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24e London Latin American Film Festival

Par Amanda Bernal : Étudiante de Master - ENS de Lyon
Publié par Christine Bini le 23/06/2015

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Du 14 au 23 Novembre 2014 s’est déroulée la vingt-quatrième édition du London Latin American Film Festival, fondé en 1990 par Eva Tarr-Kirkhope afin de diffuser les meilleures productions du cinéma latino-américain dans la capitale anglaise. Ce projet est né de la volonté de mettre en valeur les cultures latino-américaines à une époque où les londoniens, et plus généralement les habitants du Royaume-Uni, ne savaient que très peu du sous-continent. La directrice du festival, arrivée de La Havane dans les années soixante-dix, a vite constaté que pour la majorité des habitants de la capitale, les pays qui composent l’Amérique que l’on appelle « latine » formaient un agrégat aux contours flous que l’on avait du mal à placer sur une carte, et dont les traits culturels demeuraient largement inconnus. C’est donc pour faire connaître la richesse et la diversité des cultures latino-américaines que le festival est né et s’est maintenu sur plus de deux décennies, comme outil à la fois de sensibilisation aux productions culturelles du sous-continent et de projection d’une image positive de la communauté latino-américaine, dont la reconnaissance officielle est loin d’être gagnée, malgré la croissance exponentielle de sa population depuis les années soixante-dix.

C’est l’Ambassade du Venezuela et l’Institut des Amériques (University College London), principaux partenaires du festival, qui ont accueilli la majorité des projections de cette vingt-quatrième édition qui s’est, encore une fois, caractérisée par la diversité tant des supports que des sujets traités, et qui a su montrer un panel des productions les plus récentes du nouveau cinéma latino-américain. En voici quelques-unes qui se sont particulièrement distinguées.

Marea (2013)

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Dans ce court-métrage produit par l’ICAIC (Instituto Cubano del Arte e Industria Cinematográficos), Adam Breier explore les contradictions du modèle de développement mis en place par le gouvernement à partir du Periodo Especial, qui a marqué la réouverture de Cuba au tourisme occidental, et avec elle la réapparition de l’un de « maux » que le gouvernement révolutionnaire se vantait d’avoir éradiqué : le tourisme sexuel. Loin du discours officiel qui tend à stigmatiser ceux qui s’adonnent au jineterismo comme des traîtres de la Révolution et de ses principes fondateurs, Adam Breier a choisi d’explorer le thème sous un autre angle, en abordant la question à partir d’un drame familial. Le réalisateur nous invite à suivre Camelia et son fils lors d’une sortie à la plage à l’occasion de l’anniversaire de celui-ci. Plus les minutes avancent, plus les tensions montent au fur et à mesure que l’absence du père se fait de plus en plus sentir. Camelia se met à le chercher désespérément, ce qui la conduit à se confronter à la réalité du gagne-pain du père de son fils. Sans tomber dans le voyeurisme, Adam Breier nous propose d’explorer les conséquences sociales d’une réalité qui révèle les contradictions engendrées par la situation politique et économique de l’île. Ce sont ces mêmes contradictions que Lilo Vilapalana interroge, bien que de façon beaucoup plus irrévérencieuse, dans le second court-métrage que nous évoquerons.

La muerte del gato (2014)

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Dans ce court-métrage de 27 minutes ouvertement subversif, Lilo Vilaplana dépeint, en mêlant les registres comique et tragique, la situation politique et sociale dans laquelle se trouve Cuba après la chute du bloc soviétique, qui ouvre ce que le gouvernement révolutionnaire nomme  « el Periodo Especial ». C’est avec beaucoup de finesse et d’humour qu’il critique les contradictions d’un discours révolutionnaire qui s’est vidé de son sens face aux difficultés et aux pénuries du quotidien. Le chat de Delfina, la commère de l’immeuble qui dénonce les moindres faits et gestes « contre-révolutionnaires » de ses voisins, se transforme en symbole de l’oppression exercée par un gouvernement qui fait la chasse aux « ennemis de la Révolution» mais refuse de changer un modèle économique, politique et social qui n’est plus viable. Le petit acte de résistance des deux personnages principaux, qui complotent pour tuer le chat et le donner à manger à la voisine, reflète d’une part les difficultés du quotidien et en particulier le rationnement alimentaire auquel étaient soumis les cubains, pour qui la viande était devenue pratiquement introuvable, mais constitue plus symboliquement une allégorie des contradictions d’un gouvernement révolutionnaire qui avait promis « Liberté avec pain», et qui, selon le réalisateur, n’avait su garantir ni l’un ni l’autre. Le film n’a bien évidemment pas été produit par l’ICAIC, l’organe cinématographique du gouvernement cubain, puisqu’il va a l’encontre de ce que Lilo Vilaplana appelle « le système ». D’où le parallèle très intéressant établi entre La muerte del gato et Marea: en choisissant de projeter les deux courts-métrages l’un après l’autre, les organisateurs du Latin American Film Festival ont réussi à combiner vision de l’intérieur et vision de l’extérieur, nous permettant de voir les différentes facettes des complexes dynamiques sociales, économiques et politiques à l’œuvre sur l’île.

