherche et d’Éducation Populaire, sur les 12 997 violations aux droits de l’homme produites entre 2002 et 2009, 4358 ont été commises par les forces armées, soit plus d’un tiers. (CINEP, 2010, 3). Or, il convient ici de rappeler que le scandale des « faux positifs » n’a entraîné la condamnation que d’un nombre très limité de militaires du fait de la protection judiciaire dont ils bénéficient et du taux d’impunité élevé en Colombie (FIDH, 2012, 31). D’ailleurs le scandale des « faux positifs » est à mettre en perspective avec l’implication des civils dans le conflit armé qui a été dénoncé par Philip Alston. De plus, même si les chiffres officiels et ceux des ONG diffèrent, on constate également une augmentation du déplacement forcé interne de 2002 à 2010. (Atehortúa Cruz, Rojas Rivera, 2012, 83). Cette tendance à la hausse s’explique, entre autres, par l’offensive militaire de récupération territoriale du gouvernement et par les déficiences du processus de démobilisation. La Colombie est l’un des pays qui compte le plus de déplacements forcés internes aux côtés de la Syrie et de l’Irak (6,9 millions en 2016 selon le Haut-Commissariat pour les Réfugiés). L’aggravation du déplacement forcé a été si manifeste pendant l’ère Uribe que dès 2004, la Cour Constitutionnelle a tiré la sonnette d’alarme en dénonçant l’insuffisance des efforts du gouvernement pour répondre à cette crise humanitaire tout en déclarant un « état de choses inconstitutionnel » (« estado de cosas inconstitucional ») concernant le déplacement forcé. (Sentencia n° T 025 de 2004 de la Corte Constitucional). Le recours à ce mécanisme juridique par la Cour en 2004 et en 2011 montre que les Colombiens victimes de déplacement forcé ont été exclus des vertus de la PSD.
Tableau des violations des droits de l'homme

Conclusion 

Álvaro Uribe Vélez et son ambitieuse Politique de Sécurité Démocratique ont permis à la Colombie de ne pas devenir ce qui la menaçait : « un État failli ». Des succès statistiques sont indéniables tout comme l’affaiblissement militaire historique des FARC-EP ce qui explique, dans une large mesure, qu’elles aient accepté de s’asseoir à la table des négociations pendant les mandats de Juan Manuel Santos. Le président Uribe a reconfiguré le visage de la guerre interne et il a transformé les menaces et leurs stratégies d’action soit en décidant de les combattre militairement soit en empruntant la voie des négociations. Néanmoins, le rétablissement d’une sécurité apparente a été opéré au prix de graves atteintes à l’État de droit et aux droits de l’homme. De plus, les menaces persistent et les objectifs définis au début du mandat n’ont pas été atteints. La reconquête du territoire et le rétablissement complet de la sécurité ont été inachevés car les FARC-EP et l’ELN se sont repliées mais n’ont pas disparu et les limites de la démobilisation paramilitaire ont créé un nouveau monstre qui prend de l’ampleur en Colombie : les BACRIM. C’est bien un bilan en demi-teinte qu’Álvaro Uribe Vélez a laissé à son successeur en termes de sécurité. Il a promu la guerre pour rétablir la sécurité, il y est partiellement arrivé. Il semble que Juan Manuel Santos ait tiré les leçons d’une politique de sécurité agressive et des dérives de son prédécesseur en privilégiant la voie diplomatique pour engager son pays sur le chemin de la paix. Mais on peut supposer que sans huit ans de Politique de Sécurité Démocratique, le chemin aurait été beaucoup plus long. La supériorité militaire de l’État colombien a été un préalable indispensable à une solution négociée du conflit armé interne. Finalement la Politique de Sécurité Démocratique est à l’image de celui qui l’a créée, elle a marqué un tournant dans la politique sécuritaire et dans l’histoire contemporaine d’un pays encore en quête de paix et de sécurité pour l’ensemble de ses citoyens.

Références bibliographiques

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Webographie :

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Pour aller plus loin

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Pour citer cette ressource :

Julie Pontvianne, "La Politique de Sécurité Démocratique, pilier et principal héritage de l’ère Uribe", La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), janvier 2017. Consulté le 19/03/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/espagnol/civilisation/histoire-latino-americaine/colombie/la-politique-de-securite-democratique-pilier-et-principal-heritage-de-l-ere-uribe