Jogo do corpo : Capoeira e ancestralidade (2013)

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Contrairement aux deux courts-métrages précédents, qui sont des œuvres du cinéma de fiction, Jogo de corpo est un documentaire anglo-brésilien qui suit Mestre Cobra Mansa dans sa recherche sur les origines de la capoeira. Cette recherche l’a conduit en Angola, où, accompagné de l’historien Matthias Röhrig Assunção, il est allé de village en village, à la découverte des jeux de combats et danses rituelles dont la similarité avec la capoeira laisserait à penser que lesdites formes d’expression corporelle partagent un ancêtre commun que les esclaves auraient apporté au Brésil, et dont les évolutions auraient donné l’art afro-brésilien que nous connaissons aujourd’hui. Plutôt que d’imposer une réponse définitive sur les « origines » de la capoeira, les réalisateurs ont préféré explorer les particularités de ses jeux « cousins » : de l’engolo, la « danse du zèbre », pratiquée exclusivement par les hommes à l’occasion des grandes célébrations, jusqu’au onkhili, dans lequel les femmes jouent un rôle central puisqu’elles participent à la danse rituelle en soutenant leurs partenaires masculins pendant qu’ils effectuent des bonds impressionnants, le mestre et l’historien ont voulu montrer que les liens entre ces formes d’expression corporelle et la capoeira sont d’ordre plus spirituel que purement formel. C’est le caractère ambigu d’une danse qui peut très vite devenir une lutte mortelle qui définit la capoeira et ses « cousines » angolaises, et c’est ce que Mestre Cobra Mansa et Matthias Röhrig Assunção ont voulu mettre en relief. Plutôt que d’enfermer ces formes d’expression corporelles en les définissant comme version « primitive » ou « évoluée » d’un même phénomène, ils ont voulu souligner d’une part les particularités de chacun de ces jeux de combats, et d’autre part la multiplicité des influences qui ont nourri ce qui a fini par s’appeler la capoeira. La projection s’est suivie d’une séance de questions-réponses assez informelle, au cours de laquelle Matthias Röhrig Assunção et Mestre Celso, invité d’honneur en raison de sa participation dans le projet de recherche, ont répondu aux questions d’un public, il faut le dire, assez peu nombreux et essentiellement composé de capoeiristas.

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Le peu d’affluence que nous avons mentionné n’a pas été une exception d’un soir. Seules les projections organisées à l’Institut des Amériques (They Are We, Cuba, 2014) et Neruda in the Round (Royaume-Uni, 2013)) et au cinéma Curzon Victoria (Days of the Flowers, Cuba, 2013) ont fait salle comble, du fait que les lieux qui les ont accueillies ont su toucher un public beaucoup plus large en raison de leur visibilité déjà établie sur la scène universitaire et culturelle londonienne. À l’image de la communauté latino-américaine dans la capitale anglaise, la vingt-quatrième édition du London Latin American Film Festival est restée très largement ‘invisible’. C’est que contrairement aux autres festivals culturels latino-américains (le plus important étant peut être le « Carnaval del Pueblo », qui attire plus de 100 000 personnes chaque année), organisés avant tout pour et par la communauté latino-américaine, les plus de 113 500 « Latinos » qui vivent dans la capitale n’ont pas été spécifiquement ciblés par les organisateurs d’un festival à vocation beaucoup plus cosmopolite et qui ont cherché à attirer un public plus diversifié. À l’heure où les discours anti-immigration se font de plus en plus entendre, et où il est donc particulièrement important de mettre en relief la richesse culturelle qu’apportent les migrants, et spécifiquement les migrants latino-américains dans le cas présent, il est fort regrettable que les organisateurs du festival n’aient pas su mettre en place des stratégies de communication efficaces qui auraient  pu donner à la vingt-quatrième édition de ce London Latin American Festival la reconnaissance qu’elle méritait, étant donné la grande qualité de sa programmation.

 

Pour citer cette ressource :

Amanda Bernal, "24e London Latin American Film Festival", La Clé des Langues [en ligne], Lyon, ENS de LYON/DGESCO (ISSN 2107-7029), juin 2015. Consulté le 16/04/2024. URL: https://cle.ens-lyon.fr/espagnol/ojal/traces-huellas/24e-london-latin-american-film-festival-14-23-novembre-2